Interview de M. Bernard Tapie, député MRG et président de l'Olympique de Marseille (rétrogradé en deuxième division), dans "Le Journal du dimanche" du 24 avril 1994, sur sa volonté de contre-attaquer les sanctions prononcées contre lui et contre l'OM dans l'affaire OM-Valenciennes.

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Intervenant(s) : 
  • Bernard Tapie - député MRG et président de l'Olympique de Marseille

Média : Le Journal du Dimanche

Texte intégral

Le JDD : Pourquoi avez-vous décidé de faire appel des sanctions qui frappent l'Olympique de Marseille ?

Bernard Tapie : Quand on veut me tuer, je ne meurs pas facilement. Et donc actuellement, on est en train de faire travailler toutes les compétences de nos avocats pour essayer de rectifier le tir. Ce n'est pas ce qui me passionne le plus. Mais il nous reste aussi la voie du sport. Celle qui se règle sur le terrain. L'OM a, à moyen terme, un objectif qui est important : la Coupe de France. Et puis, il y a la fin d'un championnat qu'il faut absolument jouer à fond pour qu'on conserve notre place européenne.

Q. : Et à long terme ?

R. : Et après, eh bien on verra. Ce sera très ouvert en fonction de mes prochains partenaires. Si les partenaires auxquels je pense viennent, il y aura une très grande équipe à Marseille. S'ils sont moins brillants ou moins ambitieux, on aura une équipe capable de défendre ses chances en D2, de remonter tout de suite et pour faire une carrière honorable en Coupe d'Europe.

Q. : Quel est l'avenir de l'équipe de l'OM ?

R. : J'ai changé tous les ans 40 % de mon effectif, et ça ne nous a pas empêchés d'être champions de France. Par conséquent, s'il y a un ou deux joueurs qui n'ont pas envie de tenter l'aventure en D2, de remonter le club dès l'année prochaine, ce ne sera pas pour nous une souffrance insurmontable.

Q. : Et aux marseillais qui crient à l'injustice, qu'est-ce que vous pouvez leur dire sur l'avenir du club ?

R. : Milan a vécu des périodes aussi noires et il n'en est pas mort. Je prétends depuis deux saisons que nous sommes devenus un grand club ; ce qui m'intéresse aujourd'hui c'est sa pérennité. C'est le moment de voir si j'ai réussi à donner à l'OM la dimension à laquelle je prétends. Si la réponse est oui, le club survivra à cette épreuve. Si la réponse est non, l'OM fera comme ont fait Saint-Etienne, Bordeaux, Reims et les autres avants. Il faudra donc être très ambitieux maintenant. Je suis déjà en train de consulter la liste de quelques copains qui sont en Allemagne ou en Espagne, en Italie ou en Belgique puisque c'est là que sont mes meilleurs amis. Car si je veux que l'OM soit compétitif en Coupe d'Europe, il faudra qu'il y ait au moins toutes les deux semaines une rencontre internationale.

Q. : Vous n'êtes donc plus partant ?

R. : Mais je partirai. Je ne pourrais plus être le premier, celui qui identifie le club. Il en faudra un autre. Mais je serai là pour la gagne… En fait le problème est différent aujourd'hui. J'avais moi-même proposé de partir parce que j'avais l'occasion de céder la place à des gens prêts à prendre le club en bon état. Le bon état, c'était le club maintenu en première division, disputant la coupe d'Europe et pour lequel je remettais les compteurs à zéro fin juin. Mais on ne m'a pas fait ce cadeau. On me met le club dans une situation encore plus compliquée. Je ne peux pas laisser le bateau comme ça. Sauf si je trouve des solutions pour compenser ce nouvel handicap. Donc, ou mes partenaires acceptent un sacrifice plus important, ou je trouve une solution complémentaire pour que la situation soit identique à celle qu'ils pensaient trouver. Si aujourd'hui, je ne disparais pas comme j'avais l'intention de le faire, ce n'est pas parce que subitement j'y ai repris goût. C'est tout simplement parce qu'il me faut remettre la main à la pâte. Ce dont je me serais bien passé.

Q. : Mais vous êtes désormais interdit de toute fonction officielle…

R. : On a le droit de m'interdire d'avoir des fonctions officielles au sein du club, c'est-à-dire de représentativité. Mais si ça me fait plaisir de continuer d'apporter mon concours financier, mes relations, mon temps, ma passion, ma dynamique, mon énergie, ce n'est pas Le Graët qui va m'en empêcher. Vous me direz qu'il n'en est pas à une turpitude près.

Q. : Jean-Pierre Bernès, radié à vie, menace de « tout dénoncer ». Qu'en pensez-vous ?

R. : Moi j'ai toujours été très clair : si Bernès a des choses à dire, il ne faut pas qu'il se gêne. C'est le moment ou jamais. Il y a quelques semaines, c'est moi qui avais perdu la mémoire… Je crois que chacun a le droit de s'exprimer comme il l'entend. Avec, en plus, chez lui, un paramètre évidemment redoutable, c'est celui de quelqu'un qui n'a plus rien à perdre. Bernès dit qu'il est dans le football depuis 13 ans. Moi j'y suis depuis six ans. Il est plus ancien que moi. C'est vrai qu'il connaît 95 % des gens du foot. J'en connais, moi, très peu. C'est pour ça que je ne sais pas le contenu de ces menaces. Je m'en doute… Il fait ce qu'il veut.

Q. : Craignez-vous la colère des supporters marseillais ?

R. : Le grand club, c'est un tout : ce sont de supporters qui se tiennent bien, qui arrivent à surmonter leurs crises, leurs déceptions, qui arrivent à contenir leur joie. Un stade, c'est un lieu sacré où les gens viennent manifester leurs sentiments. Il faut que cela continue. Nous devons donc être encore plus vigilants que les autres. C'est pour ça que j'invite tout le monde à rester calme.

Q. : Le Graët a déclaré hier : « Tapie a dit qu'il quitterait le club en mettant les compteurs à zéro, et je le crois. Donc il n'y a plus de problème ». Quel est votre sentiment ?

R. : S'il croit qu'il n'y a plus de problème, il va être déçu. Je dirais que pour lui les problèmes commencent. Et ça n'a rien à voir avec le football. Il y a le président de la Ligue et le président de la Fédération, qui sont, à juste titre ou pas, les représentants légaux responsables du football professionnel et des instances supérieures du foot français. Je suis légaliste, et je m'incline devant les décisions de ces instances. Mais j'estime que Le Graët mène depuis le début une guerre qui n'a rien à voir avec le football. Elle le mobilise personnellement en tant qu'homme. Il en a fait une obsession. Par conséquent, je vair relever ce défi-là. Et Le Graët je vais le combattre personnellement, en dehors de ses fonctions, parce qu'il a un comportement que je juge inadmissible. Je vais de toutes mes forces et sans relâche, avec le peu de moyens que j'ai, combattre ce personnage. Comme je l'ai fait, toujours ouvertement, avec le responsable de la Ligue de football, que je respecte, et pour qui je n'ai pas avoir de sentiments.

La goutte qui a fait déborder le vase, c'est la déclaration de M. Le Graët sur le football français, au cours de laquelle il dit : « Tapie doit partir ». C'est légitime, même si c'est désagréable à entendre. Mais pour qui se prend-il quand il appelle trois fois Dassier, deux fois Mougeotte, une fois Le Lay pour dire que c'est anormal que je participe à l'émission avec Guillaume Durand ? Car là il n'est plus dans ses fonctions de responsable du football. Et il montre que son problème avec Tapie n'a plus rien à voir avec le foot.