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Partenaires : Le nouveau dispositif destiné à favoriser l'embauche des jeunes entre en vigueur en avril. Qu'attendez-vous désormais des entreprises ? Au-delà de l'effet incitatif immédiat, comment vaincre durablement leurs hésitations à s'engager dans cette voie ?
Michel Giraud : Conjuguer le civisme avec leur intérêt : tel est à mon sens le principal défi que doivent aujourd'hui relever les entreprises françaises. Parce qu'il y va de l'équilibre général de notre société, parce que tout risque de rupture sociale entre les jeunes et leurs aînés doit être évité, l'ensemble des entreprises françaises doit s'efforcer de participer à l'effort national de mobilisation en faveur des jeunes.
Sans même solliciter leur civisme, et c'est pourtant ce que je commence par faire, je crois que c'est aussi leur intérêt. Il s'agit, pour elles, non seulement de reconstituer leur pyramide d'âge, qui a eu tendance à se détériorer durant la période de récession que nous venons de traverser, mais aussi de reconstituer leur encadrement avant d'aborder la reprise dans les meilleures conditions.
Accueillir les jeunes, tout en protégeant les emplois qui existent dans l'entreprise, c'est à mon sens la principale préoccupation à laquelle les entreprises doivent pouvoir répondre afin de préserver, dans le même temps, leur culture et leur savoir-faire.
Partenaires : Comment abordez-vous la phase actuelle de mise en place de la loi quinquennale, en particulier s'agissant de la décentralisation de la formation professionnelle des jeunes qui en constitue l'un des piliers ?
Michel Giraud : Beaucoup d'articles ne nécessitent pas de texte d'application. Ils sont donc déjà entrés en vigueur. Pour les autres, une douzaine de décrets est d'ores et déjà parue au Journal officiel et sept circulaires ont été diffusées. Pratiquement tous les textes d'application sont élaborés, ceux qui n'ont pas encore fait l'objet d'une publication sont dans des phases de concertation très approfondies etc. pour certaines conclusives. La loi quinquennale est en marche !
S'agissant de la décentralisation de la formation professionnelle, dans l'intérêt des jeunes et de tous les acteurs de la formation qui doivent pouvoir s'y préparer, j'ai tenu à ce que ses modalités de mise en œuvre soient définies dans les meilleurs délais. C'est pourquoi le premier décret de la loi quinquennale, publié le 16 février 1994, porte précisément sur ce transfert de compétences de l'État vers les régions. Il s'agit de leur confier, au plus près de la réalité de l'emploi la responsabilité de l'ensemble des mesures d'accès à l'emploi des jeunes. Il s'agit également de garantir une plus large concertation avec tous les acteurs de la formation professionnelle et d'assurer une démarche prospective afin de mieux coller à l'évolution des emplois et des métiers. Toutes les régions sont concernées par ce transfert des dispositifs au profit des jeunes puisque les formations qualifiantes leur seront confiées dès le 1er juillet 1994. S'agissant des actions de pré-qualification, elles pourront être transférées aux régions dans le cadre d'une convention pour cinq ans, jusqu'au transfert définitif des compétences aux régions. À ma connaissance, peu de régions envisagent de revendiquer, dans l'immédiat, l'ensemble des moyens à une date aussi rapprochée. Aussi, chacun des présidents de conseil régional a-t-il été convié à présenter ses intentions pour le second semestre de cette année. Il s'agit d'engager rapidement la programmation des actions de formation Crédit-formation individualisé (CFI) et de dissiper les incertitudes auxquelles sont confrontés les organismes de formation.
Partenaires : Les alternatives aux licenciements, et en particulier le TRILD, figurent au centre du texte préparé par le ministère sur les plans sociaux, à destination des entreprises publiques et privées. Quels objectifs assignez-vous à cette circulaire ?
Michel Giraud : L'objectif est clair : nous proposons aux entreprises toute une palette de mesures destinées à protéger l'emploi en évitant les licenciements dans le cadre de plans sociaux. Mesures de reclassement interne, temps réduit indemnisé de longue durée (TRILD), passage au temps partiel, nouvelle préretraite progressive : l'ensemble de ces dispositions doit permettre de privilégier la flexibilité interne. Ainsi, dans les entreprises publiques, plus de 10 000 emplois ont pu être préservés depuis septembre grâce à l'application de ces mesures dans l'élaboration des plans sociaux.
Indépendamment de la circulaire, ce nouveau cadre législatif constitue également un outil privilégié de gestion préventive de l'emploi. Il s'agit de permettre aux entreprises de mieux s'adapter, « à froid » à leur environnement en modulant, par exemple, la durée du travail sur l'année et en développant le temps partiel. S'agissant des salariés, ils auront la possibilité d'alterner plus facilement périodes de travail et périodes de formation grâce à l'introduction du capital de temps de formation.
Partenaires : Vous avez souligné les convergences entre les lignes directrices de la loi quinquennale et les orientations retenues lors du G7 social réuni à Détroit. Quelles traductions concrètes peut-on attendre de ces dernières et à quel horizon ?
Michel Giraud : Le simple fait que l'on ait pu constater de fortes convergences d'analyses, de propositions, ou d'actions entre les sept pays les plus industrialisés constitue déjà un pas en avant considérable. Jusqu'à présent, face à la mondialisation des économies, seules les approches macro-économiques ayant trait aux finances ou à la monnaie retenaient l'attention des pays-membres. Pour la première fois, les questions sociales sont abordées. C'est d'abord le signe d'un refus unanime des solutions de facilité que sont le protectionnisme ou le dumping social. C'est ensuite la manifestation d'une volonté commune d'améliorer le niveau des salaires réels, de préserver les systèmes de protection sociale, de moderniser les règles qui gouvernent l'organisation du travail et, enfin, de développer la formation professionnelle.
J'ai, pour ma part, insisté sur la nécessité d'instaurer une clause sociale dans les relations internationales économiques et commerciales. C'est un sujet dont on parle en France depuis longtemps. Je crois que nous sommes passés à une vitesse supérieure en faisant aujourd'hui partager notre préoccupation à nombre de pays. Compte tenu de la difficulté du sujet, je reste néanmoins convaincu qu'il nous faut progresser étape par étape.
La première étape consiste à vaincre les réticences et à apaiser les appréhensions de manière à faire converger le plus grand nombre le pays et, notamment, les nouveaux pays industrialisés sur l'intérêt d'une telle clause. La deuxième étape consiste à définir précisément le contenu de cette clause sociale mais aussi les procédures qui en assureront le respect, dans chaque pays, progressivement et en fonction de l'état de développement, et celles qui en sanctionneront les transgressions.
C'est, à mon sens, à l'OIT qu'il faut confier l'exploration de cette deuxième étape et ce pour deux raisons. La première, c'est que depuis soixante-quinze ans, elle est spécialisée dans le domaine international du travail ; la seconde, c'est que, seule, elle garantit par sa structure tripartite, associant gouvernement, syndicats et organisations patronales, la pertinence des mesures qui seront prises. Il s'agit là d'un enjeu historique, et je suis fier de la part que notre pays y prend.