Interviews de M. Bernard Bosson, ministre de l'équipement des transports et du tourisme, à Europe 1 le 16 mars et RTL le 12 avril 1994, sur le plan de redressement d'Air-France et la méthode de gouvernement de M. Édouard Balladur.

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Média : Europe 1 - RTL

Texte intégral

F.-O. Giesbert : On ne vous a pas entendu depuis que C. Blanc a fait connaître son plan la semaine dernière. Quel est votre premier jugement ?

B. Bosson : Je considère que le ministre doit être en première ligne quand les choses vont mal. Quand les choses vont bien, ce n'est pas son rôle.

F.-O. Giesbert : Ça va bien à Air France ?

B. Bosson : Je trouve que cela va bien avec C. Blanc que le gouvernement a accepté de nommer sur ma position. Nous avons changé complètement de méthode. C'est vraiment la réforme-participation chère au Premier ministre. C'est-à-dire un très grand dialogue dans l'entreprise qui va très mal, avec l'ensemble du personnel, avec une lettre adressée à chacun, avec plus de 15 000 réponses, avec plus de 2 000 réunions internes, avec un plan qui est un projet d'avenir et qui est porté par l'entreprise et qui peut sauver Air France. Air France, c'est important pour les 40 000 emplois, mais c'est important aussi pour nous tous.

F.-O. Giesbert : C'est important aussi parce qu'on va payer. Pourquoi le contribuable français devrait toujours payer pour les erreurs commises par les dirigeants des entreprises nationalisées ?

B. Bosson : Ce n'est pas tout à fait le contribuable puisqu'il n'est pas question de faire appel à l'impôt. Il est question, dans la gestion des entreprises publiques, de prendre l'argent d'une entreprise privatisée pour sauver Air France et lui redonner une valeur. C'est une bonne gestion du portefeuille de la France.

F.-O. Giesbert : Vous vous rendez compte de ce que l'on pourrait faire avec 20 milliards dans les banlieues qui en ont besoin aujourd'hui…

R : C'est, hélas, la moitié du déficit dont Air France hérite. Mais ce n'est pas la faute du gouvernement actuel, ni du président actuel. Et je rappelle que lorsque British Airways s'est redressée, le gouvernement anglais a accepté d'effacer la quasi-totalité des dettes de British Airways. Alors que dans le cas de la compagnie Air France, le gouvernement fait l'effort parallèlement à l'effort demandé à tous les hommes et toutes les femmes d'Air France dans un contrat passé entre l'État et les employés, de n'effacer que la moitié de la dette. Ce qu'on demande à Air France, c'est un plan de redressement qui est plus difficile à réaliser encore que celui qu'avait fait British Airways.

F.-O. Giesbert : Est-ce qu'il ne faudrait pas envisager de privatiser rapidement Air France ?

B. Bosson : S'il y a bien une chose qui n'est pas à l'ordre du jour, c'est la privatisation d'Air France.

F.-O. Giesbert : Pourquoi cela ?

B. Bosson : Vous connaissez quelqu'un qui voudrait acheter une action d'Air France dans l'état où se trouve la compagnie ?

F.-O. Giesbert : Vous privatisez Bull, il y a un énorme déficit…

B. Bosson : Ce n'est vraiment pas le sujet. Le sujet, c'est d'essayer de sauver cette compagnie, de la faire avec les hommes et les femmes d'Air France et par contre eux. Et ce qui est à l'ordre du jour, c'est la participation des employés.

F.-O. Giesbert : Vous avez peur d'un mouvement en cas de privatisation d'Air France ?

B. Bosson : Je crois qu'il faut cesser ces relations agressives entre l'État et les employés d'une entreprise publique. On ne peut sauver une compagnie, lui rendre un avenir, que dans le dialogue entre ces hommes et ces femmes. Ils sont prêts à faire un gros effort. 25 % du capital sera réparti entre les salariés, 10 % à tous, et le reste en fonction de ceux qui accepteront de travailler plus et de se faire payer en actions et qui croiront à l'avenir de leur compagnie.

F.-O. Giesbert : Comment jugez-vous la gestion de l'actuelle direction à la SNCF ?

B. Bosson : Il y a deux faces à la SNCF. Il y a des problèmes : un déficit considérable, plus de 7 milliards de francs cette année. Un divorce avec les Français, on l'a vu à travers Socrate. Et une SNCF qui répond de manière trop inégale entre les TGV modernes et les lignes de banlieue quelque fois complétement dépassées. Et d'un autre côté, un potentiel énorme : les TGV, les transports régionaux, une volonté, un savoir-faire des hommes.

F.-O. Giesbert : Conclusion, il faut changer la direction…

B. Bosson : De toute façon, le président Fournier arrive en fin de mandat. Le problème c'est d'arriver à redresser cette compagnie, et je suis sûr que le nouveau président peut le faire.

