Texte intégral
Chacun aujourd'hui, à l'intérieur de notre parti comme à l'extérieur, reconnaît le sérieux de ces rencontres devenues un lieu incontournable de débat, de réflexion et de formation.
Le caractère détendu et informel, convivial et amical de l'Université d'Été la rend encore plus attachante : pour un militant comme moi, investi maintenant d'une responsabilité ministérielle, elle constitue une formidable et sympathique occasion de me ressourcer, d'entretenir le contact avec vous tous.
Et chaque année, la foi militante qui anime chacun de nous – cette petite flamme qui nous fait continuer le combat pour notre idéal quels que soient les aléas, parfois difficiles, de la vie politique – se trouve grandie, revigorée, régénérée après les journées chaleureuses passées à l'Université d'Été. Et en parlant d'aléa de la vie politique, je voudrais saluer ici Bernard Stasi, qui pour avoir défendu avec conviction ses idées, nos idées, a pris les sens d'une élection.
Débattre à l'Université d'Été, c'est aussi se conformer à certaines règles du jeu définies par les JDS : en premier lieu l'authenticité.
Bien sûr, en cinq jours, les aspects les plus politiques ou partisans de la vie politique sont abordés.
Mais l'essentiel de l'Université d'Été n'est jamais là : ce sont toujours des thèmes de fond, des sujets concrets et actuels qui alimentent les discussions de ces journées.
Cette authenticité du débat politique répond justement aux attentes de nos concitoyens.
Les Français se moquent éperdument des hommes politiques qui parlent des hommes politiques, ou de la prochaine compétition électorale, ils sont lassés de la politique des "petites phrases".
Ce que veulent les Français, c'est que nous, les responsables politiques, nous parlions et nous agissions sur des problèmes concrets, qui touchent à leur vie quotidienne.
Emploi, formation, santé, SIDA, toxicomanie, développement équilibré du territoire, rôle de l'Europe, tout cela, tout ce dont vous allez parler durant cette semaine, correspond à cette exigence d'authenticité qui est à la fois la règle de l'Université d'Été des JDS et le souhait premier des Français vis-à-vis de la politique et des politiques.
Rarement l'impératif moral n'aura été aussi nécessaire. Parce que notre société est en crise : chômage, affaires et scandales : Vous avez sûrement suivi le feuilleton de l'Été OM-Valenciennes et les tribulations autoroutières du nouveau couple Mellick-Tapie, discrédit de la politique et de ses représentants, déclin du Parlement et renaissance de l'anti-parlementarisme.
Vous m'avez demandé de traiter un sujet à la fois important et vaste "quel CDS pour demain ?".
J'aurais tendance à vous répondre : l'avenir du CDS c'est vous, et le CDS de demain sera le CDS que vous ferez, vous, les JDS.
Mais j'ai conscience que cette réponse, qui repose pourtant sur une vérité profonde et logique, est de nature à ne vous satisfaire que partiellement.
Je vais donc essayer de répondre à l'exercice ardu que vous m'avez assigné en vous livrant quelques sentiments personnels, puis nous débattrons.
On ne peut parler de demain sans dire un mot d'aujourd'hui, ni sans se référer à hier.
À mes yeux, il est une richesse fondamentale du CDS, qui fonde la différenciation de notre famille politique par rapport aux autres courants qui traversent le paysage politique français en général, et vis-à-vis des autres partis de l'actuelle Majorité en particulier : cette valeur originale, c'est notre doctrine.
Cette doctrine, elle n'est ni un résumé de vagues principes, ni un système idéologique.
C'est une philosophie de vie.
Elle guide nos choix politiques de tous les jours, leur confère une cohérence et une logique, leur fournit des repères sûrs.
Cette doctrine, demain comme hier, nous devons sans cesse l'affirmer, l'entretenir : c'est votre rôle à vous les JDS, au sein du CDS.
Cette doctrine est toujours actuelle sur le fond car elle est d'essence personnaliste, parce qu'elle place la personne humaine au cœur des problèmes, au centre de l'action politique. Pour nous, la politique est au service de l'épanouissement de la personne humaine. La personne humaine est la finalité de notre engagement.
Le CDS doit affirmer la force morale de sa philosophie.
Parce que l'honneur du politique c'est d'affirmer et de décliner une morale. Parce que la politique c'est l'action nourrie par une philosophie : nombre d'entre vous ont d'ailleurs choisi les JDS parce qu'ils y ont trouvé cet équilibre si nécessaire entre la pensée et l'action.
