Déclarations de M. Charles Pasqua, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, sur le débat national sur l'aménagement du territoire, à Paris les 21 et 26 avril 1994.

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Intervenant(s) : 
  • Charles Pasqua - Ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire

Circonstance : Rassemblement national des femmes élues à Paris le 21 avril 1994 à l'occasion du cinquantième anniversaire du droit de vote des femmes

Texte intégral

Débat national sur l'aménagement du territoire

Rassemblement national des femmes élues, le jeudi 21 avril 1994

Madame le ministre d'État,
Mesdames et Messieurs,

Le 21 avril 1944, une ordonnance du Général de Gaulle, signée à Alger, accordait le droit de vote aux femmes : « Les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes dès les premières élections après la libération ».

Ainsi, dans l'esprit du chef de la France libre, la libération du territoire national, la souveraineté retrouvée, s'accompagnait tout naturellement de l'exercice du suffrage universel par l'ensemble des citoyens, sans distinction de sexe.

C'est, toutes proportions gardées, un peu le même esprit qui doit nous animer aujourd'hui dans l'entreprise de reconquête du territoire que nous avons engagé.

Il s'agit, en effet, là encore, d'associer l'ensemble des citoyennes et des citoyens de notre pays à son avenir et de faire en sorte que, toutes et tous, ils soient partie prenante de son développement.

Nous avons subi, depuis longtemps, une évolution qui sépare mécaniquement les hommes et les territoires de la République, au point que nous en sommes un peu arrivés au point qu'ils n'ont plus la perception d'un avenir commun, selon qu'ils se situent ici ou là en France.

C'est donc à la France de 2015 que nous avons convié chacun à réfléchir. Peut-on entrevoir la France que nous – enfin, que ceux qui vont nous suivre – connaîtront dans vingt ans ?

Sans doute pas, tant l'avenir ne correspond jamais à ce qu'on imagine. On peut cependant anticiper le monde dans lequel notre pays aura à trouver son chemin, à redéfinir sa vocation, à renouveler son ambition, tout en conservant sa personnalité.

Ce sera sans aucun doute un monde aux échanges accrus, dans lequel ceux qui créent les richesses et ceux qui les redistribuent seront de moins en moins naturellement solidaires et où la mobilité des marchandises, des capitaux, des emplois, sera encore accrue. Ce sera dans un sursaut démographique, une France « vieillie », rendant encore plus nécessaire aujourd'hui la recherche d'une politique familiale dynamique et la volonté constante de donner aux jeunes plus de responsabilités et plus d'espoir.

Selon toute vraisemblance, la France fera partie d'une Union Européenne qui aura trouvé sa propre identité, et aura étendu le champ de ses responsabilités politiques.

Aux marches de cette Europe – au Sud comme à l'Est – s'intensifiera une pression migratoire, à la recherche d'espaces riches et disponibles.

À ce monde-là, à cette Europe-là, notre pays s'est-il suffisamment préparé ? À l'évidence, non. Sa population se regroupe autour des grandes agglomérations alors que son espace rural se désertifie peu à peu. Déjà, la France se révèle moins capable que d'autres de créer des emplois ; déjà, apparaissent les signes précurseurs d'un développement antagoniste des entreprises, des professions, des territoires, notamment dans les banlieues de villes, de moins, en moins synonymes de progrès ; déjà, faiblit la perception d'un avenir commun à tous les Français.

Deux scénarios peuvent dès lors être envisagés pour notre pays. Le premier est celui d'un modèle de développements séparés, où cohabiteraient sur le sol national des populations et des territoires aux situations, aux modes de vie différents, donc aux solidarités divergentes. Ce serait un véritable changement de société. Chacun s'organiserait au mieux de ses intérêts ; il serait dès lors illusoire de vouloir préserver un même système d'éducation, de protection sociale, de retraite, voire même d'imposition. Il y suffirait d'un État minimum, garantissant la paix civile et le secours aux plus défavorisés, autant et aussi longtemps que faire se pourrait.

L'autre perspective est celle d'une cohésion nationale renouvelée, autour d'un « pacte républicain » adapté au monde qui vient. C'est la voie choisie par le Gouvernement. La politique d'aménagement du territoire se situe au cœur de cette entreprise, puisqu'elle tend à valoriser la propriété collective de la nation, son espace, à améliorer son « offre » dans la compétition internationale, tout en rétablissant l'égalité des chances entre les territoires et en consacrant leur solidarité.

