Interviews de M. Alain Carignon, ministre démissionnaire de la communication et maire RPR de Grenoble, à TF1 et France 2 le 17 juillet 1994, à RTL, "Libération" et RMC le 18, sur sa démission du gouvernement et sa mise en cause dans l'affaire du Dauphiné News.

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Circonstance : Démission de M. Alain Carignon de son poste de ministre de la communication le 17 juillet 1994

Média : TF1 - France 2 - RTL - Libération - RMC

Texte intégral

TF1  : Dimanche 17 juillet 1994

J.-C. Narcy : Votre nom est simplement cité dans une procédure, alors pourquoi démissionner ? Attendez-vous d'être mis en examen ?

A. Carignon : C'est un choix moral. Mon nom est cité et à un moment ou à un autre, je devrais être entendu sur ce dossier. J'ai un devoir de loyauté à l'égard du Premier ministre parce lorsqu'il nous a nommé, les membres du gouvernement. Il nous a nommé pour une chose : redresser le pays et réformer la France. Rien ne doit gêner cette action. Alors imaginez le tohu-bohu médiatique si un ministre en exercice, quel qu'en soit la raison, est convoqué par un juge. Je ne redeviens pas un citoyen comme les autres parce que quand on est un homme public, on a plus de devoirs que de droits. Je suis un peu triste, mais je suis gaulliste et quand on prend une décision de cette importance, on doit se demander quel est l'intérêt du pays et pas ses sentiments personnels.

J.-C. Narcy : Que répondez-vous aux accusations qui disent que vous auriez accordé des marchés publics à la Lyonnaise des Eaux ?

A. Carignon : C'est le contraire d'une affaire. Est-ce qu'il y a détournement d'argent public ? La réponse est non. Est-ce qu'il y a fraude fiscale ou volonté de dissimulation ? La réponse est non. Est-ce qu'il y a un soupçon d'enrichissement personnel ? la réponse est non. Ce que l'on veut depuis six ans, c'est me mêler à la gestion d'un groupe de presse dans lequel, ni de près ni de loin, ni hier, ni aujourd'hui, ni demain, j'ai le moindre intérêt. Au fond, c'est mon travail de maire qui est mis en cause parce que lorsque je reçois un industriel, un Grenoblois, une association qui vient présenter un projet, que je décroche mon téléphone ou que j'écris, suis-je responsable de ce qui se passe après entre eux ? Si oui, ce n'est pas une fois, mais cent fois, mille fois, qu'il va falloir m'entendre parce que seuls les élus qui se croisent les bras n'auront aucun souci.

J.-C. Narcy : Cette affaire remonte loin déjà alors pourquoi avoir accepté un portefeuille ministériel ?

A. Carignon : Parce que jamais je n'aurai pensé que la rumeur, la dénonciation anonyme, les corbeaux de toutes plumes, puissent arriver un jour au fait que je sois entendu pas un juge.

J.-C. Narcy : Il n'y a pas que cette affaire, la gestion de la ville de Grenoble a été contestée par la Cour des comptes en particulier ?

A. Carignon : Nous avons à Grenoble des excités de la procédure et du contentieux, chaque fois que l'on prend une décision, il y a des recours. C'est tant mieux, cela permet à la ville d'être à nouveau pionnière dans un domaine : celui de la transparence. Mais que reste-t-il de tous ces contentieux ? Rien. Toutes les études, tous les rapports montrent que Grenoble est gérée de façon honnête, au centime près de façon scrupuleuse et toutes les études montrent que, au contraire c'est la ville la mieux préparée à affronter l'an 2000. Donc je ne comprends pas.

J.-C. Narcy : E. Balladur salue votre décision mais ne croyez-vous pas que cela risque de provoquer une petite crise politique ?

A. Carignon : C'est d'abord une décision personnelle, une épreuve personnelle pour ma famille, mes amis. Moi je ne souhaite pas la faire partager au Premier ministre parce qu'il a d'autres choses à faire de plus importantes et il les fait, je peux en témoigner, il les fait bien. J'ai été touché par son témoignage, comme par les propos qu'il m'a rapportés du Président de la république me concernant et puis j'ai aussi été touché par sa décision de ne pas me remplacer et de charger N. Sarkozy de faire l'intérim de mon ministère pendant cette période qui s'ouvre.

