Texte intégral
Intervention d'Hervé Baro - 6 juillet 1998
Nous avons soutenu la consultation parce que l'on demandait, enfin, l'avis des principaux concernés. Enseignants et lycéens y ont été sensibles, malgré la précipitation et le quasi-appel au boycott de certains.
Si le collège est le révélateur de l'échec scolaire, le lycée demeure celui des inégalités sociales, par la « distillation fractionnée » subtile entre des voies et séries aux perspectives d'avenir et aux statuts inégaux.
La consultation montre les imperfections du système et appelle des initiatives pour y remédier.
Les lycéens ont exprimé une forte demande citoyenne. Elle se traduit par un souhait d'ouverture sur l'extérieur, la « vraie vie », l'actualité, l'économie, la politique… Ils formulent également des demandes d'écoute, de dialogue, de respect et de participation aux décisions qui engagent la communauté scolaire.
Du côté des enseignants, émerge la volonté de faire évoluer le lycée dans la double perspective de la poursuite d'études et de l'entrée dans la vie active.
C'est à partir de ces demandes que le Syndicat des enseignants formule un certain nombre de propositions que je vais résumer.
S'agissant des contenus, nous proposons de réévaluer dans nos enseignements la part de l'oral (exposés, débats, techniques d'expression, de communication et d'argumentation), des apprentissages méthodologiques et des situations de pratique (artistique, sportive, linguistique, expérimentale, technologique…).
Pour cela, les travaux en petits groupes doivent être développés, l'utilisation de méthodes actives et des nouvelles technologies renforcée.
Pour développer le travail autonome et de recherche des élèves, nous préconisons la création d'un volume horaire, encadré par des enseignants, consacré à la réalisation d'un travail interdisciplinaire, validé par un entretien au bac.
Pour favoriser l'interdisciplinarité, qui donnera plus de sens aux études, il faut revoir l'élaboration des programmes, leur orientation et leur mise en cohérence par niveau ainsi que la formation des enseignants qui doivent être préparés à cette collaboration entre matières et au travail en équipe.
Celui-ci doit être encouragé, par exemple, par l'attribution d'un contingent horaire de concertation aux équipes volontaires sur la base d'un projet autour d'un niveau, de certaines classes ou de certains élèves. Ceci amorcerait une évolution du service des enseignants.
Nous sommes favorables à la définition d'une culture générale. Elle doit se décliner différemment entre le cycle de détermination, dont l'architecture doit être revue et le cycle terminal où, à côté des spécialisations, des compléments de formation devront favoriser la définition d'une culture commune ou, d'une culture plus largement partagée par tous les bacheliers.
Sur la base de l'architecture actuelle qui doit être préservée, le processus d'orientation doit permettre la construction d'un projet personnel de l'élève. Tout lycéen doit disposer d'une réelle connaissance des parcours, de leurs enseignements, de leurs débouchés pour pouvoir les croiser avec ses propres capacités, compétences et connaissances.
Nous préconisons le développement de dispositifs de réorientation, le renforcement de la coopération entre les lycées et l'université, et la généralisation de l'aide individualisée.
Dans la suite des modules, de nouvelles formules devront être expérimentées, voire généralisées : études dirigées, soutien, tutorat et surtout entraide entre élèves, par exemple pour l'accueil en seconde ou l'aide au travail personnel.
Il faudra favoriser et valoriser l'exercice de la solidarité et les prises de responsabilités des élèves dans les associations sportives, culturelles, les clubs, comme délégué ou médiateur…
Tout cela participe de l'éducation à la citoyenneté, qui passe par des pratiques au moins autant que par des contenus. Aussi, tout doit concourir à favoriser la participation des lycéens aux prises de décision, sans démagogie ni tabou.
Sur le baccalauréat, nous partageons le souhait unanime de préserver son statut d'examen national, premier grade de l'enseignement supérieur. Cependant, des évolutions sont nécessaires pour mieux prendre en compte l'oral et les situations de pratique, pour diminuer le nombre d'épreuves obligatoires et pour instaurer un contrôle en cours de formation pour les épreuves facultatives et pratiques.
Le partenariat avec le monde du travail est nécessaire pour les trois voies du lycée. Il participe à la fois à l'ouverture sur l'extérieur, à l'orientation et à la préparation à l'entrée dans la vie active.
Nos propositions s'articulent autour de la création de lycées polytechniques par une mise en synergie des voies technologique et professionnelle, des formations du CAP au BTS, des équipements et des expériences enseignantes.
Nous insistons sur le développement du partenariat « École-Entreprise » à tous les niveaux, y compris à celui de l'établissement. Cela demande des négociations avec les branches professionnelles pour définir les responsabilités de chacun et les conditions d'une alternance réussie.
Nos propositions nécessitent bien sûr un allégement des programmes, des heures de cours magistral et des effectifs.
J'ai écouté avec beaucoup d'intérêt les principes énoncés par Messieurs Morin et Meirieu qui ont le mérite de définir un lycée cohérent pour le XXIe siècle.
Ces principes rejoignent nombre de nos propositions.
Certains d'entre eux cependant notamment sur les lycées professionnels ou sur l'évolution du métier enseignant nécessitent un approfondissement de la réflexion, ainsi qu'une large concertation.
Une immense attente est née de cette consultation. Elle ne doit pas être déçue. Personne ne doit se sentir trahi. Jean-Paul Roux y reviendra dans un instant.
Nous ne sommes pas demandeurs d'une réforme brutale, mais plutôt de perspectives d'évolutions, inscrites dans un calendrier.
Pour la rentrée 1998, il faut déjà donner des marges de manoeuvres aux équipes qui ont commencé à élaborer des propositions d'amélioration du dispositif existant.
Nous proposons enfin qu'enseignants et lycéens soient destinataires des résultats de nos travaux et des conclusions des deux comités afin de pouvoir en débattre et les amender.
C'est aussi cela, la démocratie.
Intervention d'Éric Favey, 5 juillet 1998
1. Pourquoi les mouvements pédagogiques et les mouvements d'éducation populaire sont-ils présents dans cette consultation ?
Nos mouvements sont nés du militantisme pour l'éducation et pour un autre partage de la culture. Certains pour faire vivre l'idéal de coopération. L'un s'est même constitué avant et pour la création de l'école publique comme institution républicaine. D'autres sont apparus comme mouvements de jeunesse issus de la Résistance. Beaucoup combinent ces origines diverses.
Mouvements pédagogiques et mouvements d'éducation populaire, nous sommes associations éducatives partenaires et complémentaires de l'enseignement public.
Acteurs et promoteurs d'un service public innovant ouvert à tous, sans discrimination, nous sommes militants de l'éducation laïque, ayant l'expérience et l'ambition d'agir au service des jeunes et avec eux, dans leur cadre social, scolaire et familial.
Pour répondre aux enjeux de l'école de la République, aujourd'hui nous agissons :
– pour une appropriation active des savoirs ;
– pour une pratique réelle de la vie démocratique ;
– pour une insertion sociale et professionnelle de tous les jeunes.