C'est dans la solidarité, l'ouverture sur l'autre, le dialogue et l'écoute que nous trouverons ensemble les solutions et les éléments de réponse.
Cette vision éthique qui est la nôtre, elle n'a pas vieilli ; nous devons toujours l'avoir en nous et pour les autres.
Voilà pour le fond. Mais le fond est une chose, et la forme une autre.
La forme de notre doctrine, son expression, son vocabulaire, ses applications, tout cela, par contre, a vieilli.
Tout cela doit donc, sans tarder être rénové, reformulé, retravaillé, avec le langage de nos concitoyens, avec les mots de l'an 2000, en regard des problèmes de la société française d'aujourd'hui, telle qu'elle est, et vous savez combien la sociologie de la France a évolué ces dernières années.
L'humanisme spiritualiste dont nous sommes les héritiers doit revêtir des habits neufs, ceux de son siècle, ceux du 21ème siècle pour répondre aux préoccupations des Français de notre temps qui ne demandent qu'à avoir des repères et à retrouver une boussole.
Une boussole qui certes leur donnera des réponses, leur indiquera un chemin, mais qui les laissera absolument libres, libres d'emprunter ou non ce chemin qu'il nous appartient de leur proposer.
Le libéralisme montre tous les jours ses limites : nous connaissons ses vertus ; efforçons-nous de les promouvoir ; nous voyons aussi ses défauts : combattons-les.
Sur le socialisme et le communisme, une phrase suffira pour que nous constations ensemble la faillite totale du système dans ses différentes moutures, depuis le totalitarisme stalinien jusqu'à la social-démocratie à la scandinave, en passant bien sûr par le socialisme à la française.
L'extrémisme de droite, lui aussi, constitue une fausse réponse, que notre famille de pensée a toujours combattue avec la dernière énergie : il faut continuer !
Quant à la dernière idéologie en date, elle a des contours plus flous et nous aurions du mal à lui conférer une "appellation contrôlée" : c'est une sorte de nihilisme, individualiste et matérialiste, qui s'est répandu dans nos sociétés industrielles modernes, et s'est aggravé avec la crise. Il produit l'angoisse et le doute permanents dont sont malades nos semblables.
Ce très rapide – trop rapide sans doute – survol des idéologies aboutit à un constat : l'humanisme spiritualiste est aujourd'hui, en 1993, la seule doctrine politique qui tienne la route, qui n'a pas failli.
Il serait aberration, qu'au vu de ce constat, notre formation politique ne s'appuie pas, ne valorise pas cet atout-maître.
Deuxième spécificité traditionnelle du CDS dont je voudrais vous parler : notre sensibilité sociale.
Notre sensibilité sociale dans une démocratie malade de l'exclusion.
Ni socialistes, ni conservateurs, nous sommes des démocrates sociaux.
Cette exigence permanente de justice sociale, nous l'avons aujourd'hui dans la Majorité, de la même façon que nous étions hier vigilants sur ce terrain au sein de l'Opposition.
Ici aussi, nous avons un formidable effort d'adaptation et d'imagination à faire, et à faire vite.
En restant toujours fidèle à cette sensibilité sociale fondamentale, nous devons aussi appréhender les nouveaux défis sociaux qui interrogent la société française.
Si vous me permettez une expression un peu facile, un peu lapidaire, je dirais : on ne fait pas du social en 1993 comme on en fait depuis 1945.
Or, dans les administrations, chez les politiques, dans l'esprit des assurés sociaux ou des partenaires sociaux, le poids des habitudes est terriblement fort.
De nouveaux phénomènes d'exclusion se propagent, et nous n'avons pas les outils qu'il faut pour répondre efficacement.
Oui, la politique sociale, de la France a besoin de sérieuses, de profondes innovations, qui fassent à la fois appel à l'imagination et à la responsabilité. Un état d'esprit qui développe la responsabilité de chaque citoyen, qui accepte les hésitations sans que celles-ci soient perçues comme des erreurs de faiblesse ; un état d'esprit qui refuse de résumer les espoirs en inventant des slogans et de fournir l'espérance en laissant flotter le doute.
Et c'est avec Simone Veil, dont je salue ici le courage, que nous devons relever tous ces défis.
Et je crois qu'il est bon, en effet, que ce soient des centristes qui se portent sur ce créneau.
