Texte intégral
Le Ministre : Mesdames et Messieurs, merci d'avoir répondu à l'invitation que Madame Michaux-Chevry et moi-même vous avons adressé. Nous avons souhaité vous présenter, tous les deux, le bilan d'une année humanitaire de la France à l'étranger. Il appartient bien sûr au ministre délégué de vous présenter ce bilan et je vais lui passer tout de suite la parole. Je voulais simplement vous dire que j'ai tenu à être à ses côtés pour marquer toute l'importance que j'attache à cette action et très précisément au travail qui a été fait par Madame Michaux-Chevry depuis un an. Je me bornerai à ajouter deux commentaires rapides : le premier pour dire que, d'un commun accord, nous avons en permanence veillé à ce que l'action humanitaire de l'État, puisque c'est de cela que nous sommes en charge, s'inscrive le plus possible, dans chaque opération, à l'intérieur d'un projet politique. L'humanitaire, quels que soient ses fondements sur les valeurs et les principes qui sont les nôtres, doit être à notre avis en toute circonstance pour être efficace inscrit dans une telle perspective. C'est ce que nous faisons par exemple dans l'ex-Yougoslavie, c'est ce qui n'a peut-être pas été fait par la communauté internationale en Somalie : on en a vu, hélas, les limites ; c'est ma première réflexion. Ma deuxième réflexion, c'est que cette action est extrêmement dense : 300 projets dans 72 pays différents et qu'elle a mobilisé toutes les énergies de ce ministère, sous l'impulsion de Madame Michaux-Chevry. Si elle a pu apparaître plus discrète que par le passé, ce n'est pas non plus tout à fait l'effet du hasard ni de la charge de travail, c'est que l'hypermédiatisation n'est pas tellement notre « tasse de thé » en la matière, nous avons en toute circonstance préféré l'efficacité. Mais enfin, il est bon de continuer à sensibiliser le public français sur ces questions, parce que sa générosité est souvent sollicitée, toujours avec succès d'ailleurs. Il convient également aussi de remercier les acteurs de l'action humanitaire de l'État et c'est dans cet esprit que nous avons jugé utile de faire ce point de presse que va vous présenter maintenant Madame Michaux-Chevry.
Le Ministre délégué : Je voudrais dire en premier lieu que depuis une année, le ministre délégué à l'Action humanitaire et aux Droits de l'Homme que je suis a travaillé en symbiose totale avec le ministre des Affaires étrangères et l'ensemble de ses collaborateurs. Et c'est un avantage extraordinaire de travailler dans une telle synergie ; l'action humanitaire s'est ainsi révélée une composante de l'action diplomatique de la France.
Nous avons mis en place des principes nouveaux, ainsi que des priorités et des méthodes ; je vous dirai ensuite un mot sur nos moyens.
Les principes : il a été nécessaire à un moment donné de médiatiser l'action humanitaire pour sensibiliser l'opinion française. Tout le monde se rend compte hélas maintenant de l'ampleur des catastrophes humanitaires à travers le monde, que ce soit en Afrique, en ex-Yougoslavie, en Haïti, etc. Notre action doit donc être orientée vers les bénéficiaires ; nous avons pratiquement mis fin à la promotion de nos propres activités, car la finalité de notre action, ce sont les bénéficiaires de l'action humanitaire. Comment leur donner les moyens de résister aux situations auxquelles ils sont confrontés, comment leur permettre de conserver un minimum de dignité.
Nous avons dégagé plusieurs priorités : les enfants, les réfugiés ; nos priorités géographiques sont évidemment l'ex-Yougoslavie, la Corne de l'Afrique, l'Afrique Centrale, et Haïti.
Sur le plan des méthodes, nous avons développé le dialogue avec les ONG ; j'ai demandé que l'on me fasse un rapport sur les relations entre les ONG et l'État ; ce rapport, qui m'a été remis en octobre dernier, préconisait, entre autres, la création d'une Commission Consultative de l'Action humanitaire, devant rassembler des personnalités du monde humanitaire et des entreprises, des représentants des administrations, ainsi que des associations. Je viens également de recevoir un rapport sur le droit international humanitaire, qui contient des recommandations importantes, notamment sur les initiatives que la France pourrait prendre en matière de lutte contre la prolifération des mines antipersonnel.
