Rapport et amendements transmis aux militants du PS pour la préparation de la Convention nationale sur l'emploi des 26 et 27 février 1994, publiés dans "Vendredi" des 28 janvier et 4 février.

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Circonstance : Convention nationale pour l'emploi du PS, les 26 et 27 février 1994 à Cergy Pontoise

Média : Vendredi

Texte intégral

Éditorial De Michel Rocard

Le couple emploi-chômage est au cœur du doute et de l'anxiété qui, dans nos sociétés occidentales, caractérisent cette fin de siècle. Pas un jeune Français qui se sente assuré de son avenir professionnel et social, pas une famille qui se sente à l'abri, pas une entreprise qui ne vive dans la crainte d'un lendemain imprévisible et immaîtrisable.

Notre société pratique aujourd'hui un partage du travail d'une cruelle brutalité : les uns ont un travail et le voient parfois dévorer leur vie entière ; les autres n'en ont pas du tout, et l'inactivité détruit leur vie. La tâche qui est devant nous, c'est de repenser radicalement la société du travail et le rapport entre travail et activité. La tâche qui doit déjà être la nôtre, c'est de contribuer à soulager concrètement, par tous nos moyens militants, le drame de ceux, dans notre environnement social, que le chômage a frappés.

La politique du gouvernement actuel aggrave la situation. Ses orientations et sa résignation, nous ne pouvons l'accepter.

Notre rôle est crucial, difficile, mais utile et indispensable.

Aujourd'hui dans notre projet, demain, je l'espère, au pouvoir, notre priorité absolue c'est l'emploi d'abord et toujours.

Être socialiste, c'est à la fois agir sur le présent et penser l'avenir, celui d'un nouveau monde social où chacun participe à satisfaire les besoins matériels de tous, où tous participent aux activités nécessaires à établir une communauté de femmes et d'hommes partenaires pour faire face aux défis de l'avenir.

Le texte qui est soumis à votre réflexion ouvre des perspectives novatrices. Il propose aux Français un nouveau contrat social. Chacun de vous peut encore l'améliorer, lui apporter sa part d'expérience personnelle.

Un mot encore. Qui n'a pas une fille, un fils, un parent, des amis plongés dans le drame du chômage ? Les Français voudraient être sûrs que les responsables politiques partagent leur émotion. Comment leur dire que nous aussi nous avons des proches qui vivent cette angoisse ? Comment leur dire que, pour être membres d'un grand parti, nous n'ignorons pas les réalités pour autant, mais que nous y ajoutons une réflexion politique ?

C'est donc une immense anxiété qu'il nous faut surmonter, un enthousiasme immense qu'il nous faut susciter, dans la lutte pour l'emploi.

Mais voilà ! Pour être chargé d'émotions légitimes, le problème présente aussi une gronde complexité. J'ai conscience que vous, militants, pourrez juger aride le texte que vous recevez. Alors dites-vous bien ceci :

– nous ne serons crédibles qu'en appuyant une gronde volonté politique sur une incontestable compétence technique ;
– le réflexe qui conduit à définir la volonté et à s'en remettre aux techniciens pour la mise en œuvre est celui qui ouvre la porte au gouvernement des technocrates que nous avons assez critiqué à juste titre lors de nos États Généraux ;
– par conséquent, sur un sujet de cette ampleur, débattre aussi des détails fussent-ils techniques, est à la fois notre devoir et notre honneur.

De là le texte que vous allez découvrit.

Bon travail à tous.


Convention nationale emploi - Mode d'emploi

Décidée lors de notre dernier Congrès les 22, 23 et 24 octobre dernier ou Bourget, notre Convention Nationale Emploi des 26 et 27 février prochain revêt des caractères particuliers :

1. Sur ce thème, le Parti n'a pas mené de réflexion sous cette forme statutaire, collective, interpellant tous les militants depuis notre Convention Nationale des 1 3 et 14 décembre 1986 à Torcy.

2. Nos nouveaux statuts autorisent l'ensemble de nos sympathisants de plus de 6 mois à participer à la réflexion, aux débats et aux votes éventuels. Cette Convention permet donc de poursuivre le dialogue engagé avec eux au moment de États Généraux ;

3. Si les statuts définissent un certain nombre de règles quant au déroulement des travaux et du débat démocratique, ils laissent le soin aux Instances Nationales de définir les enjeux et le mode d'intervention des militants.

I. – Le débat démocratique

En conclusion des débats des Bureaux Exécutifs des 12 et 19 janvier, c'est autour d'un texte transmis aux militants que la discussion collective s'organisera. Ce rapport est issu des travaux d'une commission composée de Alain Bergounioux, Michel Coffineau, Jean-Paul Huchon, Jean Le Garrec, Pierre Moscovici, Laurence Rossignol et Dominique Taddeï, présidée par Dominique Strauss-Kahn. Il a été présenté par le Secrétariat National et a reçu l'aval du Bureau Exécutif pour être soumis à la réflexion, au débat, et ou vote des adhérents.

II. – La procédure d'amendement

Des amendements « nationaux », déposés par des membres du Conseil National et des secteurs d'intervention du Parti, feront l'objet d'un nouvel envoi.

Chaque militant pourra enrichir le document et émettre un avis sur tel ou tel amendement proposé avant de se prononcer sur le texte.

Les Conventions Fédérales qui se dérouleront, pour l'essentiel, une semaine avant la Convention Nationale pourront, bien entendu, lui faire parvenir des amendements issus des débats fédéraux.

Vous l'avez compris, aucun texte alternatif ou contradictoire n'a été déposé. Le résultat final de nos travaux aboutira à un enrichissement du seul texte que le Bureau Exécutif a pris en considération.

Voilà en quelques mots, chers camarades, décrit l'organisation de notre débat qui désormais vous appartient.

Bon travail,

Daniel Vaillant, Secrétaire national aux fédérations
Manuel Valls, Secrétaire national à la communication et à l'information


Résumé du rapport

Le monde entier est confronté depuis 20 ans à une formidable crise de mutation. Mais la situation est particulière en Europe qui arrive à avoir, en même temps, les entreprises les plus saines et les chômeurs les plus nombreux.

La France recense 3,5 millions de chômeurs et connaît 5 millions de pauvres et depuis 20 ans la situation s'aggrave. Pour le passé, nous avons notre part de responsabilité puisque malgré des succès ponctuels, nous n'avons pas endigué la montée du chômage. En partie parce que si la désinflation était bien une condition nécessaire à la lutte contre le chômage, elle n'était en rien une condition suffisante. Ce que nous proposons aujourd'hui, c'est un « nouveau contrat social » fondé sur un nouveau partage de la valeur ajoutée qui ne se fasse plus au détriment des salaires. Nous souhaitons, qu'à l'avenir, les gains de productivité soient affectés à la lutte pour l'emploi et, notamment à la réduction du temps de travail. Ce contrat, allié aux nombreuses autres mesures, nous permettra de créer 2,5 millions d'emplois d'ici la fin de la décennie. Il s'agit, face à la dérégulation libérale, de promouvoir une nouvelle régulation initiée tant par les pouvoirs publics nationaux et locaux en France que par une coopération internationale renforcée.

Pour l'immédiat et le futur proche, le Gouvernement issu des élections de mars 1993 a visiblement décidé de ne rien faire. Il laisse la situation s'aggraver. Cette résignation précoce, avec l'ensemble des Français et notamment les chômeurs, nous ne pouvons l'accepter.

1. L'emploi, notre projet et notre combat

Toute notre politique aura une priorité absolue : la création d'emplois.

1.1. L'emploi dans la transformation sociale

Quatre propositions résument notre projet de transformation sociale.

1) Le chômage a changé de nature. D'une situation transitoire de recherche d'un nouveau (ou premier) emploi, il devient un terrible mécanisme d'exclusion. Ces femmes, ces hommes en difficulté, les socialistes doivent être avec eux. Il faut leur offrir la possibilité permanente de se former, de participer à des activités collectives comme citoyen ou membre d'association, de viser leur plein épanouissement intellectuel, culturel, sportif… Mais ce qu'il leur faut, d'abord, c'est un vrai contrat de travail et le paiement d'un vrai salaire.

2) Toutes les marges fiscales dont nous pourrons disposer doivent être utilisées à la lutte contre le chômage : notre engagement politique est que toute augmentation fiscale ne pourra prendre que la forme d'un impôt de solidarité pour l'emploi contre l'exclusion et n'être en aucun cas affecté à une autre destination. Cette redistribution sera la traduction concrète de la solidarité.

3) Ce sont 400 000 emplois qu'il nous faut créer en moyenne chaque année d'ici à la fin de la décennie, soit au total, 2,5 millions d'emplois : cela n'est certainement pas possible par l'usage d'une seule recette miracle, quelle qu'elle soit.

4) La réduction du temps de travail s'inscrit dans une tradition séculaire et universelle de la gauche politique et syndicale. Il s'agit de permette à chacun le libre épanouissement de toutes ses potentialités, de ses aspirations grâce à la mise en œuvre d'une politique globale du temps. La semaine de quatre jours représente de ce point de vue un thème unificateur, recouvrant des modalités très diverses. Si la nuit et le dimanche doivent absolument être préservés, l'extension du travail du samedi ou en fin de soirée, par roulement, doit pouvoir accompagner la reprise de la croissance.

1.2. Croissance et emploi

Au-dessus de 3 %, la croissance crée assez d'emplois pour commencer à foire reculer le chômage. Or, cette croissance résulte largement des ressources que la collectivité consacre à la formation, à la recherche et aux infrastructures qui améliorent l'environnement des entreprises et influent sur le pouvoir d'achat des salaires.

C'est pourquoi il nous faut mettre en œuvre une stratégie de croissance équilibrée qui suppose de remplir strictement quatre conditions principales. Cette croissance, qui doit être non inflationniste, doit assurer de façon harmonieuse à la lois le financement de la consommation par le pouvoir d'achat des salariés et le financement des investissements par le profit des entreprises. Elle doit également être respectueuse des équilibres écologiques et s'appuyer sur le véritable contrat social que nous proposons désormais au monde du travail. Celui-ci verrait le pouvoir d'achat de la masse salariale progresser ou rythme de la croissance économique, ces gains étant payés sous a forme de réduction du temps de travail et de création d'emplois supplémentaires.

Mais même retrouvée, la croissance verra ses effets sur la création d'emplois limités à environ un million d'emplois durant la période. Il fout donc mettre en œuvre des mesures complémentaires : il nous fout donc une croissance plus forte mais aussi une croissance plus riche en emplois.

2. Une croissance plus forte de la production et de l'emploi

Plutôt que d'attendre, comme le fait le Gouvernement actuel, que la croissance française résulte de la reprise chez tel ou tel de nos partenaires, il faut mettre en œuvre une véritable stratégie, internationale et interne.

2.1. Favoriser la coopération internationale

1) L'emploi et la croissance en Fronce, sont, à l'évidence, très largement tributaire de.la croissance mondiale. En matière monétaire, un nouvel accord du type de celui de Bretton-Woods est possible et nécessaire, impliquant des parités fixes mois ajustables, de nouvelles liquidités internationales pour les pays en développement, une régulation nouvelle des mouvements de capitaux et un frein aux activités de la spéculation.

Quant au développement des échanges, il convient de le favoriser, mais sans être naïfs : seule la réciprocité peut servir de règle à l'Union Européenne. Face à la concurrence des nouveaux pays industrialisés (NPI), la droite n'a qu'une réponse : la baisse du coût du travail, comme si nous pouvions ou voulions rivaliser sur le terrain des bas salaires avec ces pays. À moyen terme, l'objectif n'est donc pas d'importer moins en provenance des NPI, mais d'exporter plus chez eux.

2) L'Europe est notre avenir. À l'aide d'un programme public d'investissement au niveau européen, il faut soutenir la demande en satisfaisant de nombreux besoins dons le logement, la réhabilitation des zones urbaines défavorisées et les grands réseaux de communication. Il est possible de trouver les ressources nécessaires parce que l'Union Européenne qui ne s'est encore jamais endettée, à de grandes possibilités d'emprunt.

Avec nos partenaires, nous devons rechercher la baisse des taux d'intérêt à court terme jusqu'à atteindre des toux réels nuls. L'endettement est en effet devenu trop cher pour que les entreprises puissent emprunter pour investir et embaucher. Pour la France, le seul fait de ramener nos taux réels au niveau de ceux de nos partenaires européens peut permettre une baisse supplémentaire de 1,5 à 2 %. La marche en avant de l'Union ne peut être obtenu de façon durable qu'en revenant à un système de changes fixes dont la crise d'août 1993 nous a écartés. Pour faciliter la formation d'une union monétaire nous proposons de réinterpréter les critères de convergence qui ont été définis.

2.2 Utiliser nos marges de manœuvre

Grâce à l'importance de nos exportations, nous pouvons aujourd'hui rechercher une croissance économique plus soutenue sans prendre de risques sur l'équilibre de nos comptes extérieurs. Un des instruments du soutien à apporter à la croissance réside dons le budget de l'État et donc dans le choix d'un bon niveau de la dépense publique.

À long terme, la compétitivité internationale est décisive. Pour atteindre cette compétitivité internationale, il existe deux stratégies tout à fait opposées : une stratégie libérale de la compétitivité, fondée sur la baisse des salaires. Elle est suicidaire pour notre pays. Notre choix est une stratégie fondée sur la recherche du meilleur rapport qualité/prix. La compétitivité passe par le développement de la coopération à tous les niveaux. Ainsi, la réussite industrielle des entreprises suppose d'inscrire leurs relations avec les institutions financières dons des stratégies de long terme. Dans cette démarche, les pouvoirs publics ont une triple mission d'accompagnement, d'impulsion et d'anticipation de l'évolution des marchés. L'attractivité de notre pays, de ses régions et de ses bassins d'emploi, dépend pour beaucoup du développement local et de notre tissu de PME-PMI qui resteront les principaux créateurs d'emplois.

3. Croissance plus riche en emplois

3.1. Réduction du temps de travail

D'un puissant mouvement de réduction du temps de travail, nous pouvons attendre un million d'emplois d'ici à l'on 2000.

Nous ne prétendons nullement que la réduction du temps de travail est une panacée. De plus, sa mise en œuvre est délicate. En effet, il faut éviter trois écueils : affaiblir l'offre, affaiblir la demande, dégrader les finances publiques. Pour ce faire, nous opposons le partage dynamique des gains de productivité à une conception statique du partage des salaires et du chômage. Pour ce qui est de la méthode, les expériences passées font ressortir les insuffisances en termes d'emplois, à la fois de l'approche centralisée mise en œuvre en 1936 et 1982 et de celle, essentiellement décentralisée, privilégiée depuis 1982. Il nous faut articuler ces deux approches en redonnant à l'État sa fonction de catalyseur de changement et d'initiateur des négociations tout en respectant l'autonomie des organisations représentatives.

La clef repose dans l'affectation des coins de productivité à la réduction du temps de travail.

Ce serait, cependant, une erreur d'abaisser la durée du travail année après année ou, au contraire, d'attendre quatre ou cinq ans pour la fixer directement à 35 ou 34 heures. Une première étape sera franchie par la voie d'une loi fixant à 37 heures dans un délai inférieur à deux ans le durée légale hebdomadaire. Cette norme ne constituera pas un butoir mais ou contraire un plafond au-dessous duquel les secteurs et les entreprises seront incitées à instaurer une dynamique contractuelle. En 1997, une nouvelle étape sera alors définie.

Afin d'obtenir une réduction du temps de travail collectif au-dessous de la durée légale, il convient d'inciter les acteurs sociaux à négocier les accords de réduction-réorganisation du travail. Puisqu'un horaire collectif réduit est favorable à l'emploi et diminue les dépenses publiques d'indemnisation du chômage, il est logique de restituer aux entreprises les économies réalisées par les caisses publiques. Par ailleurs, transformer la rémunération des heures supplémentaires en repos compensateurs permettra de créer plusieurs centaines de milliers d'emplois. Il existe, enfin, une aspiration véritable à un temps réduit pour une minorité importante de salariés à temps plein et de chômeurs. Mais on ne doit pus fournir une aide de l'État pour des temps réduits contraints, il faut donc établir dans un délai d'un an, de façon paritaire, une « Charte du temps réduit choisi », comportant les modalités de choix du salarié concerné, l'absence de pénalisation de carrière ou d'avancement, les conditions de changement d'horaires, l'évolution des emplois en contrepartie, la transformation des heures complémentaires et la répartition des aides financières de l'État. Dons le même esprit, on peut également beaucoup attendre du contrat de travail « temps réduit formation » et de la retraite progressive.

Le renforcement de l'Inspection du Travail sera un signe clair de la volonté politique de gestion contractuelle de la réduction du temps de travail au profit de la création d'emplois.

3.2. La création d'emplois par la qualité des services

Le secteur des services aux personnes apparaît comme un des principaux domaines dans lesquels une création significative d'emplois peut être obtenue.

1) Il s'agit tout d'abord de mettre en œuvre des chèques-services accordés par l'État, les collectivités locales ou les entreprises, suivant un principe proche de celui des chèque-restaurant et des chèques-vacances. Ces chèques permettront de compléter les ressources des familles. Ce système de chèques-service a beaucoup d'avantages : la souplesse, le caractère non bureaucratique, la transparence et la lutte contre le travail au noir. Cette mesure peut permettre de créer plus de 300 000 emplois.

2) En outre, la puissance publique peut favoriser la création d'emplois dans les services pour les travailleurs non qualifiés. En effet, le coût relatif du travail non qualifié a eu tendance à augmenter par rapport au travail qualifié et, dans le même temps, le chômage frappe beaucoup plus durement les travailleurs non qualifiés qui commencent à se sentir exclus. Il faut donc tout faire pour réinsérer ces travailleurs non qualifiés. Pour cela il faut faciliter leur embouche. Comme il ne peut s'agir d'une diminution du salaire net des travailleurs non qualifiés, c'est bien une exonération des charges qu'il faut parler. Ceci contribuera à ralentir la substitution entre le capital et le travail qui, dans les services en France, se produit à un rythme plus rapide que chez nos voisins. Pour exonérer totalement ou partiellement les salaires au niveau du SMIC, nous préférons, plutôt que d'augmenter la TVA, créer une taxe sur la pollution par les émissions de gaz carbonique dont nous avons accepté le principe à la Conférence de Rio.

3) Enfin, des emplois doivent être créés dans certaines situations difficiles, par exemple dans les banlieues, pour rendre des services d'encadrement des jeunes notamment. Il y a ainsi de nombreux emplois dont le financement aujourd'hui, pour difficile qu'il soit, épargnera des charges futures qu'il faudra bien assumer en sus des drames humains que nous n'aurons pas su éviter.


Convention nationale emploi - Rapport

Le monde entier connaît depuis 20 ans une formidable crise de mutation, mais les économies et les peuples n'ont pas été frappés partout de la même manière. Pour ne prendre que l'exemple des pays développés, aux États-Unis comme au Japon, les difficultés si elles sont certes nombreuses, ne sont cependant en rien comparables à celles que vit l'Europe. C'est en Europe que le chômage ne cesse d'augmenter quand il plafonne à Tokyo et diminue à Washington. C'est en Europe que la création d'emplois est nulle alors qu'elle est sensible au Japon et forte outre atlantique. Mais c'est aussi en Europe que les marges des entreprises sont les plus élevées et que leur endettement est le plus faible. En un mot, c'est en Europe que les entreprises sont les plus saines et les chômeurs les plus nombreux.

Dans toute l'Europe, on trouve aujourd'hui des banlieues déshéritées laissées à elles-mêmes, des cités entières rejetées dans la marginalité et dans lesquelles nul ne possède un emploi, des vieux travailleurs qu'on licencie en quelques minutes, en quelques lignes, renvoyés chez eux en taxi pour ne pas que leurs camarades les voient, des femmes seules en charge d'enfants et sans autre ressources qu'un revenu social, des familles où les parents et les enfants sont privés de travail, des jeunes qui, pour les deux tiers d'entre eux, craignent l'exclusion. La France, au sein des Douze, n'est ni un paradis perdu, ni une exception heureuse dans ce paysage illogique et déprimé. De quel particularisme pourrait se targuer une France qui recense 3,5 millions de sans-emplois c'est-à-dire 12 % de la population active et parmi eux un nombre croissant de chômeurs de longue durée.

Malgré des succès ponctuels, les difficultés rencontrées – et certainement initialement sous-estimées – nous ont conduit à des résultats sur l'emploi décevants. Nous ne sommes pas parvenus à satisfaire cette exigence économique et morale qui doit s'imposer à tout gouvernement : nous n'avons pas donné à chacun un emploi.

Nous avons combattu vivement contre l'inflation mais si la désinflation était une condition nécessaire de la lutte contre le chômage – sur laquelle il n'est donc pas question de revenir, elle n'était en rien une condition suffisante. D'abord parce que la désinflation ne peut être durablement compétitive sans que les concurrents finissent par dévaluer, faisant perdre en une nuit les sacrifices imposés aux salariés pendant de trop longues années. Ensuite, parce que les gains de part de marché ne peuvent créer spontanément un grand nombre d'emplois, sans qu'on les inscrive dans une stratégie globale contre le chômage, comme celle que nous présentons aujourd'hui. Il découle de ce regard autocritique que la lutte pour l'emploi ne peut procéder d'un remède miracle, mais découle d'un ensemble cohérent de solutions partielles et complémentaires.

En d'autres termes, il faut que l'État propose à la négociation de l'ensemble des forces de ce pays, aux salariés, aux syndicats, aux entreprises, à l'ensemble des citoyens, un « nouveau contrat social » fondé sur un nouveau partage de la valeur ajoutée. Depuis dix ans, ce partage a régulièrement évolué en faveur des profits, au détriment des salaires, et a permis de reconstituer les marges des entreprises. Cette reconstitution est aujourd'hui terminée. Nous souhaitons qu'à l'avenir, les gains de productivité soient affectés, en priorité, à la lutte pour l'emploi et, notamment, à la réduction du temps de travail. Ce contrat, généreux et solidaire, allié aux nombreuses autres mesures que ce rapport énonce, nous permettra de créer 2,5 millions d'emplois d'ici la fin de la décennie. Il s'agit, face à la dérégulation libérale de promouvoir une nouvelle régulation initiée par les pouvoirs publics nationaux et locaux en France et par une coopération internationale renforcée.

Pour l'immédiat et le futur proche qui, hélas, peuvent obérer l'avenir, le gouvernement issu des élections de mars 1993 ne fait rien, ou bien quand il fait quelque chose il aggrave la situation. Il ne fait rien quand, au printemps, il renvoie à l'automne sa majorité introuvable en lui promettant une loi quinquennale sur l'emploi. Il ne fait rien de bon quand, l'automne venu, cette loi n'apporte rien d'autre que la remise en cause de la situation des salariés. Même la majorité stupéfaite s'est alors offusquée de constater la vacuité de ce texte. Mais ce n'est que demi-mal car quand il fait quelque chose, ce gouvernement aggrave la situation. Ne nous y trompons pas. Les risques de déflation sont réels. Rien ne garantit un redémarrage automatique de l'économie. Ce gouvernement est responsable d'une partie de l'augmentation du chômage quand, enfermé dons une idéologie de l'offre, il ne voit pas que les entreprises souffrent avant tout d'une insuffisance de commandes. Cette invraisemblable confusion lui fait, en ponctionnant les familles, multiplier les cadeaux à un CNPF qui, ému jusqu'aux larmes de cette fidélité de trente ans et incrédule devant l'ampleur de la manne, n'en attendait pas tant. Que dire alors de son appel à plus de consommation des ménages, quand ses premiers actes ou pouvoir ont été de commencer par leur prendre plus de soixante milliards dans leur portefeuille (CSG, prix de l'essence, …).

Nombre d'habitants ne peuvent plus supporter ces ponctions supplémentaires. L'exclusion sociale est déjà devenue une triste réalité, l'explosion sociale est aujourd'hui un risque que l'on ne peut négliger. Le pays a un besoin urgent de consacrer toutes ses ressources à la lutte pour l'emploi el pour la réinsertion des hommes et des femmes de Fronce dons une société solidaire. Chacun doit y contribuer à commencer par les entreprises qui, hormis quelques exceptions notables mais trop rares, considèrent l'emploi comme le facteur sur lequel se répercutent toutes les difficultés. Nous assistons à une dérive grave et dangereuse pour la société toute entière quand le licenciement est considéré comme un simple instrument de gestion Nous ne pouvons accepter que la baisse des salaires, qui a les faveur su gouvernement, et les licenciements deviennent la norme. Tous les socialistes s'opposeront à la brutalité de ces pratiques qui se déchargent sur les familles et la collectivité des responsabilités de la gestion. Au cœur du contrat social doivent se trouver de nouvelles règles pour la sauvegarde des emplois existants.

Au lieu de consacrer toute son énergie à inverser la tendance, étouffant toute velléité d'action sous le mol édredon de son inertie, M. Balladur contredit l'expérience vécue : l'horizon recule plus vite que le Premier ministre n'avance ! Au printemps, il pensait améliorer la situation de l'emploi avant la fin de l'année ; à l'été, il espérait y parvenir « 'avant la fin de l'année prochaine » ; cet hiver, il ne l'escompte plus que pour dans quelques années. Celle résignation précoce, avec l'ensemble des français et notamment les chômeurs, nous ne pouvons l'accepter.

1. L'emploi, notre projet et notre combat

La politique de l'emploi n'est certes pas toute la politique économique, mais toute notre politique aura une priorité absolue : la création d'emplois. Il nous fout d'abord situer celle-ci dons notre projet de transformation sociale avant d'aborder la relation entre la croissance et l'emploi.

1.1. L'emploi dans la transformation sociale

La relation de l'homme au travail est au fondement même des idées socialistes, sans doute leur trait le plus distinctif par rapport à d'autres grands courants de pensée. Il nous faut donc dire clairement à nos concitoyens ce que nous voulons à partir de la douloureuse situation actuelle. Cela tient en quatre propositions principales.

– nous voulons lutter contre l'exclusion, en offrant à tous une pleine activité ;
– nous voulons que la redistribution traduise concrètement l'exigence de solidarité ;
– nous voulons un vrai travail pour le plus grand nombre ;
– nous voulons pour chacun le temps de vivre, c'est le sens que nous donnons à la « semaine de quatre jours ».

1.1.1. La lutte contre l'exclusion : une pleine activité pour tous

Il ne faut pas nous leurrer : le chômage est, et restera sans doute pour longtemps, le principal problème de la société française.

Le chômage a changé de nature. D'une situation transitoire de recherche d'un nouveau (ou premier) emploi, il devient un terrible mécanisme d'exclusion, dès lors qu'il s'inscrit dons une durée de plus en plus longue. Qui plus est, ceux qui sont les plus menacés par la perte d'emploi, les travailleurs peu ou pas qualifiés, ne perçoivent que des revenus faibles auxquels ils semblent être voués leur vie durant. Or, le drame n'est pas seulement d'être au SMIC, c'est aussi d'y rester. C'est ainsi que le sous-emploi se double d'un grippage des mécanismes de mobilité sociale. La seconde chance qu'est censée offrir la formation continue profite beaucoup plus aux cadres supérieurs qu'aux smicards.