Mon souhait, au fond, pour le CDS de demain, c'est que nous devenions le parti de la solidarité vraie, de la nouvelle justice sociale, je dirais même de l'humanitaire au quotidien.
Avant moi, Bernard Kouchner a beaucoup agi en faveur de l'action humanitaire. Il l'a fait à sa manière et chacun en pense ce qu'il veut.
Sur le fond, et c'est le plus important, il a eu le grand mérite de sensibiliser les Français, de déclencher des phénomènes de solidarité et, ainsi, de faire reculer l'égoïsme trop souvent répandu.
Le nouveau Gouvernement n'a pas relâché l'effort dans ce domaine, bien au contraire.
Pour ma part, je préfère éviter à ce sujet et sur ces actions, une surmédiatisation ou une personnalisation, car elle peut nuire à l'action humanitaire elle-même et faire peser sur elle de la suspicion.
Par contre, ce que je souhaite dire avec force, et ce que je voudrais que le CDS dise tout haut, c'est que l'action humanitaire appartient à notre quotidien, que ce n'est pas la peine d'aller le chercher à des milliers de kilomètres de chez nous.
Nous devons développer l'action humanitaire ici, en France, à notre porte et combattre les misères et les détresses qui voisinent avec notre confort.
Oui, cette action doit s'entendre et se pratiquer en fonction d'une éthique de responsabilité publique et collective, de tous et de chacun.
Oui, chers amis, nous devons lutter contre les conséquences tragiques d'une démocratie malade de l'exclusion : exclusion des chômeurs, des mal-logés, des personnes âgées ou handicapées, des malades du sida ou du cancer en fin de vie, des jeunes en proie aux tentations de la drogue et au mal-vivre des cités et des banlieues ; en un mot, exclusion de toutes celles et tous ceux que l'économiste et les statistiques rangent dans le placard des improductifs.
Il ne faut pas qu'à la lutte des classes se substitue la lutte des productifs et des improductifs, c'est notre tâche et notre honneur que de relever ce défi politique au sens plein du terme.
Voilà des pistes que les démocrates sociaux doivent emprunter et encourager, il y faudra du courage, de la volonté et de la ténacité. Il y faudra aussi de la rigueur et du réalisme.
J'ai la conviction que les JDS y sont prêts.
Il est, je crois, un autre thème de fond, plus politique celui-là, que nous devons travailler, développer et exposer.
C'est celui de la modernisation de la démocratie française.
Nous sommes des démocrates, par essence, et, de ce fait, nous devons, me semble-t-il, faire entendre à ce sujet un discours plus fort et plus charpenté.
Nous devons adapter notre démocratie aux évolutions de la France d'aujourd'hui et de demain et réconcilier les Français avec un système politique dont ils se sentent de plus en plus éloignés.
Ce thème embrasse tout à la fois des réformes constitutionnelles et une décentralisation beaucoup plus poussée.
Notre démocratie est malade du centralisme pyramidal sur lequel elle fonctionne.
Nous devons être les avocats d'un rééquilibrage des pouvoirs au sein de la République, au profit du Parlement, pour que celui-ci voit ses moyens de contrôle renforcés.
En outre, certains pouvoirs discrétionnaires du Président de la République – en matière de nominations par exemple – sont excessifs et hyper centralisateurs. Ces survivances régaliennes ne sont pas précisément le fruit d'un esprit authentiquement démocratique et doivent être abandonnées.
La centralisation administrative, le poids financier de l'État par rapport à celui des collectivités locales, tout cela doit progressivement être revu et rééquilibré.
Plus l'initiative et la responsabilité seront décentralisées, mieux notre pays fonctionnera et plus vite, il s'adaptera dans un monde en perpétuel changement.
Il faut analyser de façon très pragmatique les transferts de compétences que l'on peut opérer et les transferts de ressources correspondants car la décentralisation à poursuivre ne peut continuer à s'accommoder des dérives récentes, de ce que notre ami Dominique Baudis appelle fort justement la "décentralisation des factures".
Oui, une nouvelle et importante étape de la décentralisation est nécessaire maintenant ; elle devra tout à la fois corriger les erreurs relevées dans la pratique depuis les lois de 1982 et impulser de nouvelles et audacieuses réformes.
Le CDS riche de son ancrage dans les collectivités territoriales, le Sénat, les villes, les départements doit remobiliser son vaste réseau d'élus locaux sur ces objectifs.