F.-O. Giesbert : Est-ce que c'était bien raisonnable de céder aux pressions sur le CIP puisque cela n'a pas désarmé la contestation dans la rue ?

B. Bosson : Quel est le problème ? Nous avons le pays développé qui a le record du chômage des jeunes de moins de 25 ans. Un jeune sur quatre est au chômage. Il faut à tout prix faire sauter le verrou d'entrée dans l'entreprise. On sait que quand le jeune a mis le pied dans l'entreprise, qu'il se défonce, qu'il se révèle, l'entreprise, souvent, le garde. J'ai un exemple comme maire d'Annecy. Nous avons amélioré le CIP dans le dialogue, notamment le tutorat qui vouait être complétement creux, complétement vide, a reçu un contenu, je crois que c'est une bonne chose. Le vrai problème, c'est de permette à ces jeunes de franchir le mur infranchissable de l'entrée dans l'entreprise. Je ne comprends pas que le PS, qui nous a laissé une telle situation, qui avait créé des stages parking, nous donne des leçons en la matière.

F.-O. Giesbert : Comment expliquez-vous la baisse d'E. Balladur dans les sondages ?

B. Bosson : Je crois qu'ils traduisent la difficulté de la vie dans un pays qui l'année dernière, pour la première fois depuis la guerre, a reculé sur le plan économique, sur le plan de la richesse nationale. Cela me paraît assez naturel.

F.-O. Giesbert : Est-ce que ses amis, dont vous êtes, ne lui ont pas rendu un bien mauvais service en le lançant dans la bataille présidentielle ?

B. Bosson : Je crois qu'il ne faut pas du tout mélanger la campagne présidentielle qui commencera à son heure, avec notre tâche qui est de redresser le pays. Je fais partie de ceux qui pensent qu'E. Balladur est un homme d'État et une chance pour la France. Et je le pense encore plus aujourd'hui qu'hier.

F.-O. Giesbert : Vous avez un commentaire à faire sur les ennuis qui arrive à M. Noir ?

B. Bosson : Il a été mon collègue et ami au gouvernement, sur le plan personnel. Je n'ai pas de commentaire à faire sur la justice. Elle est libre et indépendante. Comme avocat, je considère toujours que tant que quelqu'un n'est pas condamné, il est présumé innocent, c'est ça la garantie française. Par contre ce qui a changé dans ce pays, c'est que la justice est libre et indépendante sous le gouvernement d'E. Balladur. Alors, ce n'est pas très agréable pour des élus qui se croyaient protégés. Mais c'est nouveau et c'est la dignité de la France.

 

mardi 12 avril 1994
RTL

P. Caloni : Après les résultats du référendum à Air France, peut-on dire qu'il y a 81,26 % de gens de l'entreprise qui sont pour l'allongement de la durée du travail, pour le gel des salaires durant trois ans, et pour la suppression de 5 000 postes ?

B. Bosson : Ils ont surtout compris que la vie de l'entreprise était en jeu et ils ont adhéré au plan novateur, courageux, que le président C. Blanc leur a proposé.

P. Caloni : Vous vous attendiez à un tel succès ?

B. Bosson : Le non était tout à fait possible et nous avons même caché les conséquences du non, de manière à ne pas donner l'impression que nous faisions pression sur ce référendum. Mais les conséquences du non auraient été très graves. Non, je me réjouis profondément qu'il soit possible de mobiliser autour d'un plan d'avenir.

P. Caloni : Mais les gens ont peur de l'avenir peut-être aussi ?

B. Bosson : Ce que je crois surtout, c'est que le référendum n'était qu'un épiphénomène, cela ne peut être qu'une exception.

P. Caloni : La cerise sur le gâteau ?

B. Bosson : Oui, un peu. C'est le processus entier qui est nouveau, un processus qui consiste à faire confiance aux hommes et aux femmes. C'est-à-dire, pendant des mois, mettre à plat la situation, leur dire qu'il y a des routes sans issues et qu'il y en a une qui peut mener au succès, leur dire aussi qu'on va travailler ensemble et porter ensemble le redressement. Une lettre de 14 pages donnant tous les détails de la situation aux 40 000 employés, 2 000 réunions de dialogue et le travail pour construire le nouveau plan, c'est nouveau. À l'arrivée, les syndicats, pensant qu'ils ne pouvaient pas prendre la décision au nom du personnel, puisqu'on demande des efforts sur la durée au personnel, ont demandé ce référendum. La grande leçon c'est que le respect des êtres et la mobilisation permettent le redressement, alors que les plans technocratiques imposés aux personnels sont voués à l'échec.

P. Caloni : Est-ce que cela ne décrédibilise pas un peu plus les syndicats ?

B. Bosson : Je ne le crois pas, parce qu'à ce moment-là on dirait que ceux qui ont prôné le oui seraient de grands vainqueurs et les autres connaîtraient l'échec.

