Interview de M. Jacques Barrot, vice-président du groupe parlementaire UDFC à l'Assemblée nationale, à RMC le 15 décembre 1993, sur la réforme de la loi Falloux, l'accord du GATT et la politique gouvernementale.

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Média : RMC

Texte intégral

P. Lapousterle : Un mot sur une vieille loi française de 153 ans, la loi Falloux modifiée cette nuit par un vote du Sénat après un grand chahut hier. Fallait-il absolument réformer cette loi ? 

J. Barrot : C'était inéluctable. D'abord parce qu'on arrivait à un imbroglio juridique devant certaines situations de détresse, avec des problèmes d'insécurité, les collectivités régionales, départementales, municipales, essayaient de faire avec les moyens du bord et ça ne pouvait pas durer. On ne pouvait pas laisser des enfants qui fréquentent des établissements sous contrat sans les sécurités nécessaires. Il faut maintenant dépassionner ce débat et veiller à ce que les conditions d'application légitiment cette loi dans la mesure où on fera preuve de sagesse. Il faut hiérarchiser les travaux qui devront être faits et il y a déjà dans la loi du reste, un certain nombre de règles. On ne peut pas faire plus pour une école privée que pour une école publique. Il y a des règles d'amortissement très sérieuses qui permettent de faire que ces travaux ne puissent servir qu'à une école et pas à autre chose. 

P. Lapousterle : Tant pis pour les toitures des écoles publiques… 

J. Barrot : Non, ce n'est pas du tout l'esprit de ce texte. C'est de faire en sorte que tous les enfants de France puissent aller à l'école en toute sécurité. Ne déformons pas les choses. Je serais de ceux qui après avoir défendu cette liberté, veilleront vraiment à une application très équitable. 

P. Lapousterle : Vous demandez un rapport, le même que le rapport Vedel, soit fait sur les écoles publiques pour tenir compte de tout ce qui ne va pas, de tous les dangers qui pèsent sur les enfants des écoles publiques ? 

J. Barrot : Vous ne pensez pas qu'un président de Conseil général comme moi, ignore tous les problèmes qu'il peut y avoir dans les collèges. Nous savons que nous ne pouvons pas tout faire, je ne parle pas de sécurité mais d'amélioration, mais je peux vous dire qu'il y a longtemps que nous avons la liste de tout ce qu'il faut essayer de faire. Nous gérons de très près les collèges publics car c'est en effet une priorité fondamentale pour un élu. 

P. Lapousterle : Il y a un risque de relance de guerre scolaire ? 

J. Barrot : Le cinéma idéologique est une chose. Par contre, il faut éviter qu'en effet, il y ait dans cette gestion des établissements, beaucoup de sagesse, d'équité, et ça je crois qu'il faut que l'Enseignement privé et notamment l'enseignement catholique prennent des engagements très clairs de hiérarchiser leurs demandes et de ne pas exiger des collectivités locales ce qu'elles ne peuvent pas donner tout de suite. 

P. Lapousterle : Un accord est intervenu mais sans l'audiovisuel, des limites sur les services financiers, dans les services maritimes, pour le marché aéronautique. Est-ce vraiment l'accord dont on rêvait il y a quelques semaines ? 

J. Barrot : L'accord a été quand même très substantiellement amélioré et puis l'accord nous évite d'entrer dans une sorte de guerre commerciale, dans une jungle qui se serait retournée contre les intérêts de la France et de l'Europe. Enfin, ce n'est pas parce qu'il y a une signature que tout est fini. Il faudra faire preuve de beaucoup de vigilance dans l'application et de beaucoup de persévérance pour donner à cet accord ses prolongements. Il ne faudra pas en rester là, mais aller vers une vraie organisation mondiale du commerce et il faudra inclure de nouvelles données notamment les données monétaires. Il ne suffit pas de signer un accord avec des règles du jeu si on essaye de les contourner par des dévaluations monétaires sauvages. 

P. Lapousterle : Vous qui êtes l'élu d'une région rurale, allez-vous, la conscience tranquille devant vos électeurs ruraux, dire que cet accord est un bon accord ? 

J. Barrot : J'y vais avec le sentiment que nous avons déjà bien progressé en faisant admettre que la préférence communautaire de cette organisation agricole européenne spécifique qui nous a tout de même profité, est reconnue par les USA. Ensuite, j'ai confiance dans l'avenir, dans la mesure où nos voisins européens se sont engagés à faire en sorte que si ces accords devaient avoir des conséquences plus graves que la PAC, alors il y aurait compensation. Donc, il faut qu'à la suite du GATT, ceux qui vont bénéficier le plus de cet accord, partagent ce bénéfice avec ceux qui en bénéficient moins. La France doit aussi faire ce qu'il faut pour ces agriculteurs. Il faut une loi d'orientation qui dans ce nouveau contexte permette aux agriculteurs de s'adapter. 