J.-C. Narcy : Quel est le souvenir que vous garderez de votre ministère ?

A. Carignon : La formidable fraternité qui est née avec les milieux culturels, artistiques et de création lors de la bataille du GATT. Aussi ce que j'ai fait pour les structures de la presse et le débat que j'ai ouvert sur les autoroutes de la communication et puis la naissance de la cinquième chaîne, celle qui va porter la connaissance et le savoir dans tous les foyers français et qui est au fond une nouvelle égalité des chances pour les Français. C'est une décision dont le gouvernement peut être fier.


France 2  : Dimanche 17 juillet 1994

V. Sainte-Olive : Pourquoi démissionnez-vous ?

A. Carignon : C'est un choix moral. Je suis cité dans une affaire du point de vue judiciaire et à un moment ou un autre je serais certainement convoqué par le juge. Je crois qu'il est loyal, qu'il est de mon devoir par rapport au Premier ministre, par rapport à l'action gouvernementale, de ne pas mêler le gouvernement à cela. Depuis six ans, la rumeur, les lettres anonymes et les corbeaux de toutes plumes disent que je serais mêlé à la gestion d'un groupe de presse indépendant. Ce groupe de presse a été fait par un de mes collaborateurs qui avait fait des journaux avant de me connaître et qui en fait toujours. Je n'ai jamais été dans cette gestion, je n'ai jamais eu le début d'un intérêt, ni hier, ni aujourd'hui, ni demain.

V. Sainte-Olive : On vous accuse d'avoir favorisé certaines parties dans les modes de passation d'un certain nombre de marchés publics, que répondez-vous ?

A. Carignon : Grenoble, comme neuf dixième des villes de France, a décidé de confier la gestion de son service des eaux à une société privée. Elle l'a fait dans des conditions de transparence absolue, c'est-à-dire deux réunions du conseil municipal, une saisine du tribunal administratif qui a porté un jugement favorable, une saisine du Conseil d'État qui l'a confirmé, un contrôle de la Chambre régionale des comptes qui l'a également confirmé. On ne peut pas rêver d'une meilleure transparence et aucune ville n'a fait autant.

V. Sainte-Olive : Faites-vous les frais d'un certain acharnement de certains juges ?

A. Carignon : Non, parce qu'il y a des juges qui commettent des excès, comme il y a des hommes politiques qui commettent des excès mais nous sommes un grand pays, bien administré, avec une autorité politique reconnue qui doit fonctionner normalement. Je dirais que la mise en cause est normale et naturelle. On doit pouvoir demander à quelqu'un de s'expliquer. Quand c'est un homme public, un ministre, je pense qu'il ne peut pas mêle son action d'homme public à cette nécessaire explication. J'ai été très touché de la confiance du Premier ministre, des propos que lui a tenu le président de la République sur ma personne. Au fond, je suis très confiant dans la décision qu'il a prise de faire assurer l'intérim du ministère de la Communication par N. Sarkozy.

V. Sainte-Olive : Partez-vous confiant, sachant que peut-être vous rentrerez ?

A. Carignon : C'est une décision qui ne dépend pas de moi.


RTL  : Lundi 18 juillet 1994

M. Cotta : Pourquoi avoir pris les devants ? Ne craignez-vous pas que prendre les devants signifie, dans l'esprit des gens, qu'il n'y a pas de fumée sans feu ?

A. Carignon : Quand on est cité dans une procédure comme c'est mon cas, à un moment ou à un autre, on finit par être entendu par le juge. Il faut être loyal avec le gouvernement. Il faut savoir faire son devoir. Il ne faut pas que l'activité du gouvernement, les chiffres de reprise et de redémarrage puissent être perturbés une seule seconde, procurer une gêne quelconque à l'égard de cette action à laquelle je crois et que j'ai partagée pendant 14 mois.

M. Cotta : Il y a 14 mois, il y avait déjà des rumeurs autour de la Générale des Eaux.

A. Carignon : Je n'ai jamais sincèrement pensé que ces rumeurs, parfois ces dénonciations anonymes, ces lettres, ces corbeaux de toute plume qui se sont agités depuis six ans aboutissent un jour à ce que je sois convoqué chez un Juge, éventuellement. Dans la mesure où cela devient plus que probable, j'en tire les conséquences.

