Déclarations de M. François Fillon, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, sur les grands objectifs de la recherche française, à Marseille et Grenoble les 18 et 22 février, à Bordeaux, Strasbourg, Le Mans et Lille les 4, 8, 11 et 17 mars, et à Paris le 18 avril 1994.

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Circonstance : Consultation nationale sur les grands objectifs de la recherche française comprenant six colloques en province du 18 février au 17 mars 1994, et un débat national de synthèse à Paris le 18 avril 1994

Texte intégral

Allocution de François Fillon, ministre de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche pour l'ouverture du colloque Science et Société (Marseille 18 février 1994)

Monsieur le Président, Mesdames. Messieurs,

En inaugurant le premier des six colloques de celle Consultation nationale sur les grands objectifs de la recherche française, je voudrais d'abord dire ma reconnaissance à toutes celles et à tous ceux qui ont accepté de contribuer à une réflexion générale qui s'imposait au tournant du troisième millénaire. Pour préparer les grandes options de notre politique scientifique, j'ai souhaité entendre les acteurs de la Recherche, c'est à dire les savants eux-mêmes, ses utilisateurs du monde de l'entreprise ou de la culture, et les représentants de la société civile qui sont en définitive les destinataires du travail des scientifiques. La science, fruit de la liberté des chercheurs, est aussi un bien commun qui transforme notre vie. Chaque habitant de ce pays en est conscient et l'immense effort national d'investissement scolaire et universitaire que nous menons ensemble est précisément destiné à faire de chacun des Français un agent actif de la grande aventure de la Science.

Ainsi vous comprendrez pourquoi j'ai choisi de consacrer la première de ces rencontres aux rapports entre la Science et la Société. Le thème est ambitieux. L'on pourrait penser qu'il n'est pas neuf en rappelant que tout au long de l'histoire des sciences, les innovateurs ont été confrontés aux questions, aux exigences et parfois aux doutes d'un public qui ne tolérait pas certaines formes de curiosités. Cependant, vous me permettrez d'avancer que cette confrontation revêt aujourd'hui une importance particulière, à la mesure des découvertes et des ambitions de notre temps et aussi parce que l'investissement et les résultats de la recherche intéressent beaucoup plus que par le passé la vie quotidienne et l'avenir de tous les hommes. N'oublions pas que les décisions suggérées par cette consultation concerneront également les savants et les habitants des autres pays. Cette dimension internationale de la Recherche fera du reste l'objet d'un colloque particulier.

Jamais aucune société ne s'était interrogée comme la nôtre sur les implications des découvertes savantes ; jamais aucune civilisation n'a autant investi dans le domaine de la Recherche. Les deux faits sont assurément liés, mais plus que les coûts importe en définitive le reflet culturel : les progrès scientifiques fascinent et inquiètent. L'on attend d'eux le miracle de la sécurité, du bien-être matériel et l'on vit dans la terreur d'obscures dérives fomentées hors de tout contrôle. Au début de ce siècle, nos aïeux ne se posaient pas autant de questions et proclamaient leur foi dans les bienfaits du Progrès. Les faits semblaient leur donner raison. La maîtrise de l'énergie avait permis en quelques décennies de vaincre les distances et d'accroître prodigieusement la productivité industrielle ; d'inlassables efforts médicaux couronnés par les découvertes pastoriennes promettaient un allongement indéfini de l'espérance de vie. Parfois aveugle à certains revers évidents de ces victoires stupéfiantes, cette génération n'allait pas tarder à déchanter. La science devait aussi fournir les instruments des carnages des deux guerres mondiales et de quelques autres qui ensemble ont fait plus de victimes que les pires épidémies qu'on jugulait enfin. L'horreur et la terreur de la guerre atomique ont plus que toute autre référence contribué à brouiller l'image des bienfaits de la science. Il n'est assurément pas nécessaire de prolonger ce rappel pour saisir l'origine du malaise diffus qui accompagne et paraît contredire une attente toujours très grande face au travail des savants.

Dans le monde contemporain, les scientifiques semblent chaque jour accroître leur savoir et leur pouvoir : ils appréhendent les origines physiques de l'Univers, ils maîtrisent la matière et décodent même le secret des gènes. Chacune de ces percées (et l'on pourrait en citer beaucoup d'autres), magnifiques triomphes de la connaissance, finit par se traduire concrètement dans la conception morale et dans le déroulement matériel de la vie de la cité, pour le meilleur et, craignent certains, pour le pire. D'où ces bouffées d'angoisse, ces réticences et mêmes ces contestations du pouvoir des savants, soupçonnés de sombres machinations. Il faut assurément récuser les lectures de fiction, sans négliger pour autant les risques inhérents à toutes les aventures de l'esprit. Comment obtenir le meilleur sans subir le pire ? Cette question suggère une moralisation constante de l'acte scientifique et aussi la reconnaissance de la nécessité d'une médiation que l'on a peut-être trop négligée au sein des instances de décision, laissant ainsi le champ libre aux déclarations fantaisistes ou irresponsables.

Un ministre de la Recherche ne peut assurément pas ignorer la relation complexe qui devrait unir le public et les savants. Il doit contribuer à mettre en œuvre une politique fondée sur le respect de la liberté du chercheur, sur le besoin de la société, ce que j'appellerai le bien commun, sur les exigences morales de contrôle, en tenant compte enfin d'incontournables contraintes matérielles qui imposent des choix. Chacun des éléments de ce programme pose question et j'attends de vous un avis éclairé, des propositions pour conduire la recherche scientifique qui doit plus et mieux que par le passé prendre en compte le nécessaire dialogue avec la société.

Il existe dans notre culture une vieille tradition d'humanisme. Toujours la science s'y est inscrite. Le symbole de l'Institut réunissant toutes les Académies convie aujourd'hui encore à l'universalisme.  Longtemps, les savants ont su et ont pu se faire entendre du public cultivé, car leurs recherches restaient accessibles à l'honnête homme, témoin intelligent et compréhensif des efforts de la science. Les savants eux-mêmes parviennent alors à maîtriser la quasi-totalité des savoirs de leur temps, ce qui sur le plan de la pédagogie sociale était bien pratique. Ce temps de l'encyclopédisme est révolu: il s'est effondré vers le milieu du XIXe siècle et la démultiplication incroyable de la recherche aboutit maintenant, à un cloisonnement des savoirs. Au cours de cette diversification, les sciences humaines et les sciences exactes (on me pardonnera ici la simplification excessive de la formulation) ont divergé. Cette dérive est dangereuse ; je ne suis pas le seul à le dire et je me réjouis de constater que, depuis plusieurs années, les scientifiques des deux familles, conscients de leurs complémentarités tendent à se rapprocher, sans oublier leurs spécificités réciproques. J'ai demandé que nos colloques les rassemblent parce que je suis conscient que le dialogue s'entame d'abord dans le cadre même de la société savante qui est diversité. Je n'ai assurément pas à vous dicter les règles, et encore moins le contenu de vos échanges ; je souhaite simplement que la discussion commune éclaire le corps social et lui apporte des références. Vue de l'extérieur, la vie scientifique est trop souvent perçue comme un champ réservé aux recherches fondamentales des sciences de la vie et de celles de la matière. Du coup, on oublie ou l'on relègue les sciences humaines dans le domaine un peu immatériel de la culture. Il me paraît indiscutablement essentiel que soient reconnus leur rôle central et leur apport dans les relations entre science et société. Dans le même esprit on se gardera d'oublier que les sciences sociales aussi peuvent être bénéfiques ou dangereuses. En tout cas, elles devront participer à l'élaboration ou au moins à l'approfondissement de la philosophie et à la construction des règles juridiques de l'acte scientifique, fondement de cette morale du savant que j'évoquais il y a un instant. Ainsi, m'autoriserez-vous à attendre de votre rencontre des propositions fortes sur ce dialogue entre disciplines qui devra enrichir l'information du public et proposer des repères bien nécessaires aujourd'hui.

Les médias contribuent assurément à cette information, ils entretiennent également une certaine tension entre admiration et crainte à l'égard de l'innovation. C'est assurément leur devoir et, en le remplissant correctement, ils rendent compte de la situation nouvelle résultant de la montée en puissance des laboratoires et de l'extraordinaire dilatation du champ des connaissances. Je vous ai demandé de réfléchir avec eux aux bonnes règles de cette communication, non parce que je pense possible ou souhaitable de canaliser l'information, mais parce qu'il me paraît nécessaire d'aider les journalistes à bien faire leur métier en reconnaissant leur rôle éminent dans le dialogue social entre scientifiques et société civile. Sur ce thème, j'aimerais que ce colloque soit l'occasion d'un franc débat.

Cette invitation à l'information peut paraître contredire une autre affirmation qui est celle de la liberté et de l'autonomie du chercheur. Sur ce point la communauté savante est jalouse de son privilège qui est en somme la clé de l'innovation. Aucun pouvoir politique ou aucune pression sociale ne peut imposer de devoirs impératifs aux savants. Ils obéissent d'abord à leur conviction. Il y a quelques décennie encore la seule évocation que la recherche universitaire pût être utilitaire serait apparue comme une sorte de provocation ; aujourd'hui, les choses ont bien changé et un grand nombre de directeurs de laboratoires sont devenus des maîtres dans l'art de collecter des fonds en passant des contrats avec l'industrie. Cette évolution autorégulée démontre précisément les bienfaits d'une certaine liberté. La légitimité de la recherche appliquée n'est heureusement plus contestée, mais peut-être faut-il en rappeler et en examiner toutes les implications qui seront analysées dans plusieurs des colloques de cette consultation.

Du reste, bien souvent, les programmes scientifiques restent dépendants du financement public. Surgit alors l'épineuse question des contraintes budgétaires qui se traduisent par des choix en matière de recherche : la nécessité de ces options suscite, au sein de la république des sciences, la crainte d'une sorte de dictature scientifique de l'État (à propos des grands programmes, par exemple) ou d'un poids excessif des options de la société (qui est portée à privilégier ce qui comble ses besoins de sécurité ou de santé). Réciproquement se pose aussi le problème de la reconnaissance par l'opinion publique de la recherche fondamentale qui ne paraît pas pleinement justifiée face aux urgences clairement définies de la société civile. Cette exigence d'efficacité immédiate risque de peser d'autant plus que l'opinion est informée du prix de certains investissements tellement lourds que même les grandes nations doivent rassembler leurs efforts pour les financer. À côté de ces choix impressionnants, la mise en question peut encore porter sur des décisions plus modestes : le salaire annuel des membres d'une équipe d'archéologues ou d'historiens qui parviendra à décoder au terme d'une enquête de longue durée les signes écrits d'une civilisation disparue depuis longtemps, par exemple. Dans un monde placé sous le signe de l'utilité, certains choix de recherche peuvent paraître superflus. Votre discussion vous conduira, je le souhaite, à analyser la relations à construire ou à perfectionner entre la société et les acteurs des recherches les plus éloignées des préoccupations immédiates exprimées par la société civile.

Elle devra aussi vous amener à réexaminer les outils dont disposent les décideurs. La mise en place d'une importante mission scientifique inter directionnelle au sein de mon ministère a été opérée dans cette perspective. Elle n'est évidemment qu'un élément du dispositif de l'évaluation que nous devons mener au nom de la société. Je suis conscient que toute expertise émane finalement des chercheurs eux-mêmes, cela est inévitable mais les scientifiques savent de mieux en mieux définir les règles d'un examen objectif et attentif. Reste à trouver l'équilibre entre les exigences de la société et cette autogestion de la science. Le compromis est difficile et passe certainement par une grande rigueur et un constant souci de transparence. Il importe d'en définir le cadre et d'assurer la lisibilité de toutes les décisions importantes.

La société attend aussi que les hardiesses scientifiques ne mettent pas en question ses valeurs morales, ne menacent pas son environnement ou l'avenir biologique de l'humanité. En réalité, les débats récents montrent clairement que l'opinion n'est pas unanime dans ses jugements, qu'elle est susceptible de divisions face à l'innovation et qu'il n'y a pas à espérer de réponses simples lorsque la découverte paraît violer les normes des uns et respecter celles des autres. Vous avez souhaité consacrer l'un de vos ateliers à la relation entre science et éthique. Ce thème s'inscrit dans une préoccupation unanime et bénéficie notamment du travail du Comité National d'Éthique. Il me semble que la réflexion de cet atelier devrait donner aux scientifiques une belle occasion d'affirmer ou de réaffirmer non seulement des principes mais aussi de fixer des règles de conduite. Ils n'ont pas seulement à se plier à des lois qu'on leur imposerait, ils doivent être capables sans automutilation de détecter et de dire où sont les dangers de leurs propres démarches. Tout conduit donc à réaffirmer la responsabilité des chercheurs eux-mêmes. En rappelant cette réalité dans le cadre de notre consultation nationale, je les convie à m'aider à définir la politique scientifique de notre pays pour les années à venir. Le cadre que j'aurai à tracer, devra répondre aux besoins d'une société plus sensible que par le passé au rôle de la science, mieux informée aussi et assurément plus exigeante. La responsabilité est grande en effet. Elle appelle un effort considérable d'ouverture et une volonté de service pour que la société toute entière s'approprie les victoires des savants. Ce colloque devra contribuer à cette ambition sans brimer ce qui est essentiel, la liberté de la recherche et l'imagination qui constituent les vrais pouvoirs du savant. Il est certain que les deux journées de cette rencontre ne permettront pas d'approfondir tous les thèmes que vous vous proposez d'étudier. Je suis certain que votre effort serait gratifiant s'il contribuait à simplifier les approches en désignant dans la lucidité les vrais problèmes.


Discours du ministre de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche au Colloque Recherche, Technologies et Entreprises : au service de l'innovation (Grenoble, le 22 Février 1994)

Mesdames, Messieurs,

Je serai bref, car si j'ai tenu à organiser une consultation nationale sur les grands objectifs de la recherche, c'est d'abord et avant tout pour permettre à chacun de s'exprimer et de faire part de ses propositions. Cette démarche se concrétise par le colloque d'aujourd'hui, qui est le second colloque de cette consultation après celui tenu à Marseille vendredi dernier.

Vous savez que j'attache énormément d'importance à la question de la recherche et des entreprises, question qui nous rassemble ici.

Dès mon arrivée au Ministère, puis le 17 Juin devant les présidents et directeurs généraux d'organismes de recherche et devant les présidents d'universités, puis à nouveau lors de la présentation et du vote du budget de l'enveloppe recherche au Parlement, enfin plus récemment à l'occasion du déjeuner annuel de l'ANRT, j'ai souligné cette priorité et j'ai proposé de premières pistes.

Savoir bien mobiliser la recherche des entreprises et des laboratoires vers la création d'activités ou de produits nouveaux est une des clés du développement de notre pays.

Ici, à Grenoble, nous pouvons apprécier au mieux les retombées à en attendre, pour l'aménagement du territoire, pour l'industrie, pour l'enseignement.

