Interview de M. Michel Giraud, ministre du travail de l'emploi et de la formation professionnelle, à France-Inter le 27 avril 1994, sur le projet de loi sur la participation des salariés et l'idée d'un observatoire permettant de relier l'intéressement et l'emploi par l'aménagement du temps de travail.

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Circonstance : Présentation en Conseil des ministres du projet de loi sur l'amélioration du statut des salariés par la participation le 9 février 1994

Média : France Inter

Texte intégral

A. Ardisson : Quelle était l'urgence du projet loi sur la participation ? A priori, c'est un projet qui concerne les gens qui ont un emploi…

M. Giraud : L'esprit dans l'entreprise, le partenariat, la responsabilité, c'est une donnée importante de la vie des entreprises et c'est une composante de la politique de l'emploi en général. Et dans ce projet de loi, il y a trois idées fortes. La première idée, c'est celle d'un lien étroit entre la participation financière et la participation aux organes de gestion. Et c'est là que se situe l'exercice approfondi de la responsabilité. La deuxième idée, c'est l'assouplissement de la participation financière, clarifiée, simplifiée, pour permettre aux PME-PMI de développer davantage la participation. Et pour ce faire, l'État est prêt à les aider. Et puis la troisième idée, c'est la création d'un compte épargne-temps. C'est la possibilité pour un salarié de transformer les fruits de la participation et de l'intéressement en temps disponible, choisi.

A. Ardisson : C'est-à-dire qu'il reconverti ses primes de participation, voire son treizième mois, en temps libre ?

M. Giraud : Tout à fait, Primes de participation, treizième mois, une partie des congés annuels, de telle façon que le salarié puisse disposer à son gré d'un temps libre qui devient un temps libre indemnisé, un temps libre de six mois minimums qui permet d'avoir un effet emploi. Car à partir du moment où on a des plages qui s'ouvrent cela ne peut que favoriser l'emploi. Et ce temps libre, le salarié en fait soit un congé sabbatique, un congé parental, un congé de fin de carrière. Bref, c'est une loi de responsabilité et de souplesse.

A. Ardisson : Mais, cet aspect de la loi aurait pu être très bien dans un projet de loi sur l'aménagement du temps du travail ? Ce n'est pas directement lié à la participation…

M. Giraud : Si, dans la mesure où il s'agit de transformer les fruits financiers de la participation en indemnisation de ce temps libre. C'est tout à fait dans ce texte que ce volet à sa place.

A. Ardisson : Il y a quand même une crainte qui est exprimée par J. P. Delalande qui est un député RPR. Le risque est qu'il y ait une collusion entre salariés et patrons pour faire de la productivité une machine au détriment de l'embauche.

M. Giraud : La critique mérite attention et d'ailleurs, c'est ce qui se passe. Ceci étant, ne confondons pas la collusion avec la responsabilité. La responsabilité, c'est le contraire de la collusion. En 1990, le gouvernement socialiste a mis un frein au développement de la participation à un moment où la conjoncture s'inversait. Grave erreur. C'était précisément à ce moment-là qu'il fallait poursuivre sur la lancée qui s'était développée notamment depuis 1986. Deuxième chose que je tiens à dire, c'est que la Commission des affaires sociale a proposé qu'il y ait un observatoire. J'étais un peu réservé. Je me suis dit finalement que c'était une bonne idée, d'abord pour voir comment on peut conjuguer l'intéressement et l'emploi. Et c'est la question que pose J. P. Delalande. Le compte épargne-temps est une première réponse. Je crois qu'on peut peut-être aller plus loin. Il faut y réfléchir et l'observatoire permettra de voir comment on peut développer l'élargissement du temps au bénéfice de l'emploi et grâce à la participation.

A. Ardisson : Il y a une autre polémique au sein de la majorité autour de l'obligation ou non de placer des salariés dans les conseils d'administration des sociétés privatisées. C'est réglé ça ?

M. Giraud : L'affaire est parfaitement réglée puisque l'accord a été fait. Il ne faut pas manquer l'opportunité des privatisées. Ce qui veut dire que les sociétés publiques qui vont être privatisées ont le choix entre société à conseil l'administration et société à conseil de surveillance, mais en tout état de cause, obligatoirement un actionnaire salarié. En plus, dans un conseil de moins de 15 membres, deux salariés supplémentaires, et dans un conseil de plus de 15 membres, trois salariés. C'est-à-dire, à coup sûr, 20 % de représentants des salariés dans tous les conseils des privatisées. C'est une excellente modalité pour développer la participation.

A. Ardisson : Quatre points de plus pour E. Balladur. Vu la composition du sondage, on se dit que c'est le retrait du CIP qui lui fait gagner quatre points. Qu'est-ce que vous en concluez ?

M. Giraud : J'en conclus que c'est la sagesse du Premier ministre qui n'entend pas passer en force, qui privilégie le dialogue social, qui estime, et je l'estime avec lui, que tout doit passer par l'échange et la compréhension entre les hommes, notamment dans l'entreprise et a fortiori dans la société française. C'est ça qui lui vaut la confiance des Français.

A. Ardisson : Jusqu'à quel point acceptez-vous l'amaigrissement de la région Île-de-France ? Que pensez-vous de la suggestion de C. Pasqua qui veut faire déménager les administrations techniques et ne garder que les administrations dites de souveraineté ?

M. Giraud : Ne simplifions pas tout. On ne veut pas mettre toute l'administration française en province pour vider la région Île-de-France. Quand C. Pasqua développe une démarche d'équilibre, de solidarité entre toutes les composantes de la France pour qu'il y ait à la fois moins de quartiers surpeuplés, difficiles à vivre, et moins de zones rurales en voie de désertification, il a tout à fait raison. Cela passe par de meilleurs équilibres, une meilleure solidarité et un effort de contribution de la région d'Île-de-France. Elle le fait et elle continuera de le faire.

A. Ardisson : Vous n'avez pas peur de vous faire plumer ?

M. Giraud : Non. On n'est pas Francilien sans être Français. J'ai suffisamment dit qu'on ne pensait pas à l'avenir des Franciliens sans penser à l'avenir des Français pour me réjouir que l'on pense à l'avenir des deux en même temps.