Interviews de M. Bernard Bosson, ministre de l'équipement des transports et du tourisme, dans "Le Quotidien" du 2 juin et "Le Monde" du 10 juin 1994, sur la politique des transports dans le cadre du projet de loi sur l'aménagement du territoire et notamment le financement des infrastructures par des fonds spéciaux et le projet d'autoroute ferroviaire sous les Alpes.

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Média : Le Quotidien - Le Monde

Texte intégral

Le Quotidien : 2 juin 1994

Le Quotidien : Qu'en est-il du TGV Méditerranée ?

Bernard Bosson : Le Conseil d'État vient de rendre un avis favorable au projet et les travaux commenceront avant Noël.

Le Quotidien : Le financement du TGV Est est-il assuré ?

À cette question, le ministre réplique que le conseil d'administration de la SNCF vient de prendre la décision de lancer l'enquête d'utilité publique, parce que le gouvernement avait permis de dégager une rentabilité de 8 % en participant davantage au financement des infrastructures. Cette participation devrait être de 3,5 milliards de francs. Mais c'est vrai reconnaît le ministre qu'un certain flou entoure le montage financier, flou rendu nécessaire dans l'attente de la décision de Bruxelles sur le montant exact de sa participation. Pour ne pas perdre de temps les négociations avec les régions concernées ont été rouvertes. L'Ile-de-France, pour sa part, devant participer pour une somme allant de 500 millions à 1 milliard de francs. Précisons qu'au conseil régional d'Ile-de-France on attend de connaître le coût de cette ligne dans le domaine de l'environnement. Il sera en effet nécessaire de construire aussi une ligne haute tension pour alimenter ce TGV, c'est cette ligne qui créera le plus de difficultés. Actuellement, le coût de ce TGV Est est estimé à 30 milliards de francs dont 24 pour l'infrastructure.


Le Monde : 10 juin 1994

Le Monde : Le projet de loi de M. Pasqua prévoit la création de plusieurs fonds pour développer les infrastructures de transport. Vos vues ont-elles prévalu lors des arbitrages ?

Bernard Besson : Je suis très satisfait, globalement, de ce texte. Sur de nombreux points, les priorités énoncées par mon ministère ont été retenues et, d'une manière générale, nous avons travaillé en très étroite confiance avec les services de Charles Pasqua et la DATAR. En outre, pour la première fois, cette loi donne un contenu concret à la notion de plurimodalité des transports. Quand je vois que les transports sont tracés de façon complémentaire et globale, et non pas les uns à côté des autres, je dis bravo. Quand je vois affirmé le principe selon lequel il faut trouver des solutions de solidarité et donc de péréquation pour financer les infrastructures qui ne sont pas rentables par la seule application de la loi du marché, j'applaudis encore. Ces solutions extrabudgétaires sont astucieuses.

Le Monde : Comment seront organisés ces fonds ?

Bernard Besson : Il y aura un fonds de péréquation des transports aériens, c'est sûr. C'est indispensable et urgent. Que ne l'a-t-on institué bien avant, il y a plusieurs années, car cela fait longtemps qu'il existe des lignes rentables (qui dans un climat de concurrence de plus en plus ouverte attirent évidemment toutes les compagnies) et les autres ! Autrement dit on demandera un peu plus — cela se fait déjà au sein d'Air Inter — à Paris-Toulouse de financer Paris-Limoges. Quant au financement, mon idée est de demander à chaque passager qui prend l'avion en France pour aller à Marseille, Francfort ou Melbourne de verser son écot, soit 4 francs par passager dans l'état actuel des simulations. Mais je laisse volontiers aux parlementaires le soin d'amender cette idée, s'ils le souhaitent.

Le Monde : Et pour les autres modes de transport ?

Bernard Besson : J'avais pensé – et je pense toujours – à un fonds spécifique de développement des voies navigables. Il y a trente ans qu'on parle du développement de ce secteur et rien n'avance ! Je pense à un financement par prélèvement sur la rente que touche la Compagnie nationale du Rhône (CNR) en tant que producteur d'électricité. Elle cède son courant à EDF à 12 centimes le kilowattheure, et EDF le revend 24 centimes. Il y a donc de la marge. Sur treize ans, on pourrait lancer 26 milliards de francs de travaux, emprunts compris. De quoi bien engager les trois projets prioritaires : Rhin-Rhône, Seine-Est et Seine-Nord. Mais soyons réalistes si la CNR est le principal contributeur, il est évident qu'elle considérera Rhin-Rhône comme l'ouvrage le plus urgent à réaliser.

