Interview de M. Hervé de Charette, président du PPDF, à RMC le 2 juillet 1998, sur l'assassinat du chanteur kabyle Matoub Lounès, le voyage de Bill Clinton en Chine et la question des droits de l'homme, le retrait du projet de réforme du mode de scrutin pour les élections européennes, la scission de la confédération libérale centriste UDF.

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Philippe Lapousterle : Après l’assassinat du chanteur kabyle le plus célèbre et le plus respecté d’Algérie, est-ce que la France n’aura pas, un jour, des regrets de ne pas avoir assez parlé et fait pendant toute cette guerre civile en Algérie ?

Hervé de Charette : Je ne crois pas, franchement. C'est un drame épouvantable et la disparition de cette très belle personnalité qu'était Lounès Matoub est vraiment un désastre pour les Algériens mais pour toute la communauté française, pour tous ceux qui parlent français, qui aiment la musique et le chant français et pour tous ceux qui aiment l'indépendance. Mais je ne crois pas que nous devrions, nous Français, nous mêler de trop près d'un drame, d'une crise épouvantable, dont l'issue dépend des Algériens. Nous devons être présents, attentifs avec nos amis mais je ne crois pas que nous pouvons résoudre le problème à leur place.

Philippe Lapousterle : Quel regard portez-vous sur le voyage de B. Clinton en Chine ? Est-ce qu'il a fait passer le commerce avant les principes comme on dit ou est-ce qu'au bout du compte, il a dit ce qu'il avait à dire ?

Hervé de Charette : C'est d'abord un événement très important. Cela consacre le retour de la Chine dans le monde d'aujourd'hui. La Chine qui, elle-même, ne veut plus rester un pays en marge, à côté, enfermée derrière ses murailles mais qui veut être une puissance majeure. Dans la crise asiatique, on voit, en particulier, que la Chine est un môle de stabilité. Eût-on jamais pensé, il y a vingt ans, que l'on pourrait regarder la Chine avec ce regard-là ?

Philippe Lapousterle : C'était le rôle du Japon jusqu'à présent.

Hervé de Charette : C'est le rôle du Japon mais la Chine est en train, en effet, de disputer au Japon un rôle central dans le monde et notamment en Asie. Deuxièmement, nous avons subi, pendant toutes ces dernières années, des leçons de morale américaine sur notre façon d'évoluer. Nous avons été les premiers à changer d'attitude, vis-à-vis de la Chine, nous, les Français, à l'initiative du Président de la République ; une action que j'avais conduite à l'époque. Les Américains nous montraient du doigt à nos partenaires européens en disant que nous étions vraiment des gens sans âme, sans foi ni loi et je vois que les Américains font exactement ce que nous faisons, et ils ont raison. On ne peut pas laisser plus d'un milliard d'habitants à l'écart au nom de conceptions des Droits de l'homme très importantes et auxquelles il ne faut pas renoncer mais qui ne peuvent pas être le seul critère de la position vis-à-vis d’une puissance étrangère.

Philippe Lapousterle : Ils ont fait mieux que nous quand même ! Parler des libertés et du Tibet à la télévision chinoise vue par 700 millions de personnes, c'est une avancée. Nous n'avions pas réussi à faire cela.

Hervé de Charette : Le Président de la République ne s'est pas exprimé à la télévision chinoise mais nous avons parlé, le Président de la République, moi-même, le Premier ministre de l'époque, A. Juppé, en toutes circonstances, de la question des Droits de l'homme. Il ne faut pas arrêter de le faire. Mais je répète que la question des rapports entre la Chine et le reste du monde n'est pas simplement cette question et d'ailleurs, le progrès que l'on peut espérer en Chine – l'ouverture sur le monde, l'instruction de nouvelles méthodes politiques, le progrès –, vous ne l'obtiendrez pas parce que vous donnez des leçons aux Chinois mais parce que progressivement vous forcerez les portes de la Chine.

Philippe Lapousterle : Donc finalement, la France a fait un émule. Vous êtes satisfait qu'ils marchent dans vos pas ?

Hervé de Charette : Je ne suis pas mécontent de voir qu'en effet, la politique étrangère française est souvent, dans le monde d'aujourd'hui, celle qui montre et ouvre la voie.

Philippe Lapousterle : C'est le fait du Président de la République ou de L. Jospin ?

Hervé de Charette : Vous savez, il y a d'abord une grande permanence dans le domaine de la politique étrangère et c'est quand il y a de la permanence qu'on risque le moins de se tromper. Ensuite, personne ne peut contester – c'est dans sa fonction et c'est aussi un des plus beaux aspects de sa personnalité et un grand sujet d’intérêt – que c'est le Président de la République, bien entendu, qui impulse la politique étrangère aujourd'hui.

Philippe Lapousterle : Le Premier ministre a donc reculé, hier. Il ne présentera pas, finalement, le projet de modification du scrutin pour les élections européennes ?

Hervé de Charette : Bonne nouvelle !