M. Cotta : L'instruction a été ouverte en février 1994. Depuis février, rien n'était de nature à vous faire démissionner avant ?

A. Carignon : Rien.

M. Cotta : C'est le ministre de la Justice qui vous a dit que votre affaire arrivait ?

A. Carignon : Absolument pas.

M. Cotta : Comment l'avez-vous su ?

A. Carignon : Quand on est cité plusieurs fois dans une instruction qui s'est accélérée, il n'y a pas d'autres solutions, du point de vue juridique, du point de vue d'un fonctionnement normal de la justice, dans un État de droit, dans lequel on ne veut pas intervenir, qu'à un moment ou à un autre je sois entendu sur ce dossier. Je souhaite d'abord m'y préparer. Ensuite, je souhaite le faire comme un citoyen comme les autres. Ensuite, je ne souhaite en aucun cas qu'une sorte de tohu-bohu médiatique vienne, par le fait qu'un ministre soit en exercice, quelle que soit la raison.

M. Cotta : Il y en a un, ce matin !

A. Carignon : Ce n'est pas la même chose qu'un ministre en exercice soit convoqué chez un juge plutôt qu'un simple citoyen. Un homme public n'est pas un citoyen comme les autres : il a plus de devoirs qu'un autre.

M. Cotta : Le juge Courroye vous reproche d'avoir attribué le marché des eaux de Grenoble à la filiale de la Générale des Eaux qui a renfloué par ailleurs le journal qui a soutenu votre municipalité.

A. Carignon : Je ne sais pas ce qu'il me reproche. Sur les journaux, s'il s'agissait d'un groupe de presse et de journaux électoraux, en 1988, ce serait amnistié. Ce n'est pas le cas. Ce n'est pas vrai. Donc, je ne dirai que ce sont des journaux électoraux pour bénéficier de l'amnistie. Deuxième point : la gestion privée du service des eaux de Grenoble. Ce service des eaux peut être donné à trois sociétés, la Générale, la Lyonnaise ou Bouygues. Que n'aurait-on pas dit si je l'avais donné à Bouygues, par exemple ? Il a été, comme neuf dixièmes des villes de France, attribué à l'une des grandes sociétés françaises et internationales. Il l'a été dans des conditions de transparence absolues. Le conseil municipal a été réuni deux fois. Le tribunal administratif s'est prononcé et a même émis un jugement favorable. Le Conseil d'État s'est prononcé et a confirmé le jugement du tribunal administratif. La Chambre régionale des comptes de la région Rhône-Alpes a contrôlé cette période. À aucune de ces étapes, il a été indiqué qu'il y ait eu des procédures contestables.

M. Cotta : Le premier conseil municipal a été houleux.

A. Carignon : Les deux. Dans toutes les villes de France, quand l'opposition voit qu'un maire décide de confier la gestion d'un service d'eaux à une société privée, l'opposition s'y oppose. Quand c'est la gauche qui le fait, c'est la droite qui s'y oppose. Quand c'est la droite qui le fait, c'est la gauche qui s'y oppose. Cela donne des moyens d'investissement nouveaux à la ville dont l'opposition veut priver le maire.

M. Cotta : Votre mise en cause remonte aux confidences du PDG de la Lyonnaise des Eaux de l'Isère. Il a dit, en juin, que vous lui aviez demandé de faire un petit effort. Le niez-vous ?

A. Carignon : Ma mise en cause ne remonte pas à cette date. Elle remonte à il y a six ans. Depuis six ans, on veut m'impliquer dans la gestion de ce groupe de presse. Autre élément : on remet en cause mon travail de maire. Un maire, quand il a quelqu'un qui vient le voir, quand il est en difficulté, qui est un collaborateur, qui est un Grenoblois, qui est un chef d'entreprise ou qui est une association, il décroche son téléphone ou fait une lettre. Il intervient auprès d'une banque ou d'une société pour le soutenir. Ensuite, les rapports de cette personne avec cette société, il n'en est pas responsable. S'il en est responsable, cela veut dire que c'est 1 000 fois qu'il faut être convoqué chez le juge. Seuls les maires qui inaugurent les chrysanthèmes n'auront aucun souci.