Son objectif sera de replacer la France au centre de la croissance européenne. La politique de reconquête du territoire fait le pari de la prospérité par un développement plus équilibré, plus interdépendant, évitant la concurrence anarchique entre collectivités, fertilisant l'ensemble des vocations et des atouts de la France. Ceux du territoire métropolitain des départements et des territoires d'outre-mer.

Il y faudra des moyens considérables et du temps. Il y faudra un État repensé, garant du service public, plus proche des réalités locales dans son organisation et veillant, dans son action, à la cohérence du progrès économique et social de l'ensemble de la nation.

Il y faudra surtout un autre état d'esprit, l'invention d'une nouvelle citoyenneté. Tout démontre que les Français y sont prêts et qu'ils sont disposés à investir dans leur avenir. Le grand débat pour l'aménagement du territoire les a directement associés à la définition de ce projet. Tous ont compris qu'il ne s'agissait pas d'un enjeu partisan, mais de leur bien commun : la France qu'ils légueront à leurs enfants.

C'est pourquoi, le débat national pour l'aménagement du territoire, loin d'être une discussion technique vouée aux équipements, aux compétences et aux questions financement, est l'occasion d'un véritable exercice de démocratie directe, auquel plusieurs de millions de françaises et de français ont déjà pu participer.

La phase régionale du Grand Débat, comme les travaux de cette journée, a mis en évidence les propositions originales que les femmes ont à formuler et l'approche nouvelle de l'aménagement du territoire dont elles sont porteuses.

Une attention plus grande portée à l'organisation de « bassins de vie », une réflexion soutenue accordée aux services et emplois de proximité, un mode de raisonnement parfois plus concret et moins technocratique, ont témoigné de l'importance que prend la parole des femmes, écoutées en tant que telles, dans le chantier de reconquête du territoire que le Gouvernement a engagé.

Donner aux femmes, et plus spécifiquement aux femmes élues, l'opportunité d'une plus grande contribution du Débat National, c'est donc reconnaître l'existence de perspectives novatrices et complémentaires, témoignages d'un autre regard sur l'avenir de la France dans l'évolution de ses institutions.

À l'issue de la première phase du débat, près d'un million de pages de contributions ont été reçues par la DATAR. Le document d'étape qui vous a été remis se veut la synthèse de ces propositions. Elle est ambitieuse et dessine une France à la fois plus équilibrée, plus solidaire et plus compétitive.

Désertification rurale, hyper concentration urbaine, place de la France en Europe, rôle de l'Ile de France et des métropoles, décentralisation, emploi : tels sont les grands enjeux que tous les intervenants assignent à la politique d'aménagement du territoire, pour laquelle tous – c'est à souligner – souhaitent que l'État joue à nouveau pleinement son rôle de garant des grands équilibres entre les territoires et de l'égalité des chances entre les citoyens.

Placer les hommes, les femmes, les familles, les enfants, au cœur du développement, par la mise en valeur de l'endroit où ils vivent, voilà sans doute l'aspiration du plus grand nombre. Une France plus équilibrée et plus solidaire, tel est le premier objectif de la politique d'aménagement du territoire.

L'inquiétude qui progresse devant l'évolution d'une société qui exclut et marginalise de plus en plus rapidement les individus, et notamment les plus jeunes, a permis cette prise de conscience, sans doute plus aiguë encore chez les femmes.

Aussitôt que les citoyens y ont participé, le problème de l'emploi qui touche, rappelons-le, plus durement les jeunes et les femmes, est venu au centre du débat. La localisation des hommes suit celle des emplois. Ce fut la raison du mouvement vers les villes et il serait illusoire d'imaginer une « reconquête du territoire » qui ne poserait pas, d'abord, la question de l'emploi.

La politique d'aménagement du territoire recèle en elle-même un potentiel de croissance, potentiel qui pourrait s'ajouter aux deux moteurs de notre économie, la consommation intérieure et l'exportation.

La « mise à niveau » de la France dans la compétition internationale par la réalisation de grandes infrastructures de communication et le développement local, des richesses naturelles, culturelles de chaque territoire, les activités et services nouveaux qu'elle entraînerait, d'autre part, apparaissent comme un gisement insuffisamment exploité d'entreprises et d'emplois.

La France de 2015 que souhaitent les Françaises et Français apparaît plus compétitive, parce que plus cohérente et plus attractive. C'est une France où chaque territoire, chaque « pays », trouverait sa propre vocation.

