Déclaration de M. Jean Puech, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur le développement de la production des biocarburants, Tours le 9 mai 1994.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Jean Puech - Ministre de l'agriculture et de la pêche

Circonstance : Premier forum européen sur les biocarburants, à Tours le 9 mai 1994

Texte intégral

Madame le Commissaire, 
Monsieur le Président, 
Messieurs les Députés, 
Messieurs les Présidents, 
Mesdames, Messieurs,


En choisissant Tours pour organiser le Premier Forum Européen des biocarburants, l'ADEME a pris une initiative heureuse et légitime à bien des égards.

Depuis maintenant plusieurs années, l'attention des chercheurs, des professionnels mais aussi des responsables politiques s'est portée sur l'ensemble des usages possibles pour les produits vivants que sont les produits de l'agriculture ou de la sylviculture. Une question fondamentale sous-tend en réalité cette attention : comment peut-on valoriser au mieux notre espace ?

Ce sujet n'est évidemment pas hexagonal. Abordé dans l'Union Européenne et même au-delà, il justifie qu'un point soit fait dans un cadre assez large, de manière à permettre une confrontation des expériences et des recherches menées dans de très nombreux pays.

L'Union européenne est bien évidemment conduite à se pencher avec d'autant plus d'acuité sur les utilisations non alimentaires des productions agricoles que la réforme de la PAC, conduisant à limiter les surfaces cultivées, a poussé à la recherche des alternatives à la jachère. L'organisation d'un forum européen est par conséquent tout à fait bienvenu et je salue cette initiative de l'ADEME.

Qui dit utilisation non alimentaire de productions agricoles dit aujourd'hui, de manière non limitative mais néanmoins majoritaire, usage énergétique : les biocarburants, les biocombustibles, peuvent, à partir de sources très diversifiées, venir alimenter moteurs et chaudières, et se substituer ainsi aux énergies fossiles traditionnelles.

Vos travaux permettront sans aucun doute de mieux apprécier l'importance que peuvent prendre ces nouveaux produits dans le bilan énergétique de nos pays européens : Ils permettront également de mettre en lumière l'impact sur l'environnement des cultures de base et des produits finis.

Ces deux aspects, est-il besoin de le souligner, justifient totalement qu'une agence nationale simultanément chargée de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie apporte une contribution active à l'information comme à la réflexion sur ces thèmes, en organisant un colloque sur les biocarburants.

Enfin, le choix de Tours pour ce colloque est lui-même judicieux. La douceur des bords de Loire, la proximité de Paris, la commodité des moyens modernes de transport, et la capacité d'accueil bien connue de la capitale de la Touraine ne sont pas seules à expliquer, Mesdames et Messieurs, votre présence ici-même.

Depuis longtemps, Tours, sous l'impulsion d'une équipe municipale désireuse de manifester concrètement les solidarités qui unissent la ville et son environnement agricole, a développé une politique active dans le domaine des biocarburants. M. le ministre Royer, dont les préoccupations d'environnement sont bien connues, à très vite fait en sorte que les biocarburants soient utilisés dans les transports publics municipaux, contribuant ainsi à l'émergence d'une filière alors naissante et dont nous espérons tous le développement. Qu'il en soit ici vivement remercié.

Le développement des biocarburants, le Gouvernement s'est largement employé à le permettre : depuis la constitution du Gouvernement de M. Balladur, nous avons multiplié les Initiatives dans le domaine des biocarburants afin d'ouvrir des perspectives à notre agriculture.

Au programme sans précédent entrepris, va s'ajouter aujourd'hui un autre volet, tout aussi prometteur, dans le domaine de la recherche et du développement, ainsi qu'y incitait du reste le rapport Lévy.


1. – UNE ACTION GOUVERNEMENTALE RÉSOLUE

La réduction des surfaces cultivées, liée à l'obligation de gel des terres Imposée par la PAC, constitue une contrainte particulièrement lourde pour nos agriculteurs.

Brutale par son ampleur, la mise hors culture de près de 1,5 million d'hectares en France a constitué un véritable choc pour les agriculteurs peu habitués à laisser inemployée une partie de leurs capacités de production.