En ce qui concerne nos moyens d'action, ils sont beaucoup plus importants qu'il n'y parait. Le budget annuel de 120 millions de francs dont je dispose est en réalité complété par celui de tous les autres intervenants de l'action humanitaire. Nous travaillons avec tout le réseau diplomatique de la France, qui est l'un des plus performants à travers le monde, notamment avec ses attachés humanitaires qui font un travail remarquable sur le terrain, et nous permettent d'être parfaitement informés. Nous avons aussi le soutien du ministère de la Coopération, du ministère de la Défense, du ministère de la Santé et même du ministère de l'Intérieur, dont les unités de sécurité civile peuvent intervenir en cas de catastrophes naturelles à l'étranger. C'est une véritable concertation interministérielle qui est maintenant instituée, au sein de laquelle mon ministère délégué joue un rôle de catalyseur. Il y a eu par exemple cinq cyclones successifs à Madagascar : chaque fois la France a été la première à porter des secours aux personnes en difficulté. Pourquoi ? Parce que notre réseau fonctionne bien.
En une année, nous avons mené 300 actions humanitaires dans 71 pays. Nous sommes intervenus en Amérique Centrale en faveur des enfants de la rue, soit en subventionnant des centres d'accueil, soit en intervenant auprès des gouvernements pour leur faire comprendre que nous ne pouvions pas accepter l'existence des commandos de la mort. En Afrique, nous menons sur le terrain des actions multiples, même si parfois nous avons un sentiment d'échec ainsi, au Rwanda et au Burundi où je me suis rendue en janvier, j'avais rencontré des représentants du Front Patriotique Rwandais, j'avais dîné avec des représentants du Gouvernement, j'avais même rencontré le Président Habyarimana et j'avais essayé de leur faire comprendre que le critère ethnique n'avait pas de sens, je suis bien placée pour le dire, et je croyais avoir réussi. Mais les vieilles haines, les vieilles passions sont remontées.
Nous avons été présents aussi en Somalie et dans d'autres pays africains. Et dans bien d'autres régions du monde encore, comme en Géorgie, en Arménie, en Afghanistan, où nous avons répondu de la façon la plus concrète et la plus efficace aux situations d'extrême détresse dont souffrent des gens qui attendent tellement de la France ! Cette action a été très positive, car chaque fois que je me suis rendue sur le terrain, je n'ai reçu que des messages, de satisfaction, de félicitations ; la France, en même temps que son action diplomatique, véhicule une notion d'aide humanitaire et aussi de défense des Droits de l'Homme. À ce titre, nous nous félicitons de la manière dont se sont déroulées les élections au Salvador, où la communauté internationale, avec l'appui actif de la France, est parvenue à faire en sorte que le gouvernement et l'opposition se rencontrent et à mettre en place une assistance technique qui a permis un retour de la démocratie avec les décisions du 20 mars. Haïti reste malheureusement un échec, la paix civile ne pouvant encore être restaurée, mais la France reste très présente et vigilante.
Q. : Madame le Ministre, pouvez-vous nous indiquer, en ce qui concerne le Rwanda, qu'est-ce que la France peut faire maintenant en la matière pour apporter une assistance humanitaire aux populations rwandaises ?
Le Ministre délégué : Je pense qu'en l'état actuel des choses, compte tenu de la violence des combats qui se déroulent maintenant au Rwanda, il est difficile d'intervenir directement à Kigali. Mais la France agit, par une aide humanitaire intense (pharmaceutique, médicale, alimentaire…), au Burundi et en Ouganda, où de nombreuses populations rwandaises sont réfugiées. La France apporte donc autour du Rwanda une aide humanitaire importante, en attendant que de véritables négociations puissent avoir lieu entre les parties au conflit.
Le Ministre : Je crois que la situation au Rwanda montre à quel point précisément l'action humanitaire doit s'inscrire dans une perspective politique comme je le disais en commençant. La France a beaucoup fait pour faciliter le retour à la stabilité du Rwanda et la réconciliation des partis ou des factions et l'on pouvait espérer il y a quelques semaines encore que les choses étaient en bonne voie lorsque l'attentat perpétré contre l'avion transportant les deux Présidents rwandais et burundais a fait hélas exposer tout ce dispositif. Notre devoir était de faire évacuer tous nos ressortissants : vous savez que sur les 1 200 ou 1 300 personnes qui ont bénéficié de l'évacuation aéroportée, à peine la moitié étaient des ressortissants français ; nous avons étendu cette opération à d'autres nationaux. Il faut maintenant recréer, même si ça peut paraître exagérément ambitieux compte tenu de la situation sur le terrain, les conditions d'un dialogue. Le Secrétaire général des Nations unies doit prendre des initiatives en ce sens, on nous a annoncé ce matin que des contacts devaient être établis entre le FPR et les forces gouvernementales mais il ne semble pas que ce soit encore concrétisé. La France considère que la MINUAR (la force des Nations unies), même si elle est recalibrée compte tenu de la situation, doit rester présente au Rwanda pour permettre à l'ONU le moment venu de jouer à nouveau le rôle qui lui avait été assigné. Voilà le contexte dont va dépendre très étroitement l'efficacité de notre action humanitaire qui se poursuit dans les conditions que vient de décrire Mme Michaux-Chevry.