Les moyens du développement, les infrastructures, les pôles de formation et de recherche et les équipements culturels, notamment, y seraient plus équitablement répartis, la qualité de l'environnement davantage mise en valeur.

Cette égalité de chances entre toutes les collectivités une fois assurée, chacune pourrait, dans le cadre de compétences clairement définies, conduire seule ou en association avec d'autres, ses projets de développement, grâce à une fiscalité plus transparente, mieux identifiée par niveau de collectivité, l'État assurant pour sa part une plus forte péréquation.

Dans cette France-là, existeraient des solidarités nouvelles organisées au sein de « bassins de vie », idée forte partagée dans l'ensemble des régions et que les femmes, élues, responsables socio-économiques, enseignantes, ou mères de famille ont particulièrement à cœur.

Ces bassins de vie pourraient constituer, notamment en milieu rural, le nouveau périmètre de la présence des services publics, au plus proche des enjeux locaux, et prendre davantage en compte les besoins des familles, notamment en matière d'éducation, de places dans les crèches, de loisirs et d'équipements sportifs pour les enfants, de santé.

De nombreuses voix s'élèvent pour que ces « bassins de vie » deviennent le cadre d'exercice d'une démocratie locale rénové.

J'attache la plus grande importance à ces propositions et j'ai déjà souligné que le débat ne devrait connaître aucun tabou. Il est clair, en effet, que ces zones géographiques qui pour l'instant n'ont pas d'existence administrative ou politique, correspondent à des réalités économiques et humaines très fortes.

Pourquoi donc ne pas réfléchir à la mise en place d'institutions représentatives adaptées, permettant la gestion et le contrôle des équipements et des services de proximité dont tout le monde admet la nécessité ?

Il ne faut donc pas hésiter à remettre en cause les conservatismes administratifs et à reconnaître la légitimité de nouvelles entités territoriales dans ces bassins de vie, véritables cadres d'une solidarité et d'un développement économique retrouvés. Dépasser les structures anciennes, si elles sont inadaptées, en créer de nouvelles : la politique de reconquête du territoire doit avoir cette audace si elle veut être autre chose qu'un vague programme aussi généreux qu'inefficace.

L'organisation des villes en réseau, entre métropoles et villes moyennes, entre villes moyennes d'une même aire géographique, entre villes moyennes et bourgs-centres des bassins de vie, permettra, dans une France plus ouverte aux télécommunications avancées, de relier les activités et les habitants entre eux et de mettre en valeur la totalité de notre espace.

L'éducation, la culture, le télétravail et les téléservices notamment, bénéficieront directement de ces nouvelles technologies. Il faut d'ailleurs souligner que cette évolution intéresse directement les femmes, comme le montrent toutes vos contributions, car elle permet dans bien des cas de mieux concilier le travail et la présence au domicile. Elle ouvre donc la possibilité de marier les responsabilités professionnelles les plus enrichissantes et la vie familiale la plus équilibrée.

Le redéploiement dans les métropoles régionales de grandes fonctions administratives, de services et d'entreprises publics, actuellement concentrés en Ile-de-France apparaît également comme un vecteur puissant de rééquilibrage de la France, sans que soit remise en cause la fonction capitale de Paris.

L'État, ainsi redéfini, est à l'image de cette France de 2015 : à Paris, les fonctions de souveraineté, qu'elles s'exercent toujours dans le cadre national ou qu'elles soient désormais partagées au niveau européen ; dans les principales métropoles, les fonctions administratives et techniques implantées de façon à conforter et à fertiliser les grandes vocations régionales.

Les grands réseaux de communication ne s'organisent plus seulement en étoile autour de Paris, mais relient directement les métropoles régionales à leurs homologues européennes.

Une nouvelle architecture de la France en Europe se dessine ainsi, dans laquelle le critère de distance-temps, qui a façonné la carte administrative et politique de la France, aura été adapté aux modes de communication et d'échange du XXlème siècle, au lieu de rester figé selon ceux du XIXème.

Vous l'avez souvent souligné, mesdames les élues, une meilleure association des citoyens aux décisions, l'approfondissement et la clarification de la décentralisation sont indispensables.

L'incitation à la coopération entre les collectivités, la réforme des finances locales et principalement celle de la taxe professionnelle, en permettant une réelle péréquation des ressources, doivent rétablir la solidarité entre les territoires et l'égalité des chances entre les citoyens, principes dont l'État doit demeurer le garant, notamment par la présence du service public.

