Déclaration de Mme Lucette Michaux-Chevry, ministre déléguée à l'action humanitaire et aux droits de l'homme, sur les atteintes aux droits de l'homme et la formation à la démocratie, Paris le 19 juillet 1994.

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Circonstance : 3ème université d'été de formation de formateurs en droits de l'homme et citoyenneté démocratique à Paris le 19 juillet 1994

Texte intégral

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,

Nous sommes en train d'assister à la naissance d'une tradition puisque c'est la deuxième fois qu'il m'est donné d'accueillir en ces murs les stagiaires de l'Université d'été des Droits de l'Homme et de la citoyenneté démocratique. Une tradition, donc, qu'il m'est agréable d'instituer aujourd'hui avec vous.

Juillet 1993/juillet 1994 : un an de défense des Droits de l'Homme que je serais tentée de résumer en deux mots : progrès et inquiétude. Commençons par l'inquiétude si vous le voulez bien : aucun continent, aucun pays n'a, hélas, le monopole des situations préoccupantes.

Parmi les atteintes aux Droits de l'Homme les plus souvent constatées, si l'on met à part les atrocités spectaculaires dont les médias nous renvoient les images à l'envie, l'une des plus graves me paraît être l'esclavage sournois auquel sont soumis des centaines de milliers d'êtres humains dans le monde ; vous constituez la promotion 1994 de l'Université d'été des Droits de l'Homme ; or 1994 est aussi le Bicentenaire de l'abolition de l'esclavage sur les territoires de la République française. Je pense que cette concomitance de dates doit nous amener d'une part à réfléchir, d'autres part à agir.

À réfléchir, tout d'abord : l'esclavage a été aboli en 1794, cela est vrai ; mais il a été réintroduit quelques années plus tard avant d'être supprimé définitivement en 1848 grâce à l'action de Victor Schoelcher. On peut tirer de ce petit rappel historique au moins un enseignement, qui est capital : en matière de Droits de l'Homme, rien n'est jamais définitivement acquis !

Mais la réflexion théorique doit s'accompagner d'action : une action certes très progressive, qui doit prendre en compte toute les données de problèmes souvent complexes ; puisque nous nous penchons sur le passé proche, évoquons, à ce propos, les dernières négociations du GATT qui ont abouti à la signature du Traité de Marrakech : la France s'est beaucoup battue pour que la future Organisation mondiale du Commerce n'oublie pas que le développement des échanges internationaux doit s'accompagner d'une amélioration des conditions de vie des populations de tous les pays participant à ces échanges ; c'est ce qu'on appelle « la clause sociale ». Les résultats ont été, de ce point de vue, très largement décevants.

Cela ne fait rien. Je continuerai à me battre pour que, petit à petit et sans bouleversement destructeur, « les normes sociales » dans les pays en développement s'élèvent au fur et à mesure que les échanges se développent.

Je viens d'évoquer l'esclavage au sens économique.

Mais il y a bien d'autres formes d'esclavage, à tel point que les Nations unies parlent, vous le savez, des « formes contemporaines d'esclavage ». Citons-en une : la prostitution enfantine ; là encore, il faut agir, se mobiliser : cela a fait partie de mon combat de ces derniers mois dans les instances internationales comme sur le terrain.

Une autre violation particulièrement grave des Droits de l'Homme est constituée par ce qu'on appelle les atteintes à la liberté d'opinion et de presse.

Beaucoup d'entre vous viennent de pays dans lesquels il n'a pas toujours été facile, par le passé, d'exprimer ni d'imprimer sa pensée. Vous avez, pour cette raison, un devoir particulier de vigilance, qui dans l'entreprise, qui à l'école, qui à l'université. J'ai, en tant que ministre délégué aux Droits de l'Homme, un devoir d'assistance aux médias, même aux plus modestes d'entre eux y compris les plus dérangeants. C'est ce que j'ai fait, au nom de la France, dans près d'une dizaine de pays cette année.

Par ces quelques exemples, j'ai souhaité illustrer l'inquiétude à laquelle je faisais allusion tout à l'heure.

Mais j'ai parlé également d'espoir ! Alors, disons les choses très clairement l'espoir, c'est vous et, plus généralement, l'ensemble des formateurs en Droits de l'Homme.

Je suis de ceux qui pensent, en effet, que les Droits de l'Homme et la démocratie s'enseignent et qu'ils se transmettent comme un patrimoine. Je ne crois pas qu'il y ait, en ce domaine, ce que certains scientifiques appelaient au siècle dernier une « génération spontanée ».

Vous connaissez tous, je pense, la phrase célèbre « Si tu veux nourrir un homme pour un jour, donne-lui un bol de riz, pour un mois un sac de riz ; si tu veux le nourrir pour la vie entière, apprends-lui à cultiver le riz ! »

Il y a une culture du riz, il y a aussi une « culture des Droits de l'Homme » que l'on appelle parfois aussi – je pense au Salvador – « culture de la paix ». Si le contenu des enseignements de cette culture peut varier, l'essentiel demeure :

– l'apprentissage d'une pédagogie appropriée ;
– l'affirmation de l'universalité des Droits de l'Homme.

Universalité ne signifie pas uniformisation bien sûr ; les cultures et les mentalités sont différentes à Rabat et à Tirana, les traditions prennent d'autres formes suivant que l'on habite Prague ou Bangui. Mais les libertés fondamentales, celles qui créent et en même temps protègent la dignité de l'homme n'ont qu'une seule expression.

J'ai soutenu, au cours des derniers mois des actions de formation en Droits de l'Homme au Honduras, au Guatemala, au Cambodge, au Tchad ; j'ai rencontré les responsables, j'ai étudié leurs programmes : adaptés aux différents publics qu'ils visaient bien sûr, ils n'en préservaient pas moins la même dimension universelle.

Croyez-moi, en matière de Droits de l'Homme, il n'existe pas d'application de la « Théorie des climats », telle que Montesquieu nous l'a laissée pour d'autres sciences sociales.

Je souhaite sincèrement que vous soyez désormais, chacun dans son environnement, les défenseurs vigilants du message complexe qui vous sera dispensé en France cet été. Je ne doute pas que vous saurez tous, sitôt rentrés chez vous, cultiver le jardin des Droits de l'Homme.