Cette conjugaison des formations de l'Université et des écoles d'ingénieurs, des possibilités offertes par l'implantation ici même de très grands laboratoires scientifiques, et des efforts de l'industrie, a été et reste au cœur du développement d'un site comme celui de Grenoble.

Peu d'endroits ont réussi à ce niveau cette symbiose, facteur pourtant essentiel du développement économique régional.

Pourquoi ? Parce qu'il est infiniment plus complexe de la réaliser que de programmer par exemple des infrastructures de transports ou de communications.

Il ne s'agit pas seulement de tracer des cartes et de mobiliser des promoteurs autour des financements.

Il faut surtout parvenir à faire collaborer des équipes aux objectifs et aux statuts voire aux cultures variées.

Déjà depuis une quinzaine d'années la politique de soutien à l'innovation a fait parcourir beaucoup de chemin : les mentalités ont évolué, les institutions se sont ouvertes, les règles ont changé.

Mais il reste encore énormément à proposer, à inventer, à faire.

Ainsi jusqu'à présent beaucoup d'attention a été portée aux programmes, surtout lorsqu'ils sont soutenus par l'État, et vous aurez à nous dire comment mieux faire tes choix dans ce domaine.

La tradition Française a porté d'abord vers des grands programmes « gaulliens », directement liés à notre volonté d'indépendance dans le domaine nucléaire, spatial ou aéronautique.

Plus récemment, les programmes ont pris une tournure plus sectorielle, avec l'électronique ou les transports.

Dans d'autres cas les programmes sont organisés de façon thématique, par appels d'offres.

Dans tous les cas, l'État doit être à même d'effectuer les meilleurs choix et de suivre la réalisation des actions engagées : vous aurez à examiner les procédures et à proposer de les améliorer.

De plus en plus, il apparaît que c'est en réalité l'ensemble de nos entreprises qui doivent pouvoir bénéficier des progrès scientifiques et techniques : ce n'est plus une question de secteur d'activité, c'est plutôt une question de taille des entreprises et d'élévation du niveau scientifique et technique général de l'entreprise.

Mais alors il faut adapter nos outils à cette nouvelle exigence, et ce n'est pas simple.

Quelles sont les entreprises qui peuvent directement dialoguer avec nos grands centres de recherche ? Quelles sont celles qui ont besoin d'une interface ? Comment l'organiser ?

Comment faire en sorte que la compétence de grands centres très orienté sur les besoins de secteurs très pointus bénéficie à un ensemble plus large d'entreprises ?

Comment faire en sorte, par exemple, que la recherche militaire, qui représente près de 20 % de notre effort national, irrigue non seulement les industries de Défense, mais aussi l'ensemble de l'industrie ?

Autant de questions pratiques pour lesquelles je souhaite pouvoir profiter de l'expérience de tous : nous devons essayer de favoriser au maximum les solutions qui ont fait leurs preuves.

L'accent doit aussi être mis beaucoup plus sur les hommes et leurs carrières.

Où en est-on de la mobilité de chercheurs publics vers l'Industrie ?

Vous pourrez vous référer à un rapport très récent de l'Académie des Sciences, qui relève que cette mobilité lui paraît insuffisante et souvent trop courte. Bien sûr, il y a eu des recrutements à très haut niveau, ce qui est très important qualitativement, mais qui laisse ouverte la question pour le plus grand nombre.

Vous savez que le traitement réservé à ceux qui reviennent après une période dans l'entreprise n'est souvent pas satisfaisant, et peut constituer une incitation négative. Ce n'est pas un problème simple, mais vous aurez à faire des propositions.

De même lorsqu'un chercheur part dans l'industrie, si son poste est perdu par son laboratoire, ce n'est pas une incitation.

Il faut donc imaginer des formules nouvelles.

Pourquoi ne pas imaginer des échanges réciproques, l'entreprise prêtant des cadres pour des fonctions d'enseignement (par exemple technologique) et de laboratoire prêtant des chercheurs lors d'un programme conjoint ?

Pourquoi, lorsqu'il y a des crédits publics, incitatifs à des actions conjointes entreprises-laboratoires, ne pas y associer systématiquement un volant d'allocations de recherche, ou de bourses CIFRE ou de professeur associés de façon à permettre des échanges de personnes ?

Pourquoi, si l'on parvient à coprogrammer de la recherche entre l'industrie et des laboratoires, ne pas imaginer aussi d'organiser conjointement les carrières ?

Pourquoi ne pas envisager, puisque nous sommes en période de construction dans les universités, de cofinancer des laboratoires État-Région-Industrie, ou bien de construire des laboratoires mixtes dont une partie fixe servirait à l'enseignement tandis qu'une autre partie, plus « à la carte », associerait l'industrie ?

Comment faire pour développer au sein de la communauté scientifique et en particulier des grands organismes de recherche la prise en compte le plus en amont possible des objectifs à moyen terme de nos entreprises ? Sans doute faut-il pour cela faire progresser le dialogue de façon à donner aux chercheurs publics une vision aussi large que possible des besoins techniques des entreprises dans leurs contextes industriels et économiques. Par quels moyens peut-on y parvenir ?

D'une manière générale notre pays a besoin d'un renforcement de la recherche technologique de base pour l'ensemble de l'industrie. Comment peut-on à la fois mobiliser nos équipes dans ce domaine tout en n'oubliant personne ?

Comment diffuser les résultats et les mettre à la disposition du plus grand nombre ?

Comment définir des priorités plus nettes sur le long terme, tout en conservant une capacité de réaction lorsqu'un sujet se révèle tout d'un coup intéressant ?

Vous voyez que cette liste nullement exhaustive de questions à traiter est longue. Pour chacune, il nous faut trouver des réponses nouvelles et surtout communes. C'est le but de cette journée, que je souhaite fertile en idées et en propositions.


Colloque - Recherche fondamentale : conforter les atouts de la France (Bordeaux, le 4 mars 1994)

Mesdames et Messieurs,

Au cours des vingt ou trente prochaines années, en réponse aux aspirations nouvelles de nos concitoyens, aux défis posés par notre environnement international et à l'évolution des ressources naturelles dont nous pourrons disposer, notre pays est appelé à connaître de profondes mutations. Pour faire face à ces nécessités et assurer durablement notre développement économique, culturel et social, notre meilleur atout est à coup sûr notre capacité à innover, à adopter des attitudes et des règles de fonctionnement nouveaux, à créer des produits de qualité en adéquation avec la demande nationale et internationale, à approfondir nos bases culturelles, à élever nos niveaux de formation. Le gouvernement est profondément convaincu de la justesse de cette analyse. C'est la raison pour laquelle l'une de ses toutes premières priorités est un investissement fort et continu dans la recherche et l'enseignement supérieur.

Si l'on souhaite que les ressources humaines ,et les moyens matériels et financiers considérables qui sont consacrés par l'État, les entreprises et les collectivités territoriales à ces deux secteurs d'activité qui sont par nature fortement couplés soient utilisés à bon escient et efficacement, il importe que notre société dans son ensemble, et en particulier, les acteurs ou bénéficiaires directs de la recherche, les chercheurs des organismes et des entreprises, les enseignants chercheurs des universités, les responsables économiques et sociaux prennent la juste mesure des enjeux de la recherche et soient pleinement associés aux réflexions qui conduisent aux choix des priorités d'efforts et des modes d'organisation de notre dispositif national de recherche. Dans ce domaine, qui par excellence, requiert la libre mobilisation des intelligences et des énergies individuelles, rien ne peut se faire sans une large adhésion des partenaires fruit d'une réflexion approfondie commune. Il est donc périodiquement nécessaire qu'un débat sur les grands objectifs de la recherche et sur les conditions de leurs réalisations soit ouvert le plus largement possible. C'est la raison pour laquelle j'ai pris au mois de juin 1993 la décision de lancer cette consultation nationale qui nous réunit aujourd'hui à Bordeaux. Après avoir considéré le 18 février, à Marseille, les relations entre la science et la société et le 22 février, à Grenoble, l'innovation au service des entreprises, il vous est proposé de traiter plus spécifiquement aujourd'hui de la recherche fondamentale et d'examiner les moyens nécessaires à mettre en œuvre pour conforter les atouts de la France dans ce domaine.

Je tiens tout d'abord à remercier nos hôtes bordelais pour le chaleureux accueil qu'ils réservent à ce colloque national en région ainsi que l'ont fait ou le feront cinq autres régions françaises. Je tiens à souligner également le travail remarquable accompli par le groupe présidé par monsieur Dautray dans la rédaction du rapport d'orientation qui sert de support à la consultation nationale dans son ensemble et en particulier à notre réflexion aujourd'hui. Sans prétendre être exhaustif ce rapport a su recenser l'essentiel des grandes questions qui se posent à nous et auxquelles vos débats devront contribuer à répondre. Ce n'est pas le rapport du ministre, mais bel et bien celui du groupe de travail. Sa forme largement interrogative convenait parfaitement à préparer la consultation nationale qui, dans le temps limité imparti, a plus vocation à confirmer les grands questionnements, à recenser les consensus et les différences d'appréciation, à définir les méthodes d'élaboration de la politique de recherche qui se développera progressivement dans le temps, qu'à conclure définitivement en toute chose. L'objet de la consultation dans son ensemble, et de ce colloque en particulier, est clair ; il est de mener avec tous les partenaires concernés les réflexions qui prépareront l'action et définiront les méthodes de travail de l'État et de la communauté scientifique à long terme. Je sais que des débats nombreux et de haute qualité se sont déjà tenus au sein des organismes et des établissements universitaires. Ces colloques ont vocation, après cet intense travail préparatoire, à exposer ces différentes réflexions, à les approfondir en réunissant toutes les parties prenantes.

En toute logique, le premier chapitre du rapport d'orientation est consacré à la recherche fondamentale. En effet, c'est sur la base de ses résultats que notre société peut satisfaire sa soif d'exploration de l'inconnu, fonder l'évolution de ses structures, de ses pratiques et de son cadre de vie, que nos entreprises peuvent mener l'effort d'innovation technologique indispensable pour maintenir et améliorer nos positions dans la compétition économique internationale et que peuvent se développer des formations supérieures de qualité.

Le rapport souligne à juste titre que l'effort de recherche fondamentale doit être en premier lieu guidé par la logique de l'élargissement et de l'approfondissement du champ de la connaissance, mais il insiste également sur la forte préoccupation de transfert vers le monde socio-économique que doivent cultiver les chercheurs, les organismes et les universités. Quelles conséquences ces orientations fermes impliquent-elles sur les caractéristiques essentielles de notre dispositif de recherche ?

Doit-il couvrir complètement et de manière équilibrée l'ensemble des champs de la connaissance, en veillant bien à ne pas céder aux effets de mode au profit de tel ou tel secteur ? La France a une longue tradition de couverture pratiquement totale des divers champs disciplinaires. Notre pays a-t-il les moyens de cette stratégie dans les conditions actuelles de développement des sciences ? Cette stratégie ne risque-t-elle pas de nous entraîner à ne pas pouvoir soutenir au juste niveau la compétition internationale dans plusieurs secteurs stratégiques, et donc de ne plus entreprendre dans certaines thématiques une recherche fondamentale digne de ce nom qui ne supporte, comme chacun le sait, que l'excellence ? S'il apparaissait que cette couverture complète n'était pas possible, quels partenariats conviendrait-il de développer ? Le partenariat européen est-il le plus approprié, ou faut-il en chercher un plus large ? Quelles formes ces partenariats peuvent-ils prendre ? À cet égard, il apparaît que les dispositifs mis en place par la Commission des Communautés Européennes ne recueillent pas une adhésion sans réserve des chercheurs et qu'il convient de réfléchir à des propositions concrètes d'amélioration du dispositif d'attribution des ressources où se mélangent actuellement intérêt et compétences scientifiques, juste retour des investissement nationaux et aide aux pays les moins développés scientifiquement. Les sommes en jeu sont si importantes qu'une vraie mobilisation de la communauté française apparaît nécessaire. À l'inverse, certains exemples dans le domaine des très grands équipements peuvent servir de modèles. Si la nécessité des choix s'imposait, quels dispositifs d'instruction le Ministre de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche doit-il mettre en œuvre pour déterminer les domaines où nous devons poursuivre ou accentuer notre effort en pleine responsabilité et autonomie et ceux où une veille scientifique ou une participation concertée serait préférable, de même que pour définir les grands équilibres entre disciplines ou les décisions de soutien à de grands programmes ? Les différents conseils et comités consultatifs ou d'évaluation qui existent actuellement auprès de lui sont-ils adaptés pour éclairer ces nouveaux choix stratégiques ? Doit-on repenser l'ensemble du dispositif des conseils pour l'adapter aux exigences nouvelles ?

L'idée même de ces choix est-elle appropriée ? Au contraire, une fois ces choix faits, doit-on aller plus loin dans la programmation de notre effort de recherche ? Cette perspective de programmation n'est-elle pas contraire à l'idée même de recherche fondamentale qui s'intéresse de façon prioritaire à l'inconnu alors que l'on ne saurait programmer que ce qui est connu ? Un chercheur fondamentaliste ne doit-il pas être au meilleur sens du terme un opportuniste en mesure d'infléchir très rapidement ses axes de recherche pour mettre à l'épreuve une idée nouvelle ou exploiter un fait nouveau apparu au détour d'un débat scientifique ou d'une expérience ? Ne doit-on pas affirmer, et en tirer les conséquences, qu'une grande liberté des choix scientifiques doit être laissée aux chercheurs afin qu'ils soient conduits à aborder en priorité les sujets à risques ? Le statut stable des chercheurs du secteur public devrait faciliter grandement ces prises de risque scientifique. La contrepartie nécessaire de cette liberté indispensable est une évaluation régulière, rigoureuse, s'intéressant à des communautés assez larges, pratiquée a posteriori et qui ne tolère que l'excellence. En complément de cette liberté d'initiative laissée aux chercheurs sur la base de crédits récurrents, ne convient-il pas que l'État, soit directement, soit via les organismes dont il assure la tutelle, exerce son rôle dans la définition et la conduite de la politique nationale de recherche en restaurant une capacité d'initiatives via des crédits incitatifs distribués dans le cadre d'appels d'offres et une capacité de réponse aux besoins exceptionnels que créent les découvertes les plus prometteuses ? Il apparaît aujourd'hui, à plusieurs niveaux, que cette capacité est limitée pour ne pas dire inexistante.

Ainsi, dans le domaine de la recherche fondamentale, l'État directement ou via les organismes, devrait-il exercer trois niveaux de responsabilité :
– procéder ou faire procéder à l'évaluation des chercheurs, des équipes et des institutions afin d'assurer un soutien récurrent à ceux qui seront reconnus comme qualifiés et compétents,

– lancer un certain nombre d'actions incitatives de grande ampleur pour coordonner l'effort national via des appels d'offres compétitifs, ouverts à tous les acteurs de la recherche fondamentale. Ces deux premiers niveaux correspondraient à un rôle d'exploration scientifique à la recherche des avancées essentielles dans le domaine de la connaissance pure en rupture permanente avec l'état scientifique établi. À ce niveau, rien ne serait réellement programmé si ce n'est l'ambition d'excellence et d'originalité et les grands équilibres entre les différents champs disciplinaires ou les moyens à consacrer aux grandes questions transverses.