Le Monde : Un troisième fonds concernerait les transports routiers et ferroviaires…

Bernard Besson : Il risque d'être globalisé avec le fonds de voies navigables mais rien n'est encore définitif. Toujours est-il qu'on demandera aux sociétés d'autoroute et peut-être aussi aux usagers un effort supplémentaire pour faciliter le financement d'un certain nombre d'infrastructures ferroviaires indispensables. Je pense aux TGV Est, Sud-Est et Lyon-Turin. On jouera sur environ 1 milliard de francs par an, ce qui n'est pas négligeable. Cela ne remet nullement en cause le schéma autoroutier (que j'ai fait accélérer). Pour les routes, dans les nouveaux contrats de plan, l'État et les collectivités locales vont dépenser 65,9 milliards de francs (valeur 1994) au lieu de 61,6 dans le Xe Plan ?

Le Monde : Le sénateur Hubert Haenel vous a fait des propositions préconisant le transfert aux régions de leurs transports ferroviaires. Quelle suite entendez-vous leur donner ?

Bernard Besson : L'État donne 4 milliards de francs par an à la SNCF pour le fonctionnement des transports régionaux de voyageurs qu'il s'agirait de transférer aux régions. Ce serait une bonne chose que, dans ce domaine, elles aient avec l'État une coresponsabilité. M. Haenel estime que les régions auront besoin de plus d'argent que les 4 milliards de l'État. Ses propositions vont faire l'objet d'expérimentations début 1995 et onze régions se sont de jà portées volontaires.

Le Monde : Vous souhaitez reporter d'un an la signature du contrat de plan entre le SNCF et l'État. Pourquoi ce retard ?

Bernard Besson : Des réflexions fondamentales doivent être menées par la SNCF, notamment sur sa réorganisation interne et sur l'avenir du transport de marchandises et tout particulièrement des wagons isolés. Cela nécessite un travail intensif qui ne sera pas terminé en décembre. La raison vent que nous laissions du temps au nouveau président. Ce sera aussi l'occasion de concrétiser les propositions de M. Haenel. L'ensemble devrait être prêt pour mon successeur, et le contrat de plan prendra effet pour la période 1996-2000 et non plus 1995-1999 comme prévu.

Le Monde : Jean Bergougnoux réclame que l'État assume sa part de responsabilités dans les problèmes financiers que rencontre son entreprise ? Que comptez-vous faire ?

Bernard Besson : Je vous rappelle que la SNCF reçoit à elle seule 37 milliards de francs du budget de mon ministère, ce qui donne la mesure des responsabilités assumées par l'État. Cela ne nous dispense pas d'avoir une politique d'aménagement du territoire. C'est le cas pour le TGV-Est puisque nous garantirons à la SNCF, grâce à des subventions, un taux de rentabilité d'au moins 8 %. Nous sommes d'accord, sur le principe, pour aider l'entreprise sur le dossier du TGV-Méditerranée.

Le Monde : Air Inter doit affronter prochainement la concurrence sur ses lignes les plus rentables, qui servent à financer lei lignes déficitaires. Où en est-on de la mission confiée à M. Abraham sur ce sujet ?

Bernard Besson : Le rapport de M. Abraham sera rendu public à la fin du mois, et je ne vous cache pas qu'il est très proche eu fonds de péréquation prévu pour l'aérien dans le projet de M. Pasqua. L'ancien président d'Air Inter, Jean-Cyril Spinetta, a trompé le personnel d'Air Inter en lui faisant croire que la société serait protégée de la concurrence aérienne jusqu'en 1997. En réalité, les accords négociés par le gouvernement socialiste en 1990 au moment du rachat d'UTA par Air France et en 1992 sur l'ouverture du ciel, à Bruxelles, frayait déjà la voie à une concurrence brutale. Il faut maintenant aider Air Inter à renforcer sa compétitivité. Faire en sorte qu'elle conserve un destin national et l'ouvrir vers l'Europe en établissant des synergies avec le réseau européen d'Air France, et aussi sur le Maghreb. Nous allons créer une société holding qui détiendra la majorité des actions d'Air France et d'Air Inter. Les deux entreprises doivent travailler dans un rapport d'égalité et s'appuyer l'une sur l'autre. Il faut recréer une ambiance de groupe. Air France, compagnie internationale, a besoin d'un réseau intérieur solide. Air Inter sera beaucoup plus fort à l'intérieur du groupe Air France qu'en étant isolée.