Par ailleurs, la mise en jachère des terres s'est également traduite par une modification importante de l'économie rurale (diminution des collectes de graines, réduction des engrais et produits phytosanitaires…). Elle a fait apparaître des surcapacités industrielles notamment dans le secteur de la trituration.

Enfin, si la multiplication des « friches » transforme d'ores et déjà le paysage agricole, elle suscite les réactions négatives du monde rural et de la population dans son ensemble.

Face à l'ensemble de ces conséquences, le Gouvernement a délibérément fait le choix d'une alternative intelligente à la jachère nue : la jachère industrielle. Notre action s'est exercée et s'exerce encore, à Bruxelles comme en France.

À Bruxelles, nous avons obtenu que la production agricole à des fins non alimentaires soit possible sur jachère. J'ai moi-même obtenu une revalorisation Importante, de l'ordre de 27 %, des primes versées parie FEOGA dans ce cadre et que la culture de betteraves soit autorisée sur jachère.

Nous avons également adopté une position de soutien au projet de directive de Madame Scrivener, que je remercie je son initiative, car, adoptée, cette directive offrirait fiscalement un cadre voisin du nôtre aux biocarburants de l'ensemble de l'Union. Il est important que ce cadre puisse être entériné et nous suivons évidemment avec beaucoup d'attention l'évolution de ce dossier.

Nous demandons notamment qu'un lien soit instauré entre la défiscalisation et la provenance ex-jachère des biocarburants qui viendraient à bénéficier de cette mesure. D'autre part, Il nous parait nécessaire que la Commission réfléchisse dès à présent, dans un souci qui combine les préoccupations d'environnement et les objectifs agricoles, à l'élévation réglementaire du degré d'octane, ainsi qu'à l'imposition d'un taux minimum d'oxygène dans le carburant sans plomb. Ces deux mesures conduiraient en effet à favoriser le développement de l'éthanol carburant.

En France, le Gouvernement s'est attaché à élaborer un cadre réglementaire et fiscal favorable au développement des biocarburants, élément indispensable pour permettre la réalisation d'unités industrielles.

En réservant l'exonération fiscale de la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers (TIPP) aux seuls biocarburants issus de terres en jachère, la loi de finances rectificative pour 1993 a traduit le souci des pouvoirs publics de privilégier l'occupation des terres devenues disponibles.

Par ailleurs, ce même texte prévoit la possibilité de garantir, pendant la durée des amortissements, l'environnement fiscal des Industriels qui souhaitent Investir dans la construction d'unités de production de biocarburants en contrepartie d'un engagement des investisseurs sur des objectifs de progrès, notamment en termes de productivité.

Cette loi de finances a également concrètement permis que l'ester méthylique de colza (EMC) soit incorporé au fioul domestique. Ceci multiplie par deux le marché potentiel de ce biocarburant pour les utilisations en chauffage domestique et industriel, tracteurs et machines agricoles et engins de travaux publics.

Enfin, autorisée sur l'ensemble du territoire national depuis le 1er avril dernier, la distribution du mélange gazole-EMC à 5 % sans obligation de marquage à la pompe, devrait permettre d'ouvrir progressivement un marché jusqu'alors presque exclusivement limité aux flottes captives.

Prépondérante dès la première année d'application de la réforme de la PAC, la production de biocarburants mobilisera cette année près de 150 000 hectares.

Les biocarburants constituent ainsi le premier débouché pour les terres agricoles frappées par l'obligation de gel. Tandis que les plantes aromatiques ou médicinales, les plantes destinées à des usages chimiques, et d'autres, se sont développées à un rythme assez rapide, nous avons d'ores et déjà connu une véritable explosion des plantations vouées à la production de biocarburants : 150 000 hectares déjà en terre, 250 000 en 1994/1995.

Et très vite, 360 000 ha, soit près du quart des surfaces mises en jachère en France, pourraient être consacrées aux biocarburants.

À côté de cet environnement règlementaire, l'extension des surfaces agricoles consacrées aux biocarburants doit naturellement être accompagnée de la mise en place d'usines aptes à traiter un volume de production en progression rapide.

