Interview de Mme Christiane Lambert, présidente du CNJA, dans "Ouest France" du 15 juin 1998, sur son bilan à la tête du CNJA, notamment l'installation des jeunes agriculteurs et la place du syndicalisme agricole, intitulé "Le parler-vrai de Christiane Lambert".

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Circonstance : 32ème congrès du CNJA à Auch du 16 au 18 juin 1998

Média : Ouest France

Texte intégral

Q - Femme et responsable agricole. Une chance, un handicap ?

- « Je n'ai jamais eu de complexe par rapport à ce sujet. Mais c'est vrai qu'on vous attend plus facilement au tournant parce que vous êtes une femme. Au sein des jeunes agriculteurs. je pense qu'il y a eu une certaine fierté d'avoir une femme porte-drapeau, pour montrer un autre visage de l'agriculture. Je crois que sur ce sujet. les jeunes sont plus ouverts qu'avant. Aujourd'hui on est agricultrice par choix et non pas par défaut. Etre une femme, ça été pour moi davantage un atout qu'autre chose. Mais c'est vrai que j'ai parfois dérangé les grands dinosaures de la profession. »

Q - L'installation a été votre cheval de bataille. Echec ou réussite ?

- « Nous avons sur ce dossier, provoqué un grand remue-ménage autour de la charte de l'installation. Je ne vais donc pas jouer les fausses modestes. Aujourd'hui, il y a dans certains départements 20 ou 30 % de plus d'installations de jeunes. Je pense à l'Hérault, au Jura, aux Pyrénées-Atlantiques, à la Dordogne, au Pas-de-Calais... Le courant existe, je l'ai appuyé dans tous les départements. Il reste une des priorités de la future loi d'orientation agricole. Mais le fait que l'on n'ait pas fait évoluer la politique des structures, cela a beaucoup freiné l'installation. Le point positif, c'est qu'on peut aujourd'hui parler de l'agriculture pas seulement en termes de performance mais en termes de rapport à la société. »

Q - Qu'est-ce qui empêche de faire évoluer plus rapidement le monde agricole ?

- « C'est un mélange de tout. Au ministère ça avance beaucoup trop lentement. La profession agricole souffre aussi d'un certain nombre de conservatismes c'est indéniable. C'est vrai aussi que la complexité de l'administration rend les décisions très compliquées à prendre. Les lobbies sont également très puissants. Enfin, les hommes politiques ont parfois du mal à accompagner le changement, parce qu'il est porteur de risque. Le tout additionné, il y a un manque d'audace. Mais ce n’est pas propre à l’agriculture. J'aime beaucoup une phrase de Debatisse : « Dire aux agriculteurs ce qu'ils ont besoin d'entendre plutôt que ce qu'ils ont envie d’écouter. »

Q - Quel rôle pour le syndicalisme ?

- « Aujourd'hui, il y a une forte poussée du libéralisme. Le rôle du syndicalisme, c'est de contribuer à réguler cette libéralisation plutôt que de la subir en mettant ensuite des pansements. Dans les régies de la compétition, il faut intégrer des règles de performance sociale. »

Q - Il faut donc des limites au développement et à la concentration ?

- « Il faut changer dans les têtes et dans les textes. Il faut border pour éviter les dérapages. La loi doit permettre le développement des exploitations qui en ont besoin. Or ce sont les plus grands qui s'agrandissent. On accroît ainsi la fracture au sein de la profession. »

Q - Certaines résistances bretonnes à la circulaire Voynet-Le Pensec, c'est du combat d'arrière-garde ?

- « Des logiques économiques poussées jusqu'à leur terme peuvent conduire au désert. C'est pas la bonne méthode. Ils ne pourront pas passer en force. Le lobbying de papa c'est fini. Oui, il faut se battre mais se battre pour les bonnes causes. L'environnement est, aussi, un facteur de performance. Tout comme l'emploi et la capacité d'installation des jeunes. L'ambition c'est quoi ? Est-ce que ça se mesure en nombre de queues de cochon? L'ambition, c'est aussi s'investir dans sa commune. Plus on sort de chez soi, plus on peut dépasser son bilan personnel. On va être amené à des révolutions culturelles. »

Q - L'avenir de Christiane Lambert ?

- « J'ai d'abord envie de prendre des vacances. Mais il y a aussi des responsabilités départementales que je vais reprendre comme membre du bureau de la chambre du Maine-et-Loire et comme secrétaire générale de l'Adasea (association départementale pour l'aménagement des structures d'exploitation agricole). J'ai aussi des propositions dans d'autres domaines sur lesquelles je réfléchis. Mais, vous savez, on ne sort pas indemne d'une expérience comme celle que je viens de vivre. Bien sûr, c'est une grande ouverture, mais il y a aussi beaucoup de croche-pattes et de tacles par derrière. Mon tempérament de fonceur a pu gêner certains. »