Q. : À propos d'Haïti, est-ce que vous pouvez nous dire quelques mots sur le bateau le Galis Bay qui devait porter quelques tonnes de nourriture en Haïti et qui visiblement n'est pas arrivé à terme ?
Le Ministre délégué : Ce n'est pas tout à fait cela ; des éléments de la junte militaire ont fait courir le bruit que les produits alimentaires que nous avions expédiés en Haïti étaient des marchandises avariées provenant des secours envoyés en Guadeloupe à la suite du cyclone Hugo ; ce bruit a été répandu pour bloquer notre aide humanitaire et ce, hélas, au détriment des populations. Mais nous continuons d'œuvrer pour faire en sorte que cette aide humanitaire parvienne tout de même à ses destinataires.
Le Ministre : Je voudrais ajouter un mot sur Haïti. Je lisais, il y a quelques temps, un papier intitulé : « Les incohérences de la politique française en Haïti » ; on peut nous reprocher beaucoup de choses sauf, précisément, dans ce cas précis, l'incohérence ; on pourrait plus légitimement nous reprocher l'excès de cohérence. D'où viennent nos difficultés en effet ? Sur le plan politique c'est que dans l'acheminement de l'action humanitaire nous payons le prix de la clarté de notre position politique. Notre position est tout à fait nette et constante depuis en tout cas un an et même auparavant d'ailleurs, puisque sur ce point il y a continuité. Elle est de dire qu'il faut rétablir l'ordre constitutionnel en Haïti. Il faut donc que le Président Aristide puisse revenir et que ceux qui ont confisqué le pouvoir par la force s'en aillent. Nous avons dans cet esprit pleinement approuvé l'accord de Governor's Island et nous avons essayé de tout faire pour qu'il puisse être concrétisé sur le terrain. Comme cela n'était pas le cas, nous nous sommes engagés fortement, en première ligne, dans la définition de sanctions accrues sur Haïti et c'est cela qui nous est reproché. J'aurais aimé que tous ceux qui sont impliqués dans l'affaire d'Haïti et dans la recherche d'un règlement soient aussi cohérents que la France. C'est peut-être parce qu'il y eu, chez d'autres, telle ou telle incohérence – et qui a pu être interprété comme un double jeu entré le Président Aristide et les militaires – qu'il y a difficulté. Donc je trouve que le reproche qui nous a été fait sur le plan politique en la matière est tout à fait injustifié. Ce qui compte maintenant c'est de remettre de la cohérence dans les positions des « pays amis d'Haïti », de façon à ce qu'ils soient bien d'accord sur ce qu'ils veulent faire et qu'ensuite on en tire les conséquences aux Nations unies et dans notre aide humanitaire, qui en toute hypothèse devra être maintenue et amplifiée.
Q. : C'est une question qui s'adresse à M Juppé suite à sa dernière visite en Turquie qui est intervenue à un moment particulièrement pénible où une forte répression s'abat sur le peuple kurde. Je voudrais savoir comment la défense des Droits de l'Homme peut s'articuler avec les intérêts politiques et faut-il, pour des intérêts commerciaux, délivrer à des États comme l'État turc des satisfecit en matière de démocratie que visiblement elle n'a pas?
Le Ministre : J'admire la façon dont cette question est posée et dans laquelle il n'est fait mention à aucun moment des attentats terroristes qui ont eu lieu à Istanbul. Je ne dis pas cela pour excuser quelque forme de répression que ce soit, mais quand on veut analyser une situation, il faut l'analyser objectivement et impartialement. Je condamne bien entendu, les atteintes aux Droits de l'Homme, dont les Kurdes sont victimes en Turquie et je l'ai dit. Moi, je ne dis pas des choses différentes selon les interlocuteurs : je l'ai dit, et publiquement. Je considère également que le gouvernement turc doit avoir une approche politique du problème kurde et je l'ai dit là aussi à tous mes interlocuteurs : Président de la République, Premier ministre et ministre des Affaires étrangères. Il n'y a pas de solutions de force, là pas plus qu'ailleurs, mais j'ai dit aussi que la France condamnait le séparatisme et le terrorisme.