La loi d'orientation du territoire fixera le cadre assurant la cohérence de toutes les politiques à mettre en œuvre : un schéma national de l'aménagement du territoire inscrit dans la loi, définira l'organisation du territoire pour les vingt prochaines années, et pourra être révisé par le législateur tous les cinq ans.

Mesdames les élues, le poète a dit que la femme était l'avenir de l'homme, et sans doute a-t-on un peu abusé de cette formule. Je voudrai lui redonner tout son sens.

La France de l'exclusion, de la désertification, de la surconcentration urbaine est une France sans avenir. Vous le voyez comme moi presque tous les jours : la violence des jeunes dans certaines banlieues, le pessimisme latent d'une beaucoup plus grande partie de la jeunesse, et sans doute de vos enfants eux-mêmes, dont l'avenir semble terni par le chômage, la drogue, le sida, le prouvent tous les jours.

Nous ne pouvons pas accepter cette évolution, prétendument naturelle, sans réagir. Or, comme le souligne justement l'une des synthèses régionales : « Dans la période de fortes cassures sociales que notre société rencontre, les femmes peuvent apporter une valeur ajoutée en continuant le dialogue là où les hommes généralement l'interrompent ».

La France de 2015 est avant tout la France de nos enfants. Nous voulons leur redonner confiance, leur donner des raisons de se prendre en main, de travailler, de créer des entreprises et des emplois, de fonder une famille et d'avoir, eux aussi, des enfants.

En un mot, nous avons une responsabilité, énorme, envers eux, envers la France de demain. C'est pourquoi le gouvernement étudiera avec attention toutes les propositions formulées au cours de cette journée, comme toutes les propositions des femmes dans le cadre de ce débat.

Nous devons montrer que la vie continue, que notre pays est le cadre naturel dans lequel on peut et on doit envisager l'avenir. C'est à cette tâche que vous apportez, mesdames les élues, une contribution essentielle.


Assemblée Nationale : mardi 26 avril 1994

Monsieur le Président, 
Mesdames et Messieurs les Députés,

Le Gouvernement est particulièrement sensible, monsieur le Président, à l'invitation que vous lui avez faite de s'adresser aujourd'hui à l'Assemblée pour l'informer de la politique d'aménagement du territoire dont vous serez, mesdames et messieurs les Députés, prochainement saisis.

Cette question, vous le savez mieux que personne, monsieur le Président, se situe au cœur même des interrogations les plus profondes que ressentent nos concitoyens face à l'évolution du monde moderne. Ils ont compris, depuis six mois que nous les avons conviés à y participer, que le débat que nous avons engagé était, tout bonnement, celui de leur avenir.

Tout au long des déplacements que nous avons effectués, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre délégué et moi-même, dans l'ensemble des régions de notre pays, nos concitoyens, élus, responsables et simples citoyens ont compris qu'il s'agissait de choisir une France ou bien une autre et que, selon les décisions que nous prendrions maintenant ou non, notre pays pourrait évoluer de deux façons bien distinctes.

La première serait celle d'un modèle de développement séparé, où cohabiteraient sur le sol national des populations et des territoires aux situations et aux modes de vie différents et donc aux solidarités divergentes. Ce serait un véritable changement de société. Chacun s'organiserait au mieux de ses intérêts et Il serait illusoire, de vouloir préserver un même système d'éducation, de protection sociale, de retraite, voire même d'imposition. Il y, suffirait d'un État minimum, garantissant la paix civile et le secours aux plus défavorisés, autant et aussi longtemps que faire se pourrait.

L'autre perspective est celle d'une cohésion nationale renouvelée, autour d'un « pacte républicain » adapté au monde qui vient. C'est la voie choisie par le Gouvernement. La politique d'aménagement du territoire se situe au centre de cette entreprise, puisqu'elle tend à valoriser la propriété collective de la nation, son espace, à améliorer son « offre » dans la compétition Internationale, tout en rétablissant l'égalité des chances entre les territoires et en consacrant leur solidarité.

Son objectif sera de replacer la France au centre de la croissance européenne, alors que le retard accumulé depuis vingt ans l'en écarte et que la concurrence entre les collectivités conduit trop souvent à déprécier les meilleures chances de notre pays. La politique de reconquête du territoire fait le pari de la prospérité par un développement plus équilibré, plus interdépendant, fertilisant l'ensemble des vocations et des atouts de la France.