Notre légitimité s'appuie sur l'expérience et la pluralité des acteurs au sein de nos associations dont l'action concerne chaque année près de trois millions d'enfants et de jeunes dont 500 000 lycéens.
Alors, plus que jamais, nous avons la conviction de nous inscrire dans une histoire et un combat d'avenir pour une société plus juste, plus ouverte, plus fraternelle, plus démocratique en prenant appui sur la conscience critique de chaque citoyen.
Choisir un système d'éducation, c'est choisir le modèle de société dans lequel nous entendons vivre. En 1998, année du 50e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, nous pourrions convenir que cette société devrait lui donner à cette DUDH plus de réalité, en particulier celle d'une égale dignité pour toutes et tous.
2. Cinq principes pour des propositions concernant les savoirs à enseigner au lycée
Les missions de l'école étant « éducation, instruction et insertion dans la vie sociale et professionnelle », nos propositions concernant les savoirs à enseigner au lycée s'inspirent de cinq principes :
Premier principe : universalité et diversité dans l'école
L'éducation des jeunes s'inscrit dans une tension difficile, mais féconde, entre unité des savoirs et diversité des élèves. D'une part, nous devons maintenir, contrevents libéraux et marées identitaires, l'exigence d'universalité des apprentissages scolaires et de la formation civique et morale des élèves. De l'autre, nous devons reconnaître la diversité de leurs histoires culturelles, de leurs situations sociales et de leurs personnalités individuelles.
La pédagogie trouve sa justification dans la nécessité, et dans la difficulté, de donner la même éducation à des élèves tous différents et de créer une affiliation commune sans rien renier des filiations forcément singulières.
Deuxième principe : la fonction démocratique de l'école
Le système éducatif doit favoriser l'apprentissage de la vie démocratique : élaboration et respect des règles négociées collectivement et participation à la vie de groupe et de l'établissement.
Le lycée doit permettre à chacun de comprendre la réalité qui l'environne, de formuler un jugement, de se donner un projet par l'autonomie, la responsabilité, la curiosité et la créativité. Mais le lycée doit donner à chaque jeune les moyens d'intervenir aussi sur les finalités et les formes de son travail et sur l'organisation de son cadre de vie les moyens d'être acteur de et dans la cité scolaire.
Troisième principe : l'école dans l'éducation
Du point de vue de l'enfant comme de l'adolescente et du jeune adulte, la plus grande convergence est souhaitable entre l'éducation familiale, sociale et scolaire. Pour autant, l'école ne peut se substituer aux familles et aux différents groupes sociaux qui contribuent à la socialisation des jeunes. Il faut donc s'efforcer d'en développer la complémentarité et la cohérence par le travail entre acteurs éducatifs.
Quatrième principe : enseigner… c'est éduquer… et réciproquement
Si tout acte d'enseignement a valeur éducative, c'est à quelques conditions. Par exemple :
– déterminer au sein des savoirs prescrits, les programmes, les questions-clés autour desquelles se construiront ces savoirs ;
– faire que des situations d'apprentissage mobilisent les potentialités de chacun dans l'interrelation au sein d'un groupe, afin que l'acte d'apprendre soit aussi une formation à la démocratie. C'est ainsi donner la primauté au travail en commun sur la compétition et à la solidarité sur l'individualisme ;
– c'est favoriser l'expérience et l'élaboration d'une pensée critique dans le respect de la diversité ;
– c'est aussi privilégier des démarches de construction qui ne soient pas la transmission d'un savoir tout constitué, mais permettent d'inventer au lieu de reproduire, restituant aux savoirs leur valeur émancipatrice.
Cinquième principe : l'école pour l'accès à l'emploi
Si l'école n'a pas la responsabilité d'adapter à l'emploi, elle en a une dans la formation et la qualification pour l'accès à l'emploi.
Elle doit l'exercer en tenant compte de l'évolution du travail, de l'accélération technologique, et de la circulation mondialisée des biens, des personnes et des cultures.
Pour l'insertion de tous les jeunes et le développement de leur capacité à peser, aujourd'hui et tout au long de leur vie, sur les mutations de la société, l'école doit valoriser et diversifier leurs compétences.
3. Quelles sont nos propositions pour faire progresser l'école et le lycée ?
Dans le cadre des cinq principes qui viennent d'être énoncés, nous faisons pour le lycée, pour les lycéens des propositions qui n'exigent aucun grand soir pédagogique, aucune grande réforme des lendemains qui chantent… ou déchantent.
Simplement l'application des textes existants, en particulier de la loi d'orientation de 1989 qui demeure une référence. Ces propositions relèvent surtout d'une volonté politique forte : celle de faire progresser l'école et le lycée. Si une nouvelle loi peut traduire cette volonté, ne nous en privons pas.
Ces propositions s'organisent en cinq grands domaines :
– pratiques démocratiques et pratiques pédagogiques ;
– d'autres rythmes et d'autres espaces ;
– le pouvoir des lycéens sur la vie scolaire ;
– organisation de l'enseignement et évaluation ;
– le métier d'enseigner.
Le premier domaine est relatif : pratiques démocratiques et pratiques pédagogiques
Trop fréquemment, l'institution scolaire assigne les pratiques démocratiques à l'espace de la « vie scolaire », en dehors de l'acte d'apprendre, comme si éducation à la citoyenneté et acquisition de savoirs n'étaient pas liées. Pourtant, ce lien doit être explicitement présent afin de placer l'élève en position d'acteur grâce à une plus grande cohérence éducative vécue.
Des démarches pédagogiques variées existent, qui amènent à construire cette relation. Car, sans elle, il sera difficile de devenir – dans sa vie personnelle, sociale et professionnelle – l'Homme, le citoyen, le travailleur capable de s'adapter et de contribuer aux mutations, mais aussi de les questionner, de les mettre en débat, voire de les contester.
Ces démarches rompent avec un enseignement purement académique, vécu par les lycéens, en particulier ceux qui sont en difficultés, comme ennuyeux, inaccessible, voire méprisant, et cause d'un échec ressenti d'autant plus violemment que l'école est encore socialement perçue comme le seul moyen de promotion.
C'est dans la même perspective qu'il faut faire plus de place aux raisonnements qui vont du « particulier » au « général », par exemple les activités scientifiques et technologiques. En se confrontant aux contraintes du réel, elles conduisent à produire avec exigence, à montrer ce qu'on a produit et à donner du sens aux savoirs. Les activités artistiques, par la pratique ou la fréquentation, ont des vertus similaires : découvrir quelque chose de soi qu'on ignorait encore.
L'élève trouve ainsi une identité, une place. Valorisé, il découvre que ce qu'il a construit à une fonction sociale, technique, esthétique, intellectuelle qui peut être mise en relation avec des questionnements philosophiques, moraux ou politiques.
