Interviews de M. Alain Lamassoure, ministre chargé des affaires européennes, à Radio classique, le 31 mai 1994, à "Sept jours Europe" le 6 juin et à la BBC le 10, sur le couple franco allemand et le fonctionnement de l'Union européenne, sur la révision des institutions communautaires et l'élargissement de la CE.

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Média : Radio Classique - Le Point - Sept jours Europe - BBC - Infomatin

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Interview du ministre délégué aux Affaires européennes, M. Alain Lamassoure, à « Radio classique - Le Point » – Extraits – (Paris, 31 mai 1994) 

Q. : Monsieur le ministre vous êtes très ambitieux pour l'Europe puisque, dans un récent point de vue que vous avez publié dans le Monde, vous dites que l'un des principaux objectifs d'une prochaine réforme de l'Europe doit être de la préparer à accueillir 24 pays environ. Est-ce que ce n'est pas trop ? Est-ce que l'Europe ne pourrait pas mourir de cette obésité ?

R. : Elle risquerait tout à fait de se diluer. C'est pour cela que mon analyse est un peu plus complexe que ce que vous venez de dire. L'Europe – l'Europe au sens de l'Union européenne – a à faire face à deux urgences. Une urgence interne nous devons mieux faire fonctionner l'Europe dans les domaines où on a besoin d'elle et notamment en matière de politique étrangère. J'ai dit, à propos de la Bosnie, que nous avions maintenant une politique commune, mais une politique étrangère ce n'est pas simplement des prises de position en commun, c'est ensuite une exécution commune, y compris la possibilité de recourir à la force, à des moyens militaires. Or aujourd'hui l'Europe n'a pas de moyens militaires propres. Nous devons donc doter l'Europe d'un système de décision efficace et de moyens là où ils lui manquent, par exemple en matière militaire. 

Q. : Cela veut dire quoi concrètement car nous avons une brigade franco-allemande qui est l'embryon de quelque chose? 

R. : Nous avons un corps européen qui va être pleinement opérationnel l'année prochaine, qui aura 45 000 hommes et qui comprend des forces françaises, des forces allemandes et des forces belges (le Luxembourg s'y est joint, les Espagnols sont en train d'y négocier leur adhésion). Nous devons aller plus loin et avoir une véritable force militaire à la disposition de l'Union européenne. Cela c'est l'urgence intérieure. 

Il y a l'urgence externe. Depuis la chute du mur de Berlin, la disparition du communisme, la libération de l'est du continent, nous avons en réalité changé de monde, changé d'époque. Entre l'Allemagne et la Russie existent aujourd'hui 20 nations dont aucune n'était indépendante il y a 120 ans et dont 9 n'ont jamais connu d'indépendance dans l'histoire avant l'année 1990. Ce sont des états désormais libres, démocratiques, encore très instables, à la recherche des sources de leur identité nationale et qui ont à la fois les difficultés de la transition économique et des problèmes de minorités ethniques ou transfrontalières tels que nous en avons perdu le souvenir en Europe de l'Ouest. Ces pays qui demandent à nous rejoindre, nous ne pouvons pas les renvoyer aux calendes grecques. Nous devons donc avoir une politique d'aide de mise à niveau, et savoir que l'Europe dont nous aurons besoin au 21e siècle ne comprendra pas seulement les douze États membres d'aujourd'hui mais plutôt deux fois douze. 

Q. : Y compris la Bosnie, la Serbie et les ex républiques de Yougoslavie ?

R. : Le Traité de Rome a été signé en 1957, il comprend un article, l'article 237 qui dit « ce Traité est ouvert à tous les États européens ». À l'époque on n'imaginait pas que la guerre froide se terminerait rapidement. Elle est terminée. La Hongrie et la ville de Budapest sont aussi européennes, d'après l'histoire et la géographie, que l'Autriche dont nous venons d'accepter l'entrée. Je crois qu'il est raisonnable de considérer que tout état démocratique situé sur le continent européen a vocation à nous rejoindre, à condition naturellement qu'un certain nombre de conditions soient réunies, à la fois économiques et politiques. 

Q. : Vous avez parlé aussi de maintenir un « noyau dur » de la construction européenne. Est-ce que cela veut dire qu'il peut y avoir une Europe à plusieurs vitesses ?