Sur cet objectif, il m’apparaît que se dégage un large accord. Le constat est unanimement partagé. S'il est vrai qu'au cours des dernières décennies, la France a enregistré d'incontestables succès : l'augmentation du pouvoir d'achat, l'élévation du niveau de formation, la modernisation de l'économie, la productivité de la recherche sont autant d'acquis incontestables, nul ne peut nier cependant que, malgré des réalisations remarquables et des progrès certains, il s'est accumulé au fil des ans dans notre pays des déséquilibres et des tensions qui mettent en danger désormais sa cohésion sociale.

Le goût, souvent excessif, de la rationalisation, la tendance naturelle à tirer parti de toutes les possibilités des sciences et des techniques modernes, la volonté d'exploiter toutes les économies d'échelle, la propension à aller toujours plus vite dans les déplacements et à réduire toujours davantage les délais, le jeu  des effets d'agglomération, l'apparition des phénomènes de masse dans l'éducation, dans la culture et dans la communication, l'ouverture des frontières et la mondialisation des échanges, ont déstabilisé la société française au point de menacer son unité.

Dans ce changement d'échelle et de rythme, les Français ont perdu leurs marques, leurs repères, leurs références, en même temps que la maîtrise des choses.

Gigantisme des métropoles, dérives des banlieues, déclin des villes petites et moyennes, abandon de certaines zones rurales, mais aussi chômage massif, précarité, exclusion, voilà le revers des grandes mutations de cette fin de siècle auxquelles la France ne peut échapper.

La politique d'aménagement du territoire est inséparable de ce constat. Comme toutes les politiques nationales, elle doit avoir pour principal objectif de contribuer à réduire les inégalités de développement afin d'empêcher l'émergence d'une société de communautés antagonistes.

La politique d'aménagement du territoire que le Gouvernement entend vous proposer est donc bien l'ensemble des actions et des moyens qui donnent à la politique économique et sociale sa dimension spatiale. C'est dire combien cette politique transgresse les cloisonnements traditionnels de l'organisation administrative et combien elle ne peut résulter que de la volonté conjointe de l'État et des collectivités territoriales.

Naturellement, choisir de faire une politique d'aménagement du territoire, c'est faire un choix qui n'est pas neutre s'agissant de l'idée qu'on se fait de la Nation et du rôle de l'État.

Engager une politique d'aménagement du territoire, c'est choisir la solidarité nationale et c'est, par voie de conséquence, exclure la concurrence entre les collectivités territoriales, c'est-à-dire refuser que les unes ne prospèrent au détriment des autres.

Dans le choix de la solidarité nationale, il y a donc d'abord cette idée clé selon laquelle la France forme un tout, et qu'il s'agit d'améliorer sa compétitivité globale et non pas seulement la compétitivité se quelques parties privilégiées de son territoire. Ce choix a des conséquences stratégiques importantes.

En cette fin de siècle, où les grandes villes sont en crise et où les moyens de communication et de transport réduisent les distances, tout miser sur quelques mégalopoles hypertrophiées, ce serait déséquilibrer davantage encore le territoire et aller à l'encontre de la solidarité nationale sans améliorer, bien au contraire, la place de la France dans sa compétition internationale, tant les trop grandes cités génèrent des coûts collectifs énormes.

Bien entendu, le choix de la solidarité n'est pas celui de l'uniformité. Il serait absurde de vouloir uniformiser la densité démographique et la répartition des activités sur l'ensemble du territoire. La diversité et la différenciation en fonction des atouts de chacun sont naturelles et souhaitables.

Mais pour utiliser au mieux les ressources disponibles et renforcer la cohésion, il faut rééquilibrer la répartition des moyens tout à la fois en direction des quartiers en difficultés et des communes dortoirs, mais aussi au profit des villes petites et moyennes qui maillent tout le territoire de la France et organisent son espace rural. C'est l'importance nouvelle accordée à ce maillon intermédiaire entre la métropole et la campagne qui sera au cœur de la stratégie de reconquête territoriale et de réunification nationale.

Mais l'aménagement du territoire, ce n'est pas seulement une certaine idée de la Nation. C'est aussi une certaine idée du rôle de l'État. Engager une telle politique, implique de réhabiliter l'engagement de l'État, son aptitude à assurer l'équité par la péréquation et à enclencher le processus du développement local pour créer de l'activité et de la richesse là où il en manque.

