Texte intégral
Q. : A. Juppé a dit hier qu'il n'y avait pas de solution militaire possible pour Goradze alors que faire en Bosnie ?
R. : Cela ne veut pas dire à mon sens qu'il ne doit pas y avoir, comme cela a été le cas à Sarajevo, une nouvelle forme d'ultimatum. On ne peut pas imaginer que la population de Goradze soit purement et simplement livrée à des représailles terribles car cela serait alors une tache indélébile pour la communauté des nations occidentales. J'ose espérer que le Conseil de sécurité de l'ONU, ce soir, l'OTAN, vont, par la menace, dissuader les Serbes d'aller plus loin et plus gravement encore à l'encontre du respect des Musulmans de Gorazde.
Q : Par la menace ?
R. : Il y a eu des frappes très sélectives, il y a encore des moyens. D'autant plus que les Russes, aujourd'hui, ont eux-mêmes rejoint l'ensemble des nations occidentales pour admettre que la conduite serbe est inadmissible. À partir de là, il faudra se poser le problème des modes d'intervention de l'ONU. Que fait l'ONU ? Doit-on tout faire à la fois ? L'humanitaire, le diplomatique, le militaire. Est-ce que les modes d'intervention de l'ONU ne doivent pas être plus clairs ? Quand on fait du militaire, on ne doit pas se limiter à l'accompagnement humanitaire des agresseurs.
Q. : M. Rocard a déclaré vouloir l'Europe de l'emploi et de la solidarité, quelle Europe voulez-vous, J. Barrot ?
R. : C'est bien d'afficher l'Europe de l'emploi et de la solidarité mais il faut trouver les chemins qui mènent vers l'emploi. Nous pensons qu'il faut une France forte dans une Europe qui soit rayonnante et qui permette à la France de pouvoir disposer d'un levier. L'Europe que nous voulons c'est une coopération beaucoup plus étroite entre les technologies, les recherches, notamment de la France et de l'Allemagne. Ce que nous voulons, c'est la possibilité pour l'Europe, enfin, de trouver les moyens de conduire le jeu international et pas de se trouver à la remorque des Américains. Pour ceci, cela implique une certaine image de la France. C'est pour cela que le débat européen ne peut pas être uniquement un débat sur l'Europe. C'est aussi un débat sur nous-mêmes. Quelle France voulons-nous ? Une France solide, courageuse, qui accepte l'ouverture au monde et qui en même temps se donne les moyens de la réussir. Je veux que cette élection européenne soit aussi, pour les Français l'occasion de savoir s'ils acceptent le déclin d'une France repliée sur elle ou, au contraire, s'ils préfèrent une France qui ne baisse pas les bras et qui, à travers l'Europe, va essayer de retrouver dans le monde des positions commerciales et économiques qui se traduiront en termes d'emplois. Voilà la vraie question.
Q. : N'est-ce pas aussi beaucoup de politique intérieure ?
R. : Mais de la politique intérieure au sens le plus noble du terme. Quelle image voulons-nous donner à notre pays ? Quelle France voulons-nous laisser à nos enfants ? L'Europe est encore une fois le levier qui permet à cette France de s'affirmer.
Q. : Lors de la comptabilisation des voix, la listes de P. de Villiers doit-elle être comptabilisée ou non dans le score général de la majorité ?
R. : Ce qui compte, c'est ce que la liste RPR-UDF va faire car c'est elle qui porte l'espoir d'une majorité qui, l'année prochaine, devra permettre à une nouvelle présidence de la République de s'ouvrir sur des options claires et avec une cohésion dont la France a besoin au sommet de l'État. Je dis donc aux électeurs que notre problème primordial est que la liste RPR-UDF affirme l'unité du projet majoritaire pour l'Europe et pour les présidentielles. On ne prépare pas un grand combat comme celui des présidentielles en commençant par se diviser et à entrer dans je ne sais quelles discordes à propos du sort de la France en Europe et de l'avenir de l'Europe.
Q. : Que pensez-vous de la proposition de V. Giscard d'Estaing de ramener le mandat présidentiel de sept ans à cinq ans ?
R. : Je crois qu'il y a lieu de débattre car nous sentons bien que ce septennat n'est peut-être pas adapté, comme il le devrait aux réalités, d'aujourd'hui. Passer à cinq ans, c'est concevable mais il faut en même temps se rendre compte que le mandat présidentiel passe à cinq ans comme celui du Parlement, il y a des nouveaux rapports qui vont s'établir entre le Président du Parlement. C'est donc plus qu'un changement de chiffres, c'est aussi un changement de relations entre le Président et le Parlement, vers un grand régime de séparation des pouvoirs. Chacun ayant plus d'autonomie l'un par rapport à l'autre. Je suis pour que l'on prépare une réforme, sans qu'il y ait urgence. Nous voyons bien que la cohabitation, qui n'empêche pas la France d'avancer, mais qui n'est quand même pas le meilleur moyen pour la France d'aller plus en avant, ce phénomène de cohabitation, il faudrait essayer, à travers cette réforme, sinon de l'éliminer, tout au moins de le limiter le plus possible.