Par de telles stratégies pédagogiques, l'élève trouve ou retrouve une motivation. Sortant d'une situation d'échec, il peut sentir et voir pourquoi et comment réussir. Il devient plus curieux et attentif à développer ses capacités et son jugement critique, par exemple sur l'information, l'image, l'environnement, le racisme, les exclusions, les choix scientifiques…
C'est aussi de cette manière que le lycée peut retrouver ou conforter une légitimité sociale : en assumant son rôle de construction d'un socle d'organisation des connaissances. Cette construction se nourrit et nourrit aussi des activités périscolaires et insère le lycée dans le territoire et la cité.
Deuxième domaine : d'autre rythmes, d'autres espaces
L'allègement des programmes, des heures d'enseignement et de la charge de travail personnel doivent être recherchés rapidement.
Mais l'autonomie des établissements leur permet d'encourager dès à présent des pratiques qui ne soient pas conçues uniquement en termes d'horaires et de disciplines.
Par exemple, par des modules interdisciplinaires de trois ou quatre heures avec plusieurs enseignants, ou intervenants ou encore par des travaux de groupe pour un suivi plus personnalisé et par des réunions professeurs-élèves pour un travail coopératif dans les classes.
Concrètement toujours et en référence à des lignes directrices tant locales que nationales, il faut agir pour une autre structuration des temps et des espaces.
Quelques pistes :
– mettre en place un accueil le matin et des interruptions dans la journée afin de se restaurer, de s'informer, de dialoguer ;
– améliorer les conditions de transport en s'efforçant d'en limiter la durée à 30-40 minutes ;
– concevoir des journées scolaires qui n'excèdent pas six heures de cours et qui ne débutent pas avant 8 h 30 ;
– faire le choix des plages horaires les plus adaptées aux activités à forte intensité intellectuelle et physique ;
– affecter une salle de référence pour chaque classe et de vrais espaces personnels pour les enseignants.
Pour conclure sur ce domaine, nous disons à propos de la semaine que les apprentissages doivent y être étalés et non concentrés.
Troisième domaine : le pouvoir des lycées sur la vie scolaire
L'établissement scolaire, comme lieu de vie et lieu social, doit donner aux élèves un pouvoir sur leur vie scolaire.
Tout d'abord, en augmentant le nombre des délégués-élèves élus dans chaque classe afin d'étendre leurs compétences, qu'ils assument mieux leurs mandats et en rendent compte auprès de leurs électeurs.
Ensuite, nous sommes convaincus qu'il faut favoriser l'élaboration et la négociation de projets individuels ou collectifs de gestion des temps et des espaces par les lycéens. Accompagnés, si besoin, par des adultes, ces projets peuvent prendre appui sur les textes réglementaires en vigueur (maisons des lycéens) ou sur de futurs « juniors associations » qui donnent un cadre reconnu et autonome aux moins de 18 ans.
Véritable accès à la citoyenneté par la pratique, ils sont tournés vers l'établissement, ou la cité, ou les deux, et concernent l'expression artistique ou civique, la solidarité, l'environnement ou les loisirs, l'accompagnement scolaire et éducatif, la coopération Nord-Sud…
L'ouverture dans chaque lycée d'une maison des associations doit faciliter les contacts avec le tissu associatif et faire naître des projets communs avec les professeurs et les élèves.
Les conseils économiques et sociaux régionaux devraient rencontrer chaque année les représentants des élèves aux Conseils académiques de la vie lycéenne.
Cela dépasse la seule question du pouvoir des lycéens. Mais nous proposons d'ouvrir la composition des conseils d'administration sur la cité et notamment sur les mouvements et associations agrées comme « complémentaires de l'enseignement public ». Sur le même sujet, nous suggérons que ces conseils d'administration puissent être présidés par d'autres membres que le seul chef d'établissement.
Enfin, nous considérons que l'orientation doit être mieux maîtrisée par les lycéens eux-mêmes. Pour cela, trois premières propositions :
– rendre lisible les filières et les simplifier ;
– créer de véritables passerelles entre les filières afin que l'entrée dans une filière ne constitue pas une voie sans retour, ni détour ;
– prendre en considération toutes les aptitudes des jeunes avec le souci de leur globalité et la valorisation de leur engagement dans et hors de l'établissement.
Quatrième domaine : organisation de l'enseignement et évaluation
De l'organisation, nous aborderons ce qui nous apparaît en relation avec nos autres propositions, en particulier :
– l'organisation de l'emploi du temps des élèves en trois durées souplement articulées : 1/3 de travail personnel, 1/3 de travail en petit groupe, 1/3 en groupe plus important ;
– l'introduction (aux côtés des cours, TP et TD) d'autres modes d'acquisition : des recherches, études, conférences, productions, créations ;
– éclatement des grands établissements en structures plus humaines ;
– accélération de l'usage de l'informatique de réseau et du multimédia.
L'évaluation appelle d'autres formes que le contrôle sur table, notamment pour prendre en compte d'autres types de productions (culturelles, recherches, créations) et les stages. Pour envisager les nécessaires passerelles entre enseignement et investissement volontaire dans la cité pourquoi ne pas créer un « passeport de compétences » qui rende compte aussi de l'engagement social et associatif des jeunes.
En ce qui concerne le baccalauréat, son nécessaire anonymat et sa validation nationale, il devrait sanctionner davantage des compétences et non exclusivement des acquisitions de connaissances.
Enfin pour sortir d'une polarisation excessive des études sur le contrôle final, introduisons une dose de contrôle continu, mais non continuel. La validation des acquis pourrait se faire de façon interne, mais par des enseignants extérieurs à l'établissement.
Cinquième domaine : le métier d'enseigner
Serait-ce le seul métier qui ne saurait évoluer ? Personne ne le souhaite. Si nous l'évoquons, c'est parce que bon nombre d'enseignants et de personnels des établissements militent dans nos mouvements et que nous connaissons la valeur de leur engagement.
Mais nous décelons également la difficulté quelquefois à situer le métier d'enseigner dans une société aux transformations inédites et rapides. Nous évoquerons trois questions :
– d'une manière générale, ne s'agit-il pas aujourd'hui de recruter et former les enseignants sur les compétences liées aux réalités d'un métier élargi ?
– ne faut-il pas s'interroger sur la définition du service des enseignants pour l'ouvrir à d'autres activités que l'enseignement stricto sensu ?
– comment introduire une dimension de recherche dans la formation initiale et dégager des espaces et du temps pour que chaque enseignant en poste puisse construire des recherches ?
Nous croyons qu'une partie des réponses se situe dans la formation : des enseignants, des conseillers d'éducation, des aides éducateurs, des chefs d'établissements… de la totalité des personnels. Et nous souhaitons à cet égard poursuivre et amplifier nos interventions dans ce domaine dans les IUFM, en particulier. Dans la formation initiale comme dans la formation continue.
4. L'engagement de poursuivre
Presqu'au terme de cette intervention, je voudrais vous en dire les limites volontaires. Acteurs du système éducatif, nous sommes aussi citoyens et attentifs comme Kant l'était déjà au fait que « Jamais l'éducation ne doit se faire en fonction du seul état présent, mais aussi du possible meilleur état à venir de la société ».
