Texte intégral
I. – La situation du marché ne s'est pas redressée
Les données fournies par la Commission, pour le mois de mai, traduisent une forte baisse des cours par rapport à la même période de l'année 1992 sur les grandes espèces suivies :
- Cabillaud : de - 10 à - 33 % (- 25 pour la France)
- Lieu noir : de - 7 à - 31 % (- 31 pour la France)
- Baudroie : de - 18 à - 51 % (- 18 pour la France)
Les données dont je dispose pour la première quinzaine de juin confirment cette évolution. Je présume que le même phénomène s'observe dans les autres états membres. Après une longue période où la crise de la ressource générait des prix rémunérateurs, nous sommes entrés durablement dans une situation de marché fragile : toute perturbation, même légère, entraîne des conséquences disproportionnées sur les prix d'un grand nombre d'espèces, et déstabilise le marché.
II. – Nous ne pouvons pas rester sans réagir, pour 3 raisons
Cette situation va durer : il est de notre responsabilité de prendre toutes les dispositions qui s'imposent.
L'article 39 du Traité de Rome, qui définit les objectifs de la politique agricole commune, nous fait un devoir de veiller à la sécurité des approvisionnements alimentaires de la Communauté. La sécurité signifie que nous aurons à veiller à ne pas être soumis à une trop forte dépendance à des pays tiers. Or cette sécurité est, à terme, menacée par les perspectives d'effondrement d'une partie de nos activités de pêche que comporte ce nouvel état du marché.
C'est cela le fondement de la préférence communautaire.
Enfin nos producteurs ne comprendraient pas qu'il y ait 2 poids et 2 mesures : une réglementation toujours plus stricte pour protéger, à juste titre d'ailleurs, la ressource, et pour encadrer l'évolution structurelle, et dans le même temps, le refus de tout effort réglementaire lorsqu'il s'agit de défendre le marché.
III. – Comment nous adapter à ce nouvel état du marché ?
Nous ne pouvons évidemment pas agir sur la demande des consommateurs qui se ralentit et se dirige vers les produits alimentaires les moins coûteux.
Mais, justement parce que la demande suit cette évolution défavorable, nous devons examiner comment préserver et renforcer la place de l'offre intérieure communautaire.
Nous devons affirmer clairement que l'Europe ne peut se passer de ses producteurs.
Bien entendu, nous devons tenir compte de 2 données majeures :
1. Une donnée économique : la Communauté n'est pas autosuffisante en produits de la pêche : elle a globalement besoin des importations pour approvisionner ses industries de transformation et ses consommateurs.
2. Une donnée juridique : la Communauté a pris des engagements internationaux ; elle doit les respecter.
Je refuse cependant l'idée que ces 2 contraintes priveraient la Communauté de tout moyen d'action.
Nous devons procéder, très rapidement, car il y a urgence, à l'analyse critique de nos mécanismes de protection, tels qu'ils sont prévus par le Règlement portant organisation commune des marchés, et par les multiples accords commerciaux auxquels la Communauté est partie prenante.
Lorsqu'une réglementation, destinée à faire face à des difficultés du marché, n'est pas en mesure d'apporter une amélioration en cas de crise grave et durable, la question doit être posée de changer cette réglementation.
Plus précisément, nous devons répondre aux interrogations suivantes :
1. Les mécanismes du Titre IV de l'OCM concernant le régime des échanges incluant les mesures de sauvegarde sont-ils adaptés aux problèmes réels que nous rencontrons désormais ? Certes, la révision de cet instrument est récente, mais elle a été conduite dans un contexte de marché totalement différent.
2. Les modalités de fonctionnement apportent-elles des réponses efficaces ? Ainsi, on observe que les délais nécessaires pour recueillir les informations pertinentes et mener à bien les procédures communautaires conduisent à réagir tardivement, alors que la perturbation de marché est installée et a eu tout le temps de développer ses effets négatifs.
3. il faut aussi recenser les multiples accords bilatéraux qui constituent les exceptions au tarif douanier commun, et examiner cas par cas, les mécanismes de sauvegarde qu'ils comportent ou ne comportent pas.
4. Un traitement différencié ne doit-il pas être apporté à différentes catégories de produits de la pêche (produits frais et congelés par exemple), débouchant sur la possibilité de déconsolider sélectivement certains de ces produits de la pêche, dont le marché risque d'être le plus durablement perturbé, en examinant les contreparties à l'intérieur du secteur ?
Aujourd'hui, nous sommes dans une organisation du marché consolidé au GATT en 1962 ! Je rappelle à cet égard, que la consolidation de l'ensemble des produits a été consentie dans le cadre d'une économie mondiale des pêches caractérisée par l'ouverture générale de la mer libre, à l'exception des quelques milles constituant les eaux territoriales. Nos producteurs, à l'époque, pouvaient aller prélever des produits dans le monde entier. Aujourd'hui, près de 95 % des ressources halieutiques mondiales font l'objet d'appropriation dans les zones économiques exclusives – ZEE –.
Les pays sont devenus des producteurs et des consommateurs et compte tenu de la ressource qui baisse et des débouchés qui augmentent, la Communauté ouvre à tout vent ses frontières en multipliant les accords bilatéraux et les dérogations, abaissant les tarifs déjà faibles. Deux tiers des importations relèvent de régimes spécifiques.
Je demande que ces questions soient examinées par notre Conseil sur la base d'un rapport de la Commission qui devrait être présenté dans les meilleurs délais, au plus tard à la fin du mois de septembre.
Dans l'attente, il est absolument indispensable de prolonger, jusqu'à la fin de cette année, les mesures minimales qui ont été prises jusqu'au 30 juin : prix minimum sur 6 espèces, et réglementation des débarquements directs.
Ce dernier règlement devrait d'ailleurs, comme le suggère la Commission, servir de base à un règlement du Conseil, à caractère définitif, car la Communauté ne peut rester le seul grand ensemble maritime au monde à s'interdire de réglementer les débarquements tiers alors qu'elle encadre, à juste titre, ceux de ses propres producteurs.
S'agissant de l'efficacité, parfois discutée, des prix minimums, je formulerai deux observations :
1. Si ce dispositif ne peut, évidemment, susciter le redressement des prix, il est efficace, à condition d'être bien contrôlé, pour bloquer les importations à caractère de dumping pur et simple.
D'une façon générale, je ne suis pas sûr que les contrôles soient opérés avec toute la rigueur voulue ; je ne citerai que l'exemple de la France, où l'intégration récente des pêches au sein du ministère de l'Agriculture a permis de mesurer les possibilités de renforcement des contrôles liés à l'hygiène alimentaire.
2. Les conditions qui ont rendu cette mesure nécessaire ne se sont en rien atténuées : le risque de dumping reste aussi fort pour la seconde partie de l'année qu'il a été au début de 1993, avec la désorganisation économique de certaines flottes, la braderie des frets aériens etc.
Les enjeux de la situation actuelle sont beaucoup trop graves pour que nous ne posions pas ces questions fondamentales. L'indifférence aux risques encourus par nos producteurs mettrait en cause, et sans doute pas seulement en France, la crédibilité de notre politique commune des pêches, élément de la construction européenne dont nous sommes collectivement responsables.