L'exclusion a donc joué à plein. Les socialistes doivent être avec ceux qui sont à la recherche d'une dignité et d'une considération sociale, ceux qui n'ont pas de domicile, ceux qui sont les rejetés de la société, d'une certaine façon les « damnés de ce monde ». Pour tous ceux-là, la participation à des activités collectives, dans le travail et hors du travail, peut être aussi importante que le chiffre qui s'inscrira en bas de leur feuille de pays.

Contre cette exclusion, il nous faut, au-delà même d'une politique de l'emploi, favoriser la pleine activité de toutes et de tous. Cela signifie la possibilité permanente de se former, de participer à des activités collectives, comme citoyen ou membre d'association, de viser son plein épanouissement intellectuel, artistique, sportif… En fait, cette notion d'activité va bien au-delà de la catégorie statistique correspondante de la « population en âge de travailler » : englobant tous les âges de la vie, elle lutte en même temps contre toutes les ségrégations.

1.1.2. La redistribution, traduction concrète de la solidarité

Ne nous contenions pas de discours : une pleine activité pour tous demandera beaucoup d'effort et beaucoup d'argent. Pour les plus favorisés d'entre nous, il suffirait d'équipements publics supplémentaires, niais l'expérience prouve que les plus défavorisés s'en trouvent exclus. Cette politique résolue visant à permettre à chacun de trouver sa place dans la société mérite qu'on y consacre les quelques marges fiscales qu'il nous sera possible de dégager : notre engagement politique est que toute augmentation fiscale ne pourra prendre que la forme d'un prélèvement de solidarité pour l'emploi et contre l'exclusion et n'être en aucun cas affecté à une autre destination. D'ores et déjà, comme on le verra au & 3.2.1., nous proposons d'affecter 40 milliards aux collectivités locales pour la création d'emplois de services de solidarité.

En outre, la volonté affirmée plus loin de baisser les taux d'intérêts réels permettra de diminuer la rémunération du capital par rapport à celle du travail. Mais il y a aussi une autre forme de redistribution que celle qui concerne les ressources financières existantes. C'est celle qui touche à l'affectation des gains de productivité qui se dégagent dans l'économe année après année. Ici encore, les propositions faites visent à consacrer ces gains de productivité à la création d'emplois notamment par la réduction du temps de travail.


Stopper le chômage !

Extrait du rapport final des États Généraux présenté par Jean-Paul Huchon

… « J'en viens maintenant à notre Projet et vous ne serez pas surpris que j'aborde d'emblée ce qui fut au cœur de vos discussions, c'est-à-dire la lutte contre le chômage.

Aujourd'hui, et nous pouvons en être fiers, l'assainissement économique a eu lieu et l'inflation ne nous menace plus comme hier. Mais la crise d'une économie capitaliste presque entièrement dérégulée conduit à une amplification de ce cancer que représente le chômage.

Devant ce drame, notre réponse ne vise pas seulement à décrire une nouvelle politique de l'emploi mais à faire de la lutte contre le chômage presque la mesure unique de notre action politique future. Car ce qui est en cause c'est non seulement le travail mais sa place dans notre vie sociale.

En premier lieu, nous n'acceptons pas que l'emploi soit considéré tant au niveau macro-économique qu'à celui des entreprises comme une simple variable, ou un solde, dont l'ajustement permettrait de réaliser des équilibres purement financiers : ou monétaires, fussent-ils esthétiques. C'est désormais aux autres paramètres économiques de chercher à s'adapter à l'emploi.

Au plan macro-économique, si aucun d'entre nous ne propose de recourir à des politiques économiques aux effets éphémères avant d'être néfastes, comme l'accroissement des déficits sans précautions, ou la dérive monétaire, vous vous retrouvez cependant pour juger nécessaire la mise en œuvre d'une politique drastique de lutte contre les délocalisations en préconisant, pour ce faire, de pénaliser les entreprises qui y recourent.

Nombre de vos réflexions, constant que la pénurie de travail dans les pays industrialisés s'inscrit comme une tendance lourde au cours des dix dernières années, estiment qu'il faut désormais favoriser une répartition plus équitable du travail salarié, un partage du travail sous des formes diverses.

Ceux-là proposent, par exemple, de revenir à l'objectif de diminution du temps de travail non seulement sur la semaine, mais aussi sur l'année, voire sur la vie entière. Reste en débat la question d'un partage symétrique des revenus. Une tendance majoritaire se dégage pour l'envisager, à condition d'en exclure les plus bas d'entre eux car, comme s'écriait un délégué : « qu'a-t-on à partager quand on gagne le SMIC ? »

D'autres mesures ont été évoquées : l'utilisation de la fiscalité pour limiter la substitution capital/travail, par exemple en taxant les machines ; une lutte résolue contre tous les cumuls d'emplois qui pose aussi le problème de l'activité rémunérée des retraités ainsi que celui de la limitation du recours aux heures supplémentaires. Enfin, émerge le principe d'une responsabilité particulière des services publics en matière d'emploi, quitte à en tirer les conclusions nécessaires au plan des arbitrages budgétaires, ce qui revient à poser la question des priorités de l'action de l'État.

Mais au-delà de ces approches qui, pour être volontaristes, n'en demeurent pas moins classiques, plusieurs d'entre vous ont abordé la problématique de l'emploi en posant la question du rôle du travail productif dam, l'organisation globale de nos sociétés et dans le déroulement individuel de nos vies.

Ne s'agit-il pas désormais de réfléchir à l'utilisation individuelle et collective du temps progressivement libéré par une automatisation croissante ?

Ce sont les notions mêmes de chômage, d'activité, de travail salarié et de rapport de l'homme à celui-ci qu'il faut repenser. D'où les propositions qui ont émergé, de valorisation d'activités répondant à des intérêts collectifs, appuyés sur de nouveaux besoins sociaux et dont l'absence de rentabilité immédiate en termes de marché suppose de dissocier, peut-être pour un temps, le travail et le salaire.

À la question posée d'une dérive de ce type d'emploi vers les « petites boulots », vous avez en majorité répondu que ces emplois d'utilité sociale disposent d'un marché et d'une véritable demande solvable ou niveau du consommateur, à la condition que les pouvoirs publics l'encouragent. Et que ce sont des métiers nobles, susceptibles d'être organisés en carrière, comme les autres métiers. Refusons la caricature là-dessus ! Battons-nous avec notre imagination ! »

1.1.3. Un vrai travail pour le plus grand nombre

Un vrai travail, c'est l'existence d'un vrai contrat de travail et le paiement d'un vrai salaire. Notre politique n'est donc en rien celle des petits boulots ni celle de la précarité de l'emploi.

Ce qui est en jeu, c'est notre capacité à créer des emplois, beaucoup d'emplois, plus sans doute qu'on n'en a jamais créés dans ce pays ; en création nette (créations totales moins disparitions), on n'a jamais dépassé 300 000 par an, et encore jamais plus de trois années consécutives aussi bien pendant les années 1960 (« les Trente Glorieuses ») que durant le gouvernement de M. Rocard. Mais la gravité de la situation actuelle doit nous foire viser plus loin encore : ce sont 400 000 emplois qu'il nous faut créer en moyenne chaque année d'ici à la fin de la décennie. C'est sans doute proche de la limite de ce que l'on peut raisonnablement espérer. Encore faut-il avoir conscience de ce que cela signifierait en termes de chômage pour l'an 2000, compte tenu de ce que 150 000 personnes supplémentaires arrivent spontanément chaque année sur les marchés du travail : nous aurions ainsi réduit de moitié le taux de chômage actuel (imagine-t-on pouvoir faire mieux ?), mais surtout nous aurions alors supprimé pour l'essentiel le chômage de longue durée, celui-là même qui engendre le plus d'exclusion.

Créer deux millions et demi d'emplois en six ans n'est certainement pas possible par l'usage d'une recette miracle, quelle qu'elle soit : tous les efforts devront être conjugués dès lors qu'ils ne s'avèrent pas contradictoires, des plus petits aux plus grands. Parmi les instruments les plus souvent cités, les deux qui reviennent le plus fréquemment sont la réduction du temps de travail et la croissance. Mais, disons tout de suite qu'ils ne relèvent pas de la même logique : si la croissance est bien un moyen incontournable, elle n'est évidemment pas une fin en soi alors que la réduction du temps de travail, si elle est aussi un moyen indispensable, s'inscrit dons notre projet de société.

1.1.4. Le temps de vivre

La réduction du temps de travail s'inscrit dans une tradition séculaire el universelle de la gauche politique et syndicale, où elle a obtenu quelques-unes de ses plus belles victoires. Les premières grandes luttes ont eu pour fondement l'amélioration des conditions de travail : journée de huit heures, repos dominical, les 40 heures, les congés payés, l'âge de la retraite, ont jalonné l'histoire sociale et politique du siècle. Même si les horaires inhumains sont devenus, aujourd'hui, moins nombreux, précisément grâce aux luttes et victoires précédentes, il n'en reste pas moins qu'en dehors même de roui problème d'emplois, il convient de réduire, en priorité, les horaires de travail des infirmières de nuit, des chauffeurs routiers, des ouvriers faisant les 3 x 8, etc.

En fait, pour le plus grand nombre de salariés, l'enjeu de la réduction de travail, comme élément premier du temps de vivre, s'est progressivement déplacé des conditions de travail proprement dites, à leur articulation avec l'ensemble des conditions de vie, hors du travail. C'est que l'objectif final, humaniste, ne doit jamais être perdu de vue : il s'agit de permettre à chacun le libre épanouissement de toutes ses potentialités, la libre quête de toutes ses aspirations et de tous ses désirs. Or, si la façon de vivre est d'abord l'affaire de chacun, pour que de véritables choix soient concrètement possibles, l'ensemble du programme socialiste proposera des améliorations substantielles dons les domaines de la formation, de la culture, des loisirs, de la vie associative, des nouvelles formes de citoyenneté active, …

C'est ainsi que nous inscrivons la question de la durée et de l'organisation du travail dans une perspective plus large de transformation des rapports sociaux dans le travail et hors-travail, grâce à la mise en œuvre d'une politique globale du temps. C'est donc dans cette perspective qu'il convient d'apprécier la plupart des mesures préconisées plus loin, ou premier rang desquelles a réduction de la durée du travail elle-même, ou encore l'élaboration contractuelle d'une Charte du Temps Choisi.

On verra qu'il est souhaitable de fixer des modalités de réduction du temps de travail, décentralisées et diversifiées, à la fois pour tenir compte des aspirations variées de nos concitoyens, mais aussi parce que les mesures les plus efficaces en matière économique et notamment d'emplois, sont très inégalement applicables suivant les branches, les qualifications et sont souvent assez techniques. Il en résulte dès lors une réelle difficulté militante, politique ou syndicale : comment créer un consensus qui permette de se mobiliser derrière un slogan simple comme le furent en leur temps la journée de 8 heures, le repos dominical, les 40 heures, la retraite à 60 ans ou les congés payés jusqu'à la cinquième semaine ? Depuis plusieurs années, la semaine de quatre jours représente ce thème unificateur, recouvrant des modalités très diverses. Mais, il convient bien sûr d'en préciser le sens. La semaine de 4 jours est du domaine du projet de société et non du projet de loi. Mesure légale, donc uniforme, elle perdrait sa qualité essentielle, celle de la diversité des moyens d'y accéder :

– par des baisses progressives de l'horaire collectif ;
– par l'aménagement du temps de travail (par roulement d'équipes : les 3 x 8 devenant les 4 x 8 ; par 4 journées sur 9 heures pour les travaux les moins pénibles ; équipes volontaires des vendredi - samedi - dimanche…),
– ou par le temps réduit choisi.

Cette démarche tourne le dos à une approche sans imagination qui viserait à généraliser le week-end de 3 jours. Au contraire, si la nuit et le dimanche doivent être préservés, l'extension du travail du samedi ou en fin de soirée, par roulement, doit accompagner la reprise de la croissance. In fine, l'allongement de la durée d'utilisation des équipements productifs et l'extension des horaires d'ouverture des services, marchands ou non, constituent une contrepartie économique du progrès social qu'est la semaine de 4 jours.

On l'aura compris, cette approche offensive de la réduction du temps de travail est inséparable de la façon dont on pose la relation entre la croissance et l'emploi.

1.2. Croissance et Emploi

Trois idées trop communément répandues doivent être combattues. Selon la première « la croissance ne crée plus d'emplois », la seconde s'énonce ainsi « de toutes façons, on ne peut rien faire pour jouer sur la croissance », et la troisième assène : « le progrès technique tue l'emploi ».

Certes, en dessous d'un certain seuil, la croissance ne crée pas assez d'emplois pour compenser les disparitions. Mais, en France, au-dessus de 3 %, la croissance crée assez d'emplois pour commencer à foire reculer le chômage.

C'est une vieille idée libérale de croire que les évolutions fondamentales de l'économie sont « naturelles » et que l'on ne peut rien faire qui permette de s'en écarter. Or le rendement privé d'un investissement dépend largement de « l'environnement » économique et politique dans lequel il est réalisé. Ainsi, les pouvoirs publics peuvent améliorer les performances qui découleraient de l'équilibre spontané de l'économie. Parce que la croissance résulte largement des ressources que la collectivité consacre à la formation, à la recherche et aux infrastructures, il y a des politiques actives de la croissance, celles qui améliorent l'environnement des entreprises.

Quant à la vieille peur ancestrale du progrès, et plus précisément du machinisme, elle trouve sa source actuelle dans les nombreux exemples récents d'innovations qui ont effectivement réduit l'emploi dans l'entreprise où ils se sont produits. C'est oublier que ces innovations permettent aussi de satisfaire d'autres besoins créant des emplois ailleurs. Ainsi, même si cela semble aller contre l'intuition, force est de reconnaître que depuis vingt ans la forte montée du chômage s'est accompagnée d'un ralentissement de plus de la moitié des gains de productivité (passant en France de plus de 5 % par an à un peu plus de 2 %). Il faut donc cesser d'incriminer abstraitement le progrès technique même si, parallèlement, il faut lutter contre le remplacement des hommes par des machines lorsque cela est évitable.

Il est sans doute indispensable de retrouver cette croissance économique soutenue qui fit naguère la force des « Trente Glorieuses » et dont la faiblesse hier et l'absence aujourd'hui privent la société française de toute force de mouvement, de toute possibilité d'ajustement, de tout espace d'innovation et de liberté. Certes la croissance ne se décrète pas, pas plus qu'elle ne se convoque et si on lui fixe un « rendez-vous », c'est au risque qu'elle se dérobe. Nous en avons fait l'amère expérience par le passé. Cependant son attente, si elle est impatiente et comment pourrait-il en être autrement, peut être aussi active et ordonnée. Le retour de la croissance peut s'organiser, se préparer et s'accompagner, en ne perdant pas de vue qu'il ne résoudra pas fous les problèmes liés au chômage. Même retrouvée, la croissance intégrera en effet avec difficulté les chômeurs sans qualification, notamment ceux de plus de cinquante ans, qui alimentent la statistique « honteuse » des chômeurs de longue durée. Même retrouvée, la croissance selon qu'elle sera faible (inférieure à 3 %) ou forte {autour de 4 %) continuera de détruire des emplois ou relancera le marché du travail. Même retrouvée, la croissance verra ses effets sur la création de travail limités. Il faut donc faire en sorte qu'au-delà de leurs influences directes sur la croissance, toutes les actions de l'État et des collectivités publiques, toutes les orientations que le Gouvernement peut tracer, toutes les indications que le Parlement peut donner, enfin et surtout, la mobilisation de tout un peuple, favorise le retour à l'emploi. Car la recherche d'une croissance plus forte n'est pas une fin en soi. Il nous faut désormais compter en matière de gestion des ressources humaines de le Nation comme on commence à le faire pour les richesses naturelles de la planète, sur un développement durable. C'est à dire sur une croissance qui ne soit pas un feu de paille dont profitent certains, mais une vraie source d'emplois qui puisse faire de la création et de la répartition du travail l'enjeu central, le cœur actif de toutes les politiques.

Ainsi, récemment, quelques-uns des meilleurs économistes européens ont montré qu'une croissance régulière d'environ 3,5 % par an était tout à fait possible, simplement en mobilisant une partie des moyens que nous proposons dans le présent rapport. Cela serait certes, un grand progrès, mais en dessous de l'ambition de transformation sociale que nous avons présentée. C'est pourquoi, nous proposerons de mobiliser des instruments complémentaires, qu'ils soient internationaux grâce à la réforme du Système Monétaire International au codéveloppement avec le Sud et l'Est) ou nationaux (par les politiques industrielles et le développement local, notamment). C'est un taux de croissance moyen de 4 % (comme en 1988-90) qu'il nous faut obtenir, mais – et telle est la véritable difficulté – sur une période de six ans. On pourrait alors attendre de cette croissance durable une création nette d'emplois d'environ un million durant la période.

Il s'agit donc de mettre en œuvre une stratégie de croissance équilibrée, ce qui suppose de remplir strictement quatre conditions principales.

Cette croissance doit être soutenable d'un point de vue écologique, conformément aux positions constantes des socialistes.

Cette croissance doit être non inflationniste, éviter tout dérapage des comptes extérieurs et se donner les marges de manœuvre permettant de stabiliser la conjoncture afin de pouvoir être poursuivie durablement.

Cette croissance équilibrée doit aussi assurer de façon harmonieuse le financement de la consommation par le pouvoir d'achat des salariés et le financement des investissements par le profit des entreprises. C'est dire qu'il convient désormais de stabiliser la part des salaires dans le revenu national.

Car, et c'est bien entendu pour les socialistes absolument essentiel, cette croissance doit être aussi équilibrée d'un point de vue social. Depuis dix ans, en effet, l'essentiel des gains de productivité a été affecté à l'assainissement de la situation financière des entreprises. Ces gains doivent être aujourd'hui répartis équitablement avec les salariés. C'est donc un véritable contrat social que nous proposons désormais au monde du travail. Celui-ci verrait le pouvoir d'achat de la masse salariale progresser au rythme de la croissance économique. Pour ceux qui ont un emploi, nous proposons que ces gains leur soient principalement payés sous forme de réduction du temps de travail, suivant les modalités développées dans la troisième partie de ce rapport. Nous pourrons alors financer une forte création d'emplois supplémentaires indispensable à notre stratégie de réduction massive du chômage.

2. Une croissance plus forte de la production et de l'emploi

Le taux de croissance que la France connaîtra dans les années qui viennent ne dépend pas uniquement d'une décision politique, cela va sans dire. Mais il ne faudrait pas, à l'inverse, que les gouvernements s'exonèrent de toute responsabilité au nom d'une quelconque impossibilité d'agir. Les décisions du gouvernement d'E. Balladur l'ont clairement montré : à vouloir d'un côté à tout prix diminuer les dépenses publiques, la récession a été aggravée dès le mois d'avril. La très forte montée du chômage depuis la rentrée de septembre est aggravée par cette politique. Le budget qui a été préparé pour 1994 ne corrige pas cette tendance à vouloir, de façon contradictoire, multiplier dans l'incohérence de pseudo-mesures de relance coûteuses pour les finances publiques et inefficaces pour l'emploi, on désoriente les acteurs économiques qui sont conduits à l'immobilisme. Les hésitations, les atermoiements el les préjugés idéologiques du Gouvernement ont retiré des chances à des dizaines de milliers de chômeurs dans leur recherche d'un emploi.

Pour promouvoir une croissance plus forte, nous devrons utiliser toutes les marges de manœuvre nationales qui sont à notre disposition. Mais, la croissance d'un pays comme la France dépend largement de son environnement international. C'est donc, pour commencer, sur cet environnement qu'il convient d'agir.

2.1. Favoriser la coopération internationale

L'économie française est évidemment influencée par tout ce qui se passe dans le monde. Mais elle est aussi un acteur de cette économie mondiale et la France doit faire des propositions en ce qui concerne le système monétaire international, l'organisation des échanges ou le développement des Tiers Monde. Mais, bien entendu, c'est au sein de l'Europe que son action doit être la plus forte.

2.1.1. Au niveau mondial

a) Le système monétaire international

L'emploi et la croissance en France sont, à l'évidence, très largement tributaires de la croissance mondiale. Or, l'organisation de l'économie mondiale reste très déséquilibrée depuis les décisions unilatérales des États-Unis, cassant au début des années 70 le système monétaire issu de Bretton Woods. La dérégulation financière que nous avons connue conduit à des mouvements de capitaux dont une infime partie seulement est liée è des échanges. C'est ainsi que les transactions quotidiennes sur les marchés des changes sont du même ordre de grandeur que l'ensemble des réserves de change mondiales.

Il est possible et urgent aujourd'hui de songer à nouveau à bâtir un système stable. Si dans plusieurs pays d'Europe la gauche accède au pouvoir, si les États-Unis de Clinton sont moins dérégulateurs que ceux de Reagan ou de Bush, alors l'époque peut se prêter à un nouveau Bretton Woods. Celui-ci devra retrouver les objectifs initiaux du Traité de 1944 : revenir à un système de parités fixes mais ajustables ; fournir de nouvelles liquidités internationales pour favoriser le développement, surtout en direction des pays du Tiers Monde ; proposer une régulation nouvelle des mouvements de capitaux afin de combattre les dérèglements actuels.

Les deux premiers points sont trop connus pour qu'il soit nécessaire d'y revenir. Précisons toutefois la réglementation des mouvements de capitaux que nous souhaitons voir mettre en œuvre, au niveau mondial si possible et, à défaut, au niveau européen. De nombreuses propositions ont été émises pour encadrer un système devenu fou. La plus simple consiste à réintroduire sous une forme ou sous une autre le coût de transaction que la dérégulation a fait disparaître. En effet, le marché de l'argent s'est dématérialisé ; il fonctionne en temps réel et s'est détaché de la réalité de la production et des échanges ; le système financier s'est affranchi de toute force de frottement. Si l'on veut éviter que la moindre différence de taux n'entraîne des déplacements énormes de capitaux, il faut réintroduire des coûts de transaction. Une voie qui peut permettre d'aboutir rapidement pour décourager la spéculation repose sur une réglementation des fonds d'investissements (sous l'égide de la Banque des Règlements Internationaux, par exemple) contraignant les fonds spéculatifs à des dépôts proportionnels à leurs emprunts. Quelle que soit la solution technique retenue, nous soutiendrons toute proposition visant à pénaliser ou réduire les activités de la pure spéculation.

b) L'organisation des échanges

La conclusion des récentes négociations de l'Uruguay Round n'apporte aucun mieux à notre situation puisque dans tous les domaines où la France était demandeuse (services financiers, code des subventions, instruments unilatéraux de rétorsion commerciale, notamment), le Gouvernement a accepté un report sine die.

Il est pourtant un aspect de la négociation du GATT sur lequel il ne peut être concevable de désarmer : c'est celui des mesures de rétorsion unilatérales (section 301 du Trade Act) dont les États-Unis ont refusé de se départir. S'élever contre cette pratique fameuse et, depuis 1988 son renforcement en « super 301 », est légitime mais peu efficace. Il faut que l'Union Européenne se dote d'une véritable politique commerciale extérieure disposant de moyens et d'instruments juridiques. Pour ce qui est des moyens, créons une agence européenne chargée de lutter contre les pratiques commerciales illicites (contrefaçon, dumping, discrimination de toute nature). Quant aux instruments juridiques, le problème est simple. Dotons-nous d'un texte analogue à la législation américaine et engageons-nous, d'une part, à ne le mettre en œuvre qu'à l'encontre de pays qui disposent d'une législation comparable et, d'autre part, à l'abolir dès que ces derniers en feront autant. Si, comme il est probable, la recherche du multilatéralisme est dépassée et si la fragmentation du monde en trois grandes zones commerciales est à craindre, alors seule la réciprocité peut servir de règle à une Union Européenne qui s'affirme.

Au demeurant, chacun le sait, les fluctuations erratiques des monnaies qui résultent de la dérégulation financière rendent bien dérisoires les récents débats sur les droits de douane. Les fluctuations monétaires sont beaucoup plus dommageables que les barrières mises en place sous la forme de tarifications diverses. Ceci est vrai entre pays développés comme à l'égard des nouveaux pays industrialisés dont la concurrence découle au moins autant de parités sous-évaluées que du coût de la main d'œuvre. Les sacrifices imposés aux salariés pour réduire le coût salarial ont, dans de nombreux pays, été annulés d'un trait de plume par des manipulations monétaires. Aussi n'est-il pas étonnant que les politiques libérales visant à abaisser le coût moyen du travail se soient révélées incapables de réduire le chômage.

c) Le développement du Tiers Monde

Au cours des années 70 et encore au début des années 80, le Tiers Monde constituait pour les socialistes en sujet de réflexion majeur. Depuis 1986, l'incroyable s'est produit : les pays en développement ont versé aux pays riches pour les intérêts qu'ils doivent plus qu'ils n'ont reçu au titre des nouveaux prêts. Face à cette situation, la gauche a peu réagi. Les difficultés rencontrées en France et, notamment, le problème de l'emploi nous a éloignés de cette préoccupation. Mais si le monde a beaucoup changé au cours des dernières années, il est des changements qui en ont éclipsé d'autres. Et la chute du Mur à l'Est a masqué le décollage au Sud des Nouveaux Pays Industrialisés (NPI). On le voit bien aujourd'hui, la différence entre ceux qui peuvent s'en sortir (notamment en Asie) et les autres, s'accentue. S'agissant de la concurrence nouvelle de ces pays et des risques qu'elle fait peser sur l'emploi en France, la droite n'a qu'une réponse : la baisse du coût du travail. Comme si nous pouvions ou voulions rivaliser sur le terrain des salaires avec les pays les plus pauvres du monde !

Notre réponse est différente. D'abord, il faut que les règles du commerce international intègrent le plus vite possible des contraintes sociales et écologiques qui progressivement se rapprochent des nôtres. Mais, c'est surtout sur nos propres forces qu'il faudra compter : à moyen terme, l'objectif n'est pas d'importer moins en provenance des NPI mais d'exporter plus chez eux.

2.1.2. Au niveau européen

Pour la première fois dans l'Histoire nous tentons de rassembler des peuples, d'unir des destinées autrement que par la guerre et la force des armes. Le sentiment d'une large fraction de la population est que la complexité de la construction européenne la rend aujourd'hui peu efficace.

Face aux incertitudes que peuvent présenter des politiques insuffisamment coopératives au niveau mondial, nous devons montrer l'exemple en développant la coopération européenne. Il y a là un grand espace économique dont les échanges internes sont logiquement dominants et qui se prête bien à l'action collective, tout particulièrement à la mise en œuvre de mesures de soutien de l'activité grâce à un programme public d'investissement au niveau européen. Le besoin est là. La faiblesse de la demande est patente et l'investissement public a pris beaucoup de retard. Depuis vingt ans, la baisse relative est de l'ordre de 30 %. L'objectif est donc clair : il faut mobiliser les ressources inutilisées pour remplir des besoins insatisfaits tout en contribuant à soutenir la demande globale.