– le troisième niveau de responsabilité, mais pas le moins important, serait de mettre en place la programmation des moyens d'accompagnement nécessaires pour conforter certaines des avancées les plus prometteuses en fonction des besoins et des attentes de notre société.

L'histoire des sciences et des techniques ne nous montre-t-elle pas l'impact à moyen et long terme sur l'innovation d'une recherche non programmée, menée en dehors de tout projet d'application pourvu que les relais de confortation scientifique et d'exploration complémentaire de la découverte fondamentale soient correctement programmés. Quels poids respectifs, convient-il d'accorder à ces trois niveaux de notre dispositif de recherche : c'est une des questions centrales du débat. Quel équilibre entre les financements récurrents et les financements sur contrats, entre les moyens consacrés aux ressources humaines et ceux consacrés aux équipements et aux fonctionnements des laboratoires et des programmes ? Il apparaît clairement que la part contractuelle et la capacité des autorités de l'État à inciter ou à répondre aux initiatives, en particulier de confortation d'une découverte, sont actuellement trop faibles. N'est-ce pas là une des grandes faiblesses de notre pays de ne pas savoir rassembler tous les partenaires nécessaires pour aller de la découverte fondamentale jusqu'à la réalisation industrielle, commerciale, administrative ou sociétale en donnant leur juste place aux sciences pour l'ingénieur, en mobilisant les compétences de recherche et développement et en favorisant l'émergence de sociétés à capital-risque qui sachent assurer le financement de ces actions ?

Dans ce schéma général, un rôle décisif est dévolu à l'évaluation. Il convient de s'interroger sur notre dispositif actuel, avec des instances spécifiques au sein de chacun des organismes, même ceux à effectifs modestes, avec une prise en compte souvent insuffisante de l'ouverture des chercheurs à la mobilité scientifique ou institutionnelle, à la participation aux enseignements, aux efforts de transferts, avec la difficulté de soutenir les nouveaux projets. Peut-on organiser plus judicieusement notre effort dans ce domaine en veillant à ce que l'évaluation soit critique et à vue large, équilibrant les différentes fonctions de la recherche, qu'elle sache stimuler la création plutôt que renforcer le conformisme, qu'elle évite d'être abusivement normative, éliminant certes ainsi le médiocre, mais risquant également de tuer l'innovation. Elle aussi doit prendre des risques dans ses recommandations.

Une autre grande question qui doit nous préoccuper concerne l'organisation territoriale de la recherche. N'est-il pas nécessaire de réaffirmer avec force qu'un dispositif efficace de recherche fondamentale impose la constitution d'ensembles de dimension minimale qui ne s'accommodent pas d'une répartition uniforme sur le territoire national ? Qu'il convient de créer des pôles d'excellence de masse critique suffisante de manière à disposer de centres performants et de qualité comparable aux plus puissants de nos compétiteurs et qu'en complément, soient créés des réseaux scientifiques régionaux ou nationaux intégrant les centres de dimension plus modeste, travaillant sur des thématiques complémentaires ?

À cet égard, il convient sans doute d'examiner de manière approfondie les spécificités de telle ou telle discipline et de veiller à mener des politiques différenciées.

Avec les grands organismes et les universités, la France dispose d'un système de recherche original. Chacun s'accorde à reconnaître que cela peut être une source importante d'enrichissement mutuel. On ne peut que se féliciter des efforts de concertation faits dans le domaine de la recherche fondamentale par ces deux partenaires qui sont dans une dépendance mutuelle. Puisque cela sera fait à Strasbourg dans quelques jours lors du colloque « formations supérieures et organismes de recherche », « structures et métiers », et quelle que soit leur importance par rapport à la question que nous traitons, vous n'aborderez pas spécifiquement ici les questions des métiers de la recherche et des liens entre enseignements supérieurs et organismes de recherche. Il convient cependant de rappeler qu'en recherche fondamentale notre pays a besoin à la fois d'organismes performants et dynamiques, qui sachent renouveler périodiquement leur organisation afin de répondre à l'évolution des sciences et d'une recherche universitaire compétitive qui aide fortement à la formation des étudiants les plus motivés et qui se compare favorablement par ses productions à celle des autres grands pays de ce monde. Face aux défis qui sont posés à notre enseignement supérieur, outre le partenariat de recherche, les organismes ne peuvent ignorer leur port de responsabilité dans la formation scientifique de notre jeunesse dont une partie est appelée à constituer les personnels futurs de ces mêmes organismes et les cadres de nos entreprises. Je crois qu'aujourd'hui l'immense majorité de la communauté des chercheurs et les enseignant-chercheurs est convaincue de ces responsabilités mutuelles. De nombreux obstacles structurels limitent le plein exercice de ces responsabilités dans le respect des différences de nature des uns et des autres. Soyons imaginatifs pour mettre en place les structures nécessaires à leur dépassement.

En complément de ce qui sera abordé à Strasbourg, deux points relevant des métiers de la recherche me semblent mériter cependant l'attention de votre assemblée : le premier concerne la formation des jeunes chercheurs et notre dispositif de soutien aux jeunes en séjour postdoctoral immédiatement après leur thèse, dans l'attente d'un recrutement à l'université, dans les organismes ou les entreprises. Le second concerne la part que nous consacrons à l'encadrement technique et administratif de nos laboratoires. L'évolution de l'instrumentation et de l'activité des chercheurs n'appelle-t-elle pas un effort accru de recrutement de haut niveau dans certaines disciplines ou pour certaines spécialités?  Le monde de la recherche est-il prêt à s'engager dans cette voie ?

Sans avoir pu aborder toutes les questions qui sont devant nous sur ce sujet de la recherche fondamentale et avant de laisser la place à vos débats que j'espère fructueux et riches, je résumerai l'essentiel de leurs enjeux en demandant que l'on examine comment, à l'orée du 21ème siècle, nous devrons choisir nos orientations scientifiques et organisationnelles pour que la curiosité culturelle, l'invention et l'innovation scientifique et technique soient un des processus fondamentaux de développement de notre société ?


Allocution de François Fillon, ministre de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche pour l'ouverture du colloque « Formations Supérieures et Organismes de Recherche : Structures et Métiers » (Strasbourg le 8 mars 1994)

Ce quatrième colloque de la consultation nationale sur les grands objectifs de la recherche française nous conduit vers une interrogation essentielle : comment organiser notre système d'enseignement supérieur et de recherche ? Comment l'organiser pour lui permettre de répondre aux ambitions que nous formons pour la recherche française ? Quelles structures favoriser, quels métiers préparer pour disposer du cadre et des personnes dont nous aurons besoin demain ?

Se poser de telles questions à Strasbourg, l'un des pôles les plus importants sur la carte universitaire et de recherche de notre pays, n'est pas le fruit du hasard. Nous avons voulu tenir ce colloque dans cette ville où l'université et la recherche tiennent une place particulière, où les synergies entre enseignements supérieurs et recherche ont su le mieux se développer, où les collectivités locales ont défini une priorité affichée pour renforcer encore le pôle d'excellence qu'ont su devenir Strasbourg et l'Alsace, où les liens tissés par les universités et laboratoires avec leurs homologues européens voisins sont un exemple, ou enfin la qualité internationalement réputée de nombreux chercheurs strasbourgeois a donné à cette ville l'image enviable d'un des principaux foyers de la science française et européenne.

Les orientations définies par le groupe de travail que j'avais chargé de préparer cette consultation viennent de vous être rappelées. Je n'aborderai volontairement pas les points déjà traités pour ne pas peser sur votre liberté d'expression. Il vous appartiendra tout au long de cette journée de vous exprimer à leur propos, de les préciser, de les compléter, de les critiquer, d'ouvrir de nouvelles pistes pour l'action. Pour ma part, je voudrais simplement dans ce propos introductif vous faire part de certaines réflexions et questions complémentaires qui, je l'espère, trouveront quelques échos dans vos travaux et vous conduiront dans vos propositions, à m'aider dans l'élaboration des choix qu'il m'appartiendra au printemps de présenter au Gouvernement et au Parlement.

Je commencerai par rappeler une conviction, la nécessité de disposer d'une structure ministérielle rassemblant enseignement supérieur et recherche. La création en avril dernier du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche donne à la France la structure politique indispensable pour développer les synergies autour desquelles ce colloque a été conçu. Le rassemblement, sous l'autorité du même ministre, de l'ensemble des structures et acteurs de la recherche est un point de départ à mes yeux important. La réorganisation opérée dès juillet des structures de l'administration centrale a eu pour objectif de me donner les moyens d'une gestion intégrée, et non pas parallèle, des deux secteurs de compétence. Comment jugez-vous aujourd'hui cette évolution ? Comment aller plus loin encore, si nécessaire, dans la définition et la mise en œuvre d'une seule politique ?

Je veux ensuite m'interroger, vous interroger, sur le type de relations souhaitables entre mon ministère et les établissements ou organismes. J'ai indiqué vouloir les organiser autour de la notion de contractualisation à laquelle je cherche à donner une extension, et par la fusion des contrats pédagogiques et de recherche des universités jusqu'alors distincts et par la conclusion de contrats, que j'amorcerai dès cette année avec les grands organismes. Dans ce cadre, quel doit être la mission du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche ? Avons-nous raison de chercher à ce qu'il gère directement le moins possible, d'où l'élaboration récente d'un schéma ambitieux de modernisation et de de concentration auquel j'attache une grande importance ? Mais si le ministère entend responsabiliser davantage les établissements sous sa tutelle, il me paraît nécessaire qu'il affirme mieux, et plus précisément, les objectifs qu'il leur demande de prendre en compte. La conclusion des contrats sera le moment privilégié où l'Etat déterminera ces orientations. Ainsi devrions-nous pouvoir concilier affirmation nationale d'une politique volontariste et respect de l'autonomie de gestion des établissements laquelle ne peut signifier concurrence désordonnée ou dispersion des moyens. Dans cet esprit, quel rôle, par exemple, pour la Mission scientifique et technique, c'est-à-dire pour le potentiel d'expertise et d'évaluation qu'un ministère tel que le mien doit avoir à sa disposition ? Comment lui permettre de conduire une mission de coordination et d'impulsion de la politique nationale de recherche sans porter atteinte à la nécessaire autonomie de la recherche source bien souvent des grandes découvertes ?

Je veux maintenant vous sensibiliser à un autre débat, et vous me permettrez de m'attarder sur le sujet : comment organiser notre système d'enseignement supérieur et de recherche par rapport à l'exigence d'aménagement du territoire qu'exprime la société française ? Je connais les réticences des universitaires et scientifiques sur la dispersion considérée excessive de nos établissements, sur l'implantation ici ou là de départements isolés d'IUT, ou encore sur la délocalisation souvent jugée autoritaire de certains centres de recherche. Mais vous connaissez aussi l'attente de beaucoup de responsables politiques locaux, qui font de l'enseignement supérieur et de la recherche un des facteurs clés d'une nouvelle politique de l'aménagement du territoire. Pour ma part, je porterai ici témoignage de la volonté du Gouvernement de faire effectivement de l'aménagement du territoire une priorité nationale. Dans ces conditions, une question s'impose : comment concilier intelligemment une meilleure répartition sur notre territoire des activités d'enseignement supérieur et de recherche sans porter atteinte à l'excellence ?

Je souhaite d'emblée apporter une limite au champ de la réflexion. Je n'ai nullement pour intention de modifier la répartition actuelle des compétences entre l'État et les collectivités locales dans le domaine dont j'ai la charge. Je ne suis pas favorable à une régionalisation de l'enseignement supérieur et de la recherche. L'État se doit en effet d'assurer l'égalité des chances pour tous et l'équilibre entre régions favorisées et moins favorisées, si nécessaires pour l'avenir de la nation et sans lesquels la République serait une idée vaine.

Mais ne pas souhaiter une régionalisation des compétences n'est pas, au contraire, refuser de contribuer à l'aménagement du territoire.

La contribution de l'enseignement supérieur et de la recherche à l'aménagement du territoire apparaît, par exemple, à travers l'effort financier consenti : il s'agit du 2ème poste budgétaire des contrats de plan en cours de signature. Ce secteur correspond au plus grand nombre d'emplois publics créés en province dans les années à venir : quelques 250 emplois par an pour la recherche et plus d'un millier pour l'enseignement supérieur.

Prenons les activités de recherche. Elles ne constituent certes pas un service public de proximité. L'exigence d'excellence pour la recherche française en Europe et dans le monde commande même une politique sélective, des regroupements par pôle de compétences, une proximité étroite avec certains centres industriels et universitaires. La compétitivité internationale de notre recherche est à ce prix.

Cependant, il est clair à mes yeux que la localisation de laboratoires de recherche en province peut jouer un rôle d'aménagement du territoire lorsqu'elle est judicieusement combinée à d'autres actions de développement local. Malheureusement, nous ne sommes pas aidés quand les deux tiers des centres de recherche industrielle sont localisés en lie de France. Le grand débat sur l'aménagement du territoire va, je le souhaite, permettre de dégager des propositions pour corriger ce déséquilibre. Dans ce domaine comme dans d'autres, les délocalisations ne doivent pas servir d'alibi, comme cela a été trop souvent le cas par le passé, à une absence de réelle politique d'aménagement.

L'enseignement supérieur, lui, a tendance à être assimilé à un service public de proximité : nos concitoyens veulent pouvoir y accéder plus facilement et plus largement. Il était indispensable que le réseau des formations supérieures s'étende au-delà des quelques villes qui ont une tradition universitaire ancienne. Ceci est aujourd'hui chose faite puisqu'on compte, avec les IUT et les antennes délocalisées, plus d'une centaine de sites. Très peu de départements n'ont pas au moins une implantation universitaire. J'ai souhaité conforter encore cette évolution dans les contrats de plan.

Aujourd'hui – personne ne peut le nier – l'Université contribue de manière privilégiée à l'aménagement du territoire. Mais ce volontarisme a ses limites : installer un département d'IUT dans un site isolé où le nombre de places excède le nombre de bacheliers concernés, comme on me l'a quelquefois proposé, revient en réalité à creuser la distance entre étudiants et universités. C'est aussi s'exposer au risque d'ouvrir un site sans être sûr de pouvoir garantir son fonctionnement ; c'est se priver des moyens de développer d'autres sites plus porteurs en région ; c'est encore présenter à la collectivité universitaire une image caricaturale de l'aménagement du territoire.