R. : Je crois que oui. Il faut combiner les deux urgences. D'un côté l'Europe à Douze ne fonctionne pas assez bien et de l'autre nous voyons bien que l'Europe va être amenée à s'agrandir. Pas dans les deux ans qui viennent, mais dans une perspective historique qui n'est pas très éloignée. Le risque c'est de sacrifier l'une de ces deux urgences à l'autre. Nous n'avons pas le droit de le faire. Nous n'allons pas sacrifier à l'élargissement l'entente franco-allemande et tout ce qui a été l'acquis communautaire depuis le Traité de Rome. 

Q. : En élargissant est-ce qu'on n'aura pas une multitude de noyaux à l'intérieur de l'Europe ?

R. : Il faut poser deux principes. Premier principe : il faut qu'on se mette d'accord entre pays européens sur le point d'arrivée, sur l'architecture finale de l'Europe : quels sont les sujets que l'on a besoin de traiter en commun ? Deuxième principe : il faut que les pays qui sont prêts à avancer plus vite puissent le faire sans attendre ceux qui ont besoin d'un peu plus de temps. Ce que je propose c'est que dans deux ans, en 1996, lors du rendez-vous que les Européens se sont donné pour mettre à jour le traité de Maastricht, un certain nombre de pays autour de la France et de l'Allemagne proposent d'être, pour ce qui les concerne, les « bons élèves de la classe européenne » et d'appliquer toutes les politiques européennes communes, à charge pour les autres de les rejoindre. C'est une Europe à deux vitesses qui est possible à condition qu'on soit tous d'accord sur le point d'arrivée. Pour y parvenir, les institutions européennes doivent être modernisées et simplifiées parce qu'effectivement, à l'heure actuelle, elles sont mal adaptées pour faire fonctionner une Europe qui n'était qu'une communauté économique à Douze, et elles seront encore moins bien adaptées pour faire fonctionner une véritable Union politique à deux fois douze. 

Q. : Monsieur le ministre, si l'on comprend bien, l'Europe qu'elle soit à douze, à seize à vingt-quatre, continuera à tourner autour de l'axe franco-allemand ? 

R. : Cela c'est une vérité fondamentale qui était vraie il y a trente ans, qui va le rester pendant 300 ans. 

Q. : Vous avez parlé du basculement de l'histoire depuis la chute du rideau de fer, le pôle européen a-t-il plutôt basculé vers l'Est ?

R. : L'Europe est redevenue l'Europe et l'Allemagne reste totalement ancrée dans la construction européenne. De même on ne peut pas dire que la France penche plus au sud depuis l'entrée de l'Espagne dans la Communauté européenne…

Q. : Les liens ne sont pas les mêmes... 

R. : Excusez-moi. Je suis élu d'une région frontalière, au pays basque, et permettez-moi de vous dire que les liens entre la France et l'Espagne c'est quelque chose. C'est une très bonne chose que l'Europe politique puisse avoir en perspective de coïncider avec l'Europe géographique. Les Allemands s'en réjouissent, nous aussi. 

Q. : Pour vous il n'y a pas d'imperium germanique même potentiel à l'Est ? Il n'y a pas de nuages sur le couple franco-allemand ? 

R. : Nullement. Nous sortons du sommet franco-allemand et je puis vous assurer que non seulement il n'y a pas de nuages mais nous avons pris une décision qui est une première dans l'histoire de la Communauté européenne : il se trouve que les hasards du calendrier font que chronologiquement l'Allemagne puis la France vont avoir à assurer dans les deux semestres suivants la présidence de la Communauté européenne. Nous avons décidé d'organiser nos présidences en commun. Ce sera non pas deux présidences successives mais une présidence continue de la mi-93 à la mi-94. Pourquoi est-ce que tout tourne autour de l'axe franco-allemand en Europe ? Parce que si par malheur la France et l'Allemagne étaient en désaccord sur un sujet européen important…

Q. : Comme par exemple la Yougoslavie… Les intérêts franco-allemands ne sont pas toujours similaires…

R. : Il y a eu des divergences d'appréciation au début.

Q. : Graves quand même. 

R. : On s'est retrouvé sur l'essentiel. Depuis que l'actuel gouvernement français est en fonction nous travaillons la main dans la main avec eux sur ce dossier comme sur les autres. S'il y avait un désaccord grave entre la France et l'Allemagne sur ces sujets européens importants, alors il n'y aurait plus une, mais deux Europe. Cela, tous nos partenaires le comprennent et savent qu'ils ont intérêt à ce que l'axe franco-allemand fonctionne bien et constitue le moteur de la construction européenne. 