Nous aurions pu développer notre vision d'un rôle mieux assumé pour le lycée afin de structurer les connaissances et développer le plaisir de comprendre et interpréter le monde.
Nous aurions pu rappeler que c'est paradoxalement en dehors des établissements et du temps scolaire que sont mises en oeuvre beaucoup des actions destinées à améliorer la situation scolaire des élèves.
Mais ce qui nous importe, c'est de faire des propositions que nous pouvons contribuer à concrétiser.
Aujourd'hui, face à la demande sociale, le lycée ne peut plus, tout seul, tout assumer. Les associations et mouvements dans lesquels nous militons sont prêts à en être plus encore ses partenaires, pour progresser ensemble. Nous sommes prêts à assumer nos engagements et nos propositions. Mais nous serons aussi attentifs aux suites que le Parlement et le gouvernement donneront à ce vaste débat à l'issue de ce colloque. Nous veillerons à ce que les attentes suscitées auprès des lycéens, des enseignants et des parents par ces mois de consultation ne soient pas déçues.
L'enjeu est d'importance, c'est la raison de notre présence ici. L'immobilisme est le meilleur allié des inégalités et ce sont elles qui minent la démocratie et sapent l'exercice de la citoyenneté.
Dans ce combat-là – c'est un combat –, l'enjeu c'est surtout de ne pas décevoir les générations futures. Car elles pourraient demain dire de nous tous, selon les mots terribles de Camus : « Alors qu'ils pouvaient tout, ils ont osé si peu ».
Intervention de Bernard Kuntz, 5 juillet 1998
On voudra bien, je l'espère, me pardonner de venir introduire à mon tour, quelque notation pessimiste dans le gai concert ambiant fort plaisamment interprété ce matin. La vogue des cuisines exotiques et la tradition française du poil à gratter devrait vous permettre, je l'espère, de me trouver quelques excuses. On voudra bien, j'en suis sûr, me permettre de faire état, moi aussi, d'un sentiment d'inquiétude. Pas de cette noble inquiétude dont parlait Monsieur Meirieu, ce matin, celle de la parole livrée à la sagacité critique d'un tel auditoire, mais aussi de celle des professeurs, des enseignants, bref, de nos collègues qui, pendant que nous discourons, oeuvrent au bien commun de l'éducation, ici, ailleurs, et aussi – puisqu'il faut bien, parfois, parler de choses qui fâchent – en Seine-Saint-Denis où le système scolaire implose, faute, depuis des décennies, d'un traitement adéquat de ses difficultés. En somme, à l'angélisme matutinal de Madame la ministre, souffrez que succède la lucidité vespérale du SNALC.
Deux regrets :
– le SNALC conteste – et a toujours contesté – le principe d'une réforme du lycée élaborée avant une remise en chantier du collège. Pourquoi ce « pilotage par le haut » ? Doit-on y voir la volonté d'adapter le lycée au collège, d'instaurer un « lycée unique » succédant au « collège unique » ? Cette impression est corroborée par l'audit annoncé ce matin du bout des lèvres et effectué en catimini et en tapinois loin du retentissement du présent colloque. Démarche surprenante… ;
– nous émettons, par ailleurs, de sérieux doutes quant à la valeur scientifique du questionnaire et de son exploitation. Nous ne mettons pas en cause la probité de monsieur Meirieu, mais rappelons le désarroi des élèves face aux questions et le détournement de questionnaire auquel ils se sont souvent livrés. La procédure nous a paru lourde, coûteuse et, un tantinet, hasardeuse.
Passons aux propositions.
Dieu merci, la dérive possible ne s'est pas produite… pas encore. Nous avons relevé, sans vouloir entrer dans le détail, quelques principes qui nous ont paru bons :
1. Un lycée organisé en filières, séries et une différenciation progressive des parcours. Nous ne pouvons qu'approuver le principe, logique et républicain, d'un refus de toute discrimination à l'égard des filières professionnelles.
2. Nous sommes favorables à la présentation de programmes qui laissent une part importante à la liberté d'interprétation.
3. Nous sommes favorables à une conception de la transmission des connaissances au service de l'acquisition de l'autonomie rationnelle, dans la tradition humaniste de l'enseignement secondaire.
4. Nous sommes favorables à l'accompagnement des élèves par les professeurs, d'autant plus qu'il s'agit d'une demande très forte des élèves. Il s'ensuit que nous approuvons l'instauration de travaux dirigés en lieu et place des modules (nous l'avons toujours demandé). Il s'ensuit également que nous approuvons la dissociation du service en heures de cours et en heures d'activités pédagogiques dans l'établissement et à sa prise en compte dans l'emploi du temps des professeurs.
5. Nous sommes favorables au maintien du caractère anonyme, ponctuel et national du baccalauréat, premier grade universitaire, là aussi dans la tradition de l'enseignement secondaire.
Malheureusement, ces bons principes risquent de se voir dénaturés – partiellement ou en totalité – pour deux raisons :
- à cause des dispositifs annoncés par Monsieur Meirieu dans la seconde partie de son intervention ;
- nous craignons, d'autre part, les applications politiques des dispositifs proposés. Par exemple, l'idée des deux assesseurs n'est probablement pas issue de la consultation, mais de la volonté ministérielle.
Examinons les détournements prévisibles sur les cinq points préalablement évoqués :
1. Le lycée est certes organisé en filières, mais pas la classe de seconde. Pourquoi ? Parce que le collège toujours unique et mal construit, induit de fait la seconde unique. Cette seconde est donc assimilée à un cycle terminal du collège voué à en pallier les carences. De la même façon, la sixième a pour objectif principal de pallier les insuffisances des cycles antérieurs.
Dans ces conditions, l'idée des passerelles, réaffirmée dans le rapport, se heurtera inévitablement au déterminisme induit par la « filialisation obscure » – dénoncée ce matin – qui sévit en classe de seconde.
Autre risque de dérive : la notion de « culture commune » est certes généreuse, mais les mêmes programmes et les mêmes horaires risquent de conduire à un nivellement par le bas et à une forme de « SMIC culturel ». Ce phénomène sera encore amplifié par la diminution des options liée à la réduction horaire.
2. Les programmes. La liberté laissée dans ce cadre ne peut qu'être absorbée par les principes 40 à 43 (création du conseil pédagogique, travail obligatoire en équipe, projet d'établissement renforcé). Ces structures seront forcément plus prégnantes que l'autorité d'un inspecteur général éloigné. Nous préférons une autorité lointaine à un arbitraire proche. Or, la liberté pédagogique individuelle est le fondement de l'enseignement secondaire. La dénaturer, c'est dénaturer l'enseignement secondaire. Nous ne l'accepterons pas.