Les conditions sont aujourd'hui propices : les taux d'inflation sont dans l'ensemble faibles ; la contrainte financière des entreprises s'est allégée ; les taux d'utilisation des capacités de production sont particulièrement bas. Enfin, l'Union Européenne est le seul emprunteur potentiel de premier rang dont la dette est nulle. De plus, et c'est là que réside l'effet multiplicateur de toute opération de relance à l'échelle européenne, les échanges avec l'extérieur de l'Espace Économique Européen (EEE) ne représentent que 7 % du total ce qui signifie que lorsqu'un européen dépense 100 francs, 93 le sont au sein de l'EEE.

Quelles doivent être les modalités d'une telle relance ? L'initiative prise par le sommet de Bruxelles va évidemment dans le bon sens mais l'ampleur de l'investissement prévu est encore très insuffisante. En effet, le Livre Blanc prévoit un investissement total de quelques 120 milliards d'écus étalé sur six ans. Or, il faudrait sans doute le double. Sur ce point, nous avons déjà remporté une première victoire grâce aux propositions successives de Michel Rocard et du Président de la République auxquelles E. Balladur a bien dû sembler se rallier.

Le financement d'un tel programme peut dans une large mesure être obtenu par l'emprunt sans détériorer à terme les comptes publics. En effet, l'expérience montre qu'un investissement public augmenté de l'investissement privé qu'il entraîne génère des ressources fiscales de l'ordre de l'investissement réalisé. Cet investissement additionnel peut s'orienter vers toute sorte d'infrastructures ; on privilégiera à la fois le logement qui a un fort contenu en emploi (et notamment en emplois non qualifiés), la réhabilitation des zones urbaines défavorisées et les grands réseaux de communication.

L'action communautaire doit viser à la baisse des taux courts jusqu'à atteindre des taux réels nuls, comme l'ont récemment recommandé les meilleurs experts européens. Si les taux d'intérêts longs sont largement déterminés par le marché, les autorités monétaires ont une beaucoup plus grande marge de manœuvre à propos des taux courts qui pèsent sur les comptes des États et des entreprises, surtout en France pour ces dernières.

Il faut donc mettre en œuvre une baisse concertée des taux à court terme. Il est probable que nos principaux partenaires y sont aujourd'hui plus disposés que par le passé. Cela peut-être le cas des allemands qui sont eux aussi frappés très durement par la récession. Mais, même si ces derniers devaient se montrer réticents, il nous faudrait avancer avec ceux des européens qui sont prêts à harmoniser le niveau des taux réels. Il est difficilement admissible que les pays les plus vertueux, c'est-à-dire ceux qui ont fait le plus d'effort pour réduire leur taux d'inflation, soient aujourd'hui ceux qui sont le plus nettement pénalisés par des taux d'intérêt réels trop élevés. Pour la France, la seule harmonisation des taux réels peut permettre une baisse qui va de 1,5 % à 2 %. Le franc est fort et il peut être sincère. Sans doute, aujourd'hui, n'a-t-il plus besoin du soutien artificiel d'un taux d'intérêt réel supérieur à celui de nos voisins.

Il reste que la récession a aussi été aggravée par l'incertitude qui s'est faite jour sur l'avenir de l'unification monétaire européenne. Jusqu'en 1991, les progrès réalisés étaient générateurs de confiance. Mais les difficultés de la ratification du Traité de Maastricht à partir du « non » danois, ont montré que le processus n'allait pas de soi. Il nous faut maintenant reprendre la marche en avant ce qui ne peut être obtenu de façon durable qu'en revenant au système de changes fixes dont nous a écarté la crise d'août 93.

On peut regretter que lors de la rédaction du Traité, les contraintes qui ont été définies ne se soient pas limitées à des critères de convergence. En effet, s'il est nécessaire pour former une union monétaire que les économies en cause soient suffisamment proches les unes des autres, rien n'indique que cette proximité doive se situer au niveau le plus bas possible. Les taux d'inflation, les déficits budgétaires en pourcentage du PIB, etc. doivent être proches les uns des autres. Du seul point de vue de la nécessaire convergence, ils n'ont pas besoin d'être aussi faibles que possible. Aujourd'hui, la solution la plus souhaitable pour avancer vers la monnaie unique consiste à réinterpréter les critères de convergence qui ont été définis par le Traité de Maastricht, comme le seuil de 3 % du PIB établi pour le déficit budgétaire. Aussi faut-il au moins faire admettre que ces critères doivent être appréciés sur la moyenne période (environ 5 ans) afin de tenir compte des différentes phases du cycle économique.

Si, malgré tous ces efforts de franche coopération, certains membres de l'Union renonçaient à une application loyale du Traité et au passage à la monnaie unique, il doit être clairement entendu que nous demanderions l'application complète et, si possible, anticipée de celui-ci. Il s'agira alors de faire avancer l'Union en évitant que certains soient tentés de pratiquer des dévaluations compétitives quand d'autres auraient déjà lié leur sort.

Dons le même temps, toutes les utilisations de l'Ecu, publiques et privées, doivent être encouragées.

Il fallait harmoniser la fiscalité des revenus du capital pour éviter la délocalisation de l'épargne. Mais en réduisant considérablement notre fiscalité de l'épargne, nous avons abouti à une situation choquante où la fiscalité est plus favorable à la détention d'un capital qu'à l'exercice d'une activité. Pour corriger cette situation, une coopération – européenne est à nouveau nécessaire. Plusieurs solutions sont envisageables. On peut préconiser un régime de déclaration obligatoire des revenus du capital afin d'être imposé dans son pays de résidence, ou bien, ce qui est moins satisfaisant mais plus simple à mettre en œuvre, un prélèvement libératoire uniforme. Quoiqu'il en soit, il est urgent de rendre cohérent le marché unique des capitaux qui s'est mis en place en Europe en lui associant une fiscalité commune. Celle-ci devra tendre vers une harmonisation de l'ensemble de la fiscalité du capital : revenus du capital, patrimoine et impôt sur les sociétés.

Ces propositions sont directement liées à la stratégie globale de lutte pour l'emploi que nous préconisons. En effet il est complètement illusoire de croire que des politiques actives peuvent être menées pour améliorer l'efficacité de l'économie, quand les efforts qui sont consentis par les salariés peuvent être réduits à néant lorsque certains partenaires s'engagent dans des dévaluations compétitives. Mais, il faut pour avancer vers l'Europe monétaire, une volonté politique sans faille, seule garante de la force de conviction que l'on doit pouvoir développer face à des partenaires plus hésitants. C'est pourquoi il est plus que douteux que la majorité en place parvienne à un résultat satisfaisant. Elle est fortement divisée sur la question européenne. On savait la volonté inébranlable du Président Mitterrand et des socialistes d'avancer vers l'union monétaire. Il a suffi qu'un changement de majorité fasse justement douter de cette volonté pour que la Fronce plie le genou.

2.2. Utiliser nos marges de manœuvre

L'environnement international joue évidemment un rôle majeur. Mais il serait irresponsable de croire que nous ne disposons d'aucune marge de manœuvre nationale. Elles concernent aussi bien la stimulation de la demande que la compétitivité des entreprises.

2.2.1. Agir sur la croissance

Dons la récession actuelle, on prétend beaucoup trop vite que nous ne possédons plus, à l'échelle nationale, d'instruments de stimulation de la conjoncture.

Lorsque la France a connu des périodes de croissances sensiblement plus rapides que celle de ses voisins, il en est rapidement résulté un insoutenable déficit extérieur. Et la « contrainte extérieure » est longtemps apparue comme l'horizon indépassable de toute action publique sur la croissance. Mais aujourd'hui, pour des raisons diverses (la faiblesse de notre croissance mais aussi les efforts de compétitivité entrepris depuis dix ans), notre pays enregistre un excédent commercial et touristique comme il n'en a jamais connu. Cet excédent place notre pays dans une situation inédite : il dispose d'une « marge extérieure ». Cette marge de croissance est aujourd'hui de l'ordre d'un point. En développant le plus possible nos exportations de biens et de services, il s'agit de permettre la plus forte croissance de la production et de l'emploi avec les importations qu'elle induit, tout en assurant l'équilibre de nos comptes extérieurs.

Un des instruments du soutien à apporter à la croissance réside bien entendu dans le budget de l'État et, dans une moindre mesure, dans celui des autres agents publics. La question est de savoir quel est le bon niveau de la dépense publique et quel doit être son contenu. La comptabilité d'épicier à laquelle on se livre en se contentant de comparer les recettes et les dépenses ne peut permettre de dégager une règle de comportement ayant un quelconque fondement économique. Parce qu'il n'y a pas de compte de capital dans la comptabilité publique, tout l'effort d'investissement auquel l'État se livre est passé par pertes et profits. Bien que la comparaison de l'État avec une entreprise soit toujours un trompe I' œil, force est de constater qu'avec une telle comptabilité, obligées de financer leurs investissements sur les recettes courantes, les entreprises fermeraient les unes après les autres. Plus encore, les ressources publiques consacrées à la recherche et à l'éducation constituent pour le pays un effort d'investissement qu'il faut aussi prendre en compte à ce titre.

Personne ne nie que le taux de croissance dépend de la part des ressources nationales que l'État prélève, mais il peut en dépendre dans les deux sens. Si l'État prélève des ressources pour les affecter à des dépenses non productives, il peut nuire à la croissance. Mais dans le cas inverse, il favorise la croissance. Dès lors, la question de savoir quel est le bon niveau de la dépense publique ne se ramène pas à la simple analyse du niveau des dépenses et des recettes et encore moins à la conviction que moins l'État dépense, mieux l'économie se porte.

À trop vouloir fuir la dépense, on a limité l'activité économique et avec elle la base même sur laquelle les ressources de l'État sont calculées. À ce jeu, les libéraux finiraient bien par obtenir un équilibre budgétaire durable : lorsqu'il n'y aurait plus ni dépenses ni recettes publiques. Nul n'ose imaginer quel serait alors l'état de l'économie. Nous ne préconisons pas aujourd'hui d'engager une forte action de relance en creusant le déficit public. Notre endettement n'est pas exagéré, toutefois la charge d'intérêt est importante et il n'est pas souhaitable de se lier les mains en l'accroissant outre mesure.

Plus important encore que l'utilisation de la dépense publique pour soutenir l'activité, le choix des dépenses à engager n'a pas toujours privilégié l'emploi. Celui-ci a le plus souvent été considéré comme une résultante des mesures prises suivant une autre logique, quitte à demander ensuite à la politique de l'emploi de réparer les dégâts ! À l'avenir, il faudra passer chaque mesure budgétaire, acquise ou nouvelle, à un crible dominant : son effet sur l'emploi. C'est un travail ingrat mais important qui doit être mené jour après jour. Car c'est bien dans la structure de la dépense publique que se trouvent les marges de manœuvre les plus importantes qu'il est impératif de mobiliser.

Les entreprises publiques peuvent elles aussi jouer un rôle par la relance des investissements contribuant à l'équipement du pays et répondant à des demandes sociales.

Dans la mesure où la France a une inflation moins forte que celle de ses voisins, les entreprises publiques peuvent financer une relance de leurs investissements par des emprunts gagés sur des augmentations à moyen terme de leurs tarifs, prix ou péages. Ainsi, EDF, la RATP les sociétés de transports urbains, les aéroports, les sociétés d'autoroutes, la SNCF… peuvent sans risque inflationniste accélérer leurs programmes d'équipement ou d'amélioration de l'environnement : enfouissement des lignes E.D.F., conditions de confort du métro et des trains de banlieue, etc.

2.2.2. Renforcer notre compétitivité industrielle et notre appareil de production

À long terme, l'essentiel de notre croissance ne peut s'appuyer sur la seule relance de la demande et la compétitivité internationale, principalement industrielle, est décisive. En effet, lorsque le pouvoir d'achat augmente de 100 francs, près de 30 francs viennent gonfler les importations françaises. Il nous faut donc accroître nos exportations, sous peine de voir notre croissance bloquée par la contrainte extérieure.

S'il est normal que de nouveaux pays industrialisés accèdent à leur tour aux marchés mondiaux, la France doit détenir sa juste part de ces marchés, comme c'était encore le cas il y a vingt ans. Nos exportations représentaient alors 10 % du total mondial, en 1985 notre part était tombée à 7 %. Si la désinflation et une nouvelle politique industrielle nous ont permis de regagner un peu de terrain (notre part vaut 8,5 % aujourd'hui), retrouver notre position relative parmi les grands pays nous permettrait de gagner un peu de croissance tout en gardant des comptes extérieurs durablement équilibrés.

Pour nous, la compétitivité ne s'entend pas entreprise par entreprise ; elle concerne le système productif pris dans son ensemble. Dans le cas contraire, on ne sort pas du cercle vicieux dans lequel les entreprises licencient laissant à la collectivité le coût social du chômage. Les impôts ou les prélèvements sociaux sont alors augmentés et pèsent soit sur le pouvoir d'achat des ménages soit sur la compétitivité des entreprises. La compétitivité doit aussi être mesurée globalement, c.-à-d. en prenant en compte tous les éléments de coût (le travail, le capital, les équipements et services collectifs), mais aussi les éléments hors-coût qu'on désigne sous le nom de compétitivité-qualité : la qualité des produits et des services après-vente, l'innovation, l'organisation, l'aptitude au travail collectif, la mobilisation de tous les acteurs (internes et externes) de l'entreprise, la capacité des salariés à travailler à l'étranger, etc. Or, les conditions de réussite d'une telle stratégie de compétitivité dans notre pays sont maintenant bien connues.

Il nous faut promouvoir un véritable changement dons le travail grâce à une meilleure implication des salariés dans son organisation et dans la détermination de la qualité du produit, grâce aussi à une plus grande consultation sur les grands desseins de l'entreprise. Cet objectif, à atteindre dans le cadre de structures appropriées et par l'amélioration des droits économiques et sociaux des comités d'entreprise, nécessite le renforcement des organisations syndicales. Celles-ci régulent le processus et veillent à l'implication réelle de toutes les catégories de salariés. On favorisera ainsi la mise en place d'organisations qualifiantes où l'accumulation des savoir-faire s'oppose à la précarisation de la main d'œuvre. Dans le même temps, il nous faut accentuer nos efforts d'éducation et de formation, mieux les articuler avec le monde de la production.

La compétitivité efficace passe par le développement de la coopération à tous les niveaux : au sein de l'entreprise, entre toutes les parties prenantes, avec des hiérarchies allégées et des directions plus collégiales ; entre entreprises industrielles, grandes et petites, sous-traitants et fournisseurs par la mise en œuvre de partenariats solides ; entre le monde de la production et ceux de la formation, de la recherche, de la distribution ou de la finance.

La réussite industrielle tourne le dos à des pratiques de court terme, imposées par les seuls critères boursiers et financiers. Elle suppose tout au contraire d'inscrire ses relations avec les institutions financières dans des stratégies de long terme.

La compétitivité industrielle ne passe pas par un effacement croissant de l'État, mais par une redéfinition de son rôle pour assurer une triple mission d'accompagnement, d'impulsion et d'anticipation des marchés du futur, aussi bien ou niveau national que communautaire. Plus particulièrement, il faut renoncer aux privatisations balladuriennes qui financent les dépenses courantes en brodant le patrimoine collectif ; le redéploiement nécessaire du capital public doit plutôt s'inscrire dans une logique de partenariat stable où des participations publiques minoritaires, mais, conséquentes, doivent tout à la fois garantir une complète autonomie de gestion et une nécessaire stabilité.

La compétition ne peut être conduite sur la base d'un moins-disant social et fiscal. L'attractivité de notre pays, de ses régions et de ses bassins d'emplois repose essentiellement sur de meilleurs services et infrastructures publics, des centres de recherche et de formation plus efficaces.

C'est tout particulièrement vrai de noire tissu de PME-PMI puisque celles-ci fournissent la plus grande part des créations d'emplois. Pour cela, il nous faut d'abord réduire la mortalité infantile des entreprises : 57 % meurent avant l'âge de 5 ans mais ce chiffre chute de moitié lorsque les créateurs ont bénéficié d'un encadrement. C'est pourquoi, le développement local a pour tâche prioritaire de rapprocher tous les partenaires, de simplifier les procédures, de soutenir les services aux PME et le conseil gratuit aux intéressés. Par ailleurs, il faut permettre à un maximum de PME d'accéder au rang d'entreprises moyennes (telle est notre principale faiblesse par rapport à nos voisins) afin qu'elles puissent internationaliser leur activité à l'instar des moyennes entreprises allemandes, prévenir les accidents de parcours et se redresser en cas de difficultés.

Reste la difficile question du financement. Les projets d'entreprise économiquement viables doivent pouvoir trouver les capitaux nécessaires à leur mise en œuvre. Pour cela il faut favoriser la collecte d'une épargne directement affectée aux PME ou aux organismes spécialisés dans leur financement. De même, en matière de transmission d'entreprises plutôt que de ne penser qu'à abaisser les droits de succession pour aider les héritiers, il faut fournir les financements nécessaires aux repreneurs compétents.

Dans tous ces domaines, de réels progrès avaient commencé à se faire sentir durant les derniers gouvernements socialistes, mêmes si le temps a manqué pour les consolider. La gauche est sans doute la mieux placée pour mettre en œuvre cette politique de la compétitivité-qualité, pièce maîtresse d'une nouvelle stratégie de croissance équilibrée.

Encore faut-il bien définir la relation entre cette politique de compétitivité internationale et la création d'emplois. On sait que l'industrie manufacturière ne créera globalement plus d'emplois en son sein. Il s'agit bien d'avantage d'en améliorer la qualité pour en préserver l'importance. On attend de l'industrie plus de valeur ajoutée et plus de devises qui permettront à leur tour de créer plus d'emplois dans les activités du secteur abrité de la concurrence internationale (environ 60 % de l'emploi total en France) par une triple distribution de revenus supplémentaires sous la forme de salaires, de profit et de recettes publiques. Finalement, l'amélioration continue de notre appareil de production se retrouvera dans les activités tertiaires où une croissance plus riche en emplois passe également par une qualité croissante des services qui sont rendus à la population.

Extrait de la résolution finale

Du congrès du Bourget

1.1. Pleine activité contre le chômage

Victoire contre l'inflation, excédent du commerce extérieur, consolidation de la parité monétaire, modernisation de l'industrie : tout cela pourrait constituer des raisons de satisfaction légitime pour les socialistes si, dans le même temps, le chômage n'avait pas augmenté dans les proportions que nous savons.

En effet, notre société reste organisée autour du travail, mais le travail nous fuit. On appelle « investissement » l'achat d'une machine. On appelle « charge » l'embauche d'un salarié.

Sans une inversion indispensable de cette façon de voir, ne nous y trompons pas, au-delà des prévisions, des analyses plus ou moins lénifiantes, la chose ira en s'accélérant. Pensons-y : par quel miracle, les mêmes causes produisant les mêmes effets, l'industrie échapperait-elle, dans les décennies qui viennent, à l'évolution que l'agriculture a connue dans les décennies passées ? Il y a un siècle, il fallait 55 français pour en nourrir 100. Aujourd'hui deux ou trois y suffisent. C'est la même évolution qui affecte l'industrie. Il faut prendre conscience que les solutions que nous proposons, çà et là, même les plus audacieuses en apparence, sont sans commune mesure avec la réalité du problème.

Le rapport au travail

Le rapport au travail change. Le travail ne structure plus aujourd'hui comme hier l'ensemble de la vie sociale, de la vie de l'homme. Les temps de la vie sont plus divers : formation, travail, vie familiale, culture, loisir, retraite, activités d'intérêt social, temps libre… peuvent constituer autant de champs d'épanouissement pour l'individu comme la collectivité. Pour autant, nous savons que le chômage détruit et que le travail, l'activité, l'emploi sont, pour chacun et pour la société, des structures fondamentales. Le chômage est le premier fléau de la société française et européenne et aggrave tous ses déséquilibres : insécurité, toxicomanie, xénophobie… C'est pourquoi nous entendons rechercher une nouvelle forme d'organisation sociale qui pusse permettre une pleine activité pour tous.

Rompre avec l'orthodoxie gestionnaire

Pour y parvenir nous devons tourner le dos aux recettes de l'orthodoxie gestionnaire. Les choix de 1983 étaient sans aucun doute justifiés. Nous n'étions plus en état de maintenir un rapport de force crédible face à la contrainte extérieure et la dérégulation de l'économie mondiale. Mais ce choix n'a pas donné lieu à un vrai débat de politique économique concernant l'utilisation des marges de manœuvre disponibles. Une autre stratégie socialiste cohérente n'a pu être définie dans ce cadre. Et nous avons trop cru par la suite que l'économie ne relevait plus du politique, mais de la simple technique et de la gestion. Qu'aucun autre parti socialiste européen n'ait pu le faire dans la même période n'est pas une consolation. Cela indique seulement l'urgence et l'ampleur de notre tâche.

Le plein emploi ne peut plus aujourd'hui être conçu comme le produit naturel de politiques économiques agissant par le canal des politiques budgétaires ou monétaires. La croissance seule ne rétablira pas le plein emploi et ne procédera pas des seules initiatives nationales. Le marché, par lui-même, est inapte à garantir l'emploi aux générations futures et reste créateur de puissantes inégalités.

Contre les petits boulots

Aucun d'entre nous ne se résignera à ce que, dans l'avenir, la différence entre la gauche et la droite tienne seulement à ce que la première propose des petits boulots sociaux et la seconde des petits boulots marchands. La logique de notre action a toujours été tout autre. Les différents systèmes d'aide à l'insertion des catégories les plus faibles sur le marché du travail, notamment les jeunes (CES, contrats d'adaptation, de qualification…) doivent être continuellement améliorés allant à leur contenu en formation, leur utilisation par des entreprises et leur débouché dans l'emploi. Mais ils ont au moins le mérite de remettre leurs bénéficiaires en situation d'activité. De même, le traitement social du chômage, s'il ne saurait être un objectif de politique de l'emploi, reste un instrument indispensable pour amortir les effets conjoncturels d'une récession. Encore faut-il substituer les formes les plus qualifiantes et actives à certains dispositifs actuels dont la principale fonction est d'ordre statistique.

Dans l'intérêt de la France comme dans le respect des principes qui sont les nôtres, notre perspective doit être de créer non pas des petits boulots mais au contraire des emplois à forte valeur ajoutée, des emplois fortement qualifiés. C'est possible, à condition d'avoir en tête que, parmi eux, certains seront des emplois qui auront une forte valeur ajoutée marchande et les autres une forte valeur ajoutée sociales.

Les emplois à forte valeur ajoutée marchande

Sur les emplois à forte valeur ajoutée marchande, c'est des formations de plus en plus poussées, donc par un enseignement chaque jour renforcé, que nous occupons déjà et occuperons plus encore demain des créneaux solides dans des secteurs d'avenir. C'est pourquoi nous restons favorables à une économie mixte, favorisant les relations entre les entreprises privées et publiques. Ces dernières ont un rôle propre à jouer dès lors que sont en question des intérêts collectifs fondamentaux. Dotées par la puissance publique de moyens adaptés, elles sont l'outil d'une vision stratégique qui soutient le développement d'une action à long terme, favorise les investissements d'avenir et permet des alliances au niveau européen.

Les emplois à forte valeur ajoutée sociale

Les emplois à forte ajoutée sociale sont évidemment tous ceux qui répondent à des besoins de nos sociétés. Il y a là un gisement considérable, un marché de l'emploi à créer. Des incitations publiques à la création d'emploi dans les services, marchands et non-marchands, doivent être mises en œuvre. Mais il faudra aussi que les nouveaux emplois de service marchands soient financés par les consommateurs – à condition que leur pouvoir d'achat soit maintenu. Ceci permettra de limiter la tendance la substitution de la machine à l'homme, à la robotisation de nombreuses branches de l'économie, en répondant à des besoins des personnes (gardiennage des immeubles, garde des enfants ou des personnes âgées, services publics, services environnementaux…), en termes d'utilité sociale ou de sécurité. Il s'agit de créer, dans ces secteurs nouveaux, de véritables métiers de savoir-faire. Ce sont bien des centaines de milliers d'emplois qui peuvent être créés ainsi, dans une logique qui n'est pas celle du tout au marché.

Contenir les licenciements

De plus en plus, certains chefs d'entreprise se servent des licenciements comme d'une variable d'ajustement, dans une gestion à court terme et à courte vue. Ils ignorent ainsi que la compétitivité de l'économie est globale et ne saurait se ramener à un malthusianisme qui fait du seul profit financier, assis sur la compression de la masse salariale, la mesure exclusive de la performance économique. Les entreprises doivent désormais mesurer aussi bien le coût économique de l'investissement et le coût du chômage qu'elles évoluent le coût de l'emploi. Ce calcul économique permettrait d'éviter de nombreux investissements inutiles et destructeurs d'emplois. Cette tendance doit être combattue : la compétitivité d'une entreprise ou d'une économie n'est pas évaluée par ses seuls coûts, elle résulte d'une performance globale. Il faut aussi contrôler de façon effective les plans sociaux, qui ne doivent pouvoir intervenir que dans des conditions économiques strictement précisées et comporter des propositions de reclassement satisfaisantes. L'État devra en cette matière prendre ses responsabilités législatives et réglementaires, et instaurer un nouveau mode de contrôle des licenciements. L'entreprise, comme la société toute entière, doit remettre l'emploi au cœur de ses objectifs.

L'activation des dépenses publiques pour l'emploi

De récentes analyses ont permis de montrer que le taux de chômage était moindre dans les pays (telle la Suède) où les dépenses « actives » pour l'emploi (aides à l'embauche, formation professionnelle…) sont plus importantes que les mesures « passives » (garantie de revenu, retraites anticipées, indemnisation du chômage…). La France n'est, à l'évidence, pas dans ce cas. Nous devons progressivement infléchir cet état de fait, en accroissant la part des dépenses actives dans les politiques publiques pour l'emploi, de façon à passer du seul soutien aux chômeurs à une véritable action publique pour l'emploi.

Travailler moins pour travailler tous

Nous sommes à un nouveau tournant: au lendemain de la guerre, on travaillait en gros 48 heures par semaines, 49 semaines par an, de 14 à 65 ans, soit plus de cinquante ans. Aujourd'hui, on travaille en gros 39 heures par semaines, 47 semaines par an, de 20 à 60 ans, soit environ quarante. Une troisième étape est devant nous.

La réduction de la durée du temps de travail s'inscrit dans une politique d'ensemble de lutte contre le chômage et de création d'emplois. Cette évolution est la poursuite d'un cours historique, qui s'est interrompu pendant les années 1980. Chacun sait, aujourd'hui, qu'il faut le reprendre.