En 20 ans, le territoire national a vu se multiplier les centres de recherche et les établissements d'enseignement supérieur. Université 2000 tout autant que les contrats de plan ont dispersé les implantations sur notre territoire. Ce processus global a-t-il obéi à une véritable logique ? On peut en douter quand on songe aux pressions locales qui ont joué, en particulier dans le domaine de l'enseignement supérieur. Les décisions prisas n'ont souvent pas obéi à une politique nationale mais malheureusement ont été plutôt fonction de la force plus ou moins grande des groupes de pression. Il faut dépasser une telle situation. Aujourd'hui, il faut établir des règles du jeu claires et aboutir à une véritable carte de l'enseignement supérieur et de la recherche qui corresponde à une distribution harmonieuse des efforts. Le besoin s'en fait d'autant plus sentir qu'il faut construire l'après Université 2000.

Un réaménagement profond de la carte universitaire et de recherche française ne pourra être réalisé sans une réforme des modalités de financement et d'organisation de notre système universitaire et de recherche. En attendant, et dans le cadre actuel, j'ai souhaité à travers les chantiers ouverts par le schéma de modernisation et de déconcentration, que mon ministère vient d'adopter, agir pour définir des règles du jeu, pour mettre en place une méthode efficace de choix des implantations. Il s'agira d'abord de définir des critères pour établir une carte qui, tout en répondant aux préoccupations du développement économique, garantisse la qualité des formations et de la recherche universitaires.

Il faut penser l'avenir, et au-delà de 1998, date de l'échéance du XIe plan, se donner les instruments d'une politique volontariste.

Pour les instruments, j'ai demandé à ce que mon ministère collecte des informations suffisantes afin d'établir les cartes de ce qui est déjà fait comme de ce qui devrait être fait pour compenser certains déséquilibres.

Parmi les lignes d'actions envisagées, je propose l'adoption, région par région, de schémas d'aménagement des enseignements supérieurs et de la recherche (je dis bien de schémas communs à l'enseignement supérieur et à la recherche), schémas arrêtés d'un commun accord entre État et régions. Pourquoi cet objectif ne figurerait-il pas dans la prochaine loi sur l'aménagement du territoire et pourquoi celle-ci n'en définirait-elle pas les modalités ?

Une politique ambitieuse pour l'enseignement supérieur et la recherche dans le cadre de l'aménagement du territoire conduira, a déjà conduit, inévitablement à des évolutions de fond de notre système. Contribuer à l'aménagement du territoire exige d'adapter nos structures et nos activités mais, je veux le souligner avec force, ce ne peut être établir des établissements à deux vitesses : des pôles universitaires régionaux d'excellence à forte implantation recherche correspondant aux anciennes universités et de nouveaux sites à enseignement professionnel et sans véritable recherche. Une telle évolution ne servirait pas la nécessaire professionnalisation de nos formations en dévalorisant ce type d'enseignement, d'où mon attachement à l'émergence d'une véritable filière technologique, filière universitaire à part entière qui puisse être pour sa part plus facilement délocalisée.

Un autre domaine de réflexion est celui d'une meilleure coordination entre les établissements, et d'abord entre les universités et les organismes. Je suis persuadé que vous saurez à ce propos faire émerger des suggestions intéressantes car acteurs de la recherche vous êtes les mieux placés pour ressentir les carences de la situation présente et savoir où faire porter l'effort. Je vous demande d'être ici exigeants et imaginatifs. Il y a en effet beaucoup à faire et rapidement. Pour ma part, j'analyse certaines inquiétudes exprimées par quelques organisations professionnelles de chercheurs et d'universitaires à la lecture du rapport d'orientation à cette consultation nationale comme démontrant le besoin d'une meilleure coordination entre universités et organismes dans le respect des compétences et des métiers de chacun.

Pour ce qui est maintenant des métiers de la recherche, je voudrais vous faire part des axes selon moi prioritaires. D'abord, il est essentiel de porter une attention particulière à la formation aux métiers de la recherche. Nous devons attirer à elle des jeunes plus nombreux, les meilleurs, bien les former et savoir les retenir. Il faut ensuite ne pas nous enfermer dans un monde clos mais faire de la mobilité une priorité, mobilité entre enseignement supérieur et grands organismes, mobilité entre universités et laboratoires d'une part, entreprises d'autre part. J'espère que cet objectif de mobilité sera l'une des exigences les plus fortes qui débouchera de cette consultation nationale. Sans faire de la mobilité une obligation systématique, source d'une instabilité qui pourrait susciter d'avantage de difficultés que de bénéfices, je crois qu'il faut pour l'État savoir mieux inciter et favoriser la mobilité.

Structures et métiers constituent deux notions à réunir autour d'une même exigence l'excellence. Nous devons savoir les faire évoluer par rapport à cette volonté. Il n'y a pas pour moi de sujets tabous, mais en même temps je crois inutile de susciter des traumatismes lesquels bloquent ensuite souvent toute évolution sur une trop longue période. C'est pourquoi je reste persuadé que la formule de l'expérimentation doit être privilégiée et je suis prêt à en favoriser le développement. C'est pourquoi je souhaite que votre atelier sur les politiques d'évaluation conduisent à des propositions me permettant de nous doter d'institutions et de mécanismes plus cohérents avec la réunion dans le même ministère des compétences d'enseignement supérieur et de la recherche. C'est pourquoi je suis décidé à susciter entre tous le maximum de débats pour rendre possible à échéance raisonnable les transformations nécessaires. Aussi, au-delà de cette consultation nationale sur les grands objectifs de la recherche française, j'organiserai à l'automne prochain des assises nationales de l'enseignement supérieur de manière à disposer, en complément avec les conclusions de la consultation recherche, et j'espère dans la logique des objectifs retenus, des éléments permettant de faire jouer aux établissements d'enseignement supérieur le rôle nécessaire pour remplir leur double mission de formation et de recherche.

Vous le constatez, les chantiers ouverts sont nombreux et significatifs. Je suis persuadé que ce colloque de Strasbourg sera une étape dont on se souviendra dans ce processus. Je vous souhaite des débats nourris, animés, fructueux et constructifs. Je vous remercie vivement pour votre concours à la démarche de réflexion et de dialogue que j'ai voulu initier et en laquelle je crois parce que seule à même de nous engager collectivement dans une évolution inévitable et nécessaire pour notre pays. Enseignement supérieur et recherche sont des facteurs de développement trop importants pour la France pour que nous continuions à en faire un terrain d'affrontement alors qu'ils devraient être l'occasion d'un rassemblement autour d'une même ambition nationale. Si je peux contribuer à aller dans cette direction, si ce colloque de Strasbourg aide à cette prise de conscience, nous aurons ensemble ici jeté les fondations d'un avenir plus serein. Je vous remercie…


Colloque « Recherche et innovation dans les PME/PMI » (le Mans, le 11 mars 1994)

C'est avec plaisir que je vous accueille ici à l'abbaye de l'Epau, en ma qualité de ministre de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche, mais aussi comme président du Conseil Général de la Sarthe, pour ce colloque national sur la recherche et l'innovation dans les PME/PMI. Celui-ci est le 5ème des 6 colloques nationaux organisés dans le cadre de la consultation nationale sur les grands objectifs de la recherche française. Le Premier ministre, monsieur Édouard Balladur, avait souhaité être présent aujourd'hui pour bien marquer l'importance qu'il attachait à cette consultation nationale et particulièrement au thème abordé aujourd'hui. Malheureusement, les contraintes de sa charge ont fait qu'il a été obligé d'annuler son déplacement.

Si j'ai souhaité lancer ce débat national, c'est que je suis convaincu que la recherche, l'innovation et la maîtrise des technologies sont devenus des facteurs-clés de la concurrence entre pays. Avec l'évolution profonde de notre environnement international ces dix dernières années, que ce soit par la montée en puissance de certains pays d'Asie, par les bouleversements à l'Est, ou par les actions d'envergure lancées aux États-Unis, il m'est apparu nécessaire et urgent de reprendre une réflexion approfondie sur les finalités de l'effort de recherche mené par la France, afin d'en déterminer les grands objectifs pour la décennie à venir. Au-delà du contexte international, cette réflexion doit aussi davantage prendre en compte les aspirations nouvelles de notre société ainsi que les préoccupations de nos concitoyens vis-à-vis de la science, que ce soit en matière d'emploi, d'environnement, de prévention des risques naturels ou technologiques, d'aménagement du territoire, pour n'en citer que quelques-unes.

Je souhaite, en quelques mots, revenir sur le déroulement de cette consultation nationale, afin de situer le cadre dans lequel s'inscrivent les débats de ce jour.

J'ai confié au mois de septembre dernier, à un groupe de travail constitué de représentants des milieux scientifiques, techniques et économiques, réuni sous la présidence du haut-commissaire à l'énergie atomique, M. Robert Dautray, l'élaboration d'un rapport d'orientation sur la situation de la recherche française. Ce groupe a travaillé avec une totale autonomie et liberté. Ce rapport d'orientation, qui m'a été remis début janvier – rapport du groupe et non du Ministre, je tiens à le rappeler – pose un certain nombre de questions et propose des pistes de réflexion. C'est le point de départ de cette consultation nationale ; il a vocation à ouvrir le débat, que je souhaite, pour ma part, libre et constructif.

J'ai souhaité que soient associés à cette consultation tous les acteurs de la recherche française, en premier lieu bien entendu la communauté scientifique, l'ensemble des personnels de recherche, mais aussi les utilisateurs de la recherche, qu'ils représentent le monde des entreprises ou, plus largement, la société civile. C'est ainsi que depuis le début du mois de février nous sommes entrés dans une phase de large consultation :

– d'une part, une consultation institutionnelle qui touche les organismes de recherche, les universités, les entreprises, les organisations professionnelles et syndicales, l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques, mais aussi les Académies, le Collège de France. Cette liste étant loin d'être exhaustive ;

– d'autre part, par le biais de 6 colloques thématiques nationaux dont je rappelle brièvement les orientations :
Science et société 
Recherche fondamentale 
Formations supérieures et organismes de recherche 
Recherche, technologies et entreprises: au service de l'innovation
Recherche et innovation dans les PME/PMI 
et, enfin, la dimension internationale de la recherche.

Ces 6 colloques seront clôturés par un colloque de synthèse le 18 avril à Paris.

À l'issue de cette phase de consultation, un rapport de synthèse, prenant en compte l'ensemble de ces réflexions, sera élaboré ; il donnera lieu à un débat d'orientation au Parlement à la session de Printemps.

J'en reviens maintenant au sujet qui nous préoccupe plus particulièrement aujourd'hui : la recherche et l'innovation dans les PME/PMI.

Si depuis 10 ans, le volume des dépenses de recherche des entreprises françaises a sensiblement progressé, la recherche industrielle française – en valeur absolue – occupe parmi ses concurrents, le même rang qu'en 1981. Les dépenses de recherche & développement des entreprises par rapport au produit intérieur brut, représentent en France 1,5 %, ce qui place notre pays encore loin derrière le Japon (2,1 %), les États-Unis (1,9 %) ou l'Allemagne (1,8 %). Comment renforcer le potentiel de recherche et d'innovation dans les entreprises françaises ? C'est l'une des questions centrales de cette consultation, mais aussi un enjeu majeur pour la compétitivité de notre économie.

C'est pourquoi deux des 6 colloques auront été consacrés à cette question :

– l'un à Grenoble, le 22 février, qui concernait davantage les grandes entreprises ;
– le second aujourd'hui au Mans, sur la recherche et l'innovation dans les PME/PMI.

Ces dernières représentent près de la moitié de la production industrielle. La vitalité de notre économie dépend de la bonne santé de ces entreprises, et notamment de leur capacité à innover. Un tissu industriel fort repose sur un réseau de petites et moyennes entreprises performantes.

Je souhaite livrer quelques chiffres à votre réflexion. Selon les dernières enquêtes menées sur l'innovation, la proportion d'entreprises innovatrices augmente avec la taille des entreprises. Si l'on prend comme critère la part du chiffre d'affaires réalisé avec des produits innovants de moins de cinq ans d'âge, ce sont 10 % des entreprises de 20 à 100 salariés (33 % des entreprises de plus de 2 000 personnes) qui réalisent plus de 30 % de leur chiffre d'affaires avec des produits innovants de moins de 5 ans.

Dans les PME de 20 à 2 000 personnes, l'innovation-produit est sensiblement plus fréquente que l'innovation-procédé. 80 % des entreprises industrielles considèrent ainsi que l'impulsion du marché sur l'innovation est forte ou très forte ; la dynamique propre de la technologie a une incidence sur les innovations, pour 60 % d'entre elles. Le marché joue donc un rôle déterminant dans le processus d'innovation, ce qui n'étonnera pas les chefs d'entreprises ici présents. S'il me semble important d'insister sur ce point, c'est qu'il apparaît que les principales causes d'échec d'un programme d'innovation sont d'origine commerciale. Ainsi, selon une étude menée par l'ANVAR, les causes d'échec seraient dues à :

50 % pour des raisons commerciales, que ce soit une mauvaise adaptation du produit au besoin du client, une absence de marché ou l'insuffisance d'un réseau commercial ;
30 % pour des raisons techniques, liées autant aux difficultés intrinsèques du projet qu'au manque de compétences ou de rigueur dans la gestion du programme ;
18 % pour des raisons financières, surcoût du projet ou manque de fonds propres.

La difficulté de l'approche de la recherche et de l'innovation dans les PME/PMI tient aussi à l'extrême diversité de ce tissu d'entreprises. Quel rapport y a-t-il en effet sur les questions de recherche et innovation entre :

– une PME de haute technologie née de l'essaimage d'un laboratoire public, constituée d'une équipe de chercheurs qui connaît bien ses interlocuteurs dans le milieu de la recherche publique ;
– une entreprise moyenne qui dispose d'une petite équipe de recherche-développement ou d'un bureau d'études ;
– une PME de 20 personnes dont le chef d'entreprise est la fois le commercial, le technicien, le financier.

Ces entreprises ont bien sûr en commun les contraintes de toute PME, qu'elles soient de nature réglementaire, financière ; que ce soient des contraintes de temps, marché ou qualité.

Ce qui peut, par contre, les différencier dans l'approche de l'innovation, c'est :

– d'une part l'accès aux sources de l'innovation, qu'elles soient internes ou externes autrement dit, la gestion des ressources de l'innovation ;
– d'autre part, la stratégie de l'entreprise : offensive ou défensive, gestionnaire, innovante ?
– enfin, l'environnement de l'entreprise ; que ce soit dans les relations entre entreprises – notamment donneurs d'ordres/sous-traitants – ou vis à vis des acteurs locaux de la recherche et de la diffusion technologique.

Une PME a rarement les moyens d'entretenir en interne toutes les compétences technologiques nécessaires à la mise en œuvre de ses projets innovants. Elle peut avoir besoin de combler un manque de compétences spécifiques ou d'utiliser ponctuellement des moyens techniques très élaborés. Il est important pour une petite entreprise de pouvoir trouver cette assistance technique à proximité, assistance respectant les contraintes de coûts et délais qui sont celles des entreprises. Compte tenu de ce critère de proximité, la région semble bien être le lieu privilégié pour la mise en œuvre du soutien technologique aux PMI.