Q. : Monsieur le ministre, que reste-t-il du traité de Maastricht aujourd'hui ? 

R. : Il s'applique depuis le mois de novembre dernier. C'est la règle du jeu qui s'applique entre les douze Etats européens. Au fond le traité de Maastricht c'est l'équivalent pour les Douze de ce qu'est la Constitution de la cinquième République pour la France. C'est la règle du jeu que nous devons utiliser. 

Q. : Est-ce qu'on joue ? On n'a pas le sentiment qu'on joue. On a plutôt le sentiment que Maastricht une fois voté a été mis, un peu, dans un coin. 

R. : Pas du tout. Sans Maastricht il n'y aurait pas de politique étrangère commune, il n'y aurait pas d'action commune actuellement en Bosnie-Herzégovine. Économiquement, il en reste quelque chose de très important. Les politiques économiques des Douze sont définies en fonction de l'objectif inscrit dans le traité de Maastricht de parvenir à l'union monétaire à la fin du siècle, dans la période 1997-1999. C'est quelque chose qu'on ne rappelle pas suffisamment. Voilà douze États qui ont décidé de subordonner toute leur politique économique et qui sont amenés à prendre des décisions courageuses de rétablissement d'équilibre budgétaire, pour certains d'augmentation des impôts, de réduction des dépenses publiques ou de maîtrise de la masse monétaire, pour parvenir à cet objectif. Le traité de Maastricht est donc en voie d'application. Cela dit, il est incomplet. Le défaut de Maastricht est que l'on a donné de nouvelles compétences à l'Europe sans modifier les institutions. En outre, il a été conçu à une époque où l'Europe n'était formée que de douze États. Depuis, quatre autres États sont en voie d'entrée, l'Autriche et trois pays scandinaves, et les pays d'Europe centrale frappent à la porte. Nous devons donc compléter Maastricht en adaptant les institutions et en sachant qu'il faudra accueillir de nouveaux membres.

Q. : Monsieur le ministre, tout à l'heure vous avez évoqué la date butoir du 1996 et dans l'article du Monde dont nous parlions vous parlez de la nécessité de forger un nouveau contrat fondateur pour l'Europe. Est-ce vous ne regrettez pas au fond que l'élection européenne ne soit pas l'occasion d'en discuter en France ? 

R. : Je crois que votre jugement est un peu fort. C'est le cœur du débat et en tout cas je suis content si à travers « Radio classique » ce genre de proposition peut être développée parce qu'au fond, ce grand rendez-vous de 1996, qui est prévu dans le Traité de Maastricht, va tomber au milieu du mandat des députés européens que nous sommes en train d'élire. 

Q. : Justement. 

R. : C'est un mandat de 5 ans qui commence à la mi-1994. Les grandes questions que nous devons nous poser c'est : l'Europe, à quoi ça sert ? Pour quoi faire ? Et moi ma thèse c'est que, maintenant, la liste des compétences européennes doit être déclarée close. De ce point de vue, le traité de Maastricht est bon. L'Europe doit être mise à profit pour les règles du grand marché économique, pour la libre circulation des personnes et pour la politique étrangère et de sécurité commune. Point. Tout le reste, les Etats-membres peuvent le traiter eux-mêmes. Deuxièmement, l'Europe comment la faire ? C'est le problème institutionnel dont nous avons parlé il faut donner un visage à l'Europe et faire en sorte que l'autorité qui décide soit clairement identifiée par les citoyens et soit en quelque sorte à portée de bulletin de vote, ce qui n'était pas le cas jusqu'à présent. Et enfin l'Europe avec qui la faire ? Jusqu'où ? quelles sont les limites géographiques et politiques de l'Europe? Ce sont les grands sujets qu'il faut traiter à l'occasion de cette élection. 