Lo droite raisonne exclusivement en termes de baisse du coût du travail et les expérimentations qu'envisage Édouard Balladur auraient pour seul effet une baisse massive du pouvoir d'achat des salariés concernés. Pour le gouvernement actuel, la négociation ne peut avoir pour cadre que l'entreprise, plaçant les salariés dans un rapport de force défavorable, soumis à une logique qui est toujours en définitive celle de la recherche des gains de productivité ou détriment de l'emploi. Ce n'est pas acceptable, à l'heure où, après la réconciliation avec l'entreprise des années 80 ; renaissent les conflits sociaux car le patronat, jouant de la crainte du chômage, menace le droit social chaque jour davantage.

Il faut donc, pour avancer dons la voie d'une réduction du temps de travail créatrice d'emplois, déployer une autre logique. La réduction du temps de travail devra, nécessairement, emprunter des voies diversifiées. Il n'y a pas de potion magique, mais toute une palette de solutions qui vont des 35 ou même des 32 heures hebdomadaires à la semaine de 4 jours, en passant par le développement des congés (de formation, parentaux, sabbatiques…) le temps partiel choisi, la retraite progressive…

Si l'on veut éviter un dumping social favorisant la déréglementation, la flexibilité ou l'abaissement du coût du travail à la seule charge des travailleurs, le processus Je réduction doit être piloté et négocié. Piloté, car l'État doit ses responsabilités, dans la logique bien connue du « moteur à quatre temps » à lui, d'abord de donner l'impulsion, en fixant les objectifs – et ces objectifs doivent être ambitieux, car la réduction de la durée de travail doit être substantielle et rapide pour être créatrice d'emplois – à lui aussi de déterminer le calendrier el les étapes du processus, les modalités de la négociation ; à lui de mettre en place par la loi les incitations efficaces, notamment fiscales et sociales ; à lui enfin, si la négociation n'aboutit pas, de trancher et s'il le faut d'imposer. Mais le cœur du processus est dans la négociation. L'ensemble des branches doivent être invitées à ouvrir une négociation globale et programmée, au niveau national et, autant que possible, au niveau européen. La négociation devra aborder toutes les questions qui permettent d'aménager le travail au profit de l'emploi : durée d'utilisation des équipements, organisation du travail, compensation salariale… et surtout contreparties en termes de créations d'emplois.

Enfin, la réduction du temps de travail doit s'accompagner d'une vigoureuse redistribution. Pas de réduction du temps de travail sans partage des revenus et des richesses : c'est une évidence. La réduction du temps de travail entraîne des gains de productivité qui doivent être prioritairement affectés à son financement, de même que les marges dégagées par la baisse des coûts sociaux correspondant aux emplois créés. Et la fiscalité, sur tous les revenus, doit être utilisée de façon volontariste. Le passage aux 35 heures, et plus encore à la semaine des quatre jours, ouvre une perspective majeure de transformation de la société. Pour cela, il faut une réforme profonde de la fiscalité, du système de formation, de l'organisation du travail.

Imaginer l'emploi c'est donc changer le travail ; aller vers une autre conception du temps cette démarche est maintenant dons tous les esprits, et parait essentielle pour d'abord maintenir puis relancer l'emploi, pour accroître la qualité de la vie. Elle ne dispense pas d'une action résolue pour la croissance ; elle ne saurait sacrifier à une logique dérégulatrice. La nécessité de transferts, impliquant des prélèvements sur la richesse produite et conduisant à des créations d'emplois, voire de financement public d'emplois d'utilité sociale, doit donc être réaffirmée. La réduction du temps de travail ne devra pas simplement se situe à un niveau économique, mois devra permettre à l'Homme, une fois son temps de travail libéré, de se consacrer à d'autres formes d'activités.

En ce sens, la réduction du temps de travail doit, pour les Socialistes, représenter une véritable conquête sociale.

Une stratégie de croissance coopérative et soutenable

Aujourd'hui, la croissance resto un objectif pour la politique économique, mais nous savons qu'elle ne résout pas tout. La mondialisation et la globalisation de l'économie, les mutations technologiques sont telles que le progrès technique, peut entrer en contradiction avec le progrès social. Les travailleurs des secteurs et des branches touchées par le chômage du fait de l'exacerbation de la concurrence avec des pays technologiquement performants, mais dotés d'une toute autre structure sociale et salariale, l'éprouvent durement.

Nous rechercherons les conditions d'une croissance forte, mais sans les excès productivistes d'hier, d'une croissance davantage créatrice d'emplois. Le contenu et les objectifs de cette croissance doivent revus elle doit être soutenable, c'est à dire garante des conditions de vie des générations futures et respectueuse de la planète. Sa mise en œuvre exige aussi d'autres conditions. Pour nous, il ne saurait être question de revenir aux dogmes d'une « autre politique » qui préconiserait le protectionnisme, la relance en un seul pays, ou la croissance zéro. La stratégie de croissance future sera internationale, coopérative et d'abord européenne.

Il conviendra de soutenir et d'accroître l'initiative européenne de croissance. Dans notre pays par exemple, l'État pourrait lancer des grands travaux pour les banlieues, recréant de vraies villes à la place de cités devenues invivables… Mais il ne saurait y avoir de politiques radicalement nouvelles en faveur de l'emploi sans une réforme de la fiscalité, une redistribution des revenus et plus largement un nouveau pacte social.

3. Une croissance plus riche en emplois

Pour un taux de croissance donné, l'économie peut créer plus ou moins d'emplois. Comme il serait illusoire de tout faire reposer sur la croissance, c'est bien sur le contenu en emplois de l'activité économique qu'il nous faut intervenir qu'il s'agisse de la réduction du temps de travail ou des emplois dans les services.

3.1. La réduction du temps de travail

Nous avons dès le début à quel point la réduction du temps de travail, et notamment l'extension progressive de la semaine de quatre jours constituait une partie intégrante de notre projet de transformation sociale, indépendamment de notre stratégie de création d'emplois. Il n'en reste pas moins que cette dernière ne peut réussir sans la reprise d'un puissant mouvement de réduction du temps de travail. De tous les moyens connus de création d'emplois, c'est sûrement le plus efficace et nous pouvons en attendre au moins un million d'emplois d'ici à l'an 2000. Encore faut-il pour réussir un tel pari, préciser nos principes et nos modalités d'action.

3.1.1. Nos principes d'action

Nous ne prétendons nullement que la réduction du temps de travail est une panacée qui nous dispenserait de toute autre action (tout le reste de ce rapport montre le contraire), mois nous considérons qu'il n'est plus possible de se passer d'un tel remède : tout partiel qu'il soit, il peut rapporter plus du tiers de notre objectif global de création d'emplois.

La recherche de la relation la plus efficace entre la réduction du temps de travail et la création d'emplois suppose de tenir compte de tous les enchaînements économiques caractéristiques d'une conjoncture donnée. Ceci signifie que, dans la situation actuelle de notre pays, il faut éviter trois écueils : affaiblir l'offre, affaiblir la demande, dégrader les finances publiques. Plus précisément :

– les coûts unitaires globaux (travail direct, indirect et capital) doivent être maintenus pour ne pas dégrader notre compétitivité internationale ;
– la consommation populaire et donc le pouvoir d'achat des intéressés ne doit pas être atteints ;
– les indispensables incitations financières doivent être gagées par l'amélioration des comptes publics (notamment de l'UNEDIC) qui résulterait de la création d'emplois induite par la réduction du temps de travail.

Tout manquement à l'une de ces trois contraintes ne pourrait faire que reperdre tout ou partie des gains en emplois escomptés. Dès lors, si les modalités d'une réduction du temps de travail sont potentiellement innombrables, celles qui respectent effectivement ces trois contraintes sont évidemment très peu nombreuses. Elles nécessitent notamment de ne pas se laisser enfermer dans le débat statique sur la compensation salariale. D'abord, parce qu'il n'est plus alors logiquement possible de respecter simultanément ces trois contraintes. Ensuite, parce que toute l'histoire a montré que la réduction de moitié au temps de travail depuis un siècle (de 3 200 à 1 600 heures annuelles) s'est effectuée de manière dynamique en affectant une part (minoritaire) des gains de productivité à cette réduction, Les expériences européennes réussies depuis quelques années (notamment aux Pays Bas et en Allemagne) ont confirmé que telle était bien la bonne méthode. Cette position rompt donc avec la conception – fausse – d'un gâteau fixe qu'il conviendrait de découper en plus petites parts et qui, en fait, consiste à partager une masse salariale donnée, laissant aux seuls salariés la charge de payer les chômeurs. Nous lui opposons la conception dynamique du partage des gains de productivité. Le choix politique est donc clair : ou bien, cette masse salariale croissante est affectée prioritairement à l'augmentation du pouvoir d'achat des salariés ayant un emploi, ou bien, elle est affectée prioritairement à la création de nouveaux emplois par la réduction du temps de travail. C'est ce second choix que nous proposons tant que notre pays connaît un chômage de masse.

3.1.2. Les modalités d'application

Les expériences passées font ressortir les insuffisances en termes d'emplois à la fois de l'approche centralisée mise en œuvre en 1936 et 1982 et de celle, essentiellement décentralisée, privilégiée depuis 1982. L'approche centralisée, parce qu'elle méconnaît la diversité des situations économiques et sociales des secteurs et des entreprises ainsi que la différenciation des aspirations qui traversent le corps social, n'induit pas une réelle dynamique d'adaptation et de changement économique et social en même temps qu'elle recèle un faible potentiel de créations d'emplois. L'approche décentralisée, qui globalement s'est traduite dom la France des années 80 par une stabilisation de la durée moyenne du travail, est porteuse d'inégalités face à l'emploi, face au revenu et face au temps.

Il s'agit donc d'articuler ces deux approches en redonnant à l'État sa fonction de catalyseur du changement. Il en sera ainsi s'il énonce un projet de transformation sociale, fondée sur la réduction et la réorganisation du temps de travail, tout en conférant aux partenaires sociaux le soin d'en négocier les modalités et les conditions d'application.

La démarche proposée ici consiste à combiner d'un côté l'action de l'État qui se situe à plusieurs niveaux (penser la transformation sociale, agir dans un sens favorable à l'emploi) et joue sur plusieurs registres (action législative, réglementaire, incitative), de l'autre celle des partenaires sociaux qui, elle également, se situe à plusieurs niveaux. À l'évidence, le rôle des partenaires sociaux ne relève pas de décisions de nature politique et ne fera donc pas ici l'objet de développement autres que ceux qui ont trait à l'action stimulante que peuvent avoir les pouvoirs publics pour initier des négociations tout en respectant leur autonomie. Cette complémentarité inédite entre le rôle de l'État et celui des partenaires sociaux doit être mise en œuvre aussi bien pour la réduction des horaires collectifs que pour réussir une profonde transformation des horaires individuels.

a) La réduction de l'horaire collectif de travail

Celle-ci ne peut réussir que par la conjonction d'une impulsion publique forte el de négociations décentralisées.

Le niveau confédéral peut fixer une méthode générale, sans que cela puisse générer un processus dilatoire. Il devrait, de surcroît, élaborer une Charte du Temps Choisi et étudier un contrat de travail temps partiel-formation ou la contribution des régimes de retraite à la retraite progressive. Le niveau des branches devrait aboutir à un accord-cadre, dans les différents domaines. Deux d'entre eux sont prioritaires : d'abord l'application de la réduction de la durée légale hebdomadaire. Pour que la négociation soit suffisamment approfondie et efficace, l'application de la mesure doit correspondre à l'évolution salariale de deux années ; ensuite, l'examen de routes les possibilités d'aménagement et de réduction du temps de travail, en deçà de l'horaire légal, appuyé par un important système d'incitation financière ; dans tous les cas, il s'agit de proposer des modalités concrètes qui permettent de concilier choix de vie (semaine de 4 jours…) et développement des capacités de production. Les négociations d'entreprise auraient pour objet l'application concrète de l'ensemble des dispositifs légaux et conventionnels ci-dessus.

L'impulsion publique consiste tout à la fois à fixer pour tous une norme d'affectation de gains de productivité du travail et à restituer aux entreprises la part des économies réalisées par les caisses publiques grâce à des accords collectifs et réorganisation-réduction du temps de travail. Il s'agit enfin de transformer progressivement la majorité des heures supplémentaires en repos compensateurs.

La baisse de la durée légale hebdomadaire

Nous avons montré plus haut qu'en respectant strictement les trois contraintes énoncées, la baisse pouvait être d'une heure par semaine choque année. Ce serait, cependant, une erreur de l'abaisser ainsi, année après année ou, ou contraire, d'attendre quatre ou cinq ans pour la fixer directement à 35 ou 34 heures. Dans le premier cos, des négociations efficaces n'auraient pas le temps de se dérouler, ce qui – foute d'aménagements pertinents – risquerait, ou moins transitoirement, de créer une diminution des capacités de production et une pénurie de certaines qualifications de main-d'œuvre : les créations d'emplois espérées seraient réduites. Dans le deuxième cas, on renverrait à un avenir politique et économique incertain, l'espoir suscité par la réduction du temps de travail et les créations d'emplois attendues.

C'est pourquoi, nous proposons qu'une première étape soit franchie, dès le retour des socialistes aux responsabilités, par le vote d'une loi fixant à 37 heures dans un délai inférieur à deux ans la durée légale hebdomadaire pour les travailleurs en discontinu et à 36 heures pour les travailleurs en semi-continu. Il appartiendrait donc à l'ensemble des secteurs de l'économie (y compris le secteur public) d'en négocier les modalités, les conditions ainsi que le rythme de mise en œuvre. Dans l'esprit du législateur, cette norme ne constituerait pas un butoir mais au contraire un plafond au-dessous duquel les secteurs et les entreprises seraient incitées à contracter.

Transférer aux partenaires sociaux le soin d'élaborer les modalités, les conditions ainsi que le rythme de mise en œuvre de cette mesure législative, suppose que s'instaure en France une dynamique contractuelle sur ce sujet. Instruits de l'atonie de la négociation de branche sur les questions de réduction-réorganisation du temps de travail, ainsi que de l'absence d'articulation pratique entre les différents niveaux de négociation, les pouvoirs publics doivent impulser ce mouvement de négociations. De surcroît, il convient d'instaurer un suivi tripartite de l'état d'avancement des négociations. L'État devrait également mettre à la disposition des partenaires sociaux, notamment dans les branches professionnelles les moins équipées, les soutiens logistiques dont il dispose (ANACT, certains services du Commissariat Général du Plan, etc.)

Cette étape franchie, une évaluation publique et contradictoire de l'ensemble des politiques et des négociations concernant le temps de travail devrait être effectuée avec les partenaires sociaux et sanctionnée par un débat parlementaire. À cette occasion, une nouvelle étape sera alors définie, en tenant compte de l'amélioration de la situation de l'emploi et surtout de l'importance des accords collectifs au-dessous de la durée légale.

Réduction du temps de travail collectif au-dessous de la durée légale

L'objectif est d'inciter les acteurs sociaux à négocier des accords de réduction-réorganisation du travail amenant la durée du travail collective (affichée) au-dessous de la durée hebdomadaire légale (de 37 ou 36 heures).

Si l'on considère qu'un horaire collectif réduit (par rapport à la durée légale) est favorable à l'emploi et diminue en conséquence les dépenses publiques, et notamment celles d'indemnisation du chômage, il est logique d'utiliser ces économies pour favoriser son extension.

Afin d'obtenir la plus grande lisibilité pour les acteurs sociaux, ce qui permet d'obtenir sans doute la meilleure efficacité, la mesure doit être la plus simple possible. Toute entreprise ou établissement dans lequel un accord porte la durée du travail collective (affichée) des salariés à temps plein à un niveau significativement réduit de la durée du travail, bénéficiera d'une incitation financière conditionnée par la durée d'utilisation des équipements.

La transformation des heures supplémentaires en repos compensateurs.

La transformation en repos compensateurs des heures supplémentaires sans même parler des autres primes pour horaires pénibles (nuit, week-end…) représente en France, en 1991, l'équivalent de 680 000 emplois à temps plein ! Il ne peut cependant pas être décidé de supprimer ces heures supplémentaires, car elles correspondent à un réel besoin d'ajustement à court terme pour les entreprises. Il faut cependant en revenir à l'esprit initial pour créer plusieurs centaines de milliers d'emplois. Il est en effet inadmissible que les heures supplémentaires deviennent un instrument permanent de gestion du personnel, conduisant à maintenir des salaires au plus bas. En ce sens, l'argument habituel suivant lequel les salariés sont attachés à ces heures supplémentaires pour assurer leurs fins de mois est peu recevable. Toutefois, pour tenir compte de la situation de départ, leur transformation en repos compensateur doit être faite progressivement. Ainsi, chaque entreprise devrait en transformer un tiers la première année, puis les deux tiers la deuxième ; l'argument patronal touchant aux difficultés à trouver les qualifications correspondantes à l'embouche, perd ainsi de sa consistance, puisque les entreprises auront largement le temps de mettre en place un plan de formation.

b) Du temps partiel contraint au temps réduit choisi

Le temps partiel est, aujourd'hui, pour une large part un ghetto, dons lequel on enferme, par peur du chômage, une main-d'œuvre essentiellement féminine. Cette situation n'est pas tolérable. Il existe, par contre, une aspiration véritable à un temps réduit pour une minorité importante (masculine et féminine) de salariés à temps plein et de chômeurs. Quantitativement, ces derniers sont d'ailleurs plus nombreux que les salariés à temps partiel contraint, ce qui fait que la mutation proposée remplit deux objectifs poursuivis par les socialistes : créer plus d'emplois et favoriser le développement d'un temps choisi pour réaliser un épanouissement équilibré de toutes les aspirations personnelles. Il s'agit de permettre une extension négociée du temps réduit choisi (inférieur à l'horaire collectif légal ou conventionnel affiché), dans des conditions assurant la meilleure protection possible des intérêts des salariés concernés.

Ici encore, puisque le développement du temps réduit individuel (et donc la réduction de la durée moyenne de travail) est favorable à l'emploi et diminue en conséquence les dépenses publiques, il est logique de recycler ces économies. Cependant, on ne doit pas fournir une aide de l'État pour des temps réduits contraints, en raison même de notre projet de transformation sociale ; donner au plus grand nombre non seulement le temps, mais aussi les moyens de vivre. Il faut donc établir, dans un délai d'un an de façon paritaire, une Charte du temps réduit choisi comprenant notamment :

1) L'engagement que le temps réduit est un choix du salarié concerné et pour cela comporter une clause de réversibilité et donc de passage à l'horaire collectif suivant des modalités négociées.

2) L'assurance que les salariés à temps réduit ne souffriront d'aucune pénalité de carrière ou d'avancement par rapport à leurs collègues à temps complet.

3) Les conditions de changement d'horaires, tant quantitatives (nombre d'heures) que qualitatives (matin ou soir, début ou fin de semaine…).

4) L'évolution des emplois en contrepartie de ce choix.

5) La transformation des heures complémentaires (ou tarif de base) en repos compensateurs (à un taux majoré).

Le contrat de travail « temps réduit formation » s'adressera à tout élève ou étudiant dons un cycle terminal d'études (2 à 3 ans). Il s'agit donc d'un contrat dont la durée est déterminée par ce temps d'études. Les partenaires sociaux seraient évidement consultés avant la mise en place du cadre juridique. Ses modalités et son contenu feront l'objet d'accords entre les bronches professionnelles et l'Éducation nationale ou d'autres centres de formation agréés, pour qu'il y ait bien une double validation. Dépassant le système des stages en entreprise, aujourd'hui saturés, il s'agit d'une « formation en alternance » de type offensif, ou si l'on préfère d'un « apprentissage à la française ». Offrant aux entreprises une procédure efficace de pré-recrutement, ce contrat change totalement l'image traditionnelle (féminine, défensive, précaire, …) du temps réduit.

La retraite progressive devra être immédiatement mise en chantier avec les partenaires sociaux, pour un début d'application dans les 18 mois. Contrairement à notre système actuel de pré-retraite, l'exemple suédois a montré depuis 1977 toute la validité de la retraite progressive : à partir de 55 ans, un salarié peut choisir un temps partiel, éventuellement dégressif, pour lequel il reçoit, outre la fraction de salaire équivalent, la fraction de retraite correspondant à son non-travail. Il peut d'ailleurs prolonger son activité entre 60 et 65 ans, dans les mêmes conditions. Le système dans ce cas est neutre en longue période, en terme d'emplois et de financement, mais est très favorable à l'emploi pendant les cinq premières années de sa montée en régime.

c) L'inspection du travail

Finalement, le renforcement des moyens de l'Inspection du travail est, sans doute, le test le plus certain de la volonté politique de réduire le temps de travail. Il en a d'ailleurs toujours été ainsi depuis les origines (1892). Aujourd'hui, la diversification des horaires, associée à la faiblesse syndicale, est devenue telle, que les horaires affichés sont de moins en moins respectés. Quel sens prendrait alors la définition de nouveaux horaires sans ce renforcement ? De surcroît, certaines mesures comme le repos compensateur ou le temps réduit choisi sont illusoires sans rôle effectif de l'Inspection du Travail, qui doit trouver là une revalorisation de sa mission.

3.2. La création d'emplois dans les services

La distinction entre les secteurs abrités de la concurrence internationale et les secteurs qui y sont exposés ne recoupe pas exactement celle qui sépare les services de l'industrie. Il reste que le secteur des services aux personnes apparaît comme un des principaux domaines dons lesquels une création significative d'emplois peut être obtenue.

3.2.1. Les services de solidarité

Les besoins en services sont considérables qu'il s'agisse de l'aide aux personnes âgées ou d'un ensemble de services de proximité. Pour avancer, il faut sortir d'un dilemme simple. Ces emplois sont-ils rentables ? Dans ce cas, le marché devrait les créer spontanément. Ces emplois sont-ils non rentables ? Dans cette hypothèse, on ne peut pas vraiment concevoir qu'ils puissent être financés par la collectivité sans engendrer un coût astronomique. En réalité, ces emplois sont semi-rentables. Ceci signifie que les ménages ne sont pas prêts à payer l'intégralité du prix de ces services mais seulement une partie, elle-même fonction de leur niveau de ressources. La création des chèques-service comme celle de la Dotation Globale de Création d'Emplois ont donc vocation à compléter la rentabilisation de ces activités.

a) Le chèque-service

La mise en œuvre des chèques-service accordés par l'État, les collectivités locales ou les entreprises constituent une modalité d'action particulièrement intéressante qui reprend une vieille idée de l'économie distributive.

Ce système a beaucoup d'avantages : la souplesse en fonction du type de services et du niveau de revenu ce qui en fait un instrument d'action sociale ; le caractère non bureaucratique puisque les services concernés peuvent être assurés aussi bien par une entreprise, une association ou une profession libérale ; la transparence et la lutte contre le travail au noir.

Fonctionnant selon un principe proche de celui des chèque-restaurant et des chèques-vacances, ces chèques peuvent être émis par toute sorte d'institution publique ou privée. Pour voir ses prestations réglées à l'aide d'un chèque-service, une entreprise, une association, un travailleur indépendant voire un service public, devront satisfaire à un cahier des charges qui dépend largement du type de service considéré et qui concerne aussi bien la qualité que la pérennité du service. En bout de chaîne, un ou plusieurs organismes centralisateurs assureront la liquidité du système.

Selon une étude de la Banque de France, et du BIPE, cette mesure peut permettre de créer plus de 380 000 emplois en cinq ans à la différence du ticket-service défini par le gouvernement Balladur qui se contente de lever les obstacles administratifs sans se donner les moyens financiers d'aboutir. Le coût global a été estimé à 18 milliards qu'il faut répartir entre tous ceux qui y ont un véritable intérêt : État, collectivités locales et entreprises.

b) La Dotation Globale de Création d'Emplois

Un objectif analogue peut être poursuivie par une voie complémentaire. Il s'agit d'aider les collectivités locales à financer, pour partie, la création d'emplois dans des associations qui fournissent des services de proximité (y.c. sous la forme de chèques-service). Pour aller au-delà de ce qui a déjà été fait, nous proposons de créer une Dotation Globale de Création d'Emplois (DGCE) versée par l'État aux communes et financée par un point de CSG. Ces moyens nouveaux permettront à ces dernières, sous l'étroit contrôle de l'État, d'abaisser le prix des services fournis par ces associations au niveau des ressources dont disposent les ménages.

3.2.2. Les emplois dans les services marchands

Comme on l'a déjà évoqué, le coût élevé du travail non qualifié, accélérant la substitution du capital au travail, est à l'origine de la disparition de nombreux emplois, notamment dans les services. Toutefois, il y a un certain nombre de cas dans lesquels la puissance publique peut favoriser la création d'emplois en poussant à l'amélioration de la qualité du service. L'exemple des pompistes, profession petit à petit remplacée en France par des distributeurs automatiques, est trop connu pour qu'il soit nécessaire de le développer. Mais on voit bien comment la réglementation publique en imposant une présence humaine minimale, il peut être demandé aux consommateurs une contribution supplémentaire correspondant à une amélioration effective des services rendus. On doit aller plus loin en aidant les travailleurs non qualifiés à se réinsérer dans le marché du travail.

a) Un double constat

Un double constat s'impose. Tout d'abord, le chômage frappe beaucoup plus durement les travailleurs non qualifiés que les autres. Ce phénomène qui semble devenir structurel s'aggrave année après année. Un autre phénomène est lui aussi à l'œuvre. En effet, au cours des vingt dernières années, le coût relatif du travail non qualifié a eu tendance à augmenter par rapport ou travail qualifié. Cette constatation peut être faite partout en Europe, mais elle est particulièrement vraie en France.

Ceci ne signifie nullement que le chômage puisse être attribué à un niveau moyen du coût du travail qui serait trop élevé. C'est une chose de s'intéresser à la hiérarchie des coûts du travail dans un pays (travail non qualifié, travail qualifié, etc.), c'en est une autre de comparer, comme le font les libéraux, le coût moyen du travail et le chômage dans différents pays en tentant de trouver l'explication du second dans l'excès du premier. Cette dernière démarche n'a d'autre objet que de justifier, une fois de plus, la seule mesure de politique économique qui fasse l'unanimité à droite : la baisse des salaires. Il n'est évidemment pas question de cela ici. Les faits n'ont jamais corroboré cette analyse libérale. Ils viennent même parfois sèchement l'infirmer. Ainsi, la situation de l'Allemagne comparée à ses partenaires européens conduit à un résultat « libéralement paradoxal » : malgré des coûts salariaux plus élevés et une productivité du travail plus faible, le niveau du chômage y est en moyenne plus bas.