Depuis 10 ans, l'infrastructure de transfert s'est sensiblement développée en région, d'une part avec l'offre de conseil (procédures FRAC, abondement des sociétés de recherche sous contrat travaillant avec des PME…) ; d'autre part avec le développement d'une infrastructure publique (CRITT, conseillers de développement technologique, réseau de diffusion technologique…). Dans le même temps, des régions, des chambres de commerce, des organisations professionnelles ont mis en place de nombreux points d'appui au transfert.

Des expériences multiples, avec des succès divers, ont été menées suivant les régions, le contexte local, industriel, scientifique et universitaire. Si l'on peut se réjouir du foisonnement des initiatives et des progrès incontestables qui ont été parcourus, notamment dans le rapprochement entre ces différents milieux, on peut aussi se demander aujourd'hui si la multiplicité des structures de transferts, d'interfaces, de procédures, ne manque pas de lisibilité et ne devient pas un facteur de blocage pour le chef d'entreprise dans l'accès aux ressources technologiques externes ?

Y a-t-il une cohérence suffisante dans les missions, objectifs et modes d'intervention des structures de transfert d'une part, entre les acteurs locaux, régionaux, nationaux d'autre part ?

Comment éviter l'écueil d'une approche de la diffusion technologique qui part plus souvent de l'offre de ressources technologiques que de la demande des entreprises, et qui peut avoir tendance à toujours cibler les mêmes entreprises ?

Comment mieux appréhender les entreprises peu familiarisées avec le recours à des compétences technologiques externes ? D'une façon plus générale, comment mieux appréhender la demande des entreprises ?

Y a-t-il décalage entre une offre régionale de ressources technologiques et la réalité des besoins des entreprises ? Les structures de diffusion technologique prennent-elles suffisamment en compte les contraintes des PME, coûts, délais ?

Quels peuvent être les outils d'évaluation et d'aide à la décision pour la région dans l'attribution de ses aides au transfert ?

Comment peut-on tout à la fois optimiser l'existant et intensifier la diffusion des technologies dans le tissu industriel, par exemple :

– avec la mise en réseau des acteurs du développement technologique régional et inter-régional ;
– avec un certain décloisonnement des filières professionnelles ;
– avec le renforcement des pôles de compétences régionaux autour des spécificités propres de la région ;
– avec l'évolution des relations interentreprises, entre donneurs d'ordres et sous-traitants, entre clients et fournisseurs ;
– avec le développement des réseaux interentreprises.

Faut-il, comme cela a été proposé au colloque de Grenoble, associer davantage de PME dans les grands programmes de recherche, et leur réserver une part préétablie du financement, accélérant ainsi la diffusion des technologies des grands programmes ?

La technologie se transfère aussi – et surtout – par les hommes. Pour qu'un projet innovant puisse se concrétiser, il faut que l'entreprise dispose d'hommes ou de femmes capables de s'approprier les connaissances nécessaires à sa mise en œuvre, ou capables de trouver les ressources technologiques extérieures. Des procédures ont été initiées afin de favoriser le renforcement de la compétence interne de l'entreprise (que ce soit les cortechs, les cifre, les aides à l'embauche de chercheurs…). Faut-il les renforcer, les compléter ? Faut-il aller vers des formules de « cadres à temps partagé », détachés temporairement dans des PME par des grandes entreprises, comme cela a pu être initié récemment par certaines d'entre elles ? Comment faciliter le rapprochement des établissements d'enseignement technique (IUT, lycées techniques…) avec le tissu de PME/PMI ? Comment l'État et les collectivités locales peuvent-ils créer un environnement favorable au développement technologique des PME/PMI ?

Les pouvoirs publics ont mis en place des incitations fiscales ou des aides financières pour soutenir la recherche et l'innovation dans les PME/PMI, qu'il s'agisse du crédit d'impôt-recherche, des aides de l'ANVAR, ou des procédures ATOUT d'aide à la diffusion des techniques.

Le crédit d'impôt recherche représente une aide de l'État de plus de 4 milliards de francs. Cette mesure permet de toucher l'ensemble des secteurs de l'industrie, de façon non discriminatoire, et plus particulièrement les petites et moyennes entreprises. En effet, les entreprises dont le chiffre d'affaires est inférieur à 100 MF en bénéficient à hauteur de 60 %, pour 44 % des dépenses de recherche-développement déclarées. Faut-il faire évoluer cette mesure, en prévoyant des dispositions particulières pour les PME/PMI ?

D'autre part, le gouvernement a décidé de porter le budget de l'ANVAR en 1994 à 1 milliard de francs, soit une progression de 16 %, marquant ainsi sa volonté de soutenir la recherche et l'innovation dans les PME/PMI. Que ce soit par les aides aux projets innovants, les aides aux transferts de technologie, les aides aux jeunes ou par la mise en place de réseaux de diffusion technologique, l'ANVAR – dont le client moyen est une entreprise de sons personnes – a clairement la vocation de contribuer à la diffusion de l'innovation technologique dans le tissu des PME/PMI.

Au-delà des aides que peut proposer l'ANVAR, la mise en œuvre d'un programme d'innovation se heurte souvent à des difficultés de financement, notamment au niveau des fonds propres de l'entreprise. Le capital-risque et le capital-développement ne se sont guère développés en France, contrairement à d'autres pays – et notamment les États-Unis. Le financement d'un programme d'innovation semble d'ailleurs plus difficile lorsque l'entreprise est en phase de « croisière » qu'à sa création. Le système de financement de l'innovation peut constituer un avantage compétitif entre pays. Notre système financier est-il un handicap à l'innovation ?

Sur l'ensemble de ces points, je serai heureux de recueillir, au travers de ce colloque, vos avis, suggestions et propositions. Je vous remercie pour votre participation à ces travaux et je tiens à exprimer ma reconnaissance aux présidents et rapporteurs qui conduiront les différents débats de cette journée – que je souhaite animée et fertile. Il me semble que de plus en plus, les entreprises seront amenées à gérer la technologie comme une ressource stratégique, au même titre que les ressources financières et humaines.


Allocution de M. François Fillon, ministre de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche « La dimension internationale de la recherche » (Lille le 17 mars 1994)

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,

C'est avec grand plaisir que j'ouvre, ici à Lille devant un auditoire d'une aussi haute qualité, ce colloque sur la dimension internationale de la recherche. Vous clôturez ainsi ce soir la série des six colloques nationaux organisés dans le cadre de la consultation nationale sur les grands objectifs de la recherche française.

Nous avons décidé de lancer ce débat national parce que je suis convaincu que la recherche, l'innovation et la technologie sont désormais pour notre pays des facteurs clés pour la maîtrise de son avenir. Avec les bouleversements que connaît notre environnement international ces dernières années, qu'il s'agisse du démantèlement de l'ordre européen d'après-guerre, de la montée en puissance de certains pays d'Asie, de la précarité croissante de certains pays en voie de développement et des choix que nous impose une conjoncture difficile, il m'est apparu que le moment était venu de reprendre une réflexion approfondie sur les finalités de l'effort de recherche français, afin d'en dégager les grands objectifs pour la décennie à venir.

J'ai donc confié. en septembre dernier, à un groupe de travail composé de représentants des milieux scientifiques, techniques et économiques – réuni sous la présidence du haut-commissaire à l'énergie atomique M. Robert Dautray l'élaboration d'un rapport d'orientation sur la situation de la recherche française. Ce rapport, qui m'a été remis début janvier – rapport du groupe et non du ministre, je tiens à le rappeler – pose un certain nombre de questions et ouvre des pistes de réflexion. Point de départ de la consultation nationale, ce travail a été précisément conçu pour ouvrir les débats.

J'ai en effet souhaité que soient associés à cette consultation tous les acteurs de la recherche : la communauté scientifique, l'ensemble du personnel, mais aussi le monde de l'entreprise et le public au sens large. C'est ainsi qu'à partir du rapport d'orientation se sont ouverts une consultation institutionnelle concernant les organismes, les universités, les organisations professionnelles et syndicales, et six colloques thématiques, respectivement consacrés à la science et à la société, à la recherche fondamentale, aux formations supérieures, à la recherche et aux entreprises, à l'innovation dans les PME/PMI et, enfin, aujourd'hui, à la dimension internationale de la recherche.

Un colloque national de synthèse clôturera le 18 avril à Paris cette phase de consultation, à partir de laquelle sera préparé un rapport final prenant en compte l'ensemble des débats et réflexions fort riches recueillis depuis six mois.

Ce rapport de synthèse – qui sera bien cette fois-ci le rapport du ministre – donnera lieu à un débat d'orientation au Parlement dès la session de printemps.

Tel est donc le cadre dans lequel s'inscrivent les débats de ce jour.

Les cinq thèmes déjà déclinés par la consultation nationale ont été choisis pour apporter des éléments de réponse aux grandes questions – parfois même aux inquiétudes – que se pose la société dans ses rapports à la science. Il en va autrement aujourd'hui, alors que nous abordons un domaine qui me paraît relever de l'évidence : de tout temps la recherche ne s'est jamais conçue comme close à quelque espace national que ce fût.

L'international étant un cadre naturel pour la recherche, nous n'avons pas à nous interroger sur l'intérêt ou non de lui donner une dimension internationale. La communauté scientifique se considère aussi comme internationale et elle a raison. La question à laquelle nous devons nous efforcer de répondre au cours de cette journée est de savoir comment et à quelles fins la France doit concevoir sa participation à la dimension internationale de la recherche.

Interrogation pertinente s'il en est puisque l'internationalisation de la science s'accélère à une vitesse sans précédent, contraignant notre pays à faire face à une série de problèmes de première importance pour l'avenir.

La mutation technologique désormais globale – ce que les anglo-saxons appellent le « techno globalisme » – provoque une redéfinition permanente des rapports entre recherche nationale et recherche à l'étranger. La recherche française doit sans cesse se mesurer à l'aune de la compétitivité scientifique et technique globale. Lorsqu'elle est déficitaire, elle doit pouvoir se renforcer par la dimension internationale. Nous avons sur cet aspect, où certains de nos partenaires sont passés maîtres, des progrès à faire, notamment en ciblant mieux nos coopérations pour en tirer une valeur ajoutée plus forte et en abandonnant tout angélisme dans les négociations sur la propriété intellectuelle et sur les dépôts de brevets.

Mais cela est-il aussi pertinent pour les disciplines et les technologies où nous disposons d'avantages par rapport à nos concurrents ? Autrement dit, convient-il de protéger certains secteurs de la recherche nationale ? C'est l'affaire d'un choix judicieux de priorités, de définitions et de modalités car il ne doit bien entendu pas s'agir de protectionnisme, de fermeture nuisible à la progression des connaissances. Quelles articulations convient-il donc de mettre en œuvre ?

Ensuite, la montée en puissance de l'Europe de la recherche me semble une seconde tendance lourde au sujet de laquelle il convient de s'interroger. Par l'échange permanent des hommes et des connaissances, par les projets communs entre équipes et laboratoires, les Européens n'ont pas attendu la création des institutions communautaires pour tisser les mailles d'une coopération scientifique très dense. Des organismes extra-communautaires comme le CERN ou l'agence Spatiale ont également démontré leur efficacité et leur dynamisme. Mais depuis quelque temps, la Communauté – à présent l'union – s'est lancée dans un programme de recherche ambitieux destiné à renforcer la compétitivité industrielle des États-membres. À lui seul, le 4ème Programme-Cadre que nous avons approuvé en décembre dernier atteindra 13 milliards d'Ecus, soit quelque 90 milliards de francs pour la période 1994-1998. Ce développement sans précédent, aussi indispensable soit-il institue peu à peu une mécanique complexe, lourde dans sa mise en œuvre et pas toujours assez transparente pour ses utilisateurs, où États, institutions communautaires et acteurs de la recherche s'imbriquent, se complètent et se concurrencent.

Par ailleurs, l'élargissement prochain de l'Union aux pays de l'AELE va sans doute nous obliger à sortir des sentiers battus sur le plan du fonctionnement même des institutions communautaires. Dans ces conditions, il ne me semble pas qu'aller vers une intégration communautaire toujours plus poussée soit forcément la voie à suivre pour construire l'Europe de la science. Si nous choisissons une démarche pragmatique, quel sens conférer au fameux principe de subsidiarité dans le domaine de la recherche et quelle place donner aux initiatives et organisations n'appartenant pas à l'Europe de l'Union, comme Eurêka ? Enfin, ne faut-il pas dès à présent adapter nos objectifs, nos moyens et nos méthodes dans la perspective d'une Europe qui n'aurait plus la crainte de s'ouvrir au grand large, celui de l'Atlantique à l'Oural ?

Un troisième défi nous est lancé par les exigences des très grands équipements internationaux – je pense notamment à la fusion ou à la physique des hautes énergies – par les mécanismes de coopération multilatérale qu'ils supposent, par leur poids budgétaire, les problèmes de prospective et d'évaluation qu'ils posent, par les positions induites sur d'autres initiatives nationales ou européennes concurrentes. Doit-on céder à la tendance actuelle vers une mondialisation de la recherche dans les disciplines qui demandent de très grands équipements ? Dans ce cas, quel serait le poids spécifique et donc le rang de la science française au sein de ces programmes multilatéraux ? Sans doute convient-il de consolider une position commune entre européens avant d'aborder les grands partenaires américain et japonais, mais de quelle Europe s'agit-il et s'agira-t-il demain ?

Je serai attentif à vos débats sur ce sujet qui me semble essentiel si nous voulons voir la science française continuer de participer, par une politique d'excellence à long terme, à ces programmes devenus d'une ampleur telle que nul ne peut les assumer indépendamment. Mais il me semble qu'une distinction doit être faite entre l'indépendance absolue – illusoire en matière scientifique – et l'autonomie qui est par contre compatible avec une coopération internationale accrue et que nous devons nous efforcer de conserver et de renforcer, précisément pour peser dans les décisions concernant les grands programmes internationaux.

Enfin, la remise en cause, dans le Tiers Monde et notamment chez nos partenaires africains, des modèles de développement qui ont prévalu ces dernières décennies doit nous inciter à une réflexion approfondie sur les voies et moyens de la recherche pour le développement. Je ne voulais pas m'adresser à vous sans souligner ce point. Par notre héritage historique, nos capacités dans ce domaine, l'importance que nous accordons à la France d'outre-mer et l'ambition d'universalité qui doit animer notre approche de la science comme notre message dans le monde, la question du développement et de l'avenir des relations Nord-Sud sera pour la France un enjeu crucial des années à venir.

À bien des égards, la recherche pour le développement se trouve à un carrefour stratégique. L'évolution de notre politique africaine la précarité parfois extrême de nos partenaires de la coopération, l'apparition de formules de développement parfois très dynamiques en Asie du Sud-Est, doivent nous conduire à remettre en cause nos habitudes et nos pratiques, parfois de manière radicale.

Si cette analyse est la bonne, comment adapter notre dispositif et nos programmes de recherche aux objectifs d'une politique rénovée et aux nouvelles exigences du développement alors même, que les conditions ayant déterminé depuis longtemps nos pratiques sont en passe d'être balayées ? Et ceci au moment où risque de se faire jour un désintérêt croissant de nos sociétés pour les problèmes du monde déshérité. Dans l'équilibre à trouver entre excellence scientifique et aide au maintien des structures de recherche sur place. convient-il de privilégier la recherche scientifique sur le développement ou la coopération scientifique pour le développement ?