Q. : Va-t-on vers une Europe à la carte ? 

R. : Je crois qu'il y a deux questions à laquelle chacun doit essayer de répondre. Premièrement est-ce qu'on a besoin de l'Europe ? Face à l'instabilité des pays de l'Est, à la montée de l'intégrisme, à la concurrence sans précédent que nous font les nouveaux dragons d'Asie, est-ce que la France peut se défendre mieux seule ou avec des alliés européens permanents ? C'est la première question. La deuxième, si l'on répond « oui » à cette première question, c'est comment fait-on marcher l'Europe ? Parce que si l'on est un groupe, une équipe, il y a un certain nombre de règles du jeu, et la solidarité est le principe de base. Une Europe à la carte – une Europe dans laquelle chaque État prendrait ce qui lui convient, cela veut dire que par exemple l'Allemagne ne s'intéresserait qu'aux relations avec l'Est, l'Espagne ne s'intéresserait qu'aux relations avec la Méditerranée, l'Italie, qu'aux fonds régionaux européens dont elle est le principal bénéficiaire, l'Angleterre qu'à l'aspect commercial et au libre-échange et tout le monde se mettrait d'accord pour que les opérations de maintien de la paix à l'extérieur soient faites par les Français.

Q. : Vous êtes en train de dire que les Européens n'ont pas les mêmes intérêts fondamentaux ? 

R. : Dans une Europe à la carte, il n'y aurait pas de solidarité et, en réalité, il n'y aurait pas d'Europe. Donc, si nous répondons « oui » à la première question sur le fait que la France, dans les nouveaux dangers du monde actuel, a besoin d'alliés permanents, ses voisins européens, il faut passer à la deuxième question : comment faisons nous marcher cette Europe-là ?

Q. : Certains chefs d'entreprise trouvent que la forteresse Europe est un mythe et qu'on fait preuve d'une certaine naïveté face aux deux grands autres pôles économiques... 

R. : D'abord, nous n'avons jamais dit que l'Europe était une forteresse. Ce sont les Américains et les Japonais qui l'ont dit. Je crois qu'on ne peut pas dire que depuis un an nous nous soyons laissés culpabiliser. Au contraire, la négociation du GATT a montré que quand l'Europe était unie et savait ce qu'elle voulait, elle obtenait plus que les autres. Je citerai un exemple qui est quand même très caractéristique: cette négociation portait notamment sur les droits de douane industriels et tout s'est passé comme si les Américains avaient été contraints, au GATT, de réduire de moitié leurs droits industriels vis à vis de l'Europe alors que les Européens n'ont réduit que d'un tiers leurs droits industriels vis à vis des États-Unis. On voit bien qu'en l'espèce ce n'est pas nous qui avons fait le plus de concessions. D'autre part, en un an je faisais le compte récemment nous avons, nous, la France, obtenu de Bruxelles des pays tiers à mesures anti-dumping, des mesures de rétorsion contre la concurrence anormale de raison d'une par semaine, il y en a eu exactement 54 en un an. Nous avons par exemple obtenu une augmentation de 100 % des droits à l'importation de téléviseurs chinois ou de 30 % à l'importation de téléviseurs japonais, 30 % à l'importation de bicyclettes chinoises, ou, vis-à-vis des chaussures chinoises nous avons obtenu une réduction de 40 % d'une année sur l'autre des importations. Nous abordons les problèmes de commerce international sans aucune naïveté, sans aucun angélisme. De plus, nous avons obtenu ce dont les Américains, au départ, ne voulaient à aucun prix : la mort du GATT qui sera remplacé à compter de l'année prochaine par une véritable organisation mondiale du commerce qui sera un véritable tribunal de commerce avec des juges indépendants qui pourront aider les faibles contre les forts et les honnêtes contre les tricheurs dans l'ensemble du commerce international. 

Q. : Vous prônez également pour cette Europe à bâtir pour le 21e siècle un « droit de sécession » : les pays qui le souhaiteraient pourraient quitter l'Union européenne. Qu'est-ce qui se passerait si, du jour au lendemain, l'Angleterre ou l'Autriche cessaient d'être dans l'Union européenne, par exemple pour la circulation des biens et des personnes ? 

R. : Le problème s'est posé lorsque le Danemark, à l'occasion d'un référendum il y a deux ans, avait voté « non » au traité de Maastricht. On a découvert à ce moment-là que, dans les traités européens, le problème posé par un pays qui ne veut plus avancer avec les autres n'étaient pas réglé. À partir du moment où nous bâtissons un système, dont nous disions tout à l'heure qu'il n'est pas véritablement fédéral ni confédéral mais original, communautaire, qui fait travailler ensemble des nations qui restent indépendantes et souveraines, je crois que le droit de sortir, le droit de divorcer, doit être dans le contrat de mariage. Bien entendu, il faudra prévoir les modalités et également organiser un statut pour un pays qui se mettrait dans cette situation. Mais je suis persuadé que le simple fait que la possibilité existe évitera qu'on y recoure. 