Rénover la démocratie, c'est encore séparer davantage le pouvoir exécutif du pouvoir judiciaire.
C'est ce à quoi travaille avec opiniâtreté Pierre Méhaignerie et vous comprendrez que je lui laisse le soin de vous en parler jeudi, ce qu'il fera mieux que quiconque.
Voilà, Chers Amis, rapidement évoqués les quelques points qui, sur ce sujet de la démocratie à revivifier, me paraissent les plus importants, et sur lesquels le CDS doit s'investir en priorité.
Le quatrième point de mon propos s'attachera, si vous le voulez bien à vous dire quelques mots de notre parti lui-même.
En effet, il ne suffit pas d'avoir une doctrine et de la reformuler, d'avoir un axe politique majeur, celui de l'avenir des équilibres sociaux et de la modernisation de notre démocratie.
À cette inspiration et à ce discours, il faut une incarnation éminemment politique. Elle passe par notre parti.
Et tout d'abord quelles doivent être nos relations avec le Premier ministre ?
J'avoue ma perplexité en observant certains débats qu'agite la majorité et auxquels je souhaite que notre famille évite de participer.
Nous vivons en effet ce paradoxe que vis-à-vis du Premier ministre le plus populaire de la 5ème République, se développe une sorte de coquetterie intellectuelle qui consiste à privilégier la critique et à ménager son approbation.
Je ne me formalise pas à l'excès des remontrances adressées par ceux de nos alliés qui ne sont en définitive ni des libéraux, ni des militants de la cause européenne.
Leurs choix ne sont pas les nôtres et je suis convaincu qu'il faudra un jour qu'ils tirent eux-mêmes les conséquences de leurs divergences fondamentales.
C'est pourquoi le soutien des centristes doit être exemplaire. Notre famille politique, à laquelle le Premier Ministre a confié des responsabilités importantes, se doit d'être la garde rapprochée d'Édouard Balladur.
Nous devons être d'autant plus exemplaires dans notre soutien que le moment n'est pas venu d'ouvrir un débat prématuré sur les enjeux présidentiels ; notre camp a trop souvent perdu pour s'être déchiré.
Nous ne gagnerons l'échéance décisive que si le Gouvernement réussit à placer le pays sur de bons rails.
Une fois ce préalable rempli, lorsque le moment sera venu, je ne doute pas que le choix du leader capable d'incarner nos espérances pour la France s'imposera naturellement.
Il faut que notre parti soit moderne et fort pour être à la hauteur des enjeux que j'ai tenté de définir.
En quelques mots, je dirais : nous devons nous donner les moyens de nos ambitions.
Je n'ignore pas que le mot "ambition" est peu usité dans le vocabulaire centriste mais, quitte à déranger un peu, je l'emploie très volontairement pour signifier qu'avec un peu plus d'ambition, nous aurions sans doute moins de ces états d'âmes qui nous minent de temps en temps.
Cette ambition, faire du CDS un parti, un vrai parti, fort et moderne, nous devons l'afficher dès maintenant.
Sans faire du catastrophisme, regardons en face nos faiblesses réelles, dont nous sommes tous collectivement responsables, et, tous ensemble, prenons les moyens de les gommer et de nous renforcer sur tous les plans.
Prochainement, nous aurons pour cela un congrès statutaire. Ce sera l'occasion d'une relance pour nos idées.
Mais autant il me paraît essentiel d'approfondir notre réflexion et de permettre que notre idéal européen soit plus et mieux partagé par nos concitoyens – surtout à un moment où une partie de l'opinion ne perçoit plus l'urgente nécessité de consolider l'union de notre continent – autant il serait dommageable que les querelles de personnes obscurcissent notre horizon.
Jamais notre famille n'a autant compté. C'est pourquoi nous devons nous garder de cacher la chance historique qui nous a été offerte en nous livrant à des luttes intestines. Nous devons au contraire démontrer notre maturité et favoriser le renouvellement nécessaire sans nous déchirer. Pour y parvenir, je crois que nous devons tous accepter ce principe fondamental que ceux qui exerceront demain les responsabilités fonctionnelles de notre mouvement, devront le faire dans le seul but de servir notre idéal, de renforcer notre influence et non par souci carriériste.
En ce qui me concerne, aux côtés des JDS, j'y apporterai ma contribution, au sein du Bureau politique.
Je vous remercie.