Par ailleurs, quelle place donner à la formation à la recherche et par la recherche pour nos partenaires du Sud ? Comment diversifier nos zones d'intérêt qui doivent dépasser le champ traditionnel de la coopération vers de nouveaux partenaires en Amérique Latine et en Asie ? Hors même de toute problématique de développement de la recherche dans ce domaine relève de nos intérêts propres puisqu'elle touche des enjeux pertinents pour l'humanité entière, tels la santé, l'alimentation, l'éducation et l'environnement.

Telles sont les questions passionnantes qui font aujourd'hui l'objet de vos débats et auxquelles, j'en suis sûr, vous apporterez des réponses fort utiles. Elles me ramènent, pour conclure, à quelques considérations simples sur ce que j'estime être, au fond, la dimension internationale de la recherche. C'est d'abord une affaire d'hommes, c'est aussi une question de moyens, mais le tout doit être sous-tendu par une volonté, c'est-à-dire une politique.

Des hommes en formation – j'ai presque envie de dire « en information » – grâce aux mille procédures qui, des allocations de recherche aux bourses postdoctorales en passant par les programmes européens de mobilité, permettent un va et vient permanent d'échanges scientifiques et de formations croisées. Des hommes constamment informés par l'international grâce à une veille scientifique et technologique chez nos partenaires, efficace, bien relayée, bien utilisée, ce qui n'est pas toujours le cas.

Au bout du compte, il s'agit de donner à nos chercheurs des moyens toujours accrus de participer à l'aventure scientifique internationale, faire mieux encore pour la circulation de l'information et des hommes. Ces procédures doivent être connues, maîtrisées et régulièrement évaluées, comme doivent être maîtrisés les dispositifs d'harmonisation bilatéraux ou multilatéraux des formations et des études.

Des hommes convenablement choisis aussi, parce qu'à côté de leurs capacités scientifiques ils ont su acquérir une vraie expérience de l'international. Ce contact avec l'étranger, trop souvent en marge d'une carrière – peut-être même parfois pénalisant me dit-on – doit au contraire la nourrir, l'enrichir, la promouvoir. Séjours internationaux, expatriation, participation à des programmes multilatéraux doivent être pris en compte dans le déroulement de carrière de ceux qui sont les acteurs indispensables de la dimension internationale de la recherche.

Mais, je l'ai dit, cette dimension est aussi une affaire de moyens. Les grands programmes de recherche exigent des financements de plus en plus importants, consacrés notamment aux investissements à long terme. L'État continue à faire de la recherche une priorité budgétaire mais n'est plus le seul à fournir ces moyens que l'on peut obtenir à de multiples sources internationales, qu'elles soient communautaires ou multilatérales. Pourvu que l'on sache où, quand et comment en profiter.

L'international c'est aussi une technique de financement de projets de confection de dossiers pour répondre aux appels d'offre, de repérage de moyens nouveaux et complémentaires. L'administration doit ici jouer un rôle d'information, d'assistance et de simplification des procédures mises à la disposition de la communauté scientifique. C'est aussi, pour l'État, une exigence de formation de fonctionnaires internationaux rompus à ces mécanismes, à l'écoute permanente des chercheurs et aptes à relayer l'action de notre pays.

Les dispositions pratiques sont aussi un moyen de l'international. par le choix de méthodes pertinentes et efficaces de coopération sur des thèmes cibles, la promotion de réseaux de formation et de recherche, la définition conjointe de grands objectifs en recherche fondamentale pour les grands équipements ou pour un programme comme Frontière Humaine, par la définition enfin de projets performants d'innovation technologique. Nous avons, pour l'international, à mieux organiser les liaisons entre recherche, investissements à l'étranger et développement industriel.

Enfin, la dimension internationale de la recherche c'est une affaire de volonté, c'est-à-dire d'ambition politique.

La France a-t-elle une vocation particulière à la recherche sur le plan international ? Comme tous les autres pays, diront certains. Peut-être davantage si l'on considère qu'elle s'est trouvée bien souvent dans le peloton de tête pour de grands projets internationaux dans l'atome, le spatial, la physique des particules ou la biologie, projets à fort impact sur l'évolution des connaissances, des conditions de vie et parfois sur l'emploi industriel. Davantage aussi, si l'on considère notre rôle dans le volet recherche de la construction européenne.

Dans un univers où, par ailleurs, risquent de prévaloir les égoïsmes, les nationalismes et les intégrismes, le partage du savoir et des idées, cet investissement à long terme à bénéfices réciproques est une fierté pour notre pays, une obligation à laquelle nous ne voulons pas renoncer.

Tout cela est bien, en fin de compte, l'intérêt d'un pays comme le nôtre, légitimement soucieux de son autonomie qu'une recherche puissante contribue à fonder, pays ouvert depuis longtemps déjà à la coopération internationale par la construction européenne, la libre circulation des hommes et des idées, pays responsable enfin sur la scène internationale, et notamment à l'égard du monde en développement. Ces trois principes exigent de nous tous une extrême vigilance et une adaptation constante, afin qu'avec la croissance nécessaire, spontanée des dispositifs de recherche et des échanges internationaux, l'État puisse jouer son rôle pour placer la France au premier plan.

Par vos débats d'aujourd'hui, vous allez, j'en suis sûr, nous aider à consolider cette ambition.


Allocution de monsieur François Fillon, ministre de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche, à Paris, Cité des Sciences et de l'Industrie, le 18 avril 1994

Mesdames et Messieurs,

Je ne reviendrai pas sur les propos tenus ce matin lorsque j'ai eu le plaisir d'accueillir monsieur le Premier ministre. Il a parfaitement mis l'accent sur la signification de notre rencontre de ce jour et sur la portée que le Gouvernement entend conférer à la Consultation Nationale sur les grands objectifs de la recherche française.

En remerciant chaleureusement tous ceux qui ont contribué à sa réussite, je me félicite de constater que nos principaux objectifs sont en passe d'être atteints. Parmi ceux-ci, l'un occupe à mes yeux une place essentielle. Il justifiait à lui seul l'organisation de ce débat national : la volonté de redonner à la recherche sa juste place au sein de notre société.

À l'origine de cette Consultation Nationale, il y a une conviction et une ambition.

L'ambition, nous la partageons tous : c'est celle d'œuvrer encore et toujours pour la science française. La conviction est celle du citoyen et du responsable politique : c'est qu'au cours des dernières années, quelque chose a changé dans notre idée du progrès.

D'une décennie à l'autre, l'environnement de l'activité scientifique a subi une profonde mutation culturelle, économique, sociale. Du début des années quatre-vingt aux années quatre-vingt-dix, le doute s'est emparé des esprits.

Bien sûr il y a la crise, les exclusions et les inégalités, la rupture des traditions et de la mémoire, les dangers du désordre international. Mais il y a peut-être un facteur plus profond encore : l'homme est désormais confronté à la complexité exponentielle des problèmes dans toutes les dimensions de son activité.

Nous avons pris conscience de l'interdépendance croissante des phénomènes, de la diversité foisonnante des enjeux, de la multiplicité des rapports planétaires. Entre l'internationalisation des échanges et le repli sur soi des identités individuelles, nos institutions sociales et politiques paraissent inadaptées à la maîtrise du changement. Le doute puise ses racines dans cette intelligibilité brouillée du monde, dans cette difficulté à appréhender la réalité. Il en résulte une tentation de l'égarement qui nourrit la crainte de l'avenir.

La science n'est pas immunisée contre ce phénomène.

Appelée à remplir des missions de plus en plus diverses, son champ d'action s'est considérablement élargi. Par la multiplication des acteurs et de leurs relations, aussi bien nationales qu'internationales, la recherche française est elle-même devenue un système extrêmement complexe. L'accélération des connaissances a désormais franchi le seuil à partir duquel la science contraint l'homme à des interrogations fondamentales sur les limites éthiques de son intervention sur la vie. Enfin, l'équation recherche-technologie-emploi n'est plus aussi linéaire que les slogans simplificateurs de naguère le laissaient croire.

Si l'opinion conserve sa fascination pour les sciences, on sent sourdre le doute sur la capacité réelle de la recherche à demeurer un cœur de rationalité au sein de nos sociétés. La croyance au progrès engendré par les avancées du savoir est paradoxalement sapée par la puissance-même de la science et des techniques qui menace nos valeurs, notre mode de vie, notre environnement naturel.

Sans tomber dans un alarmisme exagéré, nous ne devons pas sous-estimer ce risque d'une négation des fondements de la culture moderne depuis les Lumières. La plus dangereuse des attitudes serait de céder au fatalisme. La communauté scientifique a, plus que d'autres, la responsabilité de ne pas se laisser aller à l'air du temps et à la tentation du désenchantement. Nous-mêmes, responsables politiques, avons une obligation de vigilance et de clarté, mais surtout d'imagination et d'audace.

Ensemble, nous devons relever le défi qu'un certain pessimisme lance au progrès.

Face à la montée de l'irrationnel, des para-sciences, voire de l'antiscience, il faut moins que jamais perdre de vue l'impérieuse nécessité de s'astreindre, comme l'a souligné le Rapport d'orientation de la Consultation, à donner des problèmes une vision qui contribue à leur intelligence. Chacun se souvient de l'appel d'Heidelberg qui avait dénoncé en 1992 « l'idéologie irrationnelle » entourant parfois le débat écologique. Au-delà de la polémique, les signataires avaient voulu mettre l'accent sur la nécessité d'appliquer une démarche réellement scientifique à l'écologie.

La seule réponse à la complexité c'est d'accélérer encore et toujours notre quête du savoir et nos capacités de recherche.

Pour écarter le fatalisme, nous devons aussi concevoir la science comme un remède aux problèmes de la société, même si elle ne doit jamais prétendre détenir toutes les solutions. La recherche scientifique et le développement technologique sont un atout pour surmonter la crise.

Il faut redoubler nos efforts pour étendre l'esprit scientifique, pour populariser la science, pour faire participer le public à ses débats. Le monde de la recherche doit donc dialoguer, expliquer, expliquer inlassablement. Celui de la politique doit tracer des perspectives claires pour montrer que les difficultés du moment, aussi graves soient-elles, ont une issue, que la crise est une phase de transition et qu'un monde meilleur reste toujours à conquérir.

Mais surtout, écarter le fatalisme suppose que la science s'adapte en profondeur aux besoins de la société par le rapprochement des acteurs, le mariage des savoirs et des cultures.

La Consultation Nationale a montré que la recherche française a su s'engager depuis dix ans dans cette voie de l'adaptation. Dans leurs démarches individuelles, chercheuses et enseignants-chercheurs sont de plus en plus soucieux de prendre en compte les demandes de la société.

Leur voix se fait de plus en plus entendre dans les débats publics, non seulement sur les questions scientifiques, mais plus largement sur nos enjeux collectifs. Sur le plan institutionnel, deux clivages traditionnels qui pénalisaient notre recherche se sont atténués sensiblement.

Le premier relève des rapports entre la recherche et l'enseignement supérieur. La formation à la recherche et par la recherche a fait beaucoup de progrès. Les organismes publics se sont investis dans la recherche universitaire. Aujourd'hui, les laboratoires du CNRS sont constitués pour moitié d'enseignants-chercheurs. Les établissements d'enseignement supérieur jouent aussi la carte de la recherche comme en témoigne, par exemple, la croissance du nombre d'ingénieurs thésards.

Un second clivage séparait jadis la recherche et l'entreprise. Il s'est estompé suite à une progression de la recherche industrielle et au recours grandissant des entreprises à la recherche publique. En dix ans, le nombre de firmes déclarant une activité de recherche organisée a été multipliée par trois. Parallèlement, les organismes publics ont mieux intégré le rapprochement avec l'entreprise dans leurs activités, ce qui se traduit par de plus nombreux contrats industriels.

Beaucoup a été fait, mais nous avons encore beaucoup à faire.

La consultation nationale permet de dresser un bilan de ce qui a été fait, elle ouvre des pistes sur ce que nous devons faire. J'ai souhaité pour cela que la communauté scientifique, l'enseignement supérieur, l'industrie, s'expriment. Malgré un calendrier probablement trop serré – mais les circonstances l'exigeaient – le débat a eu lieu et bien lieu. Nous avons écouté tous ceux qui souhaitaient parler, dialogué avec tous ceux qui souhaitaient dialoguer et nous continuerons à le faire. Les six colloques thématiques qui se sont succédés à Marseille, Grenoble, Bordeaux, Strasbourg, Le Mans et Lille ont permis d'approfondir le débat, de poser les problèmes, de susciter les solutions.

C'est la diversité des orientations proposées qui m'a particulièrement frappé. Si cette diversité a parfois pu paraître contradictoire, c'est que toutes les positions ont été exprimées librement, de celles des partisans d'une réforme radicale de notre politique de recherche jusqu'à celles des défenseurs d'un maintien absolu du dispositif actuel.

À partir de ce débat très riche, nous préparons le rapport d'orientation sur les grands objectifs de la recherche française, les mesures et les choix que je présenterai bientôt au Parlement. La Consultation ne s'achève pas avec le colloque de synthèse : dans le travail d'élaboration du rapport, je resterai attentif aux messages que vous voudrez bien m'adresser.

Je souhaite vous dire aujourd'hui les principes directeurs qui guident ma réflexion.

Parce qu'une politique de recherche se bâtit sur le moyen terme, les inflexions ne sont durables que si elles reposent sur l'acquis. Il faut savoir agir, réformer. Mais cela suppose d'adopter au préalable des objectifs clairs, conçus en étroite concertation avec ceux qui sont concernés par l'action entreprise.

Au cœur de ce processus de décision, il y a l'État, sa politique scientifique, le poids de la recherche publique. Vous me direz qu'il n'y a là rien de vraiment nouveau. Et c'est vrai à première vue, car la communauté scientifique a beaucoup entendu parler de la réaffirmation du rôle de l'État. On lui a parlé de pilotage et de programmation de la recherche, on a multiplié les modalités d'action et les champs d'intervention de la puissance publique en se prévalant de projections exagérément optimistes sur le plan budgétaire.

L'intention était certes louable. Comme tout enjeu déterminant pour la préparation de l'avenir, la promotion et la mobilisation de la recherche sont un devoir d'État. Qu'en est-il advenu des intentions manifestées au début des années 1980 ?

La Consultation Nationale a montré qu'une approche trop dirigiste et la tentation du colbertisme technologique ont tendu à enfermer la recherche dans des schémas trop rigides, contraires à la mobilité, à l'innovation, à l'efficacité, en un mot au dynamisme. Si une certaine programmation des moyens consacrés aux grands équipements, à la recherche appliquée et au transfert de technologies peut se justifier, il est en revanche illusoire de piloter la découverte en recherche fondamentale.