Il reste que les travailleurs non qualifiés ont été de plus en plus volontiers remplacés par des machines partout où la technique le permettait (et on sait que ce processus a été plus rapide en France qu'ailleurs) ; lorsque cette substitution du capital au travail n'était pas possible, les métiers correspondants ont purement et simplement disparu qu'il s'agisse des gardiens d'immeubles ou de parc, des personnels d'accueil dans les entreprises ou les administrations, etc. ; ailleurs encore, de nouveaux services ne sont pas apparus alors que la demande existe. Il ne s'agit pas là d'une évolution inéluctable du « monde moderne ». La disparition de ces emplois qui se chiffre par centaines de milliers ne s'est produite ni aux États-Unis ni au Japon, où, justement, l'écart entre le coût du travail non qualifié et le coût du travail qualifié ne s'est pas creusé.

b) Favoriser l'emploi des travailleurs non qualifiés

Tout ceci plaide une fois de plus pour d'importants programmes de formation, d'autant plus que la mondialisation des échanges et la concurrence nouvelle des NPI conduisent une économie comme la nôtre à se recentrer sur des activités à haute valeur ajoutée ce qui risque de constituer une cause supplémentaire de décalage dans les perspectives d'emplois selon le niveau de qualification. Le compromis social qui prévaut depuis l'après-guerre et repose sur une certaine homogénéité de la population est aujourd'hui mis en cause par un éclatement de la société qui engendre de plus en plus d'exclus. L'économie duale, et, à sa suite, la société duale devient dès lors une réalité.

On peut craindre toutefois que les nécessaires efforts de formation soient insuffisants ou, à tout le moins, trop lents pour apporter toute sa solution au problème. Dès lors, il convient de mettre en œuvre une mesure qui diminue les charges pénalisant les travailleurs non qualifiés.

Il ne peut s'agir d'une diminution du salaire net des travailleurs non qualifiés. Ceci serait inacceptable car ces rémunérations sont déjà fort modestes et ne permettent pas toujours aux familles de « joindre les deux bouts ». Dans ces conditions, c'est bien d'une exonération de charges qu'il faut parler. Décourageant le travail au noir, rendant rentable un certain nombre d'activités, cet allègement contribuerait à ralentir la substitution entre le capital et le travail.

La méthode qui a notre préférence consiste à exonérer totalement ou partiellement les salaires au niveau du SMIC et à réduire linéairement cette exonération jusqu'au niveau égal, par exemple à deux fois le SMIC. Le coût d'une telle exonération est de l'ordre d'un point de PIB environ si l'exonération du SMIC est totale.

Il reste la question majeure du financement de cette mesure. La solution qui repose sur une hausse de la TVA est à prohiber. Cette méthode cumule tous les inconvénients. D'abord, elle comporte des risques inflationnistes. Ensuite, elle a un effet récessif particulièrement marqué. Enfin, elle a des effets anti-redistributifs bien connus, puisqu'il s'agit d'un prélèvement assis sur la consommation et non sur l'intégralité du revenu.

Si l'on souhaite que le financement de cette mesure n'affecte pas directement l'équilibre des charges entre les entreprises et les ménages, le mieux est de lui affecter la taxe sur le CO2 qui fait partie de nos engagements de la conférence de Rio sur l'environnement. Du reste, cette proposition bénéficie d'un large soutien international, aussi bien chez les économistes que dans le récent Livre Blanc de la Commission de Bruxelles. Cette taxe doit, en effet, être européenne pour ne pas introduire de distorsion de concurrence. Les estimations communautaires évaluent son rapport à 1 % du PIB, ce qui est bien de l'ordre de grandeur de la mesure préconisée en faveur des travailleurs non qualifiés.

3.3.3. Les emplois publics de service

Il n'y a pas qu'en matière de services marchands que les besoins sont énormes. Mais la volonté systématique de réduire la dépense publique a empêché de répondre à des besoins nouveaux que nous avons largement ignorés. La question qui est posée est celle de la capacité de l'État et des collectivités publiques à faire des choix de long terme. Le problème en cause repose sur la distinction entre les coûts instantanés et les coûts futurs ; il n'est pas certain que les arbitrages politiques soient systématiquement faits en faveur de l'emploi. C'est là un bon exemple de la nécessité impérieuse de passer toutes les dépenses publiques au crible pour privilégier celles qui ont une influence positive sur l'emploi.

Prenons l'exemple des banlieues dont chacun s'accorde à reconnaître qu'il y a là un des problèmes majeurs de cette fin de siècle. Et limitons-nous à la situation des enfants au sortir de l'école qui disposent de nombreuses heures avant que leurs parents reviennent, tard, de leur travail. L'absence d'encadrement, en milieu scolaire ou périscolaire est régulièrement dénoncée comme une des principales causes qui conduira une partie d'entre eux au désœuvrement et, pour certains, à la toxicomanie et à la délinquance. Certes, les emplois d'animateurs coûtent cher ! Mais, sans même parler de l'exigence morale qui s'impose à nous, ne voit-on pas que la collectivité aura, dans un avenir qui n'est pas lointain des charges décuplées à assumer parce que rien n'aura été fait aujourd'hui. Nous avons été beaucoup trop timides dans ce domaine. Il y a une foule d'emplois publics ou associatifs dont le financement aujourd'hui, pour difficile qu'il soit, épargnera des charges futures qu'il faudra bien assumer en sus des drames humains que nous n'aurons pas su éviter.

Les grands mécanismes de promotion sociale comme la création d'emplois d'instituteurs ou d'infirmières ne sont pas nés autrement. Là aussi, il s'agissait de constater l'existence de besoins réputés insolvables et de permettre la satisfaction de ces besoins en inventant à la fois l'école pour tous et les assurances sociales. Cet effort d'organisation des professions et de solvabilisation de la demande a été entrepris, il y a parfois plus d'un siècle, par une société qui était bien moins riche que la nôtre. Ce faisant, les politiques de l'époque ont su foire entrer notre pays dons le XXème siècle. Accepterons-nous d'être moins audacieux ? Nous cacherons-nous les yeux devant les besoins nouveaux qu'il faut aujourd'hui rendre solvables ? C'est une des grandes tâches de la décennie qui vient que de discerner parmi tous les besoins latents ceux que la collectivité publique est le mieux apte à satisfaire. Il y a là de considérables gisements d'emplois dont le financement n'apparaît lourd que parce qu'on fait semblant d'ignorer le coût social – et à terme financier – de l'immobilisme.

Au-delà du caractère inévitablement technique de l'ensemble des mesures proposées, notre stratégie a un sens fondamentalement politique. Elle nécessite une mobilisation générale de tous les citoyens. Celle-ci englobera nécessairement les instances spécialisées dans le domaine de l'emploi. Mais elle fera appel à tous, depuis les moindres villages et quartiers (dans le domaine du développement local comme de la réduction du temps de travail) jusqu'à ceux qui doivent défendre notre politique dans les instances internationales en passant, bien entendu, par leur mise en œuvre au niveau de l'État – qui ne doit plus être le seul apanage des hauts fonctionnaires, mais aussi celui d'un maximum de citoyens actifs – et par les partenaires sociaux à tous les niveaux : confédérations, branches, entreprises, établissements,…

Notre tâche est immense, difficile, mais possible et nécessaire : elle ne pourra être accomplie si elle reste la tâche d'une petite minorité, même animée des meilleures intentions. Ce grand projet se concrétisera, parce qu'il sera l'œuvre de tous.

[Annexe 1 et 2 – tableaux non reproduits]


L'emploi au cœur d'un nouveau contrat social

Convention nationale emploi

Mode d'emploi 2

Ce deuxième vendredi, spécial Convention Emploi, contient l'ensemble des amendements nationaux déposés par des membres du Conseil national.

Plus de 30 amendements proposés selon un ordre politiquement logique à l'égard du plan du rapport transmis aux militants par le Bureau exécutif.

Pour chaque amendement il est précisé souvent un exposé des motifs édité en italique, son lieu d'inclusion (page et paragraphe), sa nature (ajouts ou substitutions) enfin la liste des signataires qui le soutiennent.

Il est joint une analyse critique de l'action économique et emploi du gouvernement Balladur.

En troisième et quatrième de couverture vous trouverez l'ensemble des renseignements techniques nécessaires pour vous rendre dans de bonnes conditions sur les lieux notre Convention et un bulletin de vote individuel.

Modalités de vote

À l'issue du débat, dom chacune de nos sections, les adhérents et sympathisants présents devront se prononcer par un vote sur :

1. le rapport transmis aux militants par le Bureau national.
2. les amendements nationaux proposés du texte de ce rapport.

Les adhérents ou les sympathisants, peuvent proposer des amendements à la réflexion et au vote de l'ensemble des militants, lors des réunions locales, qui seront transmis aux Conventions fédérales dans la mesure où ils ont obtenu une majorité de suffrage.

Trois opérations de vote distinctes seront donc nécessaires.

Calendrier des débats

La Convention nationale se déroulera les 26 et 27 février à Cergy-Pontoise.

Les Conventions fédérales doivent se tenir une semaine avant. Il va de soi que ce délai statutaire doit être compris comme « la semaine qui précède la Convention nationale ».

Enfin, les secteurs d'intervention du Parti : Entreprises, Affaires sociales, Femmes – mixité… pourront faire parvenir leur propre amendement à usage exclusif des débats et votes des Conventions fédérales. Ces textes parviendront directement aux fédérations.

Voilà en quelques mots, chers(es) camarades, décrites les modalités de vote et le calendrier de nos débats. Bon travail !


Daniel Vaillant, Secrétaire national aux fédérations
Manuel Valls, Secrétaire national à la communication et à l'information


Amendements

Amendement n° 1

Pages 9 et 10. Amendement de substitution

« La Convention sur l'emploi doit partir d'une analyse de la situation en ce début d'année 1994 et se demander d'abord pourquoi le chômage augmente deux fois plus vite depuis l'arrivée de la droite au pouvoir.

N'est-ce pas parce que certains freins mis en place ou préservés par les socialistes, qui pourtant n'ont pas réussi à vaincre ni même à stopper le chômage, ont sauté ? N'est-ce pas aussi parce que la logique capitaliste qui a conduit à la crise s'impose de plus en plus brutalement à travers le monde et en Europe ?

La politique menée en Fronce depuis mars 1993 a réduit fortement le pouvoir d'achat de millions de salariés et de retraités et aggravé la montée du chômage. La crise engendrant ainsi la crise et développant un sentiment d'insécurité, la consommation des ménages recule, entraînant la chute de la demande.

Les diverses mesures d'ordre économique et social se traduisant par 100 millions de ponctions et de prélèvements supplémentaires sur le budget des ménages ont encore ralenti la consommation, donc la production.

Dons le même temps les privatisations menées à un rythme accéléré, les exonérations et les cadeaux de toutes sortes faits au patronat 80 milliards de francs – sans contrepartie en matière de créations d'emplois, l'attraction croissante exercée par les profits boursiers conduisent à une activité spéculatrice qui se développe au détriment de l'effort productif, sans compter l'accentuation des inégalités.

Or, le gouvernement Balladur souscrit par chacun de ses actes à une philosophie et à une logique libérale, c'est-à-dire aux théories et aux pratiques du capitalisme le plus classique. Il est entièrement soumis, malgré quelques protestations de façade, à un système qui à travers le monde chasse l'homme de la production, saccage l'environnement et aggrave la détresse du tiers-monde.

Que constatons-nous partout à la surface du globe ? Ceci : la logique du marché provoque des affrontements de plus en plus durs entre les multinationales et les États qui les soutiennent. La mondialisation de l'économie conduit les entreprises à accroître leur compétitivité faute de quoi elles se condamnent à disparaître. C'est ainsi qu'elles procèdent à une réduction brutale de leurs charges salariales, rendue possible par la rapidité des progrès techniques auxquels désormais accèdent aussi les nouveaux pays industrialisés. Mais ces derniers pratiquant des salaires horaires avoisinant 7 francs de l'heure, il s'ensuit en plus un redoutable dumping social. Pour résister à cette nouvelle concurrence, les grands pays industrialisés se procurent des matières premières dans les pays du tiers-monde à des prix de plus en plus bas ou bien procèdent encore à des dévaluations compétitives qui faussent les règles du commerce international. C'est dire que le système dominant, voire universel, qui gagne aujourd'hui l'ensemble de la planète tend à rejeter finalement toute règle ou toute tentative de régulation qui entraverait durablement son développement.

Le résultat ce sont des millions de chômeurs en Europe et de plus en plus d'exclus, à commencer dans le premier pays capitaliste au monde, les États-Unis. Et que dire de la situation faite aux pays appelés par euphémisme « pays en voie de développement » ?

C'est pourquoi, les socialistes doivent revenir aux principes et aux valeurs qui fondent leur raison d'être : le combat contre les inégalités, la lutte pour un nouvel ordre en Fronce, en Europe et dons le monde. C'est pourquoi la question de l'emploi doit être au centre de leur pensée et de leur action. Les échecs que nous avons subis sur ce front ne sauraient nous détourner d'un objectif permanent : le droit de chacun au travail, le chômage étant l'exclusion majeure d'où toutes les autres découlent. Il ne s'agit là ni d'un problème technique, ni d'un problème d'experts, mais d'un choix de société, d'une vision du monde à construire.

Notre pensée et notre action ne peuvent se situer qu'en rupture avec l'ordre établi, même si le rapport de forces impose et imposera longtemps encore de passer des compromis, mais à condition d'avoir toujours pour objectifs le progrès social et la transformation du monde.

En effet, même si le rapport des forces ne nous permet pas de modifier autant que nous le voudrions ni du jour au lendemain l'ordre établi, nous pouvons cependant exprimer les aspirations et les intérêts du monde du travail, faire reculer le modèle dominant, l'obliger à composer, lui imposer certaines règles, bref faire avancer l'heure des réformes de structures.

Le suffrage universel, l'action syndicale, l'action conjointe des forces de gauche et du mouvement social doivent permettre de contenir les abus, de les réduire, de fixer un certain nombre de règles comme cela s'est fait tout au long des cent cinquante dernières années et de préparer l'avenir. C'est ainsi que nous offrirons au monde du travail une alternative à la politique pratiquée aujourd'hui par la droite.

Mais aucune avancée ne sera vraiment possible, à commencer en matière d'emploi, si les droits des salariés dans l'entreprise ne sont pas d'abord reconnus. C'est une des graves fautes de la Loi quinquennale sur l'emploi que d'affaiblir les droits des salariés, contrairement à la pratique allemande ou suédoise par exemple ; il faut au contraire se préoccuper de renforcer le rôle des syndicats. Pourquoi ne pas demander la mise en œuvre de celle des 110 propositions de François Mitterrand, qui prévoyait l'octroi d'un droit de veto aux Comités d'Entreprise sur les licenciements économiques ? L'autorisation administrative de licenciement ayant été remplacée par l'instauration de plans sociaux qui font obligation à l'employeur de prévoir le reclassement des salariés avant un éventuel licenciement, il conviendrait aussi de s'assurer que l'administration effectue correctement les contrôles a posteriori indispensables.

En cas de licenciement abusif établi par le juge, il faut demander également que la personne licenciée soit réintégrée, comme cela se pratique déjà en Allemagne et en Italie. N'y a-t-il pas là une lacune dans le droit du travail français que les socialistes auraient dû songer à combler ?

Sans des novations de ce type, peut-on espérer que le monde du travail ait vraiment son mot à dire dans la lutte pour la défense de l'emploi ? Ainsi, prenons la question centrale de l'affectation des gains de productivité à la réduction de la durée du travail, susceptible de permettre la création de nouveaux emplois. S'il convient que la loi protège le salarié en fixant un cadre à la négociation, celle-ci doit se dérouler par branches d'activités, voire par entreprises. La réduction de la durée du travail sans réduction de salaire suppose donc un dialogue social véritable et allant au fond des choses. Les salariés doivent pouvoir connaître exactement la situation, les difficultés ou les bons résultats, les projets de l'entreprise où ils travaillent. De même, ils doivent pouvoir contrôler l'utilisation des aides que leur entreprise reçoit de l'État. Celles-ci devraient précisément faire l'objet d'un accord préalable du Comité d'Entreprise et d'une vérification a posteriori. En renforçant le rôle des salariés, en leur donnant des responsabilités, l'État dépenserait à meilleur escient et on éviterait le spectacle déconcertant d'un Premier ministre incapable lui-même de savoir où est passé l'argent si largement octroyé.

D'une façon plus générale le contrat social ne peut sortir que du dialogue et celui-ci doit apporter réponse à une question essentielle : les progrès de la productivité ne doivent-ils pas contribuer prioritairement à la lutte contre le chômage plutôt qu'à un incessant enrichissement du capital ? Une meilleure affectation des revenus du capital ou financement du budget de l'État, à celui de la protection sociale ou encore à l'amélioration du pouvoir d'achat des salariés, à la création d'emplois par la réduction progressive de la durée du travail, est aujourd'hui indispensable.

L'État lui-même ne saurait pratiquer la politique du laisser-faire, laisser-aller. Il doit aussi inciter par la voie réglementaire les entreprises à contribuer à l'insertion et à la formation des exclus, à l'insertion professionnelle des handicapés, des travailleurs non qualifiés, des immigrés, des cadres âgés qui, s'ils sont sortis du rang, sont menacés à 50 ans de perdre leur emploi.

Pour répondre à ses missions, le même État doit se doter de davantage de moyens en personnel et en matériel : les ANPE, les directions du travail, l'AFPA (Association de Formation Professionnelle des Adultes) aujourd'hui en crise, doivent recevoir des dotations à hauteur de leur tâche.

Il faudrait enfin reprendre la politique de création d'emplois publics dans l'enseignement, dans les hôpitaux, dans la magistrature, dans la gendarmerie et dans la police où les effectifs sont notoirement insuffisants.

Le secteur privé devra être incité à créer ou à recréer des activités de service là où automatisation et informatisation à outrance ont provoqué une désastreuse soignée en emplois et une déshumanisa lion de la société.

La réforme de la fiscalité permettra aussi de dégager des marges de manœuvre pour créer des emplois de proximité qui répondront aux besoins de la société actuelle et qui permettront à l'homme de mieux appréhender son cadre de vie.

La crise est aujourd'hui trop forte pour que certains puissent continuer à considérer séparément l'espace économique et l'espace social. Certes dons la logique capitaliste ils ne se recoupent pas. N'a-t-on pas suffisamment entendu dire par les représentants du CNPF que les entreprises n'avaient pas pour vocation première de créer des emplois. Les socialistes ne sauraient entrer dans cette logique, car ils ont pour mission de répondre aux attentes du monde du travail, ce qui les amène à s'inscrire en faux contre les canons du libéralisme économique. S'il y a un domaine où le rôle régulateur de l'État devrait s'exercer c'est bien dons celui du travail. Tout en sachant que le combat passe par le rassemblement de toutes les forces de progrès, en Fronce et dans l'Union Européenne en premier lieu, mais aussi dans le reste du monde.

Face à la guerre économique que se livrent les multinationales par États interposés – on vient de le voir dons les négociations du GATT où le gouvernement s'est employé à endormir une fois de plus son opinion publique, présentant comme un succès ce qui n'était que reculade – face à cette guerre économique, il faut aussi lever le drapeau de l'internationalisme socialiste. Car s'il y a mondialisation de l'économie, il faudrait pouvoir en appeler aussi à la mondialisation du mouvement social.

Davantage de démocratie et de cohésion devrait aussi permettre à l'Union Européenne de mieux gérer son espace économique et son espace social, et, première entité commerciale au monde, de jouer à terme et progressivement un rôle de régulation dans les échanges internationaux. »

Signataires : Louis Mermaz, Louis Mexandeau, Claude Fleutiaux, Hubert Bicep, Guy Couderc, Christiane Demontes, Roland Dumas, Catherine Lalumière, François Loncle, Jacques Mahéas, Jean-Pierre Philippe, Géraldine Poirier, André Vallini, Jean Leroy, Philippe Marchand, Richard Gradel, Philippe Dorthe.

Amendement n° 2

Page 9. Paragraphe 1 – insérer à la fin :

En fait, c'est le compromis fondamental entre bien-être social et efficacité économique, apanage de la civilisation européenne et produit d'une longue histoire qui est remis en cause, au bénéfice exclusif d'une efficacité économique qui concentre ses bienfaits sur un nombre de plus en plus restreint de personnes au détriment de celles et ceux, toujours plus nombreux, qui s'en trouvent exclus.

Signataires : Alain Bergounioux, Henri Emmanuelli, Claude Evin, André Laignel, Gérard Lindeperg, Dominique Strauss-Kahn.

Amendement n° 3

Page 9. Paragraphe 3, insérer après : « Mais les socialistes se sont trompés : ils ont cru que la croissance reviendrait et que, revenue, elle créerait suffisamment d'emplois pour résoudre le chômage : la croissance n'est pas venue et elle aurait de toute manière été insuffisante pour résoudre le chômage.

Si nous avons reconnu que l'économie de marché est le meilleur système d'adéquation de l'offre et de la demande, un outil micro économique, nous devons reconnaître que le système libéral sans contre­poids mène à un mur.

Sur le plan international, il ne parvient pas à obtenir le développement d'un grand nombre de pays ni à assurer la transition vers l'économie de marché des pays de l'Est. Cette misère économique qui s'accroît nous promet nationalisme et guerre en Europe, intégrisme et terrorisme dans le Maghreb : le système ne fonctionne pas.

Sur le plan intérieur, il est devenu une machine à exclure.

La société française est aujourd'hui capable de produire de plus en plus de richesses, de payer de plus en plus cher des salariés de moins en moins nombreux, de tirer de ces salariés de plus en plus de prélèvements pour assister de plus en plus de chômeurs, qui s'enfoncent dans la misère financière et morale. Et cette machine à exclure, qui tourne sur elle-même, s'emballe.

Le libéralisme sur le plan macro-économique est un système qui ne fonctionne pas, il faut donc le corriger fortement ».

Signataires : Denise Cacheux, Bernard Derosier, Marc Dolez, Jean Le Garrec, Didier Manier, Bernard Roman.

Amendement n° 4

Page 9. Paragraphe 4, insérer avant :

Sons préjuger de ces solutions, les socialistes aujourd'hui dans l'opposition ont la responsabilité d'aborder la critique globale de ce système. La faillite du communisme n'est ni l'effondrement de la pensée socialiste qui, la première a dénoncé les dangers potentiels du totalitarisme communiste, ni la fin de l'histoire. Et l'on ne saurait se résigner à l'absurde : avoir de plus en plus de pauvres dons des pays de plus en plus riches.

Signataires : Alain Bergounioux, Henri Emmanuelli, Claude Evin, André Laignel, Gérard Lindeperg, Dominique Strauss-Kahn.

Amendement n° 5

Page 10. Paragraphe 4 de l'introduction : remplacer les deux dernières phrases (après « temps de travail ») par :

« Notre principal objectif dans un projet socialiste doit être de réduire drastiquement le chômage en cinq ans avec un message d'espoir fort dès la première année de notre retour au pouvoir.

Sachant qu'aujourd'hui on peut estimer à 5 millions le nombre de personnes sans emploi stable et à 150 000 le nombre de personnes qui accroissent annuellement la population active, si l'on veut en cinq ans ramener le chômage à 5 % de la population active, soit 1 500 000 de chômeurs et assimilés, c'est 4 millions à 4,5 millions d'emplois qu'il fout créer sur cinq ans ».

Signataires : Denise Cacheux, Bernard Derosier, Marc Dolez, Jean Le Garrec, Didier Manier, Bernard Roman.

Amendement n° 6

Emploi, redistribution des richesses et économie de proximité

Lors de la dernière compagne législative, E. Balladur s'était donné quelques mois afin d'inverser la courbe du chômage. Les premiers résultats sont là… Pour les ménages 50 milliards de cotisations et d'impôts en plus, pour les entreprises 80 milliards d'avantages fiscaux supplémentaires, les droits sociaux et les services publics remis en cause el le chômage qui dans toutes les régions frappe, isole, désespère et augmente mois après mois ! Dons le même temps, on annonce une diminution très brutale des crédits pour la réinsertion, notamment des jeunes ; de plus en plus nombreux sont les enfants scolarisés dont les parents n'auront jamais eu de travail ; l'angoisse du chômage gagne foutes les couches de la société. Et ce n'est évidemment ni la stratégie générale du Gouvernement, ni la loi Giraud, ni les mesures telles que celles qui consistent à inciter les femmes à rester chez elles qui arrêteront cette aggravation. Au contraire !

Ce dont la France a besoin, c'est d'une action fout entière fournée vers l'emploi, d'une autre logique, d'une politique qui apporte réellement plus de croissance et plus de justice, d'un véritable contrat social pour l'emploi. Dans cet esprit, la Convention nationale du PS doit formuler nos objectifs et nos propositions, sans langue de bois et d'une façon crédible. Or, si les diverses mesures avancées dans le rapport introductif qui nous est soumis se justifient, ce rapport évoque surtout les éléments d'une politique dite « macro-économique ». On ne peut absolument pas en rester là. Il faut, bien entendu, rechercher tous les moyens possibles vers une croissance plus forte. Mais cette croissance doit s'accompagner, disons-le clairement, d'une redistribution des richesses permettant de financer une importante réduction du temps de travail et de solvabiliser les emplois de proximité. Cette redistribution, cette réduction des inégalités, sont une marque fondamentale de la gauche. De plus, nous devons être porteurs d'une vraie dynamique sociale, ancrée dons les luttes quotidiennes, nous devons être à l'initiative d'actions concrètes en direction et avec les chômeurs. Beaucoup d'élus et de militants sont d'ores et déjà engagés dans de telles actions. C'est cette démarche qu'il est indispensable d'amplifier et de généraliser.

Voilà pourquoi nous proposons un amendement au rapport introductif. Il a pour ambition, avec des propositions précises, de donner à la résolution finale de la Convention un nouveau dynamisme, une capacité plus forte de conviction.

Pages 11 : 1.1.2. Insérer à la fin :

La réduction du temps de travail doit s'accompagner d'un meilleur portage des revenus et des richesses

Cette orientation figure expressément dans le texte final du Congrès du Bourget, la réduction du temps de travail est en effet de nature à créer réellement des emplois à condition d'être rapide el massive. Mais la création d'emplois correspondant à une forte diminution du temps de travail entraîne une augmentation de la charge salariale des entreprises, sauf si on préconise, comme le Gouvernement Balladur, une baisse générale des solaires : nous n'acceptons pas cette baisse générale qui serait socialement injuste et économique­ment néfaste, car elle pèserait sur la consommation.

La question est donc de savoir qui doit supporter les modifications de charges. D'abord, l'entreprise, sur les gains de productivité qu'elle réalise : ils doivent être consacrés à cette réduction et permettre aux salariés de disposer de temps pour se former et s'adapter aux changements technologiques. Un contrôle de la création réelle des emplois correspondants doit être mis en place mais, en tout état de cause, la réduction attendue ne dépassera pas 2 heures environ sur 2 ans, ce qui amènera en fait la durée légale du travail à 37 heures. Or, nous pensons qu'il faudra aller plus loin, c'est-à-dire vers les 35 heures, puis la semaine de 4 jours. Pour cela, nous devrons donc faire largement appel à la redistribution des revenus et des richesses. Les hauts salaires peuvent ne pas recevoir une compensation totale à la réduction du temps de travail ; surtout, une intervention financière de l'État doit être prévue, sous forme par exemple d'une réduction des charges salariales, proportionnellement aux emplois créés. En fonction de la dynamique créée par la croissance, cette réduction sera financée par une fiscalité plus juste (sur les revenus du capital et les hauts revenus).