Cet État devra certes être déconcentré, afin de gagner la souplesse et la proximité, conditions de son efficacité retrouvée, mais il reste nécessaire que l'État prenne l'initiative, entreprenne, investisse là et quand il le faut. Il lui revient notamment de compenser les handicaps, de corriger les inégalités, de neutraliser les risques, de mieux orienter l'épargne en faveur du développement.

Il ne s'agit nullement pour cela de remettre en cause la décentralisation, tout au contraire. C'est une question de volonté, d'autorité et de moyens, bien davantage que d'institutions.

Dans cette entreprise, il serait en effet tout aussi illusoire et dangereux d'opposer l'État aux collectivités territoriales, que les collectivités entre elles. La décentralisation, j'ai déjà eu l'occasion de le dire, est aujourd'hui entrée dans les faits et elle est partie intégrante de notre paysage institutionnel.

L'aménagement du territoire ne saurait être un enjeu de pouvoir que se disputeraient l'État, la région et le département. C'est une ambition collective, un projet qu'il nous faut mettre en œuvre main dans la main, tant nous avons tous, ministres ou élus, dans nos régions, dans nos départements, dans nos communes, à faire face aux mêmes difficultés, et au même défi.

Ce dont il s'agit en effet, vous l'avez compris, c'est de faire en sorte que l'ensemble des Français aillent de nouveau dans la même direction ; que les mêmes chances leur soient accordées au départ et que nul ne soit laissé de côté, parce qu'il est moins richement doté, ou moins bien placé par la géographie, que ce soit celle de la nature ou celle que dessine sans ménagement l'économie moderne.

Voilà pourquoi la coopération sera le maître-mot du projet de loi d'orientation du territoire.

Il s'agit que les collectivités de toute nature puissent s'associer, se regrouper si elles le, souhaitent, se compléter en tout état de cause, et qu'aucune ne soit à l'écart du progrès général de la communauté nationale. Dans ce cadre, qui doit gagner en souplesse, et dont l'État garantira la cohérence, les collectivités, n'en doutez pas, verront leur liberté respectée et, dans bien des domaines, accrue.

Voilà pourquoi, monsieur le Président, mesdames et messieurs, je voudrais rassurer ceux qui, ici ou là, s'inquièteraient des intentions du Gouvernement, de celles du Premier ministre et des miennes en particulier. Le projet de loi qui va vous être soumis aura toute l'ambition nécessaire. En manquerait-il, d'ailleurs, sur tel ou tel point, que je fais toute confiance à cette Assemblée pour hisser ce projet au niveau où l'attendent nos concitoyens.

Je rappelle que le Gouvernement a choisi d'engager sur ce sujet un vaste débat dans le pays, débat qui se poursuivra jusqu'au dépôt du projet de loi, et dont le débat parlementaire aura à prendre le relais. L'Assemblée nationale puis le Sénat auront à jouer leur rôle, tout leur rôle, et j'espère bien qu'ils le rempliront dans toute sa plénitude. L'enjeu apparaît trop important et, je le crois, dégagé des contingences partisanes pour que nous ayons à cœur, les uns et les autres, de construire ensemble ce qui n'est au fond rien d'autre que de sauvegarder la vie en commun sur le territoire de la République Française.

De très nombreuses mesures répondront, n'en doutez pas, à cet objectif.

Les premières concerneront les acteurs de la vie publique. Une meilleure association des citoyens, l'approfondissement et la clarification de la décentralisation, l'incitation à la coopération entre les collectivités, la réforme des finances locales et principalement celle de la taxe professionnelle, doivent permettre la solidarité entre les territoires et l'égalité des chances entre les citoyens, principes dont l'État doit demeurer le garant, notamment par la présence du service public.

Une deuxième série de propositions définiront une nouvelle politique d'aménagement du territoire, autour de deux idées fortes.

1. Il s'agira d'abord d'enclencher le processus du développement local, en favorisant la création d'entreprises, d'activités et d'emplois, par des incitations fiscales et financières appropriées. Les espaces ruraux et urbains les plus menacés en bénéficieront prioritairement. La mobilité des citoyens sera encouragée.

2. Il s'agira aussi d'accélérer les grandes infrastructures et les grands équipements nécessaires pour mettre la France au niveau de ses concurrents internationaux, en mobilisant les moyens financiers indispensables à cet effort d'investissement national et régional.