Dans le même temps, force a été de constater qu'il était inéluctable de revenir à une situation plus conforme au ressources réellement disponibles. Il fallut en venir tôt ou tard à faire des choix, alors qu'on avait trop longtemps cru pouvoir tout faire ; des choix d'autant plus difficiles qu'une politique de recherche se gère dans la continuité et l'équilibre. Alors, ce sont les aléas politiques et les budgets qui ont imposé progressivement leurs choix, au détriment de la cohérence.

On a fini par être contraint de faire les choix de ses moyens au lieu de dégager les moyens de ses choix. Il en est résulté une cécité croissante des décideurs, précisément lorsque la planification initiale a dû être abandonnée et quand une vision stratégique nouvelle s'imposait.

Que l'on me comprenne. Ce qui est en cause n'est nullement la légitimité de l'État à exercer un rôle structurant dans le domaine de la recherche, mais bien les modalités de son action. Une leçon forte de la Consultation Nationale, c'est la nécessité d'adapter le rôle de la puissance publique aux nouvelles données de la science et de la société.

L'État doit se réinvestir dans la recherche, mais se réinvestir différemment.

Un État soucieux de la dimension collective du travail scientifique mais aussi de l'indispensable autonomie des acteurs de la recherche. Un Etat qui tiendra mieux compte de la place centrale des laboratoires et des équipes de recherche. Un État qui déléguera davantage pour favoriser l'initiative et stimuler les coopérations, sans pour autant abandonner son pouvoir d'orientation. Mais surtout, un État retrouvant ce qui doit être sa mission prioritaire, à savoir fournir à la communauté nationale les moyens d'élaborer une vision stratégique en matière de recherche.

Cela passe d'abord par le maintien et l'accroissement de l'effort consenti par l'État au financement de la recherche publique afin de garantir l'équité dans la production des connaissances et dans l'accès au savoir. L'équité veut dire que chacun, quel que soit sa discipline ou son champ scientifique doit se voir assuré une chance d'accéder à l'excellence. Aux États-Unis et plus généralement dans les sociétés d'inspiration anglo-saxonne, cette mission est plus volontiers dévolue à la philanthropie, au bon vouloir des mécènes et autres fondations. En France ce rôle revient à la nation, sans pour autant nier ou contredire l'apport complémentaire d'autres ressources.

Dans le domaine de la recherche, l'idée de République doit également prendre tout son sens.

L'État est le garant d'une recherche équilibrée assurant un vrai potentiel d'excellence à long terme. En ces périodes où risques et difficultés s'accumulent, où domine la volonté légitime de rendre plus efficace l'effort de la nation, l'État doit veiller à ce que l'octroi des fonds publics ne suive pas des critères trop tranchés entre recherche fondamentale et recherche finalisée, entre recherche académique et recherche industrielle, entre certains domaines scientifiques et d'autres. S'il faut souligner l'utilité de la recherche pour le progrès économique et social en mettant l'accent sur le transfert de ses résultats, il ne faut pas perdre de vue la nécessité d'un soutien résolu à des recherches jugées peu rentables selon les critères du moment.

Une fois ces principes posés, des orientations claires n'en doivent pas moins être dégagées, validées et régulièrement réévaluées.

Dans nos sociétés où les repères sont remis en cause, il est plus que jamais nécessaire de tracer les contours d'un dessein collectif pour ne pas perdre la maîtrise de l'avenir. Le public a besoin de savoir dans quelle direction la science tire le progrès, de connaître les risques qui peuvent en être induits, comment elle compte répondre à ses attentes.

Les objets les plus complexes de la science – je pense à la biologie, à la climatologie, au matériau ou encore au génie des procédés – sont désormais hors de portée d'une seule discipline. Ils supposent de fédérer les compétences dans la multidisciplinarité.

Pour toutes ces raisons, nous devons retrouver une vision stratégique du devenir de la recherche nationale. Après l'équité dans l'accès à l'excellence, c'est la seconde responsabilité qui incombe aux pouvoirs publics. C'est cette mission là que l'État doit réinvestir avec volontarisme au lieu de chercher à trop piloter, à trop diriger.

Pour y parvenir, la structure particulière de la recherche française, avec ses organismes publics, est un gage d'excellence et de disponibilité. Loin d'être un frein, cela me semble un atout décisif pourvu que nous sachions nous donner les moyens de dépasser corporatismes et intérêts catégoriels. Il faut associer toutes les parties prenantes au progrès scientifique, à la validation de grands choix collectifs engageant la recherche française sur le moyen et le long terme.

Pour se réapproprier cette mission, l'État doit remplir trois fonctions essentielles : éclairer les enjeux, décider d'une stratégie, enfin, participer à sa mise en œuvre.

Éclairer les enjeux, c'est nous donner les moyens de cette maïeutique éminemment stratégique : celle de la politique scientifique du pays. C'est organiser une réflexion permanente en amont sur les choix de la recherche nationale, en croisant les approches et les objectifs des acteurs comme des utilisateurs de la science. C'est aussi faciliter les arbitrages nécessaire pour identifier une stratégie claire, étroitement concertée et, si possible consensuelle car il s'agit de fédérer les dynamismes et les compétences.

Lorsque je parle ici de l'État comme organisateur de cette réflexion, il ne s'agit pas du seul ministère dont j'ai la charge mais bien de l'ensemble de l'Administration. Le Budget civil de recherche-développement prend ainsi tout son sens, car la stratégie de recherche doit être élaborée eu cohérence avec les politiques sectorielles menées par l'État comme la santé publique, l'environnement, les transports et télécommunications ou encore l'énergie et l'agriculture.

Le temps est venu de mettre en place rapidement le dispositif de réflexion stratégique qui nous fait défaut. Puissant, permanent et impliquant les divers secteurs d'activité comme l'ensemble du BCRD, il devra s'appuyer sur un effort renouvelé de prospective scientifique et de veille technologique. Le rapport que je présenterai au Parlement en précisera les fonctions et les modalités.

Le Gouvernement disposera ainsi à tout moment des éléments objectifs qui lui permettront de prendre ses responsabilités, en explicitant les choix et les inflexions à moyen et long terme de la politique de recherche et de développement technologique. Ainsi déterminées, nos grandes options stratégiques pourront être évaluées, le cas échéant modifiées et enfin régulièrement débattues devant le Parlement lors de la présentation du budget comme à l'occasion de débats d'orientation.

Enfin, – c'est la troisième fonction de l'État que je soulignais tout à l'heure – les pouvoirs publics doivent participer à la mise en œuvre des orientations stratégiques de notre recherche : parce que l'État est un acteur direct de la recherche et doit le demeurer, parce qu'il a une tâche de régulation et d'incitation pour façonner les conditions favorables au développement de la recherche scientifique et technique.

J'illustrerai ces propos en choisissant quatre domaines essentiels de l'action publique qui conditionnent la mise en œuvre des orientations stratégiques que nous nous donnerons. Il s'agit de la recherche publique, de l'aménagement du territoire, du lien entre recherche et entreprise, et enfin des carrières.

Au cours des six colloques thématiques de la Consultation Nationale, on a beaucoup parlé de la recherche publique. J'ai dit combien la visibilité et la réputation de nos organismes, les uns à vocation large et fondamentale, les autres à vocation plus spécifique, représentaient un atout pour la recherche française. J'ai dit aussi combien ils ont su s'adapter à une recherche plus compétitive par la valorisation des résultats, par une imbrication plus forte avec l'Université et avec l'entreprise, par une meilleure diffusion de la culture scientifique.

Il faut renforcer la démarche engagée dans deux directions prioritaires.

D'abord promouvoir un lien plus fort entre les organismes, l'enseignement supérieur et la recherche universitaire en créant enfin les conditions d'une mobilité réellement fructueuse. J'y reviendrai. Ensuite, en établissant des réseaux efficaces de coopération entre la recherche publique et l'entreprise. C'est un impératif pour la compétitivité et l'innovation, l'inertie des grands programmes comme le poids des institutions ayant freiné l'extension des coopérations.

Mais surtout, la recherche publique doit être à l'avant-garde de la stratégie scientifique de la nation. La disponibilité des organismes publics est à cet égard un avantage à condition que nous sachions fédérer ce potentiel autour des grandes options choisies grâce à une concertation inter-organismes efficace et une prévision souple de leur évolution.

Ces objectifs passent par la contractualisation entre l'État et les différents acteurs impliqués dans l'effort national de recherche afin de définir, en partenariat, la place de chacun dans la stratégie d'ensemble. L'élaboration et la conclusion des contrats doivent être l'occasion pour l'État de mieux préciser ses priorités stratégiques. Assurant au niveau national la cohérence et la coordination de nos choix scientifiques majeurs, la politique contractuelle sera aussi l'occasion de mieux affirmer les spécificités de chaque organisme qui pourront y intégrer leur propre stratégie comme leur plan à moyen terme. Elle vise à une responsabilisation accrue, notamment par une plus grande autonomie de gestion des établissements.

L'État doit déléguer sans perdre son pouvoir d'orientation.

La contractualisation apporte une assurance de continuité et de stabilité, notamment sur le plan financier, qui est le fondement même de la qualité. La pratique budgétaire de ces dernières années frisait l'irresponsabilité, avec une croissance incontrôlée des autorisations de programme menant tout droit l'État à la cessation de paiement. Pour repartir, il fallait assainir. C'est ce que j'ai fait dès le budget 1994 en privilégiant les crédits de paiement au sein d'une enveloppe dont la croissance est de 2,6 % supérieure à celle du budget de l'État. Dès lors, nous pouvons engager la contractualisation en faisant jouer aux autorisations de programme leur juste rôle.

Conjuguée au renforcement de la capacité stratégique, l'ampleur nouvelle donnée à la contractualisation doit permettre de simplifier la tutelle de l'Etat, tout en coordonnant mieux la recherche publique pour améliorer la production scientifique et Je poids de nos organismes sur la scène internationale.

L'aménagement du territoire, que le Gouvernement a décidé de relancer pour favoriser les conditions du développement local, aura été l'objet de débats parfois vifs. Certaines inquiétudes se sont exprimées lors de la Consultation Nationale. Deux interrogations fortes sont apparues pour le monde de la recherche ; deux interrogations qui touchent au cœur de la fonction de régulation et d'incitation des pouvoirs publics. Il convient d'y répondre sans détour.

La première concerne la nature des rapports que peuvent entretenir recherche de haut niveau et développement local. On a cru un peu vite qu'il fallait désormais procéder à une délocalisation de nos laboratoires et de notre potentiel de recherche au détriment des pôles d'excellence. Bien sûr l'État a pour mission de promouvoir l'équilibre entre régions favorisées et régions moins favorisées. Mais dans le domaine de la recherche comme dans d'autres, les délocalisations ne doivent pas nuire à l'excellence en servant d'alibi à l'absence d'une réelle politique d'aménagement.

Les activités de recherche ne sont pas un service public de proximité. L'exigence de l'excellence pour la science française commande une politique sélective de regroupement par pôles de compétences, une proximité étroite avec certains centres industriels et universitaires judicieusement combinée à d'autres actions de développement local. La localisation de laboratoires en province peut jouer un rôle d'aménagement du territoire, mais il suppose le concours de la communauté scientifique et ne saurait se faire sans elle. La compétitivité de notre recherche est à ce prix.

Les débats sur l'aménagement du territoire ont par ailleurs clairement confirmé qu'il convenait de distinguer d'une part les activités de recherche à proprement parler et, d'autre part, les activités liées à la diffusion de la science et de la technologie.

Les premières supposent l'articulation de centres d'excellence. En revanche, les secondes doivent contribuer à la rapidité de circulation des connaissances, gage de qualité pour l'innovation dans les PME-PMI et condition de sa mise en œuvre. Dès lors qu'elle ne passe pas forcément par un lien organique avec la recherche, la diffusion technologique est destinée à jouer un rôle direct dans le développement local. Elle doit faire l'objet d'un maillage dense sur le territoire dans un dispositif adapté aux conditions locales comme aux besoins de l'emploi, à condition que les centres de ressources localisés soient soigneusement et régulièrement expertisés.

Au-delà des rapports qu'entretiennent recherche et développement local, la seconde question soulignée par les débats sur l'aménagement du territoire est celle de la répartition des compétences entre l'État, les Régions mais aussi l'échelon communautaire et, au-delà, international de la recherche.

Il peut paraître à première vue surprenant d'évoquer la dimension internationale de la recherche en pariant d'aménagement du territoire. Et pourtant, si l'on examine cette question sous l'angle du rôle de l'État, c'est bien l'éternel problème de la subsidiarité qui est posé : subsidiarité dans l'aménagement du territoire national mais aussi, si je puis dire, subsidiarité dans l'aménagement du territoire communautaire.

La tâche ardue de définir cette notion de subsidiarité relève par excellence de la responsabilité de l'État. Certains estiment qu'il s'agit d'une gageure. Plutôt que d'une définition juridique, la subsidiarité relève d'une pratique, éclairée par l'idée que l'on se fait de la place de l'État dans la nation et de la nation dans la construction européenne.

Quelles leçons en tirer dans le domaine de la recherche ?

Sur le plan national, je reprendrai le fil conducteur de mes propos depuis le début de cette intervention : concentration de l'État sur la définition concertée d'une stratégie forte, déconcentration au niveau des acteurs de la recherche et contractualisation, participation de l'État à la mise en œuvre des orientations stratégiques choisies, notamment par la mobilisation de la recherche publique.

Sur le plan communautaire, il me semble qu'il n'y a pas d'autre solution que de considérer la recherche de base comme un domaine ne pouvant pas a priori se prêter à un transfert de compétences à l'échelon de l'Union Européenne. La France ne saurait se dessaisir d'un élément aussi déterminant pour la maîtrise de son avenir. C'est seulement une fois ce postulat admis qu'une stratégie de recherche propre à notre pays prend toute sa signification, car elle devient alors compatible avec la construction d'une Europe de la recherche. Elle lui est même indispensable.

C'est en assumant une certaine autonomie et en choisissant une stratégie propre, que nous pèserons le mieux sur l'orientation des programmes communautaires. C'est en intégrant pleinement la dimension internationale dans cette réflexion stratégique en amont que nous pourrons décider en toute lucidité comment et pourquoi la conduite de telle activité de recherche ou la réalisation de tel équipement lourd peut relever d'intérêts scientifiques communs, d'un partage des coûts de financement ou d'un complément aux budgets nationaux.

N'y voyez pas une conception rétrograde de l'Europe, mais un réalisme raisonné, sans lequel la construction européenne en matière de recherche risquerait de sombrer dans d'inextricables procédures technocratiques. L'adoption du programme cadre de recherche communautaire et la gestion des appels d'offre sont déjà exceptionnellement lourdes et complexes. Si nous ne réagissons pas, c'est la légitimité même d'une ambition aussi noble qui serait à terme compromise aux yeux des chercheurs comme des entreprises.