Q. : On pourrait envisager des séparations temporaires ?

R. : On pourrait envisager éventuellement un système dans lequel un État serait mis « au piquet » dans l'hypothèse où il ne respecterait pas ses engagements ou dans l'hypothèse – qu'il ne faut tout de même pas exclure – où il ne respecterait plus les grands principes qui fondent nos sociétés et qui correspondent à nos valeurs communes européennes.

Q. : M. Lamassoure, je voudrais revenir sur un cas anecdotique mais qui a fait couler beaucoup d'encre, l'un des plus éminents patrons français en prison en Belgique, qu'est-ce que cela vous inspire ? Est-ce cela l'Europe judiciaire ? 

R. : Il n'y a pas d'Europe judiciaire parce que jusqu'à présent personne ne l'a voulu et, à ma connaissance, personne ne le propose. Chacun considère que le droit pénal doit rester de compétence nationale comme d'ailleurs le droit civil. Il n'y a pas un droit du mariage européen, il n'y a pas un droit du divorce européen, il n'y a pas de code pénal européen. Cela dit, à mon avis, si l'on veut que le droit européen et le droit des affaires européen soient respectés il faudra prévoir un système de sanctions qui n'existe pas. Mais c'est un problème différent de celui que connaît aujourd'hui M. Pineau-Valencienne.

Q. : Justement sur Didier Pineau-Valencienne. Vous avez été surpris, choqué, vous pensez qu'on aurait pu l'éviter ?

R. : J'ai été surpris. Ceci dit, il s'agit d'un problème de compétence belge et donc je ne me mêle pas des affaires intérieures de nos voisins. Je souhaite que la France soit respectée, que ses institutions soient respectées, que sa justice soit respectée. Je respecte les institutions des pays voisins.


Interview du ministre délégué aux Affaires européennes, M. Alain Lamassoure, à « 7 Jours Europe » (6 juin 1994) 

Q. : La France et l'Allemagne ont pris l'initiative de coordonner leur présidence de l'Union européenne. Que cela signifie-t-il concrètement ?

R. : Le hasard du calendrier a voulu que l'Allemagne et la France prennent successivement la tête de l'Union européenne, la première à partir de juillet prochain, la deuxième à compter de janvier 1995. Nos deux pays, et c'est une première, ont décidé d'en profiter pour assurer une présidence continue, c'est à dire, entre autres, de coordonner l'ordre du jour et le calendrier que nous proposerons à nos partenaires. Un groupe à haut niveau y travaille depuis trois mois, et il va continuer ses travaux.

Sur le plan interne, notre priorité commune est que l'Union européenne contribue efficacement à un retour à l'emploi. Il s'agit de mettre en œuvre le Livre blanc de la Commission européenne sur la croissance, l'emploi et la compétitivité, et notamment les dix grands chantiers que devrait lancer le Conseil européen à Corfou en juin. Notre attention se porte en particulier sur le TGV Est, dont les travaux, côté français seulement, nécessitent quelque 30 milliards de francs. 

Sur le plan externe, notre priorité est le maintien de la paix sur le continent européen. Notre objectif est de mettre en œuvre le plan européen pour la paix en Bosnie présenté à Genève. Tous les dirigeants s'accordent à penser, en Europe comme aux États-Unis, que ce plan est la seule chance pour qu'une paix s'établisse en Bosnie. Sur le plan externe toujours, nous souhaitons mener à bien le Pacte sur la stabilité en Europe, dont la conférence inaugurale vient de se tenir à Paris. Enfin, nous soumettons à Corfou une proposition commune – qui reprend celle de la Commission européenne – pour que les réacteurs de Tchernobyl soient fermés et pour que, en compensation, l'Union européenne, mais aussi d'autres (Banque mondiale, États-Unis, Japon, BERD...) aident à l'achèvement de deux ou trois réacteurs nucléaires sûrs en Ukraine. 

Q. : Il existe aussi des points de divergence entre la France et l'Allemagne, comme l'a illustré le 63e sommet franco-allemand les 29 et 30 mai... 

R. : Ce sommet a d'abord révélé des domaines où un travail en commun important a été effectué. Ainsi, en matière de coopération militaire, nous effectuons un travail encore peu spectaculaire mais qui répond à un changement profond provoqué par la redistribution des rôles entre l