M. Cotta : Comment le Premier ministre réagit il ?

A. Carignon : D'abord, je l'ai dit et je le répète, c'est une épreuve qui doit être évidemment personnelle. Elle doit être pour ma famille, pour moi, pour mes amis et je ne dois pas la faire partager ni au Premier ministre, ni au gouvernement, parce qu'ils ont autre chose à faire de plus important. Permettez-moi de dire, puisque je suis hors du gouvernement, et peut-être que vous m'entendrez mieux, qu'ils le font bien parce qu'ils s'occupent de notre pays avec beaucoup de qualités et beaucoup de talent. Notre pays est en train de redémarrer grâce à cette politique. Je le dis maintenant que je suis à l'extérieur, en espérant peut-être mieux encore être entendu. Deuxièmement, c'est vrai, j'ai été touché par la confiance du Premier ministre qui m'a rapporté les propos du président de la République. Je ne les rapporterai pas.

M. Cotta : Il a été plutôt aimable ?

A. Carignon : Oui, mais simplement j'ajoute que sa décision m'a touché, en confiant l'intérim du ministère de la communication à N. Sarkozy parce qu'au fond, pendant cette période, c'est une décision de confiance.

M. Cotta : B. Tapie avait démissionné de son mandat, il y a juste deux ans, Il a retrouvé son poste après avoir eu un non-lieu. Vous espérez le même traitement ?

A. Carignon : J'espère que cette période, cette difficulté et cette épreuve seront une parenthèse un jour et un mauvais souvenir.

M. Cotta : En mai, la Cour régionale des comptes Rhône-Alpes avait épinglé la dérive financière du golf 18 trous de Grenoble.

A. Carignon : Ce n'est pas le golf de Grenoble mais de l'agglomération grenobloise, c'est le syndicat de l'agglomération, je ne le préside pas et je n'en suis pas le gestionnaire.

M. Cotta : L'attitude sur l'attribution, sans appel d'offre, du traitement des ordures de Grenoble à une société, la Lyonnaise aussi ?

A. Carignon : Agglomération grenobloise, syndicat de l'agglomération, 23 communes socialistes, communistes présidées par un élu local qui n'est pas moi, où je n'exerce aucune responsabilité, décision prise à l'unanimité.

M. Cotta : Les écologistes grenoblois demandent que vous démissionniez de la mairie, pas votre majorité. Qu'allez-vous faire ?

A. Carignon : L'écologiste qui le demande est lui-même mis en examen depuis plusieurs mois.

M. Cotta : Et il n'a pas démissionné ?

A. Carignon : Toujours pas ! Il faut s'appliquer les leçons à soi-même, d'abord, avant de les donner.

M. Cotta : Que pensez-vous de la justice, de P. Courroye ? Votre attitude doit-elle faire jurisprudence ?

A. Carignon : Il y a sûrement des juges qui commettent des excès. Il y a sûrement des hommes politiques qui commettent des excès. Nous sommes un grand pays, bien administré, avec une autorité politique reconnue.

M. Cotta : Vous ne me direz pas de mal de P. Courroye ?

A. Carignon : De personne, parce que je souhaite que dans mon pays auquel je crois, à son fonctionnement, au respect de l'État, à l'indépendance de la justice, tout cela fonctionne normalement. Au fond, la situation d'être entendu est de devoir s'expliquer, c'est une situation normale. Je souhaite simplement que mon attitude ni ne réveille la haine du politique ni ne mette le doute sur la justice. C'est avec cet acte un fonctionnement normal de la démocratie que je souhaite conforter.

M. Cotta : Ça va faire jurisprudence ?

A. Carignon : Je vous parle pour moi. Cela me suffit.


Libération : Lundi 18 juillet 1994

Libération : Quand avez-vous pris la décision de démissionner ? Et pourquoi ?

Alain Carignon : Il y a environ une semaine. Elle est tout à fait normale. Je suis cité dans une procédure judiciaire. Je redeviens un citoyen comme les autres. Pas tout à fait d'ailleurs puisqu'en tant qu'homme public, j'ai plus de devoirs que de droits. De plus j'ai l'honneur de participer à ce gouvernement chargé de rénover et de redresser la France. Tout ce qui peut faire échouer cette politique doit être évité. J'ai naturellement prévenu aussitôt Édouard Balladur de mon choix. Cette épreuve dans laquelle je suis engagé est d'abord personnelle et je n'ai pas à la lui faire partager. Le gouvernement a d'autres choses plus importantes s'occuper.