3. La transmission des connaissances est présentée non comme une fin, mais comme un moyen de formation à la citoyenneté. Les risques de dérives idéologiques sont d'autant plus forts que des propos inquiétants ont été entendus sur l'enseignement de la philosophie, en particulier. C'est peut-être ce qui se passe lorsque l'on demande à des élèves qui n'ont jamais étudié une discipline comme il convient qu'ils l'apprennent…
4. L'accompagnement des élèves. Certes, le principe est bon, mais le rapport s'avère d'une rare – mais élégante – ambiguïté sur les modalités pratiques. Ainsi des effectifs de classe : le suivi individuel, à 38 élèves par classe (soit environ 150 élèves par professeur) à raison de 3 ou 4 heures dans l'emploi du temps hebdomadaire, devrait nous permettre de consacrer quelque deux minutes à chaque élève. Verra-t-on se former des files d'attente ? Nous n'accepterons ni la globalisation des horaires, ni l'accroissement de la charge de travail des professeurs, ni la dégradation de leurs conditions de travail.
5. Le baccalauréat demeure anonyme et ponctuel. Certes, mais nous assistons à l'introduction insidieuse du contrôle en cours de formation à travers les nouvelles disciplines et surtout à travers le projet d'épreuve sur dossier personnel interdisciplinaire. Notons au passage que, prétendant alléger le bac, on rajoute une épreuve…
Nous relevons le risque grave d'introduction d'éléments subjectifs comme, par exemple, « l'implication dans la vie collective du lycée ». Comment sera évaluée, ponctuellement « l'approche inter et pluridisciplinaire d'objets complexes » ? Donc nous considérons qu'il y a bel et bien menace sur le bac, conformément à nos prévisions.
En résumé : de bons principes, mais de mauvaises applications.
Nous conclurons sur le triple pari de Monsieur Meirieu :
– « restaurer la justice sociale » : le système est foncière inégalitaire. Il a été dénoncé la filiarisation obscure qui sévit en seconde. Cette dernière, foncièrement injuste, sévit dès le collège. Elle se traduit par la généralisation des privilèges du savoir et de la fortune. En adaptant le lycée au collège unique, on amplifierait ces inégalités jusqu'à les rendre irréversibles : il ne faudrait pas que la situation de Seine-Saint-Denis se généralise ;
– « renforcer la cohérence du système par la responsabilité donnée aux acteurs de terrain ». Ce n'est pas de la responsabilité, c'est plus un système de surveillance mutuelle : nous préférons la responsabilité individuelle à la responsabilité collective ;
– « généraliser ce qui marche » : l'application de certains points de ce rapport risque surtout de généraliser ce qui a échoué de façon patente partout, et au collège notamment.
Pour – mal – parodier Vico, nous dirons que la vertu de l'intelligence consiste à reconnaître les erreurs, celle de la raison à les corriger. Ainsi passerait-on des vertus de la raison aux raisons de la vertu. Mais ceci est une autre réforme : nous l'appelons de tous nos voeux…
Intervention de René Rabeyrolles, 5 juillet 1998
Tout d'abord, je voudrais remercier Monsieur Philippe Meirieu d'avoir permis à notre organisation syndicale de s'exprimer aujourd'hui à cette tribune.
Je vais donc essayer en quelques minutes d'exposer, à partir d'un constat de terrain, les axes prioritaires qu'il conviendrait, à notre sens, de développer pour améliorer cette institution qu'est le lycée.
Aux questions : « le lycée répond-t-il aujourd'hui à l'attente des élèves et de leurs familles, facilite-t-il l'insertion dans la vie professionnelle ? Permet-il l'épanouissement de l'ensemble de ses acteurs ? » Si l'on en croit l'analyse des questionnaires, la réponse est non. Aujourd'hui, le lycée ne remplit plus sa mission qui, certes, avec le temps a évolué.
Une évolution liée :
– d'une part, à la profonde mutation de notre société. Le plus bel exemple en étant la demande très forte des lycéens pour plus de dialogue avec leurs enseignants, pour la mise en oeuvre d'une aide personnalisée dans leur travail ;
– d'autre part, par le choix politique de l'ouverture de la culture au plus grand nombre, avec le slogan « 80 % d'une classe d'âge au niveau baccalauréat ».
Pour réaliser cette mutation sans pour autant casser l'outil qui, par le passé, a fait ses preuves, le SNCL formule donc un certain nombre de propositions, et c'est d'ailleurs avec un réel plaisir que nous en retrouvons la plupart, sous la forme de principes, dans celles formulées ce matin par Monsieur Meirieu et son équipe.
Je n'ai bien sûr pas le temps de développer, ici, l'ensemble des propositions formulées par notre syndicat, mais nous souhaitons insister sur 3 ou 4 axes forts.
Par exemple : la formation des enseignants.
– Il faut revoir totalement la formation initiale pour qu'elle devienne une véritable préparation au métier d'enseignant. Il faut redynamiser aussi la formation continue.
Autre exemple : l'écocitoyenneté.
– Il est inconcevable de lâcher dans la vie civile des jeunes de 18 ans et plus, en droit de voter, sans leur avoir fourni un minimum de connaissances sur la vie citoyenne. Oui, trois fois oui à l'heure hebdomadaire pour tous sur l'écocitoyenneté.
On pourrait multiplier les bonnes raisons tout en abordant les aspects juridiques ou politiques, mais je me placerai sûrement par sensibilité particulière sur le respect de l'environnement, et peut-être aussi par clin d'oeil à Madame la ministre qui fût, il n'y a pas si longtemps, ministre de l'environnement.
Tous les jours, les médias jouent les catastrophistes : trou dans la couche d'ozone, dioxine émise par les incinérateurs, marées noires, etc.
La planète est menacée et si nous voulons que les générations futures ne commettent plus les mêmes erreurs, il y a un besoin urgent d'information, d'explication de développement de l'esprit éco-citoyen et cela passe forcément par l'éducation à l'environnement.
Le lycée est le lieu rêvé pour apprendre, mais apprendre aussi à respecter les valeurs, à développer le sens civique.
Troisième axe : l'évaluation des élèves
Allégement et réactualisation des programmes plus axés sur la réalité du quotidien et sur le monde du travail.
Maintien du baccalauréat comme diplôme national anonyme dans un véritable souci d'égalité avec introduction de l'évaluation des savoir-faire et réévaluation de l'épreuve orale en langues.
Quatrième axe : les conditions de travail
Oui à l'égalité des moyens, pour l'ensemble des établissements, à l'abaissement de l'horaire d'enseignement des professeurs de lycées, au dédoublement des classes et à l'instauration de plages de concertation, voire de soutien, afin de répondre à une demande forte de nos enfants.
Aujourd'hui, nous avons bien pris note de l'ensemble des mesures préconisées, pardon, des principes avancés par le rapport Meirieu et je dois dire qu'elles nous semblent aller, pour la plupart, dans le bon sens qu'il s'agisse :
– de l'égale dignité entre lycées, qu'il soit enseignement général, technique ou professionnel ;
– d'une culture commune pour chaque élève avec ce principe de l'heure hebdomadaire d'éducation civique, juridique, politique et d'ouverture à l'expression artistique, à l'apprentissage à l'informatique et au débat philosophique ;
– d'une révision de la carte scolaire allant vers une véritable équité sociale ;
– des mesures d'accompagnement des élèves dans leur scolarité.
