Interviews de M. Jacques Barrot, vice-président du groupe parlementaire UDF à l'Assemblée nationale, à France-Inter le 28 juin 1994 et à RTL le 19 août, sur les élections primaires, la croissance économique, l'amendement relatif au contrôle parlementaire sur les dépenses de santé, et l'arrestation de Carlos.

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Média : France Inter - RTL

Texte intégral

France Inter : mardi 28 juin 1994

A. Ardisson : Que pensez-vous de l'idée de primaires, au sein de la majorité, pour aboutir à une candidature unique ?

J. Barrot : Les primaires, dans la mesure où cela permettrait d'assurer, dès le début, une candidature de rassemblement, ça ne peut pas ne pas être attractif. Mais il faut bien se rendre compte des difficultés. D'abord, c'est déjà bien tard. Les primaires qui avaient été imaginé l'étaient sur une période assez longue, pour permettre la décantation des choses. Et puis elles nous renvoient une structure différente de la vie politique française, avec deux grands partis au sein desquels ont lieu les primaires. Donc, c'est difficile à mettre en œuvre, j'ajoute qu'il ne faut pas se dissimuler qu'il n'y a pas de recette miracle pour arriver à une candidature unique de rassemblement. Ce serait mieux de l'avoir au premier tour. Cela étant, c'est plus une question de volonté, d'éthique des différents hommes politiques, des candidats qui, à un moment donné, acceptent de s'effacer devant celui qui est le mieux placé pour porter un projet fort pour la France. Tout en reconnaissant que les primaires pourraient être utiles, je ne suis pas bien sûr qu'elles puissent avoir lieu. Il faut que les Français s'enlèvent de l'idée qu'il y a une recette miracle en ce domaine. Se rassembler, c'est d'abord œuvre de volonté, et de projet.

A. Ardisson : Comment vont les centristes, après la prestation d'E. Balladur, hier soir, sur Antenne 2 ?

J. Barrot : Ça nous change du registre des dernières semaines. On a eu un Premier ministre qui nous explique ce qu'il fait pour la France. Ça me va bien.

A. Ardisson : Le Premier ministre a posé le dilemme des salaires et des charges. Lui tranche pour l'emploi, c'est à dire diminuer les charges, et pas les impôts. Qu'en pensez-vous ?

J. Barrot : C'est très simple. Le coût du travail, aujourd'hui, notamment pour des emplois moins qualifiés, est dissuasif de l'embauche, parce qu'il y a des entreprises. Je rappelle que, là où on donne 100 francs à un salarié, en France, il arrive que l'on donne 70 francs de charge. C'est trop, et ça dissuade l'embauche. C'est là-dessus et principalement là-dessus qu'il faut agir. Le gouvernement a commencé. Le Premier ministre a dit hier qu'il fallait franchir une deuxième étape, en diminuant, notamment les cotisations familiales que paie l'entreprise pour les transférer sur la CSG, sur les ressources du budget.

A. Ardisson : Mais trop charger les impôts, ça dissuade de travailler, aussi.

J. Barrot : Certes, mais pour le moment, qui n'a pas dans sa famille un chômeur, ou un chômeur potentiel ? Et je crois, aujourd'hui, que c'est plus la peur de l'avenir qui paralyse la consommation qu'autre chose.

A. Ardisson : Mais ça fait partie des promesses du gouvernement.

J. Barrot : Les promesses, elles ont déjà été en partie tenues, puisqu'il y a eu 19 milliards d'abattement que les contribuables vont découvrir pendant ce second semestre. L'abaissement de l'impôt sur le revenu 1994 va surtout être sensible dans les dernières mensualités. Le gouvernement n'a pas exclu de continuer cette réforme, à laquelle je crois et à laquelle je travaille. Mais aujourd'hui, priorité à tout recrutement.