Libération : Que vous a-t-il dit ?

Alain Carignon : J'ai été touché par sa confiance et les propos que lui a tenus à mon égard le président de la République. J'apprécie aussi la décision du Premier ministre de ne pas me remplacer et de confier l'intérim du ministère de la Communication à Nicolas Sarkozy, le ministre du Budget.

Libération : Pour vous entendre, le magistrat instructeur devait d'abord obtenir l'autorisation du Conseil des ministres, après que (...) l'eut demandé à la chancellerie.

Alain Carignon : C'est vrai. Pour qu'un ministre soit entendu comme témoin, il faut l'accord du Conseil des ministres. Mais pour être mis en examen, ce n'est pas nécessaire.

Libération : Revenons au fond de l'affaire, ce renflouement par la Lyonnaise des Eaux d'un déficit de 6 millions qu'aurait accumulé Dauphiné News pendant la campagne des municipales de 1989. Un coup d'éponge rentable puisque certains affirment que la Lyonnaise des Eaux a obtenu ensuite, pour une de ses filiale, la gestion de la distribution de l'eau de Grenoble.

Alain Carignon : Depuis six ans, on veut me mêler à la gestion de ce groupe de presse constitué par un de mes anciens collaborateurs. Avant de me connaître, en 1983, il avait lancé des journaux. Et il en a lancé bien d'autres depuis. Il a rassemblé sur son projet, comme le font tous les patrons de presse, des investisseurs économiques. On dit que je l'aurais aidé à les trouver pour en tirer un bénéfice personnel. En fait, on me reproche d'avoir fait mon métier de maire. Quand une association, un chef d'entreprise m'entretiennent sur un projet, que je trouve bon, je décroche mon téléphone ou j'écris une lettre de recommandation pour les aider. Est-ce que je suis responsable, ensuite, de ce qui se passe après ? Si c'est oui, alors c'est mille fois que je devrais être convoqué pour être entendu. Et dans ce cas, seuls les maires qui passent leur temps à inaugurer les chrysanthèmes ne le seraient pas. Dernièrement, je suis intervenu pour une société, la SCI, à trouver des investisseurs. La ville l'a aidée et je lui ai envoyé ensuite les candidatures de 250 personnes demandeurs d'emploi. Est-ce que je suis pour autant lié à cette entreprise ? Si une telle affaire faisait jurisprudence, elle conduirait les maires à se croiser les bras.

Libération : Mais là, c'était des journaux électoraux !

Alain Carignon : Ce n'est pas vrai. S'ils l'étaient, l'affaire aurait été amnistiée.

Libération : Ils dressaient vos louanges, celles de votre action municipale ou de certains de vos proches.

Alain Carignon : Je l'aurais bien voulu. Je n'ai ni conçu, ni dirigé, ni financé ces journaux. Je suis même intervenu moins que je le fais d'habitude.

Libération : La Lyonnaise des Eaux, après avoir épongé les dettes du groupe de presse Dauphiné News, a bien décroché, en juillet 1989, le contrat de la gestion des eaux à Grenoble.

Alain Carignon : Grenoble, comme les neuf dixièmes des grandes villes, a confié la gestion de son service des eaux à une société privée dans des conditions non dérogatoires au droit commun. Il y a eu deux débats publics au conseil municipal. Le tribunal administratif a été ensuite saisi et a rendu un jugement favorable, confirmé par le Conseil d'État. Même chose pour la chambre régionale des comptes qui n'a fait aucune remarque.

Libération : La Lyonnaise des Eaux n'a donc investi dans ce groupe de presse que par pur mécénat ?

Alain Carignon : 80 % des investisseurs de ce groupe de presse, qui par ailleurs édite depuis une vingtaine de journaux, ne travaillaient pas et ne travaillent toujours pas avec la ville de Grenoble ou le conseil général de l'Isère.

Libération : Le groupe Bouygues aurait aidé à renflouer la Serepi-Serecom-Dauphiné News ?

Alain Carignon : Je n'en sais rien car je ne me suis jamais intéressé à la gestion du groupe et je n'ai rien sollicité.