Quelques interrogations se posent cependant :
– comment rajouter de nouvelles disciplines en diminuant l'horaire élève ?
– la formation continue ne doit-elle pas faire partie du temps de travail de l'enseignant ?
– comment finaliser cette mise en place de l'épreuve anticipée en fin de première sur dossier interdisciplinaire ?
– toutes les disciplines ne concourent-elles pas à la culture générale commune ?
Il reste donc, à notre sens, à affirmer certains points, à en discuter d'autres et ce dans une concertation réunissant l'ensemble des acteurs du lycée.
Pour terminer, se pose maintenant le problème de l'adéquation entre les objectifs ambitieux que l'on fixe et les moyens que l'on se donne pour les atteindre.
Tout le monde sait bien qu'un projet mûrement réfléchi doit être ensuite mis en oeuvre dans sa globalité ; il serait préjudiciable de le saucissonner en ne retenant que certains points ne coûtant pas trop cher et débouchant sur une énième réforme.
Nous souhaitons donc que le gouvernement dégage les moyens nécessaires : l'avenir de la Nation passe par nos enfants, par les valeurs de l'école de la République, par l'espoir qu'elle suscite.
Le lycée doit être un lieu de rencontre, de dialogue, un lieu où l'on apprend le respect des valeurs et des règles, un lieu de saine émulation.
(Messieurs les politiques), Madame la ministre, Monsieur le ministre, ne laissez pas passer cette chance de renouer le dialogue et de redonner l'espoir ! De Vinci n'écrivait-il pas : « ne pas prévoir, c'est déjà gémir ? »
Préparons ensemble l'avenir des générations futures. Ne décevons pas une fois de plus notre jeunesse !
Merci
Intervention de Jean-Paul Roux,5 juillet 1998
L'initiative du ministre de l'éducation nationale d'impulser tout à la fois une consultation et un colloque sur le lycée suscite immédiatement l'interrogation suivante : quels résultats concrets peut-on attendre au terme de cette démarche ?
À l'image de l'ensemble des lycéens, parents, personnels enseignants et ATOSS, la FEN souhaite que s'instaure le changement. Aussi elle ne craint pas le débat.
Par contre, nous avons une exigence forte : nous voulons des réponses claires et des décisions concrètes. Car il ne suffit pas d'ouvrir des chantiers par dizaine, encore faut-il en achever quelques-uns, donc faire des choix de priorités qui donneraient un sens à la réforme que le ministre affirme vouloir entreprendre.
La massification de l'enseignement change fondamentalement la fonction de chacun des échelons du système éducatif : le lycée n'échappe pas à cette règle.
Nous avons le devoir d'être audacieux et imaginatifs, car notre tâche est d'inventer un lycée réellement démocratique qui accueillera la totalité d'une classe d'âge.
Pour la FEN, ce lycée se bâtira essentiellement autour de deux axes :
– la démocratisation de son fonctionnement ;
– le sens donné aux études, aux enseignements dispensés.
Sur ce second point, Hervé Baro a dit tout à l'heure nos choix. Je voudrais pour ma part rappeler quelques propositions concrètes pour mieux former les lycéens et pour améliorer leur cadre de vie.
Nos propositions pour mieux former les lycéens :
• Éduquer est un acte global
L'interdisciplinarité est le seul moyen de mettre en synergie les enseignements, de les articuler l'un par rapport à l'autre et de les rendre compréhensibles l'un par l'autre. Enseigner est devenu un acte global. La mission du lycée dépasse le seul acte d'enseignement. Il est devenu le lieu où s'acquièrent des savoirs, des savoir-faire et des savoir-être. Tous les personnels qui travaillent dans le lycée concourent, quelles que soient leurs missions, à la formation et à l'éducation des jeunes ; ils sont tous en conséquence des éducateurs.
• Promouvoir une culture commune
L'éclatement des savoirs et l'existence des filières contribuent à isoler les lycéens et ne les mettent pas en situation d'appréhender la complexité du monde. Il faut leur montrer que ce qu'ils apprennent les uns et les autres est complémentaire et s'inscrit dans une globalité qui est le monde dans lequel ils vivent.
• Changer les modes d'acquisition des connaissances
L'ambition du système éducatif devrait être de former dans toutes les matières des jeunes capables de maîtriser et de dépasser leurs savoirs. Tout enseignement dispensé devrait être replacé dans son contexte scientifique, économique, culturel et social. Une réflexion systématique sur la matière enseignée doit être engagée afin que l'élève puisse y trouver sens et discernement.
Nos propositions pour améliorer la vie au lycée :
L'équipe pédagogique est indispensable au bon fonctionnement du lycée : elle n'a de sens que si elle s'intègre dans l'équipe éducative qui, dans son ensemble, personnels enseignants, personnels ATOSS, parents est en charge de la réussite des élèves. C'est l'équipe éducative qui détermine et anime le projet d'établissement conduisant l'axe de l'action éducative du lycée où tous les personnels doivent être impliqués.
• Être attentifs à la qualité de l'environnement
Un effort reste à faire pour faciliter la vie des lycéens et des enseignants en développant les installations culturelles et sportives, et les maisons des lycéens pour les uns et en mettant à la disposition des autres des salles adaptées et des bureaux pour travailler et recevoir élèves et parents.
• Éduquer pour vivre ensemble
Il est important d'améliorer la façon dont on vit à l'intérieur du lycée, de tout mettre en oeuvre pour promouvoir des règles de vie citoyenne. La citoyenneté ne se décrète pas, elle s'appréhende par son application quotidienne.
Tous les problèmes de la vie de l'établissement et du déroulement des scolarités intéressent et concernent l'ensemble des personnes qui fréquentent le lycée, adultes comme élèves. Élaboration des règles de vie en commun, élaboration des sanctions, organisations des études, évaluation des progressions, rien ne doit rester obscur, tout doit être expliqué et transparent, négocié autant qu'il est possible.
• Reconnaître la citoyenneté des élèves
Les délégués élus des élèves doivent être considérés comme des partenaires à part entière, responsables de leurs actes et des décisions collectives, ayant des comptes à rendre à ceux qui les ont élus. Cela exige que soient respectés les droits démocratiques fondamentaux d'expression, d'association et de réunion.
• Ouvrir le lycée sur la cité
L'éducation est une respiration qui se nourrit du souffle de la vie. Il faut donc la faire entrer dans l'établissement lui-même qui doit être un lieu d'activité lié à la vie locale, lieu naturel où des associations de citoyens doivent pouvoir se réunir pour s'informer, échanger et se cultiver.
• Promouvoir la formation des adultes
Le lycée est le lieu qui doit accueillir les formations continues des adultes. Il faut instituer une mise en cohérence entre la formation initiale et la formation continue. Il y a dans la rencontre de ces deux formations – dans le cadre de l'éducation tout au long de la vie – un formidable potentiel, une richesse indéniable qui demeurent souvent inexploités et des facteurs d'évolution du système éducatif insoupçonnés.