Si on veut qu'elles soient efficaces, ces dispositions devront être soutenues par l'État. Les partenaires sociaux devront en négocier les modalités. Pour freiner les licenciements, les cotisations de chômage des entreprises devront être modulées : augmentation en cas de suppressions injustifiées d'emplois, diminution des cotisations dans le cas de création d'emplois, comme cela se passe pour les cotisations d'accidents du travail. Un contrôle efficace et renforcé de l'Inspection du Travail est nécessaire, il faut lui en fournir les moyens.

Nous sommes évidemment favorables à tout ce qui peut encourager la croissance, une croissance plus respectueuse de l'environnement. Mais nous savons que la croissance française est jusqu'ici moins créatrice d'emplois que chez nos voisins : c'est notamment parce que les mécanismes fiscaux et sociaux privilégient les machines par rapport à la main d'œuvre. Par exemple beaucoup de chefs d'entreprise préfèrent acheter des machines qui bénéficient d'un amortissement fiscal accéléré, plutôt que d'embaucher des salariés qui supportent cotisations sociales et taxes diverses. Afin de faire cesser ce déséquilibre, nous devrons réformer en particulier :

– le financement de la protection sociale, qui devra porter à l'avenir de plus en plus sur l'ensemble des revenus, et non plus sur les seuls salaires ;
– la taxe professionnelle et les versements « transports » et « formation professionnelle », qui ne devront plus pénaliser l'embauche et l'investissement ;
– d'une façon générale, nous devrons passer l'ensemble des impôts et des cotisations sociales au tamis d'un objectif central : la création et le maintien de l'emploi.

Lutter aujourd'hui sur le terrain contre les licenciements abusifs

C'est clair, les cadeaux aux entreprises faits par le Gouvernement Balladur n'ont strictement aucune répercussion positive sur l'emploi. Les privatisations systématiques vont encore accélérer les suppressions d'emplois. Les salariés et les syndicats interviennent – et ils ont raison – pour dénoncer une véritable « culture du licenciement » qui se met en place dons beaucoup d'entreprises, incapables de négocier les modes d'organisation du travail et d'implication des travailleurs susceptibles de maintenir les emplois. Beaucoup de pertes d'emplois pourraient être évitées si le patronat faisait preuve d'une autre imagination que la vision étroite et unique de la baisse du coût du travail.

Face à cette situation, il est indispensable de donner au mouvement syndical toute son efficacité, notamment ou niveau des PME. Des dispositions légales nouvelles seront sons doute utiles. Des moyens supplémentaires devront être dégagés pour les organisations syndicales sur le plan local. Nous proposons de prévoir un contrôle strict de l'utilisation des aides de l'État aux entreprises. En contrepartie de ces aides, l'engagement devra être pris de maintenir et de créer des emplois, avec remboursement en cas de non-respect.

Comme socialistes, nous devons être partout aux côtés des salariés pour aider à la recherche de solutions négociées afin de maintenir et de développer l'emploi.

Pour une économie de proximité

Une politique active en faveur de l'emploi exige que soit davantage reconnue la notion « d'économie de proximité ». Nous insistons sur cet aspect essentiel. Il faut créer les conditions d'un véritable « dialogue social local » à l'échelle des territoires.

Partenaires sociaux et élus peuvent plus facilement, à ce niveau, engager un effort collectif pour le développement économique et l'aide aux chômeurs. Concrètement, nous proposons de reconnaître le bassin d'emploi (ou bassin de vie) comme échelon où seront gérés en commun les crédits de la formation professionnelle et ceux du soutien aux activités économiques et à la réinsertion. Trop souvent les moyens de la formation professionnelle sont détournés de leur objectif. La taxe d'apprentissage par exemple n'est pas réinjectée dans les régions où elle est collectée. Pour rationaliser et pour moraliser la gestion de ces budgets de formation, il faut un circuit court de décision et une procédure de suivi qui impliquent directement les acteurs socio-économiques et les élus concernés. Dons cet esprit, les Comités de bassin d'emploi – on en compte environ 130 –  devraient être généralisés et mieux utilisés. Ils réunissent des élus, des chefs d'entreprises et des représentants des syndicats de salariés, en étroite collaboration avec l'administration. La reconnaissance de l'échelon de bassin d'emploi permettra d'ouvrir un nouveau champ d'action ou syndicalisme et, plus précisément, à un syndicalisme de propositions. Dans ce cadre, les collectivités territoriales devraient bénéficier d'emprunts de proximité à taux très faible et à long terme pour la réalisation de projets d'intérêt général à fort contenu d'emplois (habitat, équipements publics…).

La question de l'expression, de la représentation des chômeurs est posée. Les grandes organisations syndicales ont ce souci à travers la lutte pour l'emploi, mais les chômeurs s'organisent de plus en plus entre eux pour l'entraide, pour lutter contre l'isolement, pour chercher à être une force de proposition. Il nous apparaît indispensable aujourd'hui d'examiner la possibilité de donner aux chômeurs les moyens institutionnels de se faire entendre notamment au niveau des bassins d'emplois : cette question devra faire l'objet rapidement d'un débat avec les syndicats représentatifs.

Face aux difficultés sociales et aux dégâts psychologiques que subissent les exclus, on doit lier beaucoup plus qu'aujourd'hui les allocations (chômage, RMI) à une activité d'intérêt général. Nous voulons que puisse être transformée progressivement une partie des dépenses passives d'indemnisation du chômage (environ 300 milliards de francs) en emplois ou en activités d'insertion.

Concernant les activités d'intérêt général et la création d'emplois à proposer aux personnes en difficulté, outre les collectivités locales nous devrons faire davantage confiance au secteur associatif. Celui-ci est déjà un employeur important : 1,2 million emplois. Il a montré depuis 15 ans sa force d'innovation. Il a inventé de nouvelles formes d'économie sociale : associations intermédiaires, entreprises d'insertion, boutiques de gestion, régies de quartier, etc. Nous pensons que devrait être proposé pour le « tiers-secteur » un plan pluriannuel de développement des initiatives pour l'emploi, avec pour objectif de doubler le nombre actuel de salariés concernés. Le financement pourrait être assuré par la mise en place d'une « dotation globale de créations d'emplois » versée par l'État aux communes.

Par ces multiples initiatives, nous voulons développer l'économie de proximité et donner un nouveau souffle à l'économie sociale. La mise en place de ces structures locales contribuera à remobiliser les énergies, à rassembler les volontés, à susciter l'imagination et à mettre ensemble sur le terrain ceux qui ont un travail et ceux qui n'en ont pas.

Il s'agit à travers toutes les propositions résumées dans cet amendement d'une démarche d'ensemble. Cette démarche devra faire partie intégrante d'un véritable contrat social pour l'emploi.

Signataires : Jean Auroux, Jean-Paul Bachy, François Bernardini, Michel Coffineau, Pascale Crozon, Gérard Delfau, Jean-Claude Leroy, Elisabeth Mitterrand, Paul Quilès.

Amendement n° 7

Page 11 : 1.1.1. – « La lutte contre l'exclusion : une pleine activité pour tous » - paragraphe 4 :

Remplacer la phrase « Contre cette exclusion, il nous faut, au-delà même d'une politique de l'emploi, favoriser la pleine activité de toutes et de tous »

Par la phrase : « il nous faut à partir d'une véritable politique de l'emploi, et concomitamment, favoriser la pleine activité de toutes et de tous ».

En effet, l'accès à un emploi est la préoccupation prioritaire dont tout le reste dépend.

Signataires : Louis Mermaz, Louis Mexandeau, Claude Fleutiaux, Hubert Bicep, Guy Couderc, Christiane Demontes, Roland Dumas, Catherine Lalumière, François Loncle, Jacques Mahéas, Jean-Pierre Philippe, Géraldine Poirier, André Vallini, Jean Leroy, Philippe Marchand, Richard Gradel, Philippe Dorthe.

Amendement n° 8

Page 11 : 1.1.1. – insérer à la fin :

Nous y sommes évidemment favorables, mais avec une exigence : il ne faut pas transformer les chômeurs en « nouveaux actifs », c'est-à-dire en les aliénant dans un statut de deuxième ordre. Pour nous, la notion d'activité ne doit pas se substituer à celle de l'emploi mois être considérée comme son complément socialement nécessaire, intervenant à des périodes différentes de la vie. L'emploi, le travail doivent donc rester au centre de notre projet.

Signataires : Philippe Bassinet, Jean-Louis Cottigny, Michel Debout, Marie-Thérèse Murin, Jean Poperen, Alain Vidalies.

Amendement n° 9

Page 11 : 1.1.2. – insérer après le titre :

Le chômage et l'exclusion se développent dans des sociétés déjà très riches, où la richesse produite continue de s'accroître. Ce constat est essentiel parce que, à travers l'image du chômage et de l'exclusion, avec la multiplication des SDF, les Français en général et les salariés en particulier, se laissent convaincre du contraire. C'est l'idée d'un appauvrissement général qui s'installe dans les consciences et qui justifie, par déduction, l'idée de sacrifices inévitables à consentir. Avec l'exclusion une frontière est franchie dons I' éventail des inégalités et ce franchissement à terme ne posera pas uniquement un problème de justice : il pèsera aussi lourdement sur les conditions réelles d'exercice de la liberté politique.

On comprendra au nom de l'histoire, de la sociologie et du système de valeurs qui sont les nôtres que cette question est majeure pour notre réflexion sur le chômage. C'est aux socialistes et aux progressistes en général qu'il appartient de faire porter prioritairement la réflexion sur la nécessaire redistribution de la richesse, qu'il s'agisse de nourrir la croissance ou de financer de nouveaux emplois. Il ne suffit pas d'exhorter les ménages à consommer. Encore faut-il qu'ils en aient les moyens. Ce qui n'est plus le cas de la majorité des salariés dont plus de la moitié vivent avec un salaire inférieur à 8 000 francs par mois. Et prôner, comme le fait la droite, la baisse des salaires au prétexte de partager le chômage n'arrangera pas les choses et ne fera qu'accroître cette rupture d'équilibre entre revenus salariaux et revenus non salariaux. En 1993, malgré une croissance négative, las revenus financiers ont augmenté de 22 % ! À qui fera-t-on croire que ce développement accéléré des inégalités de revenus peut être compatible avec un redressement de la consommation ? Il n'y aura pas de croissance durable sans une nouvelle répartition de la richesse produite.

Signataires : Jean-Claude Boulard, Claude Evin, Henri Emmanuelli, André Laignel, Gérard Lindeperg, Dominique Strauss-Kahn.

Amendement n° 10

Page 11 : 1.1.2. – la redistribution, traduction concrète de la solidarité (paragraphe 1)

Remplacer la phrase « les quelques marges fiscales qu'il nous sera possible de dégager »

Par la phrase « les marges fiscales que nous devrons dégager ».

En 20 ans, le PNB ne s'est-il pas accru de plus de 60 % en France ?

Louis Mermaz, Louis Mexandeau, Claude Fleutiaux, Hubert Bicep, Guy Couderc, Christiane Demontes, Roland Dumas, Catherine Lalumière, François Londe, Jacques Mahéas, Jean-Pierre Philippe, Géraldine Poirier, André Vallini, Jean Leroy, Philippe Marchand, Richard Grade/ et Philippe Dorthe.

Amendement n° 11

Page 11 : 1.1.2 – paragraphe 1 insérer à la fin :

« Au-delà c'est à une véritable et puissante réforme fiscale qu'il faut s'atteler.

Les cotisations sociales pèsent sur l'emploi et constituent un prélèvement indirect sur la consommation et les impôts locaux, soit anti­sociaux (taxe d'habitation), soit antiéconomique (taxe professionnelle), doivent progressivement mais amplement être remplacés par une fiscalité prélevée sur la valeur ajoutée créée par l'entreprise et sur le revenu des personnes physiques (IRPP et CSG) ».

Signataires : Denise Cacheux, Bernard Derosier, Marc Dolez, Jean Le Garrec, Didier Manier, Bernard Roman.

Amendement n° 12

Page 11 : 1.1.2. – paragraphe 1, substituer à la dernière phrase : « D'ores et déjà, … », la phrase suivante :

D'ores et déjà, comme on le verra au § 3.2.1., nous proposons d'affecter 40 milliards par an aux collectivités locales pour la création d'emplois de service de solidarité, soit en six ans près de 4% du PIB.

Signataires : Pierre Bourguignon, Claude Evin, Henri Emmanuelli, André Laignel, Bernard Poignant, Dominique Strauss-Kahn.

Amendement n° 13

Page 13 : 1.1.3. – paragraphe 1, insérer après :

Lorsque les socialistes ont créé les TUC, SIVP, … c'est qu'ils attendaient le retour de la croissance.

En fait, et involontairement, parce que les vrais emplois n'ont pas été au rendez-vous, ils ont créé un statut instable, précaire.

Aujourd'hui, ce sont de vrais emplois qu'il faut créer, avec de vrais salaires, un vrai statut, une réelle pérennité ».

Signataires : Denise Cacheux, Bernard Derosier, Marc Dolez, Jean Garrec, Didier Manier, Bernard Roman.

Amendement n° 14

Page 13 : 1.1.4. – paragraphe 2, insérer après « toutes ses aspirations, ses désirs » :

La vie moderne offre de grondes possibilités de déplacements, de rela­tions, à ceux qui en ont les moyens, mois pour les autres, c'est la grisaille de lieux qui ont perdu leur âme ! L'aménagement du temps des hommes est de plus en plus inégalitaire ; il ne faut pas aggraver ces inégalités en diminuant les salaires sous prétexte de partager le travail.

Signataires : Philippe Bassinet, Jean-Louis Cottigny, Michel Debout, Marie-Thérèse Mutin, Jean Poperen, Alain Vidalies

Amendement n° 15

Page 14 : 1.1.4 – le temps de vivre – paragraphe 4 :

Remplacer la phrase « la semaine de 4 jours est du domaine du projet de société el non du projet de loi. Mesure légale, donc uniforme, elle perdrait sa qualité essentielle, celle de la diversité des moyens d'y accéder : »

Par la phrase : « La réduction de la durée du travail sans diminution du solaire, la semaine de 4 jours notamment, doivent être selon nous organisées par la loi, si l'on veut éviter de tomber dons un chômage partiel déguisé. Les modalités diverses pour y accéder seront bien sûr laissées à l'appréciation des partenaires sociaux qui en débattront par branches d'activités, voire par entreprises : »

Signataires : Louis Mermaz, Louis Mexandeau, Claude Fleutiaux, Hubert Bicep, Guy Couderc, Christiane Demontes, Roland Dumas, Catherine Lalumière, François Loncle, Jacques Mahéas, Jean-Pierre Philippe, Géraldine Poirier, André Vallini, Jean Leroy, Philippe Marchand, Richard Gradel, Philippe Dorthe.

Amendement n° 16

Page 15 : 1.2 – croissance et emploi – paragraphe 5 :

Il conviendrait d'insérer après : « il faut donc faire en sorte »

« Le jour où une majorité de gauche et de progrès sera revenue aux responsabilités ».

La suite … « qu'au-delà de leurs influences directes sur la croissance toutes les actions de l'État et des collectivités publiques, toutes les orientations que le gouvernement peut tracer, toutes les indications que le Parlement peut donner » demeure inchangée.

La formulation antérieure pourrait faire croire que nous attendons quelque chose de la majorité actuelle.

Signataires : Louis Mermaz, Louis Mexandeau, Claude Fleutiaux, Hubert Bicep, Guy Couderc, Christiane Demontes, Roland Dumas, Catherine Lalumière, François Loncle, Jacques Mahéas, Jean-Pierre Philippe, Géraldine Poirier, André Vallini, Jean Leroy, Philippe Marchand, Richard Gradel, Philippe Dorthe.

Amendement n° 17

Page 15 : 1.2. – croissance et emploi, paragraphe 10 :

Supprimer la phrase : « c'est dire qu'il convient désormais de stabiliser la part des salaires dans le revenu national. »

Cette phrase nous paraît ambiguë. Nous devons parler de la revalorisation des bas salaires et de l'augmentation du pouvoir d'achat des salariés, nécessaires également à la reprise économique.

Signataires : Louis Mermaz, Louis Mexandeau, Claude Fleutiaux, Hubert Bicep, Guy Couderc, Christiane Demontes, Roland Dumas, Catherine Lalumière, François Loncle, Jacques Mahéas, Jean-Pierre Philippe, Géraldine Poirier, André Vallini, Jean Leroy, Philippe Marchand, Richard Grade, Philippe Dorthe.

Amendement n° 18

Page 16 : 2. 1.1 a) – Au niveau mondial – paragraphe 2 :

Ajouter après : « Celui-ci devra retrouver les objectifs initiaux du Traité de 1944 : revenir à un système de parités fixes, mais ajustables ; fournir des nouvelles liquidités internationales pour favoriser le développement, surtout en direction des pays du Tiers-Monde proposer une régulation nouvelle des mouvements de capitaux afin de combattre les dérèglements actuels. »

Le paragraphe suivant : « Bien entendu la réalisation de ces mesures supposerait que le système capitaliste devienne, comme par enchantement, civilisé. C'est pourquoi nous, Socialistes, indiquons que ce sont là des objectifs auxquels doit s'atteler le monde du travail ou plan international, en faisant pression sur les États et sur la Communauté internationale. »

Signataires : Louis Mermaz, Louis Mexandeau, Claude Fleutiaux, Hubert Bicep, Guy Couderc, Christiane Demontes, Roland Dumas, Catherine Lalumière, François Loncle, Jacques Mahéas, Jean-Pierre Philippe, Géraldine Poirier, André Vallini, Jean Leroy, Philippe Marchand, Richard Gradel, Philippe Dorthe.

Amendement n ° 19

Page 17 : 2.1.1. c) – insérer après le dernier paragraphe :

« Il faudra imposer le respect des conventions de l'O.I.T. (on parvient bien à le faire pour le G.A.T.T.) pour protéger les travailleurs du tiers monde, au besoin avec des mesures de rétorsion à la clef, une fiscalité spécifique ».

Signataires : Denise Cacheux, Bernard Derosier, More Dolez, Jean Le Garrec, Didier Manier, Bernard Roman.

Amendement n° 20

Page 17 : 2. 1. 1 c) – Le développement du Tiers-Monde – paragraphe 1 :

Supprimer la phrase « Face à cette situation, la gauche a peu réagi : les difficultés rencontrées en France et notamment le problème de l'emploi nous ont éloignés de cette préoccupation ».

La remplacer par la phrase suivante : la gauche a toujours eu le souci d'aider les pays du Tiers-Monde et notamment l'Afrique, dans l'esprit du discours prononcé par François Mitterrand à la Baule. Par contre la dévaluation du franc CFA, acceptée par le gouvernement Balladur, sous la pression du FMI, va accroître la crise dans les pays africains victimes des cours trop bas auxquels leur sont achetées leurs matières premières

Signataires : Louis Mermaz, Louis Mexandeau, Claude Fleutiaux, Hubert Bicep, Guy Couderc, Christiane Demontes, Roland Dumas, Catherine Lalumière, François Loncle, Jacques Mahéas, Jean-Pierre Philippe, Géraldine Poirier, André Vallini, Jean Leroy, Philippe Marchand, Richard Gradel, Philippe Dorthe.

Amendement n° 21

Page 19 : 2.1.2. à la fin : un point supplémentaire :

Les travailleurs des pays de l'Europe des Douze seront emportés dans le malheur s'ils ne sont pas solidaires dans la riposte à la régression sociale.

L'axe de notre action, notre volonté politique centrale, ce doit être, à partir de maintenant, de travailler à organiser cette riposte, donc d'abord à réussir la conjonction, puis la cohésion de l'ensemble des forces du travail de ces pays. N'est-il pas stupéfiant qu'à l'heure où tout s'internationalise, et dans ces pays de l'Europe industrielle où l'internationalisme des travailleurs a de si puissantes traditions, ce qui est le moins internationalisé, soit l'action des salariés et que chacun paroisse rivé à son clocher ?

C'est pourquoi la proposition principale que nous avançons, c'est que le Parti socialiste français prenne l'initiative d'États généraux de la Gauche d'Europe, du mouvement social de l'Europe des Douze, qu'il s'adresse à cette fin, à tout l'arc en ciel politique et syndical de l'Europe communautaire. Et d'abord, bien sûr, entraînons l'Internationale socialiste, son bureau européen, dans celte action, incitons-la à y prendre toutes ses responsabilités.

Cette initiative aurait pour objet d'actualiser et de mettre en œuvre la Charte de l'Europe Sociale, définissant à l'égard du patronat, mais aussi des pouvoirs publics et d'abord des instances européennes, les exigences communautaires en matière de rémunération, de protection sociale, d'emploi, de temps de travail, de représentation et de droit des travailleurs dans l'entreprise. Les disparités demeurent aujourd'hui très grandes. Et l'establishment économique et technocratique en joue : le dumping social exploite et aggrave la division entre travailleurs, il est l'arme d'un nivellement par le bas -la préparation de ces États généraux pour la Charte de l'Europe sociale serait le premier acte de la riposte.

Signataires : Philippe Bassinet, Jean-Louis Cottigny, Michel Debout, Marie-Thérèse Mutin, Jean Poperen, Alain Vidalies.

Amendement n° 22

Page 20 : 2.2.1., un quatrième point : Le Logement :

Parce que le secteur du bâtiment est créateur d'emplois, parce qu'il répond à une exigence de bien vivre pour tous les Français, nous devons mettre en œuvre un plan conséquent et sans précédent de développement et d'amélioration des logements. Celui-ci devra être financé par un emprunt obligatoire prélevé en pourcentage de l'impôt sur les revenus, de l'impôt sur la fortune et les revenus du capital et remboursables à long terme.

Les ressources seront attribuées après négociations aux collectivités territoriales, aux Caisses d'Allocations Familiales, aux organismes HLM, qui seront les véritables promoteurs de cette politique.

Signataires : Philippe Bassinet, Jean-Louis Cottigny, Michel Debout, Marie-Thérèse Mutin, Jean Poperen, Alain Vidalies.

Amendement n° 23

Page 21 : 2.2.2. – Renforcer notre compétitivité industrielle et notre appareil de production – paragraphe 5 :

Avant la phrase « la compétitivité efficace passe par le développe­ment de la coopération à tous les niveaux au sein de l'entreprise… »

Nous proposons d'insérer : « Au sein de l'entreprise l'implication de la personne dans son travail est une exigence de plus en plus forte. Il fout prendre position pour la participation des salariés à la gestion des entreprises et à l'avenir au choix des dirigeants. »

Il s'agit de répondre aux aspirations nouvelles des salariés d'aujourd'hui.

Signataires : Louis Mermaz, Louis Mexandeau, Claude Fleutiaux, Hubert Bicep, Guy Couderc, Christiane Demontes, Roland Dumas, Catherine Lalumière, François Loncle, Jacques Mahéas, Jean-Pierre Philippe, Géraldine Poirier, André Vallini, Jean Leroy, Philippe Marchand, Richard Gradel, Philippe Dorthe.

Amendement n° 24

Page 21 : 2.2.2 – Renforcer notre compétitivité industrielle et notre appareil de production – paragraphe 5 :

Il faut supprimer « minoritaires, mais conséquentes ».

Nous sommes d'accord, mais il n'est pas nécessaire de décréter que les participations publiques doivent être forcément toutes minoritaires. Cela doit dépendre des secteurs d'activités.

Signataires : Louis Mermaz, Louis Mexandeau, Claude Fleutiaux, Hubert Bicep, Guy Couderc, Christiane Demontes, Roland Dumas, Catherine Lalumière, François Loncle, Jacques Mahéas, Jean-Pierre Philippe, Géraldine Poirier, André Vallini, Jean Leroy, Philippe Marchand, Richard Gradel, Philippe Dorthe.

Amendement n ° 25

Page 26 : 3.1. :

Les 35 heures sans réduction de salaire : c'est urgent ! Le développement humain d'abord ! Chômage zéro, voilà l'objectif. C'est pourquoi il faut commencer par les 35 heures. C'est un seuil. Au-delà commencent d'autres relations sociales plus humaines, plus évolutives, plus adaptées aux bouleversements permanents qu'engendrent les nouvelles techniques au travail comme dans la vie quotidienne.

Tirant les leçons de leur propre expérience, les socialistes savent que seule une diminution massive du temps de travail peut être significative et avoir un effet réel sur l'emploi.

Il faut d'abord passer ce seuil si l'on veut que d'autres lignes d'horizon soient crédibles 132 heures, 30 heures, etc.). Vouloir passer aux 35 heures c'est afficher l'objectif clair d'une rupture claire avec les logiques libérales. C'est annoncer un programme alternatif.

Dire la vérité

Renoncer à l'objectif d'une première réduction massive de la durée du travail ce serait cacher au pays la vérité sur ce qui s'est passé au cours des décennies précédentes et sur ce qui s'annonce pour celles qui viennent.

Pour la période écoulée chacun peut constater que les progrès considérables de productivité qui ont été réalisés ont été quasi exclusivement copiés par le Capital à l'exception des trois mesures de gauche : la semaine de 39 heures, les 5 semaines de congé payé, la retraite à 60 ans. Distribuer les gains de productivité au bénéfice de toute la population en âge de travailler c'est donc affronter les secteurs les plus réactionnaires du patronat et de la finance.

Il s'agit d'une lutte sociale et politique. Il n'y a pas d'évolution sponta­née ou naturelle dons ce domaine. Dons ce contexte le refus de toute diminution de salaire est une question centrale dans le problème posé. Si l'échelle des salaires correspond à celle des qualifications reconnues, il n'y a aucune raison, d'accepter quelque diminution de rémunération que ce soit sauf à admettre que c'est encore une fois aux salariés de négocier à la baisse les positions qu'ils ont acquises. L'argument de la réduction des hauts salaires est de la poudre aux yeux, démagogique, destiné essentiellement à faire admettre la remise en cause des qualifications dans le marché du travail. Quand la taxation des hauts revenus est nécessaire c'est à l'impôt d'y procéder. Cela rend nécessaire une réforme fiscale d'envergure qui redonne vie à notre combat historique de lutte contre les inégalités qui dépassent le seul point de vue de la lutte contre l'exclusion… C'est à l'État d'opérer alors la redistribution au bénéfice de tous par l'amélioration des services publics qui sont aussi rappelons-le des éléments décisifs de la valorisation de l'environnement économique des entreprises.

Changer d'ère

Pour l'avenir l'évolution technique promet de nouveaux gains considérables de productivité et d'accroissement des capacités de création de richesse. Ces nouveaux bonds en avant sont incompatibles avec l'objectif du plein emploi aux conditions actuelles. Il s'agit donc bel et bien d'accepter ou de refuser un modèle de société clivée entre exclus et intégrés. Les socialistes doivent affirmer que le remède à la tendance à l'exclusion n'est pas le pansement social toujours plus coûteux et humiliant. Il faut sortir franchement du modèle de la vie au travail contraint pour entrer dans une nouvelle ère de pleine activité, condition d'une nouvelle période de plein emploi.