C'est la raison pour laquelle 4 usines sont actuellement agréées pour un volume de 134 000 tonnes/an d'ester, autorisation portée prochainement à 160 000 tonnes. Le démarrage à Rouen, en 1995, d'une unité de production de 120 000 tonnes permettra de transformer la récolte de 1995. Une unité équivalente doit également être implantée dans le Grand Est de la France.

En ce qui concerne la production d'éthanol-carburant, elle a concerné 7 000 ha de blé et 3 000 ha de betteraves en 1992/1993.

La réalisation de l'ensemble des projets connus à ce jour pourrait conduire à la mise en culture de 70 000 hectares de blé et 30 000 ha de betteraves à l'horizon de l'an 2000.

Elaboré dans 18 unités pilotes réparties dans 11 départements, l'éthanol est principalement destiné à la fabrication d'Ethyl Tertio Butyl Ether Incorporé à l'essence et au supercarburant.

L'unité Elf à Feyzin est actuellement le seul site agréé pour la production d'ETBE.

Toutefois, deux conventions de progrès pluriannuelles signées le 9 mars dernier entre, d'une part, l'Etat et, d'autre part, la société Total associée à des industriels de l'éthanol (Beghin-Say, Bio-Ethanol, Ethanol-Union) et à des organisations agricoles (CGB, AGPB) ouvrent la voie au lancement de deux nouvelles usines, l'une au Havre, l'autre à Dunkerque.

Au total, toutes ces mesures, et les chiffres que je vous ai indiqués, montrent que le Gouvernement a adopté une attitude dynamique sur cet important dossier. Cette action sans précédent place notre pays au premier rang des pays de l'Union Européenne dans le domaine de la production des biocarburants.

Mais, loin de nous limiter à cet aspect des choses, loin de nous cantonner aux usages actuels, reflets des connaissances actuelles, nous allons mener, et ce sera le second thème de mon intervention…

2. – Un effort vigoureux de recherche

Vous êtes évidemment très conscients, puisque vous avez décidé de vous Inscrire et de participer activement à ce Forum, de l'intérêt de mener des travaux en la matière.

Le rapport commandé en 1992 à Monsieur Raymond Lévy concluait que les perspectives de contribution de l'agriculture à la fourniture d'énergie sous forme de biocarburants ou de biocombustibles représentaient pour l'activité de recherche et développement agricole et industrielle « un domaine encore peu exploré et dans lequel d'immenses progrès étaient à faire ».

Au terme d'une analyse très charpentée, Monsieur Lévy insistait sur le fait que « cette action de recherche et de développement doit constituer, pour l'agriculture, une promesse de développements économiques fondés ».

Il mettait aussi en lumière le fait que si, aujourd'hui, ce ne sont pas des considérations énergétiques qui justifient le recours aux biocarburants ou aux biocarburants, Il peut y avoir à moyen terme avantage à ne pas exclure le recours à ces substituts d'hydrocarbures, à condition que leur prix de revient soit abaissé.

D'où l'intérêt que peuvent présenter des travaux visant à élever la compétitivité des biocarburants ou à expertiser l'intérêt économique et technique que peuvent présenter d'autres usages des produits agricoles que les usages traditionnels.

L'importance du sujet, et la pertinence de l'approche de M. Lévy ont poussé les pouvoirs publics à créer un outil qui ait pour fonction de travailler sur cet aspect.

Nous y avons travaillé en étroite concertation avec divers partenaires et je suis heureux de pouvoir aujourd'hui vous annoncer que cet outil existe désormais, sous la forme souple d'un groupement d'intérêt scientifique : AGRICE, AGRICULTURE POUR LA CHIMIE ET L'ENERGIE, qui s'appuiera dans son fonctionnement quotidien sur l'ADEME.

AGRICE associera dans une perspective commune des partenaires privés, des instituts de recherche, des ministères. Il demeure évidemment ouvert à de nouveaux partenaires intéressés, et je fais confiance à celui qui a accepté de présider son conseil de groupement, M. Philippe Mangin, que je remercie très vivement ici, pour fédérer autour d'AGRICE le plus grand nombre possible de membres actifs.