A. Ardisson : E. Balladur a dit que le pire était derrière nous. Ne croyez-vous pas qu'il s'est beaucoup avancé ?

J. Barrot : On peut dire que l'année 93 a été très rude. Mais j'ai été un de ceux qui ont défendu le taux de croissance qui avait été prévu pour le budget 94. Finalement, on va atteindre les 1,4 %, et même, les dépasser. Donc, le Premier ministre n'a pas tort de dire qu'il faut aussi que les Français sortent aussi d'un comportement trop frileux, et aient un peu confiance dans l'avenir. Au sein de mon Auvergne, on investit et on regarde vers l'avenir. Il faut aussi, et c'est un devoir au moment où la France doit jouer un rôle en Europe, que les Français ne soient pas les plus peureux de la classe européenne.

A. Ardisson : Qu'est-ce que cet amendement que vous allez présenter aujourd'hui à l'Assemblée concernant le contrôle parlementaire sur les dépenses de sécurité sociale ?

J. Barrot : Ce projet de loi apporte, c'est important, une première clarification. Désormais, la branche maladie gère ses sous. La branche retraite, ses sous, pour qu'on puisse y voir clair et qu'on sache où sont les déficits. Deuxième point : l'État s'engage solennellement à compenser à la sécurité sociale les manques à gagner. Quand il prend une mesure en disant que les nouvelles embauches ne supporteront plus le paiement des cotisations, il compensera. Si on arrive déjà à se tenir à ce principe, ce sera bien, parce que c'est un principe de responsabilité. Mais il est certain que, dans cette affaire, il y a trois partenaires : les partenaires sociaux, l'exécutif et le Parlement. Ce Parlement, il faut bien le dire, il est très en dehors de tout ça. Mon souci, c'est de le réintégrer dans le circuit parce que le Parlement a mission de contrôle et de pédagogie. Comment faire ? Le projet du gouvernement proposait un débat avec un vote un peu vague sur des orientations. Je vais proposer que l'on mette dans un chapitre budgétaire particulier tous les concours du budget à la sécurité sociale. Car il comble un certain nombre des dépenses de sécurité sociale qui ne sont pas des dépenses d'assurances, liées à des cotisations. Ce chapitre donnera lieu à un vote du Parlement. C'est normal car ce sont des ressources budgétaires, de l'impôt. Je crois que c'est un amendement qui met d'accord à la fois les partenaires sociaux – nous n'empiétons pas sur leurs prérogatives – mais qui met le gouvernement en mesure de devoir s'expliquer, et c'est très important.

A. Ardisson : Vous êtes sûr que ça ne va pas fâcher les partenaires sociaux ?

J. Barrot : Non, parce que nous nous prononçons uniquement sur les concours du budget. Nous n'allons pas mettre notre nez dans les problèmes de cotisation. C'est l'exécutif et les partenaires sociaux. Nous n'allons pas mettre notre nez dans un certain nombre de domaines qui ne sont pas les nôtres depuis le début de la sécurité sociale. Par contre, de plus en plus, le budget apporte des concours à la sécurité sociale : eh bien, c'est au Parlement de dire oui ou non.


RTL : vendredi 19 août 1994

R. Artz : Carlos, terroriste ou combattant révolutionnaire ?

J. Barrot : Rien ne peut servir d'excuse au terrorisme. Il faut le combattre avec détermination. C'est un devoir que de juger l'auteur de crimes aveugles qui ont fait des victimes innocentes auxquelles on ne pense pas assez. Il faut aussi donner une leçon à ces mercenaires du terrorisme qui pensent qu'il y a une sortie au terrorisme, alors que c'est une impasse.

R. Artz : Carlos est dans une impasse ?

J. Barrot : Il faudrait qu'à travers ce jugement qui se fera dans toutes les règles de la justice, il apparaisse nettement que le terrorisme est de plus en plus une impasse, notamment pour ces mercenaires qui vont tour à tour prêter main forte à des régimes qui ne sont pas regardant sur les moyens à utiliser.