Libération : Oui, mais il a trouvé ses intérêts à TF1 après le vote de votre loi qui autorise un même groupe à détenir jusqu'à 49 % du capital d'une entreprise de communication.

Alain Carignon : On peut tout dire, tout soupçonner, à savoir qu'en 1988 il aurait été, décidé que je deviendrais ministre de la Communication en 1993. Face à la rumeur, je ne peux pas répondre. Comment, dans le monde du multimédia et de la mondialisation, ces télévisions et ces journaux pourraient-ils faire face à une telle concurrence si on ne leur en donne pas les moyens ? Ce fut la seule raison de cette loi. Votre question démontre, s'il en était besoin, les dérives auxquelles on aboutit, d'autant plus que d'autres groupes de communication sont concernés par cette loi.

Libération : Votre démission ne va-t-elle pas alimenter ces soupçons, ces rumeurs ?

Alain Carignon : Je n'ai pas à rougir de mon action. Je suis cité dans un dossier. Ce n'est pas infamant. Je dois m'expliquer, c'est naturel. Et mon souhait, c'est que le gouvernement ne soit pas mêlé à cette affaire. Elle dure pour moi depuis six ans. Ce n'est pas drôle, d'autant plus que jusqu'à présent seuls mes détracteurs ont pu se faire entendre.


RMC : Lundi 18 juillet 1994

D. Rey : L'affaire Dauphiné News, pour laquelle vous êtes cité comme témoin, vous poursuit depuis six ans ?

A. Carignon : Oui et je n'ai jamais pensé que la rumeur, les dénonciations anonymes, tout ce qui avait pour objet de me mêler à la gestion de ce groupe de presse, gestion dans laquelle je ne suis jamais intervenu, jamais je n'aurais pensé que cela aboutisse un jour à ce qu'un juge m'entende. Ceci étant, nous sommes dans un pays démocratique, dans un État de droit et je pense que les hommes publics, doivent être les premiers à se soumettre aux explications qu'on leur demande.

D. Rey : Cette décision de démission, on vous l'a demandée, vous l'avez prise vous-même ?

A. Carignon : Je l'ai prise seul, je l'ai maintenue, parce que je comprends que, dans le fonctionnement de la justice, on doive entendre quelqu'un et le mettre en examen, c'est à la justice de décider. Mais par contre, je ne comprendrais pas que le gouvernement puisse en souffrir d'une manière ou d'une autre. Quand, il y a 14 mois, le Premier ministre m'a fait l'honneur de m'associer au gouvernement de la France, c'était pour redresser le pays, c'était pour le réformer. Ceci est bien engagé, je ne voudrai pas gêner cette action gouvernementale et je souhaite que cette épreuve soit une épreuve personnelle, qu'elle soit vécue par moi et que le gouvernement soit épargné.

D. Rey : En dehors des raisons morales, le précédent de B. Tapie, qui avait quitté ses fonctions de ministre de la Ville, a-t-il joué comme un précédent obligatoire ?

A. Carignon : Je ne sais pas, en tout cas ma décision est personnelle, elle a été approuvée par le Premier ministre qui m'a manifesté sa confiance et cela me suffit.

D. Rey : Cette affaire concerne des marchés publics de la ville de Grenoble, avez-vous l'intention de démissionner de votre poste de maire ?

A. Carignon : Comme les neuf-dixièmes des villes de France, la ville de Grenoble a décidé de charger une société privée de gérer son service des eaux, et il y a trois sociétés auxquelles ce service peut être confié : La Lyonnaise, La Générale, Bouygues. Ensuite, nous avons décidé cette gestion privée par une procédure conforme au droit commun, par deux réunions du Conseil municipal publiques et contradictoires, le tribunal administratif a été saisi et il a porté un jugement favorable, le Conseil d'État a eu un appel, il a confirmé le jugement et la Chambre régionale des comptes n'a fait aucune remarque particulière. Il s'agit donc d'un contrat qui a été effectué dans la transparence la plus absolue. La deuxième question concerne mon mandat de maire et de Conseiller général, on est nommé ministre, on est élu maire et Conseiller général. Depuis 15 ans que je suis élu à Grenoble, les Grenoblois en ont beaucoup entendu et des rumeurs de toutes natures. Jusque-là, ils m'ont maintenu leur confiance.