Vous pourrez noter, à l'énoncé des noms des associés fondateurs, qu'AGRICE part déjà avec des atouts importants : aux côtés des ministères concernés (Industrie, Environnement, Enseignement Supérieur et Recherche, Agriculture et Pêche bien entendu), AGRICE mobilise aussi les acteurs essentiels de la recherche dans ce domaine, que sont l'Institut National de la Recherche Agronomique, tant en ce qui concerne la production agricole que la technologie de la transformation des produits, et l'Institut Français du Pétrole pour son savoir-faire dans le domaine de l'énergie et de la chimie.

AGRICE associe également, fait original et très significatif, plusieurs familles professionnelles de l'agriculture, conscientes de l'importance des enjeux pour leurs filières ; sont en effet également membres fondateurs :

– l'Association Générale des Producteurs de Blé (AGPB) qui mène déjà largement une politique de recherche à travers son institut technique l'ITCF (Institut Technique des Céréales et Fourrages) ;

– la Confédération Générale des Planteurs de Betteraves (CGB) qui a déjà été fort active dans la réflexion sur les biocarburants par sa participation aux travaux de la Commission Lévy, à la commission consultative pour les carburants de substitution mais aussi en finançant des recherches ;

– et enfin la filière oléagineux (ONIDOL, SOFIPROTEOL) qui mènent également sur ce thème de nombreuses études prospectives.

Des industriels concernés par l'avenir de notre agriculture, mais aussi clients potentiels des technologies explorées, ont également souhaité être partie prenante : deux très grandes entreprises françaises, Total et Rhône Poulenc, en sont les représentants actuels.

Je n'aurai garde d'omettre parmi les fondateurs l'Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie (ADEME) qui servira de structure d'accueil et d'animation du GIS. Son antériorité dans le domaine des bioénergies et ses compétences humaines comme sa capacité de gestion ont permis très vite d'aboutir à un consensus sur le fait que la coordination des programmes fasse appel à son expérience.

Les travaux menés avec le soutien d'AGRICE seront essentiellement orientés, en cohérence avec les recommandations du rapport Lévy, sur les moyens d'améliorer la compétitivité de la filière biocarburants.

Cette compétitivité pourra emprunter plusieurs voies : amélioration génétique, sélection variétale, mise au point de modes de fertilisation raisonnés plus économes, recherche de nouveaux process industriels, valorisation industrielle des co-produits.

Tous ces sujets peuvent bien évidemment concerner d'autres productions que l'ester de colza ou l'éthanol, le champ d'AGRICE demeurant ouvert à l'ensemble des productions d'origine agricole ou sylvicole.

Le lancement d'AGRICE s'effectue donc dans une optique pluridisciplinaire mais coordonnée.

Ces thèmes de recherche donneront lieu à appel d'offre et pourront faire l'objet de co-financements de la part d'AGRICE jusqu'à une contribution globale pouvant s'élever à 65 MF. Je salue l'effort financier que sont prêts à consentir dans ce cadre les contributeurs privés, puisqu'ils envisagent d'apporter jusqu'à 26 MF à ces actions, le solde l'étant, par des voies diverses, par l'Etat ou des établissements publics. Pour sa part, le ministère de l'Agriculture et de la Pêche contribue à AGRICE à hauteur de 10 MF.

Je suis convaincu, Mesdames et Messieurs, que les diverses sessions de travail auxquelles vous allez participer auront un intérêt pratique très marqué.

En effet, vos réflexions, vos analyses, les expériences que vous allez commenter seront loin de ne présenter qu'un caractère académique.

Nous sommes, en effet, avec les biocarburants, au début d'un processus tout à fait déterminant, dans le contexte actuel, pour l'évolution de l'agriculture et du monde rural. Notre Intérêt collectif commande l'efficacité dans ce domaine afin que nos espaces, nos paysages, notre environnement puissent conserver leur caractère attrayant que nous leur connaissons.

Tel est l'un des objectifs essentiels que j'assigne au travail d'AGRICE. Ce travail viendra compléter, mettre en perspective pourrait-on dire, l'action que le Gouvernement a voulu engager pour redonner espoir à notre agriculture. Je souhaite que ce travail, que nous jugerons tous à ces fruits, s'inspire de vos conclusions.

Je souhaiterais en terminant vous dire que, pour ce qui me concerne, ces conclusions sont très attendues, et c'est la raison qui me conduit, sans plus longtemps différer vos débats, à officiellement proclamer ouvert ce premier Forum.