Au terme de ce trop court exposé, je tiens solennellement à mettre en garde le ministre.
Qu'il veille bien à ne pas accréditer l'idée que l'on pourrait enterrer toute réforme possible et souhaitable sous une avalanche de concertations formelles. L'immobilisme qui en résulterait serait désespérant pour les jeunes et les personnels et dramatique pour l'avenir du pays.
Nous ne tolérerons pas plus un florilège d'initiatives sans lendemain que nous n'avons accepté un immobilisme cogéré.
L'ensemble de la communauté éducative ne peut se contenter de réponses dilatoires, des propositions réformatrices et concrètes doivent dès maintenant être mises en oeuvre.
Dès le terme de ce colloque, Monsieur le ministre, votre travail commencera véritablement. Votre crédibilité dépend en effet des réformes que vous impulserez.
Il est enfin urgent de substituer les annonces des faits aux effets d'annonce.
Intervention de Monique Vuaillat,5 juillet 1998
Je m'exprime ici au nom du SNES et du SNEP, syndicats de la FSU. Nous sommes là pour réfléchir aux lycées qui, cela a été rappelé ce matin, mettent en oeuvre une réforme qui a quatre ans et qui a donné lieu à une refonte des séries, des programmes, du baccalauréat.
Aujourd'hui, nous avons la responsabilité de répondre aux attentes qui se sont exprimées, aussi bien dans les consultations enseignantes que dans les consultations des lycéens, qui expriment des préoccupations souvent convergentes et font des propositions qui vont souvent dans le même sens, notamment en matière de réduction d'effectifs de classes et d'individualisation des situations d'apprentissage.
Aujourd'hui, à Paris, des jeunes, des parents, des enseignants de Seine-Saint-Denis et de la région parisienne sont en grève et manifestent pour la dixième fois. Les préoccupations, qu'ils expriment et qui continuent à ne pas être entendues, sont en prise avec ces débats sur les lycées : c'est avant tout un cri contre l'injustice, l'inégalité devant l'accès à la formation, l'inégalité des chances, l'angoisse de ne pouvoir faire accéder une grande partie des jeunes à la réussite, au collège comme au lycée. Il faut que ce cri soit entendu parce qu'il est symbolique d'une soif d'éducation, d'une demande de respect et de justice. Il faut aussi qu'il le soit et vite car, ce qui se passe en Seine-Saint-Denis et depuis quelques jours en Guadeloupe, la quotidienneté difficile en collège fait douter de la volonté de résoudre les problèmes qui continuent à se poser à l'ensemble du système éducatif, qui a pourtant à son actif de très belles réussites de la maternelle à l'université.
Au stade actuel du développement de nos lycées, il faut penser des modifications qui se fixent clairement l'objectif de permettre à tous les élèves d'y accéder et d'y réussir, de n'en laisser aucun sur le bord de la route, de leur donner les fondements d'une culture solide, et les outils d'une réflexion critique sur le monde, permettant une poursuite d'études et une insertion sociale et professionnelle riche et valorisante. Il y a donc beaucoup à faire et pas seulement au lycée, mais dès l'école maternelle, à l'école primaire, au collège dont les enseignements et les approches pédagogiques, les conditions d'enseignement doivent être repensés pour tenir compte du fait que l'on peut aujourd'hui raisonnablement généraliser une scolarité portée de fait à 18 ans pour tous au travers de voies diversifiées.
Quant au métier d'enseignant, à ceux qu'exercent tous les personnels de nos établissements, ils ont aussi beaucoup fait évoluer même s'il reste encore beaucoup à faire ; ils ont évolué dans le sens d'une meilleure prise en charge de l'hétérogénéité sociale et scolaire des élèves. Cela demande beaucoup de temps et d'innovation pour diversifier les situations d'apprentissage dans des établissements et dans des conditions qui ne le permettent guère. Je fais référence aux locaux, et aux effectifs de classes notamment. Il a fallu amorcer des dialogues avec les élèves sur des domaines qui ont parfois trait directement aux savoirs, aux contenus disciplinaires, mais aussi sur des situations personnelles, détours parfois nécessaires pour comprendre les raisons de blocages scolaires. La grande chance de ce système est de disposer d'un potentiel de personnel en capacité d'inventer, de s'adapter, d'absorber des réformes qui se succèdent le plus souvent tous les deux ans sans qu'aucune ne soit sérieusement évaluée.
Le travail que nous avons à faire est d'apporter des modifications au lycée dans la perspective d'enseignement de second cycle qui relance un processus de démocratisation avec l'ambition que cela suppose qu'on n'en rabatte pas sur les savoirs, sur le temps à y consacrer sur les exigences de culture et de développement intellectuel. Cela suppose des conceptions renouvelées des contenus et des méthodes d'enseignement tirant profit de ce qui marche dans le système.
Nous avons fait des propositions dans ce sens que nous retrouvons très souvent dans les consultations. Nous les avons résumées dans les documents distribués ce matin, ce qui me permet d'amorcer un débat sur les principes que nous a présentés Philippe Meirieu ce matin.
Nous voulons jouer le jeu, bien que les conditions n'en aient pas été tout à fait créées puisqu'il nous a fallu tout découvrir ce matin, ce qui donne un caractère surréaliste au titre d'un quotidien du soir, qui prend la liberté de donner à notre place une appréciation sur des propositions que nous ne connaissions pas et sur lesquelles nous nous exprimons pour la première fois devant vous. Voilà un manque de probité intellectuelle qui nous donne un bien mauvais exemple à nos élèves. Je voudrais vous livrer les premiers éléments de notre réflexion et vous préciser que nous porterons l'ensemble à la connaissance des collègues qui auront aussi à donner leur avis.
Ce ne sont donc que de premières réflexions, résultat d'une confrontation rapide entre la conception que nous avons du développement et de la démocratisation des lycées, nos propositions et celles qui sont faites ici.
Tout d'abord, nous partageons un certain nombre des objectifs cités et un certain nombre de principes sur le lycée, lieu où se prolongent des enseignements donnés au collège et en même temps lieu de spécialisation progressive. Une remarque cependant, concernant la finalité assignée aux enseignements technologiques, il nous semble qu'il revienne sur une de leur fonction qui est de préparer à une insertion professionnelle, notamment par le biais des BTS et encore parfois d'un certain nombre de baccalauréats technologiques. Nous sommes satisfaits de voir réaffirmés l'organisation en filières, j'ajouterais ayant leur identité, et en séries, ainsi que le baccalauréat examen terminal anonyme, le caractère national des enseignements…
Permettez-moi, à ce stade, de relever la nécessité de mieux travailler la question des savoirs et du sens qu'ils doivent prendre, car c'est une demande importante de tous enseignants et lycéens. Les contenus, qui intègrent leur mode d'appropriation, devraient obéir à des principes renouvelés :
1. inciter à formuler les problèmes plutôt qu'asséner des vérités ou des règles préconstruites ;
2. débusquer l'implicite, combattre les tendances formalistes et technicistes, favoriser la création et l'invention ;
3. favoriser sans cesse les liens entre les connaissances transmises et les grands problèmes culturels, éthiques, sociaux, économiques, politiques et environnementaux du monde d'aujourd'hui ;
4. favoriser les liens entre les savoirs et leur usage critique dans la vie personnelle, sociale, professionnelle, civique.