Philippe Lapousterle : Pourquoi ? Parce que le Premier ministre recule ou parce que le mode de scrutin ne passera pas ?

Hervé de Charette : Pour ces deux raisons ! Bonne nouvelle parce que c'est la première fois que l'on voit clairement que la majorité n'est pas si plurielle que cela. Je veux dire par là qu'elle est plus divisée qu'il n'y paraît et que sur un sujet somme toute assez important, elle est franchement divisée. Tous ceux qui cultivent la morosité du côté de l'opposition doivent lui trouver un signe plutôt positif. Deuxièmement, bonne nouvelle parce que l'opposition a été rassemblée, réunie au cours de la journée d'hier. On a vu très clairement que les trois groupes de la majorité à l'Assemblée nationale ne voteraient pas ce texte. Je trouve cela très bien. Ensuite, bonne nouvelle parce que c'était un mauvais texte. Le mode actuel de scrutin est un mauvais mode de scrutin puisque c'est un scrutin national de liste qui est le plus anonyme possible. L'objectif d’une réforme de scrutin européen est de faire en sorte que les électeurs élisent un député et que les députés européens aient des électeurs. Ce n'est pas le cas à actuellement. On ne sait pas le nom des députés européens et les Français n'ont jamais l'occasion de les entendre rendre compte de leur mandat. Donc la bonne solution, celle que j'ai toujours défendue, c'est le mode de scrutin uninominal, soit une circonscription pour un député. Ce qui vaut au plan national pouvait valoir au plan européen. Et si on ne le fait pas, il y a un autre mode de scrutin, c'est le scrutin régional. Autrement dit, on prend les régions actuelles et on leur dit : puisque vous élisez déjà vos conseils régionaux, vous pourriez aussi élire les députés européens. C'était les deux solutions possibles. Le projet Jospin est un projet bâtard qui ne pouvait résoudre aucun problème et je me réjouis qu'il ait été écarté.

Philippe Lapousterle : Le projet Jospin, c'était aussi le projet Chirac, entre parenthèses : un projet bâtard avec deux pères ?

Hervé de Charette : Le Président de la République était, je pense, tout à fait désireux de contribuer à l'amélioration du mode scrutin. Voilà, je comprends donc...

Philippe Lapousterle : Est-ce que vous trouvez normal – la difficulté de la majorité plurielle d’accord – que l'ensemble des députés de l'opposition aient condamné un texte proposé également par J. Chirac ? Est-ce que vous trouvez ça bien ?

Hervé de Charette : Non, d'abord il n'a pas été proposé par J. Chirac mais je trouve bien que des groupes de l'opposition aient délibéré et soient parvenus à une décision commune. Je pense d'ailleurs que si ce texte avait dû venir devant l'Assemblée, il eût été nécessaire que l'intergroupe se réunisse pour en délibérer. Parce qu'il faut que nous nous habituions, au Parlement, à ce que les grandes décisions que nous avons à prendre dans l'opposition sur les grands textes du Gouvernement ou sur des grands moments législatifs et parlementaires soient précédés d'une décision commune prise par l'intergroupe, c'est-à-dire par tous les députés. Il faut aller dans le sens d'une unité plus forte de l'opposition.

Philippe Lapousterle : Etes-vous en faveur du projet de M. Bayrou de fusionner tout ce qui reste de l'UDF à l'intérieur, avant d’aller plus loin dans l’Alliance ?

Hervé de Charette : Non, mais pour vous dire la vérité, je veux bien rentrer dans ces détails mais je ne suis pas sûr que ça passionne.

Philippe Lapousterle : Non, mais pour aller à l'Alliance – c'est-à-dire à ce que vous désirez, tous les députés de l’opposition –, faut-il la fédérer ?

Hervé de Charette : Alors regardons ce que nous avons à faire dans l'opposition pour que, comme vous le disiez, ça aille mieux. Premièrement, il faut sortir de cet interminable débat d'organisation. On parle de l'organisation de l'opposition depuis un an. Pendant ce temps-là, on ne s'oppose pas. Et franchement, nos électeurs en ont plein le dos. Donc il faut mettre un terme à cet interminable débat et nous consacrer à ce que nos électeurs attendent de l'opposition, c'est-à-dire qu'elle fasse son métier d'opposant. Et que nous consacrions nos pensées, nos efforts, non pas à tournicoter dans notre propre soupe, mais à prendre en main les sujets du pays ; faire des propositions, critiquer les initiatives du pouvoir, etc. Deuxièmement évidemment, le pays a besoin d'unité. Il va de soi qu'il faut aller le plus loin possible vers la constitution d'un grand parti de l'opposition. C'est évident. Et donc il faut que l'Alliance se fasse, qu'elle s'organise. Et il ne faut pas qu'elle soit une espèce de cartel électoral, d'arrangement entre deux ou trois de ces messieurs, mais une vraie formation politique dans laquelle tout le monde a sa place et la parole.

Philippe Lapousterle : Le chef naturel de l'opposition ?

Hervé de Charette : C'est le Président de la République.