Au-delà des aspects communautaires, l'État doit conduire les négociations multilatérales consécutives à la mondialisation croissante de la recherche dans les disciplines exigeant de très grands équipements. Du fait des mécanismes de coopération qu'ils supposent, de leur poids budgétaire ou des problèmes de prospective et d'évaluation, nous devons être particulièrement vigilants à la position, au rang de la science française et européenne au sein de ces programmes multilatéraux.

Enfin, il ne faut jamais oublier les défis liés aux grands déséquilibres mondiaux car les questions touchant à l'avenir des relations Nord-Sud représentent pour la France un enjeu majeur pour les années à venir.

Alors même que la faillite des modèles de développement plonge certains de nos partenaires – notamment africains – dans une précarité extrême, un désintérêt croissant des problèmes du tiers-monde risque de se faire jour dans nos sociétés. Si nous voyons être à la hauteur de l'ambition d'universalité qui anime le message de la France dans le monde, l'État doit maintenir une recherche sur le développement puissante et recentrée sur les grands défis que sont la santé, l'approvisionnement des concentrations humaines, la présentation des ressources naturelles. Une recherche sur le développement rénovée qui ne soit le monopole d'aucun corporatisme, qui tisse de nouvelles formes de coopération avec les chercheurs du sud, une recherche mieux insérée dans les réseaux multilatéraux et plus diversifiée par rapport à son champ d'action traditionnel.

En abordant à présent le rôle de l'État dans les rapports entre recherche et industrie, vous ne serez pas surpris d'entendre une fois de plus le ministre déplorer l'insuffisance des capacités de recherche des entreprises françaises par rapport à nos principaux concurrents.

Certes, le constat n'est pas original. Encore faut-il en expliquer les raisons, identifier les rigidités, comprendre les facteurs nouveaux influant sur les rapports qu'entretiennent recherche et entreprise, science, technologie et industrie. Deux colloques très denses de la Consultation Nationale ont abordé ce sujet difficile et apporté de précieux éclairages.

Ayons recours, si vous le voulez bien, à quelques notions simples mais, à mon sens essentielles.

Face à une concurrence internationale exacerbée, nos entreprises, quelle que soit leur taille ou leur activité, ont à renforcer leur compétitivité afin que la France puisse maintenir son niveau de vie et retrouver une capacité d'emploi acceptable. La quête de la compétitivité est devenue un impératif permanent. La recherche, l'innovation et la maîtrise des technologies sont pour l'entreprise, la clé de la compétitivité, du développement, de leur survie. Nos industriels doivent faire des efforts plus importants pour la recherche. Encore trop peu de firmes l'ont placée au cœur de leur stratégie de développement. Bien qu'il ne se limite pas aux seuls aspects de la recherche, le processus d'innovation est fortement dépendant de la capacité des entreprises à intégrer les technologies diffusantes dans leurs procédés et leurs produits et à en créer de nouvelles.

Cela requiert une diffusion des résultats de la recherche et la capacité des hommes et des femmes d'entreprise à se les approprier. Cette dernière est avant tout affaire de formation, d'où l'importance d'une approche cohérente entre une politique de la recherche et une politique de l'enseignement supérieur au sein d'un même département ministériel.

Parce qu'il s'agit de compétitivité économique et donc de répondre aux attentes de la demande, les notions de marché et d'innovation sont inséparables. Ceci souligne une distinction importante entre recherche fondamentale d'une part et recherche industrielle ou appliquée d'autre part.

Pour l'entrepreneur, le maître mot de la recherche appliquée est bien l'innovation, un concept différent de celui de découverte. Il prend en considération les conséquences économiques, sociales et commerciales de la réalisation d'un nouveau procédé ou d'un nouveau produit. Nul n'est mieux placé que l'entreprise elle-même pour en juger. Pour innover efficacement il faut accepter le jeu de la concurrence, vivre dans un environnement industriel et commercial, s'insérer dans la chaîne qui va des matières premières au client final.

Dans les discours officiels, on a été trop tenté de faire l'amalgame entre la genèse d'une innovation industrielle et celle d'une découverte scientifique. La seconde relève de la progression des connaissances à proprement parler, alors que la première a trait au développement en amont ou même au développement tout court. La seconde est la grande affaire de la recherche publique, alors que la première est d'abord celle de l'entreprise et de l'industrie.

L'amont n'a pu à diriger l'aval et inversement un pilotage par l'aval de la recherche scientifique serait une erreur. Respectons donc les différences de part et d'autre : pour la recherche fondamentale la liberté d'explorer ; pour la recherche industrielle la logique du marché.

Renforcer la recherche en entreprise suppose de favoriser en priorité la demande de technologies et de procédés innovants alors que la recherche fondamentale, la recherche publique sont par nature les protagonistes d'une action par l'offre : postes de chercheurs, investissements en équipements scientifiques, crédits pour les établissements de recherche. C'est, notamment, cette approche par la demande qui explique l'avantage comparatif d'autres pays dans ce domaine. En France, les mécanismes de promotion du développement technologique sont moins orientés vers la satisfaction de la demande, notamment des PME-PMI, que vers l'écoute des professionnels de la recherche/développement.

Bien sûr, les organismes publics s'investissent aussi dans la recherche finalisée et certains industriels ont besoin de faire appel au potentiel des grands laboratoires.

Il existe déjà de nombreuses passerelles et coopérations entre ces deux mondes. C'est le cas en agronomie où la recherche publique a su allier recherche fondamentale et finalisation dans un dialogue permanent avec le secteur agro-alimentaire. C'est également le cas pour les grands programmes sectoriels impliquant un partenariat fort entre la recherche publique et les plus importants groupes industriels, comme dans le nucléaire ou les biotechnologies. Nous devons là aussi instaurer un dialogue stratégique entre l'industrie et les organismes de recherche publique sur le choix de nouveaux programmes transversaux et la co-programmation d'objectifs, en tenant compte de paramètres socio-économiques ainsi que des retombées que le public est en droit d'attendre.

La compétitivité du pays dans les prochaines années dépendra aussi de notre capacité à favoriser les partenariats technologiques entre les compétences de la recherche publique et celles de la recherche industrielle. Les firmes de dimension internationale iront s'installer là où le partenariat public-privé apportera la plus forte valeur ajoutée.

Mais la priorité de l'État dans sa fonction régulatrice et d'incitation en matière de recherche industrielle relève d'une analyse en termes de besoins des PME-PMI ou des secteurs à intensité technologique moyenne, là où notre retard doit être rattrapé. Dans ce domaine, il n'y a plus de modèle unique : les solutions qui font leur preuve sont adaptées au cas par cas selon les régions, la taille des entreprises, les secteurs concernés. Si l'on accepte de privilégier le raisonnement par la demande des entreprises et non plus seulement par l'offre, deux besoins apparaissent comme insuffisamment satisfaits.

Le développement et la recherche industrielle appliquée se heurtent à un problème de financement.

Lorsque la mise au point d'une maquette de laboratoire coûte 1, celle d'un élément probatoire coûte 10, le développement et l'industrialisation peuvent aller de 100 à 1 000. La France a relativement bien réglé le financement des maquettes de laboratoire, un peu moins bien celui des éléments probatoires et pratiquement pas celui du développement. Or, c'est précisément à ce dernier stade que se situe l'essentiel des besoins. L'ANVAR fait un bon travail sur le terrain. Mais pour mobiliser une enveloppe au-delà de cinq millions de francs sur un projet de recherche, il faut soit avoir la taille d'un groupe industriel capable de puiser dans sa marge brute d'exploitation, soit entrer dans un grand programme national.

Le capital-risque s'est peu développé en France faute de disposer d'un marché solvable où se revendraient les participations ; l'échec du second marché de la bourse est à cet égard un handicap. De même n'avons-nous pas suffisamment développé les sociétés de recherche sous contrat qui ont l'avantage de travailler sur des sujets précis, commandités par le payeur qui est l'entreprise demandeuse.

Aidons les entreprises à surmonter l'obstacle du coût de passage entre résultats de la recherche et développement de produits nouveaux. Étudions la mise au point de mécanismes adéquats allant des contrats de recherche jusqu'aux démonstrations, en finançant les différentes étapes du développement. L'État doit s'efforcer de réunir les conditions favorables à ce type de mécanisme en influant sur le marché des capitaux pour faciliter le financement de l'innovation. Il convient enfin de mieux jouer sur l'effet de levier des interventions publiques par l'expertise technique et l'octroi de garanties bancaires en aval pour le lancement industriel et le développement de projets de recherche ayant réussi.

Au-delà des aspects financiers, une seconde demande clé des entreprises porte sur les compétences disponibles : les réseaux et les hommes.

J'ai évoqué la nécessité d'un maillage des centres de ressources liés aux formations technologiques du supérieur pour améliorer l'accessibilité aux réseaux et au potentiel de recherche publique, pour dynamiser les sciences technologiques et multiplier les opérations de consultance. Il s'agit de mieux connecter à la demande l'effort de transfert des organismes de recherche en bousculant les habitudes, mais en respectant le jeu de la concurrence.

Développer les compétences pour l'entreprise signifie aussi un effort renouvelé de l'État en faveur des enseignements supérieurs technologiques.

Il n'y a pas de meilleur soutien à une entreprise que de lui permettre de recruter un jeune diplômé au fait des derniers progrès scientifiques et techniques. Les entreprises doivent investir plus dans les hommes formés par la recherche car ces formations assurent une fonction majeure dans le développement industriel : je les reconnais comme un maillon essentiel de l'enseignement supérieur français. C'est en promouvant les sciences de l'ingénieur, en rénovant les filières technologiques universitaires, bref en jouant la carte de la formation par la recherche que nous avancerons dans la bonne direction.

En fin de compte, l'essentiel de l'innovation ne vient-il pas de la confrontation d'idées issues de secteurs et d'expériences différents ? Il n'y a de transfert véritablement efficace des connaissances et des savoir-faire entre recherche et entreprise que par la mobilité des hommes.

Je ne voulais pas m'adresser à vous aujourd'hui sans aborder pour conclure les métiers de la recherche, la mobilité et les questions statutaires que cela implique.

Je suis convaincu que pour réussir le repositionnement de l'État en matière de recherche, la définition concertée d'une stratégie, le renforcement de la recherche publique, l'aménagement réfléchi du territoire et la relance de l'innovation industrielle, il faut préserver et valoriser les métiers de la recherche. Rien ne se fera sans la motivation et l'adhésion des hommes : nous réaliserons nos ambitions avec les chercheurs et enseignants universitaires ou nous ne les réaliserons pas.

La nécessité d'une mobilité accrue des acteurs de la recherche est aujourd'hui largement reconnue, ainsi que l'a mis en évidence la Consultation Nationale. La communauté scientifique est soucieuse de son interaction avec l'évolution sociale, avec l'enseignement, avec la jeunesse. Symétriquement, la quête du savoir, la rigueur scientifique et les capacités d'expertise qui caractérisent la fonction de chercheur doivent plus que jamais profiter à l'ensemble de la société. Il y a là une mission de service public au sens fort du terme que l'État est en droit d'attendre de chacun.

Nous pouvons beaucoup améliorer la situation sans mettre en cause les métiers, sans affaiblir le potentiel de recherche, sans déstabiliser les organismes. À condition toutefois de se départir résolument de pratiques qui prévalent encore. Il fallait prôner la diversification des carrières. Il n'en a rien été : la rigidité l'a emporté.

L'enseignement supérieur français est fondé sur un lien étroit avec la recherche et il faut permettre la pleine participation des enseignants-chercheurs à la recherche de haut niveau. Si les chercheurs ont raison de défendre l'exercice à plein temps des fonctions de recherche, pourquoi le revendiquer pour la totalité de la carrière de chacun ? Au contraire, la plupart d'entre eux souhaitent une diversification de leur vie professionnelle par l'expérience enrichissante de passages à l'Université, en entreprise ou encore par des séjours à l'étranger.

Mais voilà : il y a les obstacles administratifs, il y a le risque que cela s'avère en fin de compte pénalisant pour l'avancement.

Nous devons écarter les entraves administratives à la mobilité. L'objectif doit être d'offrir rapidement à chacun le choix d'une carrière plurifonctionnelle en ouvrant à tous la possibilité d'une alternance des tâches entre la recherche au sein d'un organisme ou d'une université, la formation dans un établissement d'enseignement supérieur, l'innovation en entreprise et l'international. Pour y parvenir, des procédures simples doivent être mises en place, compatibles avec le statut de la fonction publique. Je souhaite que la mobilité trouve une application crédible au sein de l'actuel dispositif statutaire.

À condition de respecter certains principes : la mobilité fonctionnelle doit être volontaire, valorisante et soumise à une évaluation rigoureuse.

Je n'insisterai que sur les deux derniers points tant il me paraît inconcevable de recourir à la contrainte, au risque de contredire la motivation individuelle qui sous-tend la vraie mobilité. Il faut en revanche reconnaître à sa juste mesure et récompenser le choix de ceux et de celles qui optent pour un profil plurifonctionnel. Rien de tout cela ne sera possible si nous ne nous engageons pas fermement dans la modernisation du système d'évaluation qui détermine la progression des carrières.

La mobilité doit avoir des retombées positives en termes d'avancement. Il est évidemment hors de question d'obliger tout le monde à aller dans l'industrie ou à l'université. Mais nous ne pouvons plus accepter une évaluation tenant insuffisamment compte de critères non-académiques. Il faut les adapter à la variété des carrières, aux flux croisés des métiers, à l'interaction entre les différentes finalités de la recherche.

Mais une mobilité volontaire, valorisante et rigoureusement évaluée doit s'accompagner d'une poursuite de nos efforts de recrutement. Le renouvellement des générations étant déterminant pour la transmission du savoir et du savoir-faire. Nous abordons une période d'intense rajeunissement notamment liée à un plus grand nombre de départs à la retraite. Le maintien de notre potentiel de recherche dépend de la capacité de l'État à éviter les à-coups en assurant un flux suffisant, non seulement de jeunes docteurs, mais aussi d'ingénieurs, de techniciens et de personnel administratif dont l'importance au sein des laboratoires est reconnu par tous.

Mesdames et Messieurs,

Cela fait un an, presque jour pour jour, que je suis ministre en charge de la recherche. Lorsque j'ai pris mes fonctions, je me suis laissé dire que les chercheurs attendaient du Ministre qu'il leur trouve des moyens et que pour le reste, il fallait laisser faire. Disons que cette conception n'est pas tout à fait la mienne.

L'air du temps veut que l'on glose à satiété sur la soi-disant rigidité de notre société, sur ses blocages, sur nos conservatismes. Vous tous, acteurs de la recherche française, démontrez par votre travail quotidien combien la science est source d'un bouleversement permanent de nos habitudes, de nos conformismes, de nos égoïsmes.

La recherche montre qu'il faut avoir le courage de son ambition et l'ambition du courage. Se focaliser sur nos rigidités, c'est céder à la tentation du renoncement politique. Dépassons donc antagonismes et querelles partisanes, car nous avons à gérer collectivement la logique de l'imprévisible dont dépend l'avenir de notre pays.