R. Artz : C. Pasqua a incarné un message musclé. Les centristes pourraient-ils se faire entendre davantage ?

J. Barrot : La démocratie a besoin de fermeté. Les centristes ne sont pas et ne doivent pas être, lorsqu'il s'agit d'une juste fermeté, en arrière. Par contre, ce que veulent les centristes, c'est qu'aux signaux de fermeté indispensables vis-à-vis du terrorisme, du fanatisme, doit s'ajouter un signal de confiance à la communauté musulmane française dans son ensemble, puisque nous avons pu le voir pendant la guerre du Golfe, elle a quand même fait preuve d'une grande maturité d'esprit. Et puis, il faut aussi un signal de soutien lorsqu'émergera une force démocratique authentique en Algérie, un soutien sans failles, comme je l'avais souhaité à l'époque où nous avions avec Boudiaf une chance d'y arriver. Ce sont ces signaux qui doivent être exprimés simultanément qui évitent en effet que la France ne parle que dans un sens. Le gouvernement y est sensible.

R. Artz : C'est le signal de fermeté qu'on a entendu ?

J. Barrot : Ne regrettons pas trop non plus que la démocratie sache parler d'une voix ferme. Elle en a besoin, mais il faut en effet que la communauté musulmane française sache que nous sommes attachés à elle dans la mesure où elle reste fidèle à un islam qui n'est pas fanatique.

R. Artz : Les prévisions de croissance sont optimistes. On table sur 2 % cette année, 3 % en 1995. Est-ce solide ? Cela donne-t-il une marge de manœuvre au gouvernement ?

J. Barrot : J'étais un des rares, l'année dernière, à affirmer que 1,7 pour 1994 était un chiffre raisonnable, parce que c'était un chiffre un peu volontaire. Il a été atteint. Dans une prévision, il faut aussi inclure un peu une dimension volontariste si l'on veut que les Français, aussi bien ceux qui investissent que ceux qui consomment regardent un peu l'avenir avec confiance. Il faut aussi que les pouvoirs publics bâtissent des hypothèses qui montrent que l'on croit à une poursuite de cette reprise que nous sentons ici ou là, à travers des entreprises qui ont aujourd'hui une meilleure situation qu'hier.

R. Artz : Comment ce volontarisme économique s'articule avec une campagne présidentielle ?

J. Barrot : C'est un autre point délicat : il ne faut pas que le débat qui va s'ouvrir à propos des présidentielles soit un débat trop confus et ne dégage pas suffisamment les horizons au point de faire douter le monde et les marchés de notre volonté de poursuivre l'adaptation de notre pays. C'est pour ça que le grand objectif doit être celui des centristes, notamment, c'est de demander et de contraindre tout le monde à un vrai débat et à ne pas se laisser accaparer par des problèmes de personnes.

R. Artz : Un débat sur le déficit de la sécurité sociale ?

J. Barrot : Absolument. Nous ne pouvons pas commencer le prochain septennat par une campagne qui aurait été marquée par le flou et qui, faute d'horizon plus large, mieux éclairé, ne permettra pas de s'attaquer à un certain nombre d'adaptations nécessaires. Notre régime de sécurité sociale doit être préservé. Pour cela, il exige des adaptations. Il y a aussi une réflexion à faire sur le financement de cette protection sociale qui aujourd'hui pèse sur les salaires, en particulier sur les salaires des emplois les moins qualifiés, compliquant encore en France le problème de l'emploi. Cela, il faut l'aborder.

R. Artz : C'est plus important que de savoir s'il y aura des primaires ?

J. Barrot : C'est évident. Le projet initial des primaires, c'était des primaires-entraînement : on les commençait très tôt pour que celui qui serait choisi puisse mobiliser. Si nous allons vers des primaires-affrontement, ce sera un peu comme si nous avions voulu faire la course avant de la démarrer. On risquerait de trouver un candidat, peut-être unique, et encore pas sûr, et un candidat affaibli. Il vaut mieux maintenant veiller à la qualité des débats et faire en sorte que la majorité travaille à fourbir tous ses arguments pour un projet qui soit commun à tout le monde pour l'essentiel.