P. Caloni : Mais FO qui avait prôné le oui ne s'en sort pas trop mal ?

B. Bosson : Le problème est exactement le même dans la politique. Lorsque l'on fait un référendum on ne dit pas que c'est la fin des partis politiques. Les syndicats sont indispensables à la vie sociale, le référendum ne peut être qu'un moment tout à fait exceptionnel, les syndicats ont eu, dans la construction du plan, et demain dans la vie du plan, toute leur place.

P. Caloni : Comment en est-on arrivé là à Air France ?

B. Bosson : Nous avons hérité d'entreprises publiques dans un état dramatique. Air France perdra cette année un peu plus de huit milliards et demi, la SNCF un peu plus de neuf milliards et demi, au-delà de la subvention de 38 milliards qu'elle reçoit par an, la CGM perdait 700 millions à notre arrivée. La situation était dramatique, le redressement indispensable donc, et encore une fois, il ne peut se faire que par la mobilisation. Je crois vraiment que la grande leçon elle est là. C'est la raison pour laquelle j'ai dit et je maintiens que la méthode d'E. Balladur, qui consiste lorsqu'on voit que le passage en force n'est pas compris, à recommencer tout le travail de pédagogie qui a dû être mal fait, et à faire confiance aux hommes et aux femmes, est quelque chose de très important pour l'avenir.

P. Caloni : La méthode Balladur, cela concerne aussi la loi Falloux et le CIP ?

B. Bosson : Je le crois, il y a des moments où il vaut mieux recommencer à zéro et rediscuter que de vouloir imposer quelque chose. La démocratie ce n'est pas non plus la dictature des idées, des élus majoritaires d'un moment.

P. Caloni : Ces entreprises publiques pourraient devenir des entreprises privées ?

B. Bosson : Je ne vois pas la différence, il y a des entreprises privées qui perdent énormément d'argent, vous le savez.

P. Caloni : Oui, mais dans ce cas on ferme la porte et on en parle plus ?

B. Bosson : On ne peut pas faire ça avec des compagnies aussi importantes pour nous, comme Air France par exemple. Je crois vraiment que le fait d'avoir su écouter, le fait d'avoir choisi C. Blanc, le fait de lui avoir laissé une carte blanche sur un projet novateur, ont été très importants. Il a fait un travail formidable qui permet d'espérer. Le travail commence à Air France.

P. Caloni : Alors c'est plutôt la méthode Blanc que Balladur ?

B. Bosson : C'est la raison pour laquelle son choix était important, c'est un choix gouvernemental qui a permis ce redressement. Les hommes et les femmes d'Air France ont choisi de se battre, le gouvernement se battra à leur côté.

P. Caloni : On supprime 5 000 postes ou 5 000 emplois ?

B. Bosson : On supprime 5 000 postes et 5 000 emplois.

P. Caloni : Vous êtes candidat à la présidence du CDS ?

B. Bosson : Oui, en décembre. Il y aura un congrès en avril sur nos propositions face à la nouvelle donne sociale et à la nouvelle donne européenne, à la veille des élections.

P. Caloni : C'est la méthode CDS ?

B. Bosson : C'est une méthode nouvelle, en décembre le choix de la nouvelle direction aura lieu, P. Méhaignerie ayant annoncé qu'il ne se représentait pas.

P. Caloni : Que pensez-vous de l'idée du PR de former un groupe autonome ?

B. Bosson : C'est le problème du PR, ils sont en discussion sur ce sujet. Vous me permettrez n'en étant pas membre de n'en rien dire. Ce qu'il faut c'est que l'UDF soit unie à la veille des européennes et autour de la liste que mène D. Baudis, c'est important au moment où l'Europe est à la croisée des chemins. Va-t-on vers une Europe libérale, une communauté économique, ou bien vers une communauté politique ?

P. Caloni : Vous avez été ministre des Affaires européennes, que pensez-vous de l'élargissement presque à la sauvette ?

B. Bosson : Je le regrette car il y a un rendez-vous. Est-ce-que la communauté telle qu'on l'a rêvée en France va triompher avec une Europe politique ? Est-ce que l'Europe anglaise de l'AELE est en train de détruire la vision que nous en avions. Si demain l'Europe n'est qu'un grand marché il ne résistera pas longtemps à ses contradictions d'intérêts internes, comme aux coups de boutoir que les États-Unis et le Japon ne manqueront pas de lui donner. C'est un grand moment, va-t-on vers une Europe ou un simple marché sans intérêt ?

P. Caloni : Faut-il revenir à l'Europe des six ?

B. Bosson : Non, mais il faut renforcer les institutions, les rendre plus démocratiques et être bien sûr que nous avons les mêmes buts et le même idéal, sinon cela n'a pas beaucoup de sens.