Vivre autrement

Travailler moins pour travailler tous, c'est incontournable et c'est tant mieux.

D'ici la fin du siècle de nouvelles mutations sont annoncées qui vont approfondir cette tendance dans des proportions quasi inimaginables aujourd'hui. Faudra-t-il encore subir et souffrir ? Les socialistes proposent que l'on saisisse la chance qui se présente de vivre autrement, avec moins du temps contraint. Avec toujours plus de temps libre choisi, c'est une autre manière de vivre qu'il faut inventer. Réduire le temps de travail massivement et pour tous est aussi le seul moyen de lutter contre les tentatives actuelles de renvoyer les femmes à la maison. Ainsi sera dégagé le temps qu'une meilleure conciliation de la vie familiale et de la vie professionnelle, permettant un plus égal portage des tâches et des responsabilités familiales. Le temps libéré produira de nouvelles demandes, de nouvelles normes de consommation. Un espace nouveau sera ainsi ouvert à l'initiative privée comme à celle de la puissance publique pour proposer biens et services nouveaux et donc de l'activité et de l'emploi de plus. Encore faut-il que la diminution du temps de travail ne soit pas immédiatement récupérée par les gains de productivité ! C'est pourquoi nous fixons la première barre à franchir à 35 heures sans perte de salaire.

Travailler autrement

Travailler autrement c'est indispensable et c'est tant mieux. Une réduction massive du temps de travail sans être obligé de repenser l'organisation de la vie dans l'entreprise. De la prise de décision à l'utilisation des machines en passant par la définition des objectifs tout doit être redéfini. Face à ces défis, les relations sociales dans l'entreprise, le dialogue et la concertation sortent du domaine étriqué où ils sont aujourd'hui enfermés pour passer au cœur des enjeux. D'eux dépendront alors principalement le succès ou l'échec de toute stratégie d'entreprise. Nous voulons confronter chacun à cette obligation d'imaginer.

Agir autrement

Pour de tels objectifs on ne peut simplement attendre que la Gauche gouverne. Il s'agit au contraire d'agir dès à présent, de construire une volonté collective et d'inciter chacun à se préparer à ce changement.

Pour réduire à 35 heures le temps de travail hebdomadaire, nous avons 3 instruments :

– la mobilisation sociale ;
– la loi ;
– la négociation.

Dès maintenant, nous devons engager une compagne pour la semaine de 35 heures, soutenir les initiatives syndicales et associatives sur cet objectif. Les socialistes proposent qu'une pétition ayant recueilli un million de signatures soit déposée sur le bureau de l'Assemblée Nationale.

Appuyés sur cette mobilisation, nos groupes parlementaires élaboreront et diffuseront une proposition de loi. C'est cette proposition qui sera appliquée par le gouvernement de gauche. Elle prévoira que soit organisée pendant un an une négociation collective sur les 35 heures, par branche professionnelle.

Elle fixera le cadre des discussions en garantissant que les salaires seront maintenus et refusera toute déflation salariale.

Elle prévoira l'obligation de prendre en compte les besoins nouveaux en terme d'effectifs, le coût financier, les difficultés d'adaptation et le degré d'exposition à la compétitivité compte-tenu de la situation nationale et du niveau d'insertion dans l'économie européenne. À partir de cette analyse sectorielle, le gouvernement décidera des aides nécessaires et procédera à une sélectivité de son intervention qui lui permettra la définition d'un nouveau modèle économique global. Un an après l'ouverture de la discussion une loi fixera le dispositif d'application des 35 heures.

Signataires : Daniel Cabieux, Julien Dray, Jean-Michel Forestier, Pascale Leneouannic, Marie-Noëlle Lienemann, Jean-Luc Mélenchon, Jean-Pierre Neumann, Laurence Rossignol, Isabelle Thomas.

Amendement n° 26

Amendement de substitution :

Page 26 à 28, 3.1., 3.1.1., 3.1.2. : jusqu'à la fin du 3.1.2. a) :

Réduction du temps de travail ou partage des salaires

La réduction du temps de travail est au cœur des revendications des salariés depuis un siècle. Répondant au double objectif d'amélioration des conditions de vie des travailleurs et du partage des gains de productivité, elle n'a jamais été accompagnée par une baisse des salaires.

La réduction du temps de travail est d'abord et avant tout une ques­tion de partage des gains de productivité entre le travail et le capital.

Si aujourd'hui l'horaire de travail était le même qu'en 1896, soit 2013 heures par an, il suffirait de 11,7 millions de salariés pour assurer le Produit Intérieur Brut (PIB) soit par conséquence 14,8 millions de chômeurs !

En 1972, il fallait 25 heures pour monter une « Renault 5 » ; 22 heures en 1984 pour construire une « Super Cinq ». Il suffit aujourd'hui de 14 heures pour monter une « Twingo ».

La France n'est pas un pays qui s'appauvrit mais un pays qui s'enrichit.

À l'exception de l'année 1983, la croissance du PIB est chaque année au rendez-vous. Parallèlement, le chômage ne cesse d'augmenter. Dès lors, la réduction du temps de travail devient la question centrale pour apporter une réponse crédible au drame du chômage.

Depuis 1982, les socialistes ont renoncé à utiliser ce levier en évoquant l'impossibilité de l'appliquer unilatéralement en France, renvoyant la solution aux promesses hypothétiques de la construction européenne.

Erreur déterminante qui a conduit au désastre électoral de Mars 1993.

Pire, dans la panique précédant le rendez-vous des élections législatives, nous n'avons trouvé comme solution qu'une loi favorisant le travail à temps partiel ! Certes le temps partiel est une mesure intéressante s'il s'agit du temps choisi et non du temps imposé. Notre action doit tendre à l'accès à tous du temps choisi, et non au développe­ment du temps partiel généralisé encouragé par des réductions de charges.

Il existe aujourd'hui manifestement deux lectures de la réduction du temps de travail. Pour la Droite, les amendements Chamard ou Larché reposent en définitive sur la généralisation du travail à temps partiel. Pour créer des emplois, réduisons le temps de travail à 32 heures avec une baisse quasi proportionnelle des salaires. Il appartient ainsi aux salariés de partager entre eux le travail disponible, les entreprises ne sont pas concernées. Il faut vraiment du génie pour découvrir qu'avec une simple règle da trois on peut trouver une solution à la crise de l'emploi.

Cette solution induit une baisse des revenus des salariés, c'est-à-dire très concrètement une régression des conditions de vie de 30 % des travailleurs de ce pays.

À gauche, et principalement au Parti socialiste, le débat n'a été relancé qu'in extremis avant les élections législatives.

Il est aujourd'hui au cœur de nos discussions. Le texte majoritaire issu du Congrès du Bourget, n'a pu parvenir à une rédaction de synthèse en raison de l'affrontement entre ceux qui acceptent l'idée d'une diminution des salaires au-dessus de deux SMIC, et ceux qui l'excluent.

L'unité de façade de la Motion A n'a pu se foire qu'en renvoyant la discussion à notre Convention Nationale de février 1994.

Le Parti Socialiste doit maintenant trancher et le choix est lourd de conséquences pour l'avenir.

La proposition d'une réduction du temps de travail avec une diminution des salaires uniquement au-dessus de deux SMIC, ou de 10 000 francs par mois est-elle une position médiane entre la lecture de droite qui vise au temps partiel généralisé et ure lecture « archaïque » de gauche qui repose sur un portage équitable des gains de productivité et donc sans réduction des salaires ?

Il suffit pour répondre à cette question de projeter l'application de cette solution dans l'avenir.

Les gains de productivité ne vont pas s'arrêter. La science et la technique ne vont pas stopper leurs progrès en 1993.

Dans 20 ans, on produira autant avec moins d'heures de travail. Inexorablement la question de la réduction du temps de travail se posera à nouveau un jour. Faudra-il alors à nouveau réduire les salaires au-dessus de deux SMIC ?

C'est un contre sens historique pour des socialistes que d'envisager la déflation salariale même limitée comme une solution au problème du chômage.

Jamais dans l'histoire cette solution n'a été appliquée et pourtant nous travaillons aujourd'hui à mi-temps par rapport à 1896.

La réduction du temps de travail est exclusivement une question de portage des gains de productivité.

Si on accepte une réduction des salaires, elle devient même partiellement une question de portage du travail disponible entre les salariés. Le socialisme n'existe plus, il ne reste que la solidarité !

Le choix des 35 heures sans diminution des salaires doit être à la base de la réflexion des socialistes.

Comment intégrer cette mesure dans les impératifs de la compétitivité liée à l'économie de marché ?

Le coût du travail (salaire direct + charges) se situe aujourd'hui, en France, à un niveau moyen comparé à nos partenaires européens. Si on exclut la diminution du salaire direct, il ne reste qu'une marge de manœuvre sur les charges.

À l'évidence, le financement de la protection sociale par les salaires doit être remis en cause. Ce système est trop pénalisant pour les entreprises de main d'œuvre. Les solutions alternatives sont multiples.

La base des cotisations des entreprises pourrait être le chiffre d'affaires et non pas le salaire. Le mécanisme de la CSG qui vise l'ensemble des revenus permettrait de maintenir le salaire direct et de réduire les charges des entreprises. La création d'une cotisation emploi, assise sur l'ensemble des revenus, repose sur le même principe mais aurait peut-être un effet plus dynamique.

Il n'est pas question pour les socialistes de nier le coût de la mesure, mais son financement doit concerner l'ensemble des revenus et non seulement les seuls salaires. La création d'un impôt sur le capital qui existe dans beaucoup de grands pays industrialisés doit également être introduite dans le débat.

Faut-il rappeler que l'objectif poursuivi est de créer des emplois et non d'éviter des licenciements comme dans les exemples si souvent cités par la presse.

Dès lors, certaines mesures d'accompagnement s'imposent pour éviter les effets pervers.

Une législation dissuasive devra limiter le recours à l'intérim et aux contrats à durée déterminée de manière à contraindre les entreprises à la flexibilité interne et non systématiquement, comme aujourd'hui, à la flexibilité externe avec un nombre minimum de salariés permanents.

La diminution des heures supplémentaires sera recherchée par un enrichissement de leur coût. La législation des heures complémentaires pour les salariés travaillant à temps partiel sera supprimée et alignée sur le régime général supplémentaire.

À l'évidence, un tel choix ne peut s'inscrire dans la ligne du consensus social mais au contraire dans une démarche de confrontation sociale. Un gouvernement socialiste n'aurait aucune crédibilité si par avance il renonce à intervenir sur le fonctionnement de l'économie. Affirmer que l'emploi est la priorité des priorités, c'est bien, mais se donner les moyens de s'opposer aux perversions de l'économie de marché telles les délocalisations, c'est mieux. Pour parvenir à cet objectif, les socialistes devront rétablir l'autorisation administrative préalable ou licenciement économique.

Signataires : Philippe Bassinet, Jean-Louis Cottigny, Michel Debout, Marie-Thérèse Mutin, Jean Poperen, Alain Vidalies.

Amendement n° 27

Amendement de substitution

Page 26 : 3.1.1., après le titre « Nos principes d'action », remplacer tout le texte par le texte suivant :

Politiquement et socialement, c'est dans le cadre de la redistribution de la richesse que doit être replacée la question de la réduction du temps de travail. Si tel n'est pas le cas, elle est rapidement dévoyée au profit de la déflation salariale. Comme cela a été le cas ou cours de l'automne 1993, où une partie de la droite s'est convertie aux 32 heures parce que, selon l'aveu même de son principal promoteur : « c'était le seul moyen de faire accepter des baisses de salaires ». Tout au long de l'histoire et du mouvement continu du progrès, la réduction du temps de travail a été à la fois un facteur de libération et une modalité de la redistribution de la richesse produite parce qu'elle a été financée, sous la pression des luttes sociales, par une affectation d'une partie des gains de productivité en faveur des solaires.

Il n'y a aucune raison que cela cesse au prétexte que nous serions en situation de sous-emploi.

Au contraire, pour lutter contre le chômage, il faut poursuivre le processus de réduction du temps de travail el le faire sons baisse de solaire, si l'on veut éviter un effondrement de la demande et des écarts encore plus importants entre les revenus salariaux el les autres catégories de revenus.

Signataires : Henri Emmanuelli, Jean-Pierre Bel, Marie-Arlette Carlotti, Jean Glavany, André Laignel, Véronique Neiertz.

Amendement n° 28

Page 26 : 3.1.1. – « Nos principes d'action », paragraphe 3, ligne 25, après « les chômeurs », insérer :

« 12 % de chômeurs, cela vaut dire que 88 % des actifs ont un travail, il parait simple, évident, de constater que si l'on partageait le travail et les revenus des salariés, chacun pourrait avoir un emploi.

C'est égaiement un acte de générosité personnelle que de plus en plus de salariés seraient prêts à faire pour supprimer une bonne fois pour toute le chômage.

Mais ce serait oublier que :

– les salaires ne représentent que 50% des revenus en France : ce serait donc ne demander la solidarité qu'aux seuls salariés en oubliant les autres revenus ;
– que le revenu par tête des inactifs est supérieur au revenu par tête des salariés : ce seront donc ne faire porter l'effort de solidarité que par les revenus les plus faibles ;
– que pendant toute cette période de crise et d'augmentation du chômage, le revenu national – la richesse nationale – et la productivité n'ont cessé de croître : ce serait donc oublier de s'interroger, alors qu'il y a de plus en plus d'exclus et de pauvres : mais où est donc allée cette nouvelle richesse ?
– que depuis les débuts de l'industrialisation le temps de travail s'est régulièrement réduit en accompagnant une house du pouvoir d'achat.

Le partage du travail et des revenus des salariés ne peut être, malgré sa générosité, le mot d'ordre des socialistes.

Interrogeons-nous plutôt sur une nouvelle affectation des gains de productivité qui ont été accaparés ces dernières années par le capital investi (restauration des marges des entreprises, augmentation de la bourse), par l'épargne (les taux d'intérêt réels n'ont jamais été aussi élevés) et la spéculation (financière et immobilière) ».

Signataires : Denise Cacheux, Bernard Derosier, Marc Dolez, Jean Le Garrec, Didier Manier, Bernard Roman.

Amendement n° 29

Page 26 : 3.1.1. – Nos principes d'action – paragraphe 3 :

Supprimer les phrases : « Le choix politique est donc clair : ou bien, cette masse salariale croissante est affectée prioritairement à l'augmentation du pouvoir d'achat des salariés ayant un emploi, ou bien, elle est affectée prioritairement à la création de nouveaux emplois par la réduction du temps de travail. C'est ce second choix que nous proposons tant que notre pays connaît un chômage de masse. »

Les remplacer par : « Si cette masse salariale croissante est affectée prioritairement à la création de nouveaux emplois, par la réduction du temps de travail, cela ne doit pas, a priori, écarter l'augmentation du pouvoir d'achat des salaires les plus faibles. Le capital réalise en effet des plus-values de plus en plus importantes. Se pose aussi un problème de redistribution, notamment par la fiscalité. »

En France le renforcement de la redistribution par la fiscalité se pose avec une grande acuité, comme dans d'autres pays (considérons la « pauvreté » du Trésor fédéral aux États-Unis et la difficulté pour ce pays de lever certains impôts à l'échelle de l'Union).

Signataires : Louis Mermaz, Louis Mexandeau, Claude Fleutiaux, Hubert Bicep, Guy Couderc, Christiane Demontes, Roland Dumas, Catherine Lalumière, François Loncle, Jacques Mahéas, Jean-Pierre Philippe, Géraldine Poirier, André Vallini, Jean Leroy, Philippe Marchand, Richard Grodel, Philippe Dorthe.

Amendement n° 30

Amendement de substitution

Page 27 : Après le titre : « La baisse de la durée légale hebdomadaire », remplacer tout le texte par le texte suivant :

Les socialistes doivent se prononcer clairement pour une durée hebdomadaire de 35 heures sans baisse de salaire à atteindre sur une période de 4 ou 5 ans, en laissant à la négociation par branche professionnelle le soin d'en fixer le rythme. Cette baisse de la durée hebdomadaire doit être financée par affection d'une partie des gains de productivité. Rien n'interdit qu'elle le soit aussi par une nouvelle répartition des charges sociales dans le cadre plus vaste d'une redistribution de la richesse produite, étant entendu que dans le processus de redistribution, confondre, comme cela a été fait, le salaire avec les revenus seraient un contresens qui ferait la part belle aux autres catégories de revenus.

Cette objectif de 35 heures sans baisse de solaire n'exclut pas d'autres formules, comme la retraite progressive.

Quant à la semaine des 4 jours, elle peut être un choix de vie volontaire qui s'inscrit dans la logique du temps partiel et qui peut être alors négociable à tous points de vue y compris sur le plan salarial. La réduction du temps de travail est inéluctable. Mais elle peut être un mouvement de progrès ou au contraire, un mouvement de régression. Il appartient aux socialistes de faire la différence.

Signataires : Henri Emmanuelli, Jean-Pierre Bel, Marie-Arlette Carlotti, Jean Glavany, André Laignel, Véronique Neiertz.

Amendement n° 31

Page 27 : 3.1.2. Les modalités d'application, la baisse de la durée hebdomadaire, paragraphe 2 :

Remplacer la première phrase par : « C'est pourquoi nous proposons qu'une première étape soit franchie, dès le retour des socialistes aux responsabilités, par le vote d'une loi-cadre fixant à 35 heures en 3 ou 5 ans, voire à 32 heures, la durée hebdomadaire du travail ».

Signataires : Denise Cacheux, Bernard Derosier, Marc Dolez, Jean Le Garrec, Didier Manier, Bernard Roman.

Amendement n° 32

Page 32 : Un chapitre supplémentaire :

3.4. : Emploi, protection sociale et maîtrise des dépenses de santé

Lorsque l'on évoque pour donner de nouvelles perspectives à l'emploi, le développement du travail de proximité (aide aux personnes âgées aux personnes dépendantes, humanisation des maisons de retraite, amélioration de l'accueil dans les structures sanitaires), on propose en fait d'augmenter les dépenses de santé dès lors que l'on considère ce terme, comme l'OMS l'a elle-même défini : « état de bien-être physique, mental et social. »

C'est pourquoi, il paraît plus pertinent de proposer sous le vocable de « maîtrise » des dépenses, la somme des deux propositions suivantes : diminuer les dépenses de soins inutiles et augmenter les dépenses de santé nécessaires !

Est-ce que cette addition se fera à somme nulle, positive ou négative ? Là se situe tout le débat.

Diminuer les dépenses de soins inutiles (parfois même dangereux pour la santé des patients) c'est repenser la distribution des soins : les acteurs y sont-ils prêts ? Rien n'est moins sûr, les malades eux-mêmes allant jusqu'à utiliser de façon paradoxale leur accès aux soins. S'il n'y a pas de volonté pour responsabiliser les acteurs la dérive continuera.

Augmenter les dépenses de santé utiles. Qui paiera ? Dès lors qu'il s'agirait de promouvoir de véritables emplois nouveaux, et pas seulement de proposer de petits boulots rebaptisés pour la circonstance à des chômeurs en quête de statut social. En somme est-on prêt à mettre en place le système de santé du 21ème siècle dont nous avons besoin, ou va-t-on continuer à ravaler, sans jamais réussir, celui dont nous avons hérité il y a bientôt un siècle ?

3.4.1. : Préparer la protection sociale du XXIème siècle

Notre histoire, celle des ouvriers de ce pays, de toutes les luttes sociales, se confond avec la mise en place progressive de la sécurité sociale, cette grande conquête à laquelle tous les français sont légitimement attachés. Ce système s'est bâti progressivement au cours du siècle, mais depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, il n'a pas modifié en profondeur son mode de financement. La réalité sociale et économique de la France de 1945 – le plein emploi – pouvait être considérée comme une donnée structurante, l'espérance de vie faisait que trop peu pouvaient profiter d'une retraite prise à 65 ans, les techniques médicales ne connaissaient encore rien des extraordinaire apports de l'imagerie e de la biologie modernes. Toutes les évolutions récentes font que le système pensé en 1945 autour de la seule solidarité entre salariés, n'est plus adapté aux besoins des Français en 1994 : les temps ont changé.

Si le salarié peut être malade, l'évolution de la vie fait qu'aujourd'hui c'est lorsqu'il est « hors travail » que l'homme est le plus menacé par la maladie : dans son enfance et au cours de sa vieillesse. Plus rien ne justifie aujourd'hui, et encore moins demain, que les sources de financement de la politique de santé soient assises sur les seuls solaires. Elles doivent l'être sur l'ensemble des revenus du capital et du travail car c'est ainsi que pourra s'exprimer la solidarité de tous vis à vis de ceux qui souffrent et ont besoin de soins.

Dans le même temps il sera nécessaire de modifier la gestion du régime de santé : une autre parité doit se substituer à celle qui existe actuellement. Il faut que l'assurance maladie soit gérée de façon paritaire par les utilisateurs du régime de soins (organisations syndicales, familiales, du cadre de vie, de retraités…) et par les producteurs de soins (représentants de l'ensemble des professions de santé du public et du privé). C'est ainsi que nous irons vers une véritable responsabilisation des professionnels qui ne pourront plus considérer la sécurité sociale comme une « simple vache à lait » devant se contenter de payer, mais comme un véritable outil dont ils doivent, avec les utilisateurs et dans leur intérêt commun, assurer le bon fonctionnement l'équilibre financier, avec comme 3ème interlocuteur -c'est déjà le cos- la puissance publique.

La santé – comme l'éducation, la culture, les communications – devient l'une des grandes activités d'un monde qui a perdu ses emplois agricoles et qui perd aujourd'hui ses emplois industriels. Le secteur sanitaire et social sera nécessairement un secteur d'avenir : il faut certes en maîtriser le coût, mais celui-ci a toutes chances de progresser ! Il faut donc sortir le secteur de la santé de l'économie de marché et l'inscrire dans l'optique d'une socialisation progressive.

Signataires : Philippe Bassinet, Jean-Louis Cottigny, Michel Debout, Marie-Thérèse Mutin, Jean Poperen, Alain Vidalies.

Amendement n° 33

Page 32 : Insérer avant la conclusion,

« La solidarité et le financement.

Ces mesures auront un coût, leur financement doit être assuré.

Nous ne faisons pas nôtre le « dogme du plafond des prélèvements obligatoires ». Mois il n'est sans doute pas utile de les accroître sensiblement pour financer ces mesures.

Il faut affecter les gains de productivité au financement de la réduction du temps de travail.

Il faut réduire de façon drastique les charges sociales sur les bas salaires et les emplois de faibles qualifications :

– en procédant à un abattement général à la base pour éviter les effets de seuil, pour les salaires plus élevés, il sera compensé par un accroissement des taux ;
– en les finançant pour partie par un taux plus élevé de TVA : cela n'a d'incidence ni inflationniste, ni de détérioration de la justice fiscale puisque es cotisations sont de toute façon payées finalement par le consommateur ;
    – en les finançant pour une autre partie par un accroissement notable des impôts directs : IRPP et CSG.

Il faut bouleverser la fiscalité locale appuyée sur un impôt injuste (la taxe d'habitation) et antiéconomique (la taxe professionnelle), au profit d'un autre impôt sur les entreprises (TVA) et les ménages (IRPP ou CSG).

C'est en effet des collectivités locales et des associations qu'elles subventionnent que l'on peut attendre le recrutement des emplois de service. Le caractère actuel de leur fiscalité et son manque de péréquation leur empêchera cet effort financier.

Il faut mobiliser les 300 à 500 milliards de francs de l'assistance sociale cl passive du chômage pour une action positive de créations d'emplois par la réduction des charges sociales (éventuellement préfinancée par un emprunt), les « chèques emplois » qui permettraient à leurs titulaires de se présenter sur le marché du travail public ou parapublic avec un « présalaire », la contractualisation directe entre UNE­DIC et Collectivités locales du financement des emplois de service.

Il faut créer un impôt sur la pollution (émission de CO notamment) pour financer des emplois liés à l'environnement.

La plupart de ces mesures n'accroissent pas les prélèvements obligatoires mais répartissent très différemment leur assiette.

C'est à un grand effort de justice fiscale, de solidarité, qu'il faut confier la lutte pour l'emploi.

La réforme fiscale que nous avons toujours souhaitée, aujourd'hui il faut la faire. Les Français ont su payer un impôt « solidarité sécheresse », ils accepteront de payer un impôt « solidarité emploi » si l'affectation des recettes leur est clairement indiquée : diminution des charges sociales, création d'emploi de proximité.

La mobilisation populaire

L'ampleur des réformes indispensables et la solidarité accrue nécessiteront une très forte mobilisation populaire.

Cette mobilisation qui a été réussie pour l'Ecole devrait pouvoir l'être pour l'Emploi.

Elle est nécessaire aujourd'hui pour contrer les réformes antisociales et antiéconomiques du gouvernement, pour populariser nos propositions, pour « vendre » la nécessaire solidarité.

Elle sera tout aussi indispensable demain, lorsque les socialistes reviendront au pouvoir, pour appuyer le gouvernement qui imposera ces réformes. Sans cette mobilisation forte, un gouvernement aussi décidé qu'il soit, ne pourra lutter contre les privilèges, les habitudes et le libéralisme. Sa volonté, nous en avons fait l'expérience, doit être aiguillonnée.

Conclusions

Pour que les Français voient un intérêt à notre retour ou pouvoir, il faut que nous leur proposions un projet de suppression du chômage.

Pour être fort, ce projet ne pourra être simplement l'amélioration de la gestion actuelle ni même de celle que nous avons menée : il devra être un projet de rupture avec ce système d'exclusion, un projet de transformation sociale.

Pour que les Français nous croient, il faudra dire que nous nous sommes trompés : qu'il faut beaucoup plus de croissance mais qu'elle ne suffira pas. Si nous ne le disons pas, ils nous demanderont pourquoi nous n'avons pas mis en œuvre ces mesures pendant nos dix ans de pouvoir.

Pour que ce projet soit réaliste, il devra faire appel à un vaste élan de solidarité de tous les revenus, surtout les plus élevés : une profon­de réforme fiscale est indispensable.

Pour que ce projet soit efficace, il faut clairement dire que l'on maintiendra le niveau actuel des salaires nets, le niveau de la protection sociale et celui du Droit du Travail.

Pour le mettre en œuvre, il faudra une volonté politique forte, soutenue, énergique.

Pour qu'elle soit possible, il faudra une très puissante mobilisation populaire pour l'emploi et la solidarité.

Sans cet objectif de 4 millions à 4,5 millions d'emplois en cinq ans, les Français ne nous suivront pas et nous n'aurons pas un projet de justice sociale par la suppression du chômage : pourquoi alors essayer de reprendre le pouvoir ?

Signataires : Denise Cachoux, Bernard Derosier, Marc Dolez, Jean Le Garrec, Didier Manier, Bernard Roman.