Q. : Doit-on le faire cette année ?
R. : Il me semble qu'un grand débat présidentiel ne peut pas écarter ce problème. Il sera tout à fait opportun d'en parler au moment de la campagne présidentielle. Passer aux actes, je crois que l'on peut s'imaginer que cela se fera après les présidentielles. Tout dépend si les choses sont préparées au non ?
Q. : Etes-vous sorti de votre réunion avec E. Balladur satisfait, enthousiaste ou déçu ?
R. : J'ai d'abord éprouvé le sentiment que députés et sénateurs de la majorité lorsqu'ils se retrouvent ont bien, quand même, conscience que c'est ensemble qu'ils pourront gagner les élections certes, mais plus encore réformer ce pays qui en a besoin. Si nous voulons que sur le plan social ce pays ne se sépare pas, ne se divise pas, il faut que nous soyons très attentifs les uns et les autres à faire évoluer les choses. Nous ne pourrons le faire qu'ensemble. Il ne faut pas que les discordes de personnes viennent perturber ce projet essentiel de la majorité. Le Premier ministre ne peut pas tout faire à un an des élections présidentielles, mais il faut qu'il nous aide, nous, parlementaires ou hommes de terrain, à préparer les réformes qui pourront, après les présidentielles, être menées sur une plus grande échelle. Mais il faut commencer par tester un certain nombre de solutions comme la formation professionnelle des jeunes, ou un meilleur financement des prestations sociales. Je suis un fervent partisan de financer différemment la protection sociale, en réduisant le coût du travail pour obtenir une politique beaucoup plus active de l'emploi. On peut tester cela à partir d'un certain nombre d'expériences, un certain nombre d'accords d'entreprises. Je crois que c'est cet esprit de réforme qu'E. Balladur doit maintenir et qu'il va maintenir. L'accélération se fera par des expériences sur le terrain, beaucoup plus que par des textes nombreux et variés.
Q. : Si la Sofres vous avait choisi, ce soir, dans le panel, à la télévision, quand les Français rencontreront E. Balladur, quelles questions lui poseriez-vous ?
R. : Je lui demanderais comment il espère amplifier cette reprise qui s'annonce et que nous avons maintenant et dont, à travers les chiffres, nous avons une certaine assurance. Il faut l'amplifier et la traduire en emplois. Je lui demanderais donc : quels sont les moyens qui permettront de faire que cette reprise soit celle de tous les Français. Le problème serait que cette reprise n'amène que l'exaspération des intérêts un peu légitimes et égoïstes. Il faut penser qu'à travers la reprise, notre premier devoir sera de réintégrer un plus grand nombre de gens dans le monde du travail, dans une insertion professionnelle et sociale. La reprise sera cette dimension sociale et il ne faut pas la manquer.
Q. : La Commission parlementaire pour le Crédit Lyonnais est en place et vous avez parlé « … d'impératif de discrétion et de secret… »
R. : Il faut bien analyser les raisons qui ont conduit le Crédit Lyonnais à certaines défaillances mais en même temps, il faut se rendre compte que nous devons être responsables. Nous ne pouvons pas affaiblir notre système bancaire français à l'étranger. Vous voyez de quoi on aurait l'air si nous-mêmes, nous étalions sur la place internationale des faiblesses dont il vaut beaucoup mieux faire l'analyse pour pouvoir les corriger à l'avenir.
Q. : Ça veut dire que le citoyen ne saura jamais ce qui s'est passé ?
R. : Il saura certaines choses, mais dans ce type de commission d'enquête, le règlement de l'Assemblée nationale prévoit que, le moment venu, les commissaires qui sont eux-mêmes astreints au secret, choisissent ce qui doit être rendu public pour justement préparer l'avenir et éviter le retour de tels incidents regrettables et ce qui n'a pas besoin d'être découvert, car s'il y a des anomalies, c'est la justice qui doit s'en charger et non la Commission parlementaire.
Q. : Ce qui ne sera pas dit sera le plus important…
R. : Attention, ne confondons pas une commission d'enquête parlementaire et un tribunal, ce n'est pas la même chose. Le tribunal doit sanctionner des hommes et une commission d'enquête parlementaire, doit expliquer pourquoi, à un moment donné, il y a eu défaillance et surtout, pourquoi l'État, principal actionnaire, n'a pas fait ce qu'il fallait pour éviter ces déraillements.