Il y a un vrai débat sur la définition que nous donnons à la culture commune.
Pour nous, cette « culture commune » du lycée repose aussi sur des valeurs partagées qui nous semblent faire l'objet d'un large consensus :
– respect des autres et ouverture d'esprit ;
– rigueur et honnêteté intellectuelle ;
– liberté de jugement et goût de l'échange ;
– autonomie intellectuelle et créativité.
Elle repose aussi sur des savoirs procéduraux et opératoires dans lesquels la faculté de maîtriser une information multiforme, d'en tirer des synthèses, d'argumenter des points de vue à l'oral et à l'écrit nous semblent essentiels.
La « culture commune » repose enfin sur un patrimoine commun dans lequel le lycéen choisira sa dominante de formation car on ne peut demander, au lycée, que tout soit appris par tous les élèves avec les mêmes approches et les mêmes niveaux d'approfondissement.
C'est pourquoi nous sommes attachés à des formations construites, équilibrées et cohérentes qui permettent à chacun de travailler de façon approfondie une dominante faite de disciplines connexes et qui permettent aussi de posséder les éléments suffisants d'une culture générale dans les autres domaines, c'est ce qui fait la force du modèle français au niveau européen.
Vous n'évitez pas le piège de l'accumulation, du morcellement des savoirs, en proposant à la fois de réduire les horaires élèves et d'ajouter de nouvelles disciplines.
Vous proposez que soient enseignés les mêmes programmes à tous les élèves, selon les mêmes approches, ce qui aboutirait inévitablement à aligner les élèves sur le minimum et ferait perdre les approches originales qui ont été inventées dans chaque voie de formation, ainsi qu'une certaine diversité comme les langues vivantes et anciennes.
Moins les élèves reçoivent d'heures d'enseignement comprises comme intégrant les cours, les modules, les TP, le travail personnel encadré qu'on peut y pratiquer, plus on creuse les écarts, plus on crée de l'inégalité. 28 ou 29 heures d'enseignements obligatoires dans les voies générales, ce n'est pas de trop ; 31 heures ou 33 heures dans les séries technologiques, c'est parfois insuffisant pour que les jeunes travaillent personnellement sur les équipements.
Cette conception de la culture organisée autour de dominantes permet, si l'on coordonne les programmes, d'établir des relations entre les disciplines et d'abord entre les plus proches. C'est ce qui a permis d'intégrer les contenus empruntés au monde des métiers et technologies pour développer des formations cohérentes, des pédagogies originales, des modes de parcours diversifiés.
Les lycéens nous demandent d'introduire au lycée de nouvelles pratiques démocratiques et les savoirs et savoir-faire de la vie quotidienne. Certaines demandes doivent être entendues et mieux prises en charge par les enseignements : c'est le cas des pratiques artistiques, de l'éducation physique et du sport scolaire, de l'usage des multimédia, de l'information sexuelle, économique, juridique et sociale, de l'éducation civique. D'autres peuvent faire l'objet d'activités au sein de la « maison des lycéens », éventuellement en liaison avec des associations agréées, et sous la responsabilité des CPE. Mais surtout, il nous faut inventer de nouvelles pratiques citoyennes qui ne soient pas la simple transposition de la démocratie parlementaire au lycée.
La troisième grande attente des lycéens, c'est l'exigence de proximité, d'écoute et de prise en considération des personnes. Les demandes sont fortes et unanimes, mais elles se heurtent aux effectifs pléthoriques et à la surcharge de travail des personnels.
Quant aux personnels, une remarque avant d'en venir à la conception du métier d'enseignant : le rôle et la mission des personnels dans leur diversité sont étrangement passés sous silence, celui des CPE, rôle éducatif s'il en est, celui des personnel d'orientation psychologue, celui des documentalistes, hormis l'indication donnée sur l'ouverture des CDI, celui des infirmières conseillères de santé dont la présence dans chaque lycée est essentielle et jugée comme tel par les élèves, celui des assistantes sociales, celui des TOS, et enfin celui des étudiants surveillants dont il faudrait accroître le nombre.
Quant aux enseignants, vous le savez nous sommes pour la réduction du nombre d'heures de cours, et pour l'intégration dans le service d'activité comme l'aide personnalisée aux élèves, encore faut-il s'entendre sur ce que recouvre cette notion, sur le travail en équipe. Cela pourrait faire l'objet d'un forfait à disposition des équipes, des personnels qui doivent pouvoir avoir la liberté d'utilisation. Nous sommes pour la transformation des heures supplémentaires en emplois.
Au bout du compte, la charge de travail ne doit pas être alourdie, mais réduite. Or, à y regarder de près avec votre projet, les enseignants n'auront pas moins d'élèves à prendre en charge pendant une durée hebdomadaire voire, annuelle plus longue. Toute activité en présence d'élèves nécessite du travail en amont, sauf à bricoler, et nous sommes attachés à ce que la transmission des savoirs reste la mission centrale des enseignants. Or, c'est d'un alourdissement de la charge de travail qu'il s'agit d'autant plus que la concertation vient en plus et que la formation continue est située hors du temps de travail.
Vous proposez que le service des enseignants soit porté à 19 heures pour les certifiés et à 17 heures pour les agrégés payés 18 et 15 heures. Nous voulons discuter sur d'autres bases pour alléger et prendre en charge les aspects nouveaux du métier.
Nous sommes attachés à une meilleure formation des maîtres. Or, il n'est pas question de porter à la maîtrise le recrutement des personnels et, qui plus est, il est envisagé de faire glisser les agrégés en terminale et dans le supérieur.
Ces propositions n'échappent pas à un questionnement sur la façon dont elles sont financées. Peut-on sérieusement faire progresser les lycées quand on affirme ici et ailleurs que tout doit se faire à moyens constants. Tout ce qui est proposé à un coût. Qui paie ? Les élèves ? Les personnels ? C'est aussi cela une des limites des propositions.
En conclusion, je voudrais dire que si l'école doit bien être une affaire de tous les citoyens et, par là même, si elle doit engager toute la société, engagement qui doit se traduire par des choix financiers autres que ceux qui sont faits. Il faut aussi savoir prendre appui sur le potentiel de dévouement, de générosité, d'énergie créatrice que représentent les personnels qui sont pour beaucoup dans le fait que notre service public laïc, à l'audience qu'il a. Il faut prendre appui sur eux, susciter leur dynamisme, les encourager, leur faire confiance, respecter les représentants qu'ils ont élus, discuter et négocier dans la transparence et la loyauté et non les décourager.
Madame la ministre l'a dit : notre mission est difficile. Alors, sachons, sachez prendre leur expérience comme une source de dynamique et de dynamisme, le système et les jeunes en tireront profit. Ils attendent tout de nous.