Amendement n° 34

Page 32 : Conclusion, paragraphe 2 – insérer à la fin (après « …entreprises, établissements… ») :

Face à la régression sociale actuelle, les socialistes doivent être combatifs. Ils doivent être sans ambiguïté aux côtés des salariés durement frappés par une politique nettement marquée à droite qui sacrifie le bien-être social et le pouvoir d'achat du plus grand nombre, au nom d'une prétendue efficacité économique et de la lutte contre le chômage, au seul profit des actionnaires et des catégories sociales favorisées. Ce n'est qu'à ce prix qu'ils retrouveront l'écoute et la confiance.

Cette convention doit être l'occasion d'affirmer nettement :

– que les socialistes défendent clairement le pouvoir d'achat des salariés et des retraités du salariat ;
– qu'ils n'acceptent pas que l'on se serve du chômage pour remettre en cause le progrès social et le niveau des revenus salariaux ;
– que les socialistes sont aux côtés des organisations syndicales pour défendre leurs droits et combattre tout recul de la législation du travail ;
– que les socialistes ont pour mission de veiller à une répartition plus juste, plus équitable des richesses, notamment par la fiscalité et les systèmes de financement des régimes sociaux ;
– que tous les adhérents du Parti doivent s'impliquer dons la lutte syndicale en adhérant à l'organisation de leur choix dans laquelle ils agiront avec les autres salariés pour développer les actions unitaires indispensables pour créer un rapport de forces favorable.

Il faut se battre contre le fatalisme et la résignation ambiante parce que le chômage, s'il a des composantes économiques évidentes, est aussi un problème psychologique et culturel.

Les socialistes doivent s'employer à susciter des Comités de défense et de promotion de l'Emploi, aussi bien au niveau des déportements qu'au niveau de la région et les fédérer dans un Comité national de défense de l'Emploi.

Ces comités de défense et de promotion de l'emploi auront vocation à rassembler largement dans l'action les militants des structures qui souhaitent œuvrer pour la défense et le maintien de l'emploi : des syndicalistes, des militants d'associations de consommateurs et d'associations diverses travaillant à l'insertion, des juristes, des universitaires, des élus, de militants politiques de tous les horizons progressistes. Face aux fermetures d'entreprises notamment, souvent conséquence directe ou indirecte de la délocalisation, les comités mettront tout en œuvre pour s'y opposer ou en limiter les effets.

Signataires : Michèle André, Jean-Claude Soulard, Henri Emmanuelli, André Laignel, Gérard Lindeperg, Dominique Strauss-Kahn.


L'action économique du gouvernement Balladur : de l'illusion, des tromperies, de la poudre aux yeux

I. – Le gouvernement Balladur dit avoir un objectif ambitieux d'emploi

La réalité, ce sont des illusions.

1. Il dit prendre des mesures pour l'emploi

En fait, la stratégie pour l'emploi du gouvernement Balladur se limite à :

Des cadeaux aux entreprises, pour plus de 80 M de F, parmi lesquels :

46 M de F de remboursement de la NA
7,6 M de F d'allègement de taxe professionnelle (collectif budgétaire)
15 M de F environ au titre de la budgétisation partielle des cotisations d'allocations familiales
10 M de F de diverses exonérations de charges pour les mesures spécifiques pour l'emploi.

À ces chiffres, il faudrait en bonne logique ajouter une partie des 15 M de F de transfert de l'État à l'UNEDIC (5 M de F en 1993, 10 M de F en 1994), qui ne sont pas un versement direct aux entreprises mais qui éviteront une forte hausse des cotisations patronales.

N'oublions pas non plus l'engagement sur les prochaines années que constitue la budgétisation des cotisations d'allocations familiales prévue dans la loi quinquennale sur l'emploi.

Quelle liaison toutes ces aides ont-elles avec l'emploi ? Aucune !

Au contraire : la mesure la plus coûteuse – le remboursement de la TVA – a surtout permis aux entreprises d'augmenter leurs liquidités et donc :

– d'accentuer leur désendettement ;
– d'augmenter leur trésorerie, et donc leurs placements financiers.

Mais d'investissement créateur d'emploi, point !

Tout attendre de la baisse des taux d'intérêt, qu'il est censé avoir engagé avec force.

En fait, il n'y a là rien d'extraordinaire.

Le mouvement de baisse, soyons clairs, avait été engagé bien avant E. Balladur, par les gouvernements socialistes, en liaison avec les possibilités du marché des changes et de la situation monétaire internationale.

La différence, avec E. Balladur, c'est qu'il n'a pas pu faire l'économie de tensions avec nos partenaires, et surtout d'une crise monétaire européenne qui a durement ponctionné nos réserves de changes.

Quel est en effet le résultat ?

a) Les taux à long terme ont poursuivi leur tendance antérieure :

(en %)
Taux des obligations du secteur public :
Janv. 91 : 10,0
Déc. 91 : 9,23 ; 0,87 
Déc. 92 : 8,63 ; -0,70 
Avril 93 : 7,48 ; -1,05 
Déc. 93 : 6,18 ; -1,30

Où est la performance fulgurante ?

b) Les taux à court terme n'ont pas vraiment fait mieux que les taux allemands.

Le taux de l'argent au jour le jour a ainsi évolué :

(en %)
RFA :
Juin 1993 : 7,8
Oct. 1993 : 6,7
Variation : -1,1 %

France : 
Juin 1993 : 7,7
Oct. 1993 : 7,0
Variation : -0,7 %

En dépit des coups de menton d'E. Alphandéry, en matière de baisse de taux d'intérêt c'est toujours l'Allemagne qui mène la danse.

c) Le taux de base bancaire : une baisse bizarre, bizarre…

(en %)
TBB :
Déc. 1991 : 10,35
Déc. 1992 : 10,00
Avril 1993 : 9,50
Janv. 1994 : 7,95

Variation :
Déc. 1992 : -0,35
Avril 1993 : -0.50
Janv. 1994 : -1,55

Ne peut-on d'ailleurs s'interroger en observant l'accélération de la baisse du taux de base bancaire ? Un esprit mal intentionné ne pourrait-il en effet y voir une volonté des banques d'aider le gouvernement Balladur ?

d) Les taux d'intérêt réels restent parmi les plus élevés de l'OCDE.

Ainsi les taux interbancaires à : 3 mois = 4,52 % en novembre contre 2,71 en Allemagne, 0,54 aux États-Unis, 0,97 % au Japon ; taux à long terme sur le marché financier : 3,83 % en novembre contre 2,27 % en Allemagne, 2,90 % aux États-Unis, 2, 15 % au Japon…

Or quel est le taux décisif pour l'emprunteur, pour celui qui besoin d'obtenir des fonds pour investir, être compétitif et créer des emplois, sinon le taux réel ? C'est celui qu'il compare au résultat économique attendu de son investissement ; c'est d'après celui-là qu'il prend sa décision d'investir.

Et de ce point de vue, l'insuccès d'E. Balladur est évident (cf. évolution de l'investissement) !

e) Espérer de la loi quinquennale sur l'emploi un miracle.

Les réunions récentes à Matignon suffisent à elles seules à prouver que cet espoir s'amincit. Cinq semaines à peine après le vote d'une loi dont l'application va s'étaler sur 5 ans, le gouvernement décide de la corriger… sans en changer l'inspiration. C'est plus que du pilotage à vue… dans l'immobilisme. Mais pour une fois les socialistes sont d'accord avec E. Balladur : sa loi quinquennale, ça ne marchera pas ! Son incidence sur l'emploi sera limitée, mais ses conséquences sociales sont plus risquées par, notamment :

– l'amplification de l'allégement du coût du travail qu'elle constitue qui crée une vraie incitation à des recrutements à bas salaires, et leur pérennisation (baisse des cotisations d'allocations familiales maximales pour les salaires inférieurs à 1,5 le SMIC) ;
– les restrictions apportées à certains stages ou contrats ;
– la flexibilité accrue accordée aux chefs d'entreprise, en particulier pour les aménagements d'horaires ou pour l'exercice des droits sociaux, sans garanties renforcées pour les salariés ;
– la très insuffisante avancée sur la réduction du temps de travail.

La synthèse de ce texte ce sont : des cadeaux aux entreprises ; une précarité sociale accrue ; des droits sociaux entamés.

Mais d'emploi supplémentaire, là encore, point !

2. Mais les résultats sont là, cruels : la situation de l'emploi se dégrade fortement

1) La hausse du chômage s'est accélérée sous Balladur :

Le taux de chômage augmente plus vite qu'auparavant. En 1992, il était passé de 10 à 10,5 % ; en 1993, il est passé de 10,5 à 12 % !

Le nombre de demandeurs d'emploi a augmenté plus vite en 1993 qu'en 1992. Il double ! 300 000 chômeurs de plus en 1993, contre + 150 000 en 1992.

Le rythme d'augmentation du nombre de demandeurs d'emploi s'accélère même plutôt, signe d'une dégradation de la situation : alors qu'en 1992 mois après mois, ce rythme s'était ralenti (la croissance annuelle passe de manière régulière et progressive tout ou long de l'année, de 12 % en janvier 1992 à 5,4 % en décembre), en 1993, c'est le cheminement inverse : mois après mois la hausse se fait plus rapide, retrouvant – là aussi très régulièrement, mois à la hausse cette fois – un rythme annuel d'augmentation de 11,2 % en novembre 1993.

2) Plus généralement, la situation de l'emploi s'est aggravée : d'autres indices soulignent que la situation est critique.

Les offres d'emploi en fin de mois (c'est-à-dire les chances pour les demandeurs d'emploi d'en trouver un) sont à leur plus bas niveau historique.

À la fin novembre (données CVS)
1990 : 71 500
1991 : 60 200
1922 : 49 000
1993 : 40 900

Les contrats emploi-solidarité sont – 361 000 à fin octobre 1993 – à leur plus haut niveau.

Le chômage de jeunes s'envole : le taux de chômage des hommes de moins de 25 ans est passé de 17,3 % en janvier à 19,8 % en novembre (pour les femmes, de 25, 1 à 26,3 %).

Le chômage de longue durée, lui aussi, s'accentue : les demandeurs de plus d'un an ancienneté étaient de 886 400 fin 1991 et 886 600 fin 1992 déjà 1 068 700 fin novembre 1993 !

Exit les actions spécifiques conduites dans cette direction par la gauche !

Le chômage partiel a doublé en dix mois : 1 293 600 journées en décembre 1992, mais 2 598 800 en octobre 1993 !

3) Et l'emploi ? Il diminue

Entre le 31 mars 1993 et le 30 septembre, les effectifs salariés des secteurs marchands, non agricoles ont baissé : 102 000 personnes.

Où est le succès ?

II. – Le gouvernement Balladur dit avoir une gestion rigoureuse : la réalité, ce sont des tromperies

1. Il dit vouloir maîtriser les déficits

1) En fait il les aggrave et endette la France

Le budget 1994 est largement truqué : les dépenses sont minimisées au prix d'artifices comptables sans précédent.

On va recourir massivement à la vente des « bijoux de famille » : 55 M de F de recettes de privatisation sont prévues pour financer essentiellement des dépenses courantes.

Les dépenses sont volontairement sous estimées car vont s'ajouter au crédit ce budget des crédits en 1993. Ceci résulte du fait que le collectif du printemps avait volontairement surestimé les crédits nouveaux, afin de « soulager » par avance l'exercice 1994 (on savait très bien que ces crédits ne pourraient être consommés entièrement cette année et qu'ils seraient reportés sur 1994).

De manière générale on va autoriser largement l'utilisation de crédits disponibles sur gestion antérieure (les reports). Ce sera notamment le cas pour les crédits d'équipement militaire.

Ces dépenses n'apparaîtront pas dans la loi de finances mais pèseront bien sur l'exécution budgétaire (dont les résultats, est vrai, ne seront connus qu'au printemps de 1995…).

Autres exemples encore, parmi d'autres : plusieurs dépenses ont été sorties du budget. C'est le cas des dépenses transférées du budget des charges communes au fonds de solidarité (16 M de F). C'est aussi le cas du financement du remboursement de TVA aux entreprises qui, contrairement aux règles de bonne gestion de comptabilité publique, n'est pas assuré par le budget, mais de simples opérations de trésorerie – invisibles dans le budget de l'État, mais bel et bien présentes dans la dette.

Contrairement à ce qu'il affirme, le gouvernement ne réduira pas le déficit budgétaire.

Si le projet de loi de finances initiale prévoit une légère diminution du déficit (301,4 M de F au lieu de 317 M de F, dernier chiffre « officiel » pour 1993, après le collectif du printemps), le déficit réel sera très supérieur à ce chiffre, et probablement plus proche de 400 M de F.

L'action budgétaire du gouvernement Balladur, ce sont :

– des privatisations, dont les recettes – hérésie comptable suprême –, issues de la vente du patrimoine public, servent à financer des dépenses courantes ;
– des débudgétisations massives, dont la plus considérable est précisément le remboursement de la TVA aux entreprises, financé par emprunt, ne figurant donc pas dans le budget, mais augmentant à lui seul la dette publique de 100 M de F ! Mais on peut citer ou non –  remboursement par l'État à la CNAF de l'allocation de rentrée scolaire ;
– un gonflement de la dette publique. Elle aura augmenté d'au moins 420 M de F en 1993, auxquels il faudra ajouter, dès le 1er janvier 1994, 110 M de F de reprise par l'État des dettes de la sécurité sociale. En un an, dette de l'État : + 25 % !

E. Balladur préfère charger la banque des générations futures pour préparer son propre avenir !

Les comptes sociaux : là aussi le gouvernement Balladur tire des traites sur l'avenir. En reprenant la dette accumulée par la sécurité sociale pour un montant de 110 M de F, l'État réduira certes les frais financiers de la sécurité sociale ; mais cela résout pas le problème du remboursement de cette dette n'a aucun problème structurel de la sécurité sociale. Un tour de « passe-passe » a caché le passé : il ne l'a pas résolu ! Ni le présent non plus d'ailleurs, puisque le déficit cumulé de la Sécurité sociale avoisinera fin 1994 les 140 M de F sur la base des prévisions du gouvernement lui-même.

2. Et pourtant il a ponctionné et continue de ponctionner très fort

« La potion sociale » 1993 : lourde et amère

Hausse de 1,3 % de la CSG au 1er août 1993 (rapporte 49,5 M de F en 1994).

Économies sur les prestations : gel des prestations d'assurance vieillesse, des prestations familiales et des aides au logement, ou 1er juillet 1993 ; hausse de cinq points du ticket modérateur de l'assurance maladie, progression de 50 à 55 francs du forfait hospitalier, mise en place d'un ordonnancier bi-zone permettant de distinguer les médicaments remboursés à 100 % dans le cadre d'une affectation de longue durée et les médicaments supportant le ticket modérateur {rapport de ces trois mesures : 2 milliards de francs en 1993, 10,8 M de F en 1994) ; modification des règles de calcul des droits à l'assurance vieillesse au 1er janvier 199 4 (indexation des pensions sur les prix, allongement à 40 ans de la durée d'assurance requise pour obtenir une pension à taux plein, élargissement aux vingt-cinq meilleures années de la période de référence pour le calcul du salaire).

Les salaires : un freinage, notamment pour les plus modestes

La hausse du SMIC en 1993 a été de + 2,3 % contre + 4,3 % en 1992

Hors les revalorisations dues au protocole Durafour, pas d'augmentation des salaires de fonctionnaires en 1993

Et ces restrictions, le gouvernement lui-même les programmes ; les prévisions des services du Ministère de l'économie et des finances sont éloquentes :

Pouvoir d'achat du revenu disponible brut : 
1992 : + 1,5 %
1993 : + 0,5 %
1994 : 0 %

Les prélèvements obligatoires : en hausse

Ils vont retrouver en 1994 leur plus niveau historique qu'ils avaient déjà atteint en 1987 (44,5 %), déjà sous la droite !

En % du PIB :
1991 : 44, 1
1992 : 43,7
1993 : 43,6
1994 : 44,4

Les taxes sur l'essence : en hausse

Regardons simplement le prix du litre de super, en distinguant ce qui relève du marché pétrolier (hors taxes), et ce qui intègre les taxes décidées par le gouvernement

En FF :
Janv. 1991 : HT 1,29 ; TTC : 5,30
Janv. 1992 : HT 1,18 ; TTC : 5,22
Mars 1993 : HT 1,17 ; TTC : 5,27
Nov. 1993 : HT 1,15 ; TTC : 5,61

Encore faudrait-il pouvoir citer au chapitre des prélèvements, le « hold-up » qu'a conduit l'État par ses coupes dans les dotations aux collectivités territoriales dès 1994, coupes budgétaires qui vont contraindre beaucoup de ces collectivités à relever leurs propres impôts. Et qui finalement va payer ? Le contribuable !

3. Le gouvernement Balladur fait une erreur de politique économique

Le gouvernement a choisi de privilégier la politique de l'offre au moment où les entreprises et les ménages subissent une grave crise de la demande.

Cette politique est profondément inadaptée au contexte économique actuel car tous les signes montrent que la récession résulte avant tout d'une crise de la demande : la consommation est fortement déprimée, certains prix baissent, le taux d'utilisation des capacités de production est à son plus bas niveau, le taux d'autofinancement des entreprises est à son record historique.

Les entreprises en revanche, n'investissent plus. Et les ménages surtout n'empruntent plus : si les prêts au logement se maintiennent avec peine, les crédits de trésorerie diminuent ; c'est bien l'inquiétude face à l'avenir qui pèse sur la progression à s'endetter des ménages comme celle des banques à leur prêt. La consommation des ménages se ralentit, et leur taux d'épargne augmente (de 12,7 % en 1992 à 12,8 % en 1993) d'après les chiffres de l'INSEE.

Il y a erreur sur le diagnostic.

La thérapie peut donc être d'autant plus mal vécue par le patient qu'elle est censée guéri ; qu'elle ne lui est pas administré à bon escient.

4. Et le résultat est, lui aussi, cruel : la France s'enfonce dans la crise

La production industrielle : plus basse qu'il y a un an et qu'à l'arrivée d'E. Balladur à Matignon. La production est en octobre 1993 (indice 108,7) :

– exactement au même niveau qu'en janvier 1993 ;
– plus basse qu'en mars 1993 (indice 110,0) ;
– plus basse qu'un an auparavant (indice 114,3 en octobre 1992).

En rythme annuel, son recul est de - 5 %.

La crise est encore là, d'après les enquêtes conjoncturelles (INSEE et Banque de France), ils soulignent que :

– les stocks restent lourds (les plus lourds jamais recensés depuis le début des années 90) ;
– les carnets de commandes restent étroits (les plus bas depuis le début des années 90).

L'inflation : Balladur n'a pas fait mieux. Au contraire même, les prix ont augmenté plus vite en 1993 (+ 2,1 %) qu'en 1992 (+ 1,9 %)

Pis encore, l'écart avec nos 11 principaux partenaires commerciaux nous est moins favorable : en 1992, il avait été de 1,5 % en notre faveur; il n'est plus que de 0,7 % en 1993.

L'investissement : la chute abyssale

E. Balladur allait, par sa seule présence, « restaurer la confiance » des entreprises. Résultat : les chiffres de l'investissement continuent de s'effondrer !

FBCF des SQS-EI (en volume) :
1991 : - 2,6 %
1992 : - 5,6 %
1993 : - 8,2 %

La baisse est encore plus forte pour l'investissement industriel : 15 % en 1993 !

Néanmoins la situation financière des entreprises s'améliore : l'autofinancement se redresse. Le taux d'autofinancement s'élève à des niveaux qui n'ont plus été atteints depuis plusieurs années.

Si les chiffres du second trimestre 1993 ne sont pas encore connus, il est certain qu'ils vont conforter cette tendance puisque :

– l'investissement continue de baisser ;
– les entreprises ont bénéficié de liquidités supplémentaires par d'aides du gouvernement.

D'ores et déjà les services du ministère de l'Économie et des Finances prévoient (variation des stocks compris).

Taux d'autofinancement (en %) :
1991 : 96,3
1992 : 117,9
1993 : 133,7
et tablent encore sur 36,9 % en 1994 !

Et pourtant une crise de confiance persiste chez les chefs d'entreprise.

Les enquêtes d'opinion soulignent en particulier :

La poursuite de la chute des intentions de commandes observées chez les grossistes en biens d'équipement, signe de défiance en l'avenir.

Un accroissement du pessimisme des industriels sur l'évolution de leur trésorerie et de leurs résultats d'exploitation (alors que les données comptables et financières sont loin de faire apparaître cette tendance, comme nous l'avons cru).

Mais que fait E. Balladur !

Les défaillances d'entreprises : en hausse

Moyenne annuelle :
1991 : 4 414
1992 : 4 816
nov. 1993 : 6 021

Où est la performance ?

Commerce extérieur : bien, mais préoccupant

Il continue de bien aller, c'est vrai, grâce à la compétitivité qu'à regagné notre économie sous les gouvernements à direction socialiste. Mais depuis plusieurs mois nos importations chutent parce que notre économie va mal ! Là encore regardons les chiffres de la comptabilité nationale :

Importations :
1991 : + 2,9 %
1992 : + 3,1 %
1993 (acquis, après 3 trimestres) : - 3,3 %

Dont produits manufacturés : 
1991 : + 1,9 %
1992 : + 1,0 %
1993 (acquis, après 3 trimestres) : - 5,6 %

Même le franc vacille et manque encore de fermeté.

On nous dit que la monnaie est tenue, qu'elle tient bon. Et pourtant si l'on accepte les monnaies qui ont été très perturbées par les marchés des changes (Italie, Espagne, Belgique), regardons quelle est la situation en fin d'année.

Cours moyen en France :

Dollar :
Avril 1993 : 5,397
Déc. 1993 : 5,849

Mark :
Avril 1993 : 5,381
Déc. 1993 : 3,419

Yen japonais :
Avril 1993 : 4,808
Déc. 1993 : 5,320

Livre sterling :
Avril 1993 : 8,344
Déc. 1993 : 8,719

Franc suisse :
Avril 1993 : 3,698
Déc. 1993 : 3,994

Ecu :
Avril 1993 : 6,587
Déc. 1993 : 6,600

C'est pourquoi la politique économique du gouvernement Balladur ne mérite la confiance ni des socialistes, ni de l'opinion publique : elle n'est que de la poudre aux yeux !

1. C'est une action très ciblée socialement

Des cadeaux pour les uns (revenus plus que moyens et détenteurs de capitaux) et des sacrifices pour les autres (revenus moins que moyens).

1) Les cadeaux

Pour les liquidités des entreprises, el donc au final pour leur autofinancement et leurs bénéfices, donc leurs actionnaires (soit par dividendes, soit par hausse des cours).

Fiscaux pour les ménages détenteurs de capitaux (exonération de plus-values de cessions de titres en cas de réinvestissement dans un logement ; amélioration du régime fiscal pour les transferts d'épargne sur les plans d'épargne en actions ; abaissement du prélèvement sur les bons et dépôts bancaires ; allégement de l'impôt en Bourse, …) ou de fortune (actualisation du barème de l'ISF).

Aux acheteurs d'entreprises publiques soldées, par les privatisations sur le marché. Les cours de vente sont, de toute évidence, sous-estimés ! Qui en profite ? Ceux qui achètent ces actions et les revendent rapidement, en empochant une plus-value.

Un exemple : la BNP ! Vendue le 18 octobre à 240 F, son action cotait 291 F le 18 novembre : + 21,5% !

Pour ceux qui paient l'impôt sur le revenu (un foyer fiscal sur deux) qui bénéficieront de 19 M de F d'allégements en 1994.

Pour les plus hauts revenus qui ont bénéficié en 1993 de la déductibilité de la CSG.

Pour l'école privée, dont les moyens de financement ont été renforcés par la loi proposée par F. Bayrou, même si, par sa décision récente, le Conseil constitutionnel a évité une dérive trop forte.

2) Des sacrifices

Pour les salariés, dont le pouvoir d'achat est ponctionné, et notamment les fonctionnaires dont les solaires n'ont eu aucune augmentation en 1993.

Pour ceux qui sollicitent la sécurité sociale, pour la maladie (cf. potion de l'été 1993), mais aussi pour les futurs retraités qui ont vu s'envoler leurs chances de partir à 60 ans.

Pour ceux qui cherchent un logement : les constructions ont baissé de 10 % en 3 ans.

Pour tous ceux qui ont un revenu en France, et ont payé la CSG supplémentaire.

Pour tous les automobilistes et les fumeurs.

Pour l'Éducation nationale, dont la hausse du budget va fortement se ralentir en 1994 (alors que les besoins croissent) et dont les effectifs n'augmenteront que de 0,2 % en 1994 !

Et il y en a tant d'autres !

2. C'est la mise en œuvre d'une idéologie forcenée, obsédée par la privatisation et le refus du service public

1) Privatisation : on dévalorise les actifs avant de les vendre !

À chacune des privatisations (Rhône-Poulenc, Elf, BNP) on a vu le Président de la société annoncer quelques jours avant de mauvais comptes, des pertes ou des provisions importantes.

Les cours ont baissé ; le prix de vente a pu ainsi être attractif pour les acheteurs : pour la BNP, d'après le « Financial Times » du 8 octobre 1993, c'est « une offre qu'on ne peut refuser ! ».

« C'est un cadeau », disait la Vie française.

Pour Elf, la Tribune explique elle-même que « la corde finit par être usée » …

Qui gagne ? Ceux qui pensent acheter ces actions (2 800 000). Qui perd ? Tous les français dont le patrimoine est vendu à vil prix : près de 100 M de F seront ainsi vendus en 2 ans !

2) Un service public qu'on est loin d'aimer dans les sphères du pouvoir

Inutile de commenter : l'épisode de la loi Falloux, mais aussi les mises en cause des statuts d'EDF ou de France Télécoms et de la Poste, sans oublier la gestion du conflit d'Air Fronce, voire le transfert de la RATP à la région d'Île-de-France sont autant d'indications préoccupantes.

3) C'est l'organisation de la main mise d'un réseau eu service d'un homme sur tout l'appareil de pouvoir, non seulement institutionnel, mais aussi et surtout économique.

Qu'il est doux d'être un proche d'E. Balladur pour occuper un poste clé de la finance française !

J.-C. Trichet, Gouverneur de la Banque de France
C. Noyer, Directeur du trésor
M. Pebéreau, Président de la BNP
J. Friedman, Président de l'UAP
P. Jaffré, Président d'Elf Aquitaine
Ch. de Croisset, Président du CCF

Sont autant de relations ou d'amis personnels du Premier ministre.

Tout s'est fait en douceur, avec une efficacité remarquable. Mois qui peut oublier que semaine après semaine, à chaque conseil des ministres, ou progressivement dans le monde de l'entreprise des hommes de la « galaxie Balladur » s‘installent dans des fauteuils… dont ils ne sont pas prêts, pour certains (privatisation, indépendance de la Banque de France), à être délogés… Au spoil system, qui a ses inconvénients – l'arbitraire et ses avantages – la clarté – se substitue le Balladur système, qui installe, dans la durée et dans l'opacité, des hommes sûrs hors de tout contrôle.

Dossier réalisé pour le point de presse du 27 janvier 1994 de Jean-Paul Huchon et Pierre Moscovici