Q. : Monsieur le Ministre, quelle est la démarche que la France adopte en ce moment pour essayer de parles des Droits de l'Homme en Algérie et en Tunisie ?
Le Ministre : La démarche est la même que partout ailleurs, nous réaffirmons en toutes circonstances et vis-à-vis de tous les gouvernements, quelles sont nos conceptions. Elles sont connues, elles font d'ailleurs l'objet en France, permettez-moi de le dire, à quelques rarissimes exceptions près, d'un accord national de toutes les formations politiques françaises. Je crois que tous les Français ont le même attachement aux valeurs démocratiques et aux Droits de l'Homme et de la personne humaine et que notre rôle est de le dire à tous les interlocuteurs. La situation en Algérie est tragique nous le savons bien. Notre vœux le plus profond est que ce peuple et ce pays puissent retrouver le plus vite possible la stabilité et sortir de l'affreux engrenage de violence dans lequel il se trouve, violence qui amène à bafouer les Droits de l'Homme d'un côté comme de l'autre bien sûr, ce qui ne saurait recueillir notre approbation. C'est dans cet esprit que nous avons incité les autorités algériennes au dialogue politique ; elles s'y sont engagées, mais c'est difficile. C'est difficile parce que ce n'est pas toujours facile de dialoguer avec des personnes qui ne veulent pas dialoguer et une partie des interlocuteurs islamistes des autorités algériennes ne veut pas dialoguer. Et puis ce que nous pouvons faire peut-être de plus efficace aujourd'hui, dans la limite de nos moyens, c'est de nous engager à aider, le moment venu. Je crois que le moment est venu, aujourd'hui, d'aider l'Algérie à mettre en œuvre des réformes économiques réelles. Nous l'avions aussi incitée à changer les choses dans ce domaine, à négocier avec le Fonds Monétaire international, à prendre des décisions qui s'imposaient. Cela a été fait et c'est courageux dans le contexte politique actuel de l'Algérie. Il faut maintenant que nous répondions, il faut que la communauté internationale réponde à ces décisions courageuses, et répondre, cela veut dire quoi ? Ça veut dire rééchelonner la dette, ça veut dire mobiliser les aides financières nécessaires pour desserrer un peu l'étau qui asphyxie l'économie algérienne et qui est une des raisons, pas la seule, mais une des raisons, de la dégradation politique. Voilà ce que nous pouvons faire : dire les choses clairement et en même temps aider dans la mesure de nos moyens. J'entends souvent dite, là aussi : mais que fait la France pour l'Algérie ? Je voudrais quand même qu'on se sorte de la tête l'idée que nous sommes au XIXème siècle : la politique de la canonnière ou de l'intervention directe est passée de mode !
Q. : Monsieur le Ministre, vous avez mentionné Haïti, où la France soutient des sanctions accrues à l'encontre de la junte militaire ; néanmoins en d'autres lieux et en d'autres circonstances vous avez également défendu la nécessité de la discrétion par rapport au violation des Droits de l'Homme, je ne reviendrai pas sur les polémiques récentes à propos de la visite en Chine.
Je souhaiterais que vous puissiez éclaircir l'analyse que vous faites de cette notion qui était un peu nouvelle, qui était apparue ces dernières années, de la nécessité du droit d'ingérence internationale, c'est-à-dire du droit de la communauté internationale ou de la France de chercher à peser par des sanctions ou par des dénonciations publiques sur les situations qui lui semblent inacceptables ou intolérables. En d'autres termes, pensez-vous que cette notion-là soit toujours valide ou pensez-vous que cette notion est dangereuse et qu'en fait il faut « découpler » l'action humanitaire ou pour les Droits de l'Homme et l'action diplomatique classique ?