P. Lapousterle : Vous êtes confiant dans les engagements qui ont été pris ? 

J. Barrot : Je suis comme un Auvergnat, tenace, et je vais surveiller au jour le jour leur application. 

P. Lapousterle : Trouvez-vous normal que le gouvernement demande un vote de confiance plutôt qu'un vote sur le GATT ? 

J. Barrot : C'est une méthode conforme à l'esprit de la Cinquième République, dans laquelle le Premier ministre vient demander un accord pas seulement sur un texte, mais aussi sur une démarche générale, en disant "voilà ce que j'ai obtenu, voilà ce que je veux faire". Je vote la confiance pas seulement pour ce qui vient d'être fait, mais surtout pour ce qu'il faut faire. Il faut qu'E. Balladur, notamment lorsqu'il devra veiller à obtenir de nos voisins européens la stricte application de leurs engagements, soit fortifié par ce vote de confiance. 

P. Lapousterle : Cela ne vous ennuie pas d'avoir à vous prononcer sur un texte que vous n'aurez pas lu ?

J. Barrot : Nous savons les grandes lignes. De toute façon, tout n'est pas dans cet accord. Il y aura un certain nombre de choses qui viendront dans les mois qui viennent. Ce qui importe, c'est que le Premier Ministre reçoive notre confiance pour son attitude de fermeté et d'ouverture. Je suis de ceux qui pensent qu'on ne lutte pas contre la crise et contre le chômage en se repliant chacun chez soi. C'est en faisant plus de solidarité internationale que l'on pourra enfin ouvrir des portes à nos jeunes qui cherchent en vain du travail. 

P. Lapousterle : E. Balladur a-t-il fait le meilleur travail qu'il pouvait faire pour l'économie française ? 

J. Barrot : Il a ramé contre une situation très difficile. Je pense qu'un certain nombre de mesures qui ont été prises vont dans le bon sens. Il faut veiller à leur application : la loi Giraud qui doit des contrats d'insertion pour placer des jeunes dans les entreprises. Il faut que tout cela aille vite dans l'application. Les mesures prises pour le logement sont-elles assez connues ? Beaucoup de compatriotes devraient aujourd'hui s'engager dans une construction. C'est un bon moment, les taux ont baissé, l'exonération fiscale des droits de succession est intéressante. Il faut veiller à un très bon suivi. 

P. Lapousterle : Que pensez-vous de l'instauration d'une TVA sociale pour combler le trou de la Sécu ?

J. Barrot : Honnêtement, même si je déplore le déficit, il ne faut pas s'empresser d'aller encore demander de l'argent pour boucher les trous. Il faut d'abord essayer de faire des économies. C'est la première règle. Deuxièmement, il faut sans doute prendre un peu patience. Le budget de l'État connaît des déficits. Le budget de la Sécurité sociale peut en connaître tant que l'emploi est ce qu'il est. Quand il y a 100 000 chômeurs de plus, c'est 6 à 8 milliards de moins pour la Sécurité sociale. On peut raisonner à l'inverse : 100 000 Français retrouvant leur emploi, la Sécu retrouvera sa santé. Donc, pas de prélèvements supplémentaires actuellement. Par contre, il faut essayer de remplacer une partie des cotisations sociales qui renchérissent le coût du travail des jeunes et des moins-qualifiés par une autre ressource. On pourrait imaginer la CSG ou une augmentation de TVA, pourvu qu'elle soit légère et concertée avec les Européens, à condition que les Français aient le sentiment que cet effort supplémentaire sert à l'emploi. 

P. Lapousterle : S. Veil a-t-elle bien fait de refuser le salaire parental ? 

J. Barrot : Ce salaire parental, on y met des choses très différentes. S'il s'agit de verser à toutes les femmes, quelles qu'elles soient et quelles que soient leurs situations, un salaire pour rester chez elles, financièrement, ce ne serait pas possible. Il ne faut pas trop employer le mot "salaire" dans le domaine de l'éducation. Je suis partisan, S. Veil ne l'a pas exclu, résolu de cette allocation parentale que l'on donne notamment aux mamans qui acceptent de ne travailler qu'à mi-temps, ce qui permet d'embaucher une autre femme et à la femme de concilier sa vie professionnelle et sa vie de maman.