La loi d'orientation du territoire fixera ainsi le cadre assurant la cohérence de toutes les politiques à mettre en œuvre : un schéma national de l'aménagement du territoire inscrit dans la loi, définira l'organisation du territoire pour les vingt prochaines années, et pourra être révisé par le législateur tous les cinq ans.

Les moyens de l'État seront unifiés et la loi de finances présentée de façon à mieux faire apparaître les investissements de l'État et l'effort consenti en faveur de chaque Région.

Monsieur le Président, mesdames et messieurs les Députés, plus compétitive, parce que plus cohérente et plus attractive : ainsi apparaît la France de 2015 que souhaitent les Français, une France ou chaque région, chaque « pays », pourrait trouver sa vocation.

Les moyens du développement, les infrastructures, les pôles de formation et de recherche et les équipements culturels, notamment, y seraient équitablement répartis, la qualité de l'environnement davantage mise en valeur.

L'égalité de chances entre toutes les collectivités une fois assurée, chacune pourrait, dans le cadre de compétences clairement définies, conduire seule ou en association avec d'autres, ses projets de développement, grâce à une fiscalité plus transparente, mieux identifiée par niveau de collectivité, l'État assurant pour sa part une plus forte péréquation.

Dans cette France-là, existeraient des solidarités nouvelles organisées au sein de « bassins de vie », idée forte partagée dans l'ensemble des régions, aussi bien par les élus que par les socio-professionnels et les habitants. Ces bassins de vie pourraient constituer, notamment en milieu rural, le nouveau périmètre de la présence des services publics, au plus proche des enjeux locaux. Beaucoup voient là, à terme, le cadre d'exercice d'une démocratie locale rénovée.

L'organisation des villes en réseau, entre métropoles et villes moyennes, entre villes moyennes d'une même aire géographique, entre villes moyennes et bourgs-centres des bassins de vie, doit permettre, dans une France aux télécommunications avancées, de relier les activités et les habitants entre eux, de mettre en valeur la totalité de notre espace.

L'éducation, la culture, les téléservices notamment, bénéficieraient directement de ces nouvelles solidarités.

Le redéploiement dans les métropoles régionales de grandes fonctions administratives, de services et d'entreprises publics, actuellement concentrés en Ile-de-France apparaît également comme un vecteur puissant de rééquilibrage de la France sans que soit remise en cause la fonction capitale, de Paris.

L'État, ainsi redéfini, sera à l'image de cette France de 2015 : à Paris, les fonctions de souveraineté, qu'elles s'exercent toujours dans le cadre national ou qu'elles soient désormais partagées au niveau européen ; dans les principales métropoles, les fonctions administratives et techniques implantées de façon à conforter et à fertiliser les grandes vocations régionales.

Les grands réseaux de communication ne s'organiseront plus seulement en étoile autour de Paris, mais relieront directement les métropoles régionales à leurs homologues européennes.

Une nouvelle architecture de la France en Europe se dessinera ainsi, dans laquelle le critère de distance-temps, qui a façonné la carte administrative et politique de la France, aura été adapté aux modes de communication et d'échange du XXIème siècle, au lieu de rester figé selon ceux du XIXème.

C'est à cette France de demain que l'État, comme les collectivités locales, doivent se préparer.

Le Projet de loi d'orientation du territoire doit ainsi permettre au Parlement d'accomplir une œuvre législative d'envergure.

Ce Projet de loi se présentera en trois parties. Un Rapport fixera les principes généraux de l'aménagement du territoire et les politiques qu'ils appellent. La loi d'orientation elle-même tracera le cadre législatif d'ensemble de l'action de l'État et de celle des collectivités territoriales et approuvera le Rapport. Enfin, le schéma national d'aménagement du territoire dessinera les grandes infrastructures et les grands équipements nécessaires à la France de 2015.

L'ensemble de ces textes sera soumis à votre examen, avant de l'être à celui du Sénat. Il y a là, je crois, matière à un travail parlementaire exceptionnel. Je ne doute pas que votre Assemblée saura, à cette occasion, apporter à ce long et vaste débat le couronnement qu'il mérite.

Monsieur le Président, mesdames et messieurs les Députés, il y a vingt-cinq ans quasiment jour pour jour, le Général de Gaulle appelait les Français, à travers la participation et la régionalisation, à affronter l'avenir unis et solidaires. L'ambition d'aujourd'hui n'est pas différente et l'urgence s'est accrue. La France ne peut plus attendre.