Le Ministre : Sur le deuxième point, la réponse est non. Je crois au contraire qu'il faut les coupler plus étroitement qu'elles ne l'avaient pas été avant. Il faut une vision globale des relations avec tel ou tel pays, une vision politique, diplomatique qui incorpore chaque fois que c'est nécessaire, et c'est souvent nécessaire, une dimension humanitaire. Donc je ne suis pas du tout pour le découplage, au, contraire. Deuxième réflexion, je n'aime pas beaucoup le mot « d'ingérence » parce que ça fait un peu « Zorro est arrivé » et ça ne veut pas souvent dire grand-chose. Moi je crois beaucoup plus à ce que j'appellerais peut-être la « fonction tribunitienne » de la France dans ce domaine. La France a des choses à dire et elle doit le dire, sans en rajouter dans la voie de la discrétion. Il faut là aussi tenir une ligne moyenne : ni hyper médiatisation, ni discrétion excessive. Je crois que ce n'est pas une découverte très récente, ça fait longtemps que la France, c'est son génie propre, c'est sa tradition historique, est ressentie partout dans le monde comme un pays qui est porteur d'une exigence particulière en matière de Droits de l'Homme. Non seulement il n'est pas question de mettre ça sous le boisseau, mais je pense qu'il faut l'exprimer avec plus de continuité et plus d'universalité que jamais parce que, hélas, ces valeurs-là ne sont pas véritablement en progression sur la planète, elles ont plutôt tendance à être en régression. Voilà mon analyse et donc au-delà des mots et des expressions, la détermination et la volonté sont tout à fait claires. Et d'ailleurs je crois que c'est ressenti comme tel vous savez, je n'ai pas perçu, où que je passe, l'idée que la France avait faibli sur ce point.
Q. : Vous avez parlé tout à l'heure d'action en parfaite harmonie entre les deux ministères, entre l'action humanitaire et l'action diplomatique, est-ce que vous pensez que l'action humanitaire peut être complémentaire de l'action diplomatique ou éventuellement jouer un rôle contradictoire quand il le faut, jouer un rôle de critique en matière des Droits de l'Homme, donc être un peu en porte à faux s'il s'agit de tel ou tel pays par rapport à l'action diplomatique classique ?
Le Ministre : Je crois qu'il faut distinguer les choses : Il y a l'action humanitaire des organisations non gouvernementales qui n'ont pas de responsabilités publiques ; qu'elles soient critiques, c'est leur droit, c'est peut-être même parfois leur rôle. Bien entendu je serais loin de leur contester et puis il y a l'action humanitaire de la France : je ne vois pas comment elle pourrait être critique vis-à-vis de notre action diplomatique, cela voudrait dire que notre action diplomatique passe par pertes et profits les Droits de l'Homme, ce n'est pas le cas. Alors qui y ait une fonction d'alerte, et c'est ce que Mme Michaux-Chevry n'a cessé de faire depuis un an, pour attirer l'attention des responsables politiques sur telle ou telle situation, exigeant une intervention, certes ! C'est sa mission et elle a été parfaitement exercée ; qu'en revanche, il y ait une opposition, je n'en vois pas la raison de principe et je n'en ai pas d'illustration précise, sauf si Madame Michaux-Chevry en a une qui lui vient à l'esprit ?
Le Ministre délégué : Prenons l'exemple d'Haïti : l'embargo n'est pas une fin en soi, il est difficilement acceptable pour ceux qui en souffrent ; mais pour nous, il était nécessaire et indispensable. Cela ne nous empêche pas de conduire en même temps une action humanitaire, notamment par des campagnes de vaccinations des enfants, par des livraisons de matériels scolaires pour préparer la rentrée, etc. Donc, il y a toujours une complémentarité entre l'action diplomatique et l'humanitaire.
Le Ministre : Moi, je crois que l'objet de la plaquette qui vous a été distribuée, c'est de montrer qu'à propos d'humanitaire il faut faire beaucoup mois de philosophie et beaucoup plus de terrain. Alors, est-ce que la notion d'ingérence est bonne ou pas bonne ? Je crois que ce qui compte, ce qui nous motive et ce qui a motivé notre action depuis un an c'est effectivement, concrètement, de nourrir, soigner, protéger, loger, être présent ; c'est cela l'action humanitaire et de mon point de vue, plus on est concret, plus on est précis, plus on est sur le terrain, mieux cela vaut. C'est d'ailleurs ce que font les ONG, aux rôles desquels je tiens à rendre un hommage particulier. Nous sommes en train de tout faire pour que les onze Français de l'Association « Première Urgence », qui ont été comme je l'ai dit « pris en otage » et je crois que c'est la formule qui convient, en Bosnie puissent être relâchés le plus vite possible.
Q. : Ne pensez-vous pas qu'il y a parfois contraction entre l'action de l'État et celle des ONG quand justement comme vous le citiez, certains membres d'ONG sont victimes de représailles du fait de l'action de l'État français en tant que tel ? Par exemple en ex-Yougoslavie, quand on prend en otage un membre d'une ONG parce qu'en fait, on reproche l'État français son action est-ce qu'on ne peut pas dire que, là, il y a une contradiction de facto ?
Le Ministre délégué : Je pense que vous voulez parler de l'affaire de l'ONG « Première Urgence » ; d'abord c'est une ONG sur laquelle nous pouvons apporter des témoignages très concrets d'efficacité, d'honorabilité, de travail, excellents sur le terrain. Mais il faut savoir que les Serbes ont pris la malheureuse habitude de ponctionner plus de 50 % des marchandises sur les convois humanitaires expédiés en Bosnie. Une première fois, cette ONG est passée sans payer cette dîme qui était imposée. Nous pensons qu'il s'agit peut-être là d'un élément d'explication de l'action qui a été menée contre elle, consistant à confisquer ses camions, à arrêter les onze Français et ensuite à les accuser de tous les péchés. Je crois que pour ma part que c'est une preuve de courage et de dignité qu'a montrée cette ONG en considérant qu'il n'était pas acceptable que les convois humanitaires pour Sarajevo soient ainsi ponctionnés.
Le Ministre : Plus généralement, je ne vois pas où est la contradiction en l'espèce. Quel est le but politique de la France, politique cette fois-ci, dans l'ex-Yougoslavie ? C'est de parvenir évidemment à une solution globale et c'est en même temps de faire en sorte que les résolutions du Conseil de sécurité soient appliquées, en particulier que les zones de sécurité soient protégées. C'est cela qui a pu peut-être, indépendamment du phénomène très précis que vient d'évoquer Mme Michaux-Chevry, provoqué la réaction serbe, donc il y a parfaite convergence entre les objectifs. Nous nous battons, nous, pour protéger les populations à Gorazde, par la force quand c'est nécessaire. Les ONG se battent pour faire parvenir leur aide : Je ne vois pas où est la contradiction politique là. Pas du tout, il y a même une convergence.
Q. : Monsieur le Ministre, je voudrais savoir de quelle manière vous avez rappelé l'attachement de la France au respect des Droits de l'Homme au Président Abdou Diouf, président du Sénégal, pays dont les leaders d'opposition sont en prison depuis plus d'un mois ?
Le Ministre : J'ai dit au Président Abdou Diouf, y compris dans un toast public, au cours du déjeuner que je lui ai offert, que la France souhaitait que la justice sénégalaise, qui est saisie de ce problème, puisse le régler le plus vite possible et que le procès ne traîne pas. Il y a une procédure judiciaire, c'est dans ce cadre que cela doit se régler. Et donc là aussi, le message a été envoyé.
Le Ministre délégué : Comme on le voit dans d'autres pays, au Guatemala par exemple, où nous avons des Français incarcérés depuis plus deux ans et qui ne sont pas passés en justice ! Nous ne restons pas insensibles à la défense des Droits de l'Homme et à la liberté de nos concitoyens, dès que nous sommes saisis d'une violation quelle qu'elle soit des Droits de l'Homme, nous intervenons systématiquement. Et il est important que ce ministère des Droits de l'Homme soit rattaché au ministère des Affaires étrangères, car cela nous permet d'intervenir de façon beaucoup plus rapide grâce à nos ambassadeurs sur le terrain.
Le Ministre : Si l'on continue à prolonger la liste et on pourrait le faire pendant toute la journée vraisemblablement, on en arrive à quelle conclusion ? Est-ce que la France devrait refuser de dialoguer avec tous les pays dans lesquels se posent des problèmes relatifs aux Droits de l'Homme ? La réponse à cette question, elle est déjà connue, elle est négative. C'est par le dialogue qu'on peut continuer à dire « Voilà ce que nous demandons et même ce que nous exigeons ». Parfois évidemment, quand les choses atteignent des propositions insoutenables, il faut mettre le seuil bas naturellement, alors le dialogue n'est plus possible et la force internationale doit être utilisée. Mais, la plupart du temps, je crois que c'est par le dialogue que la France peut faire passer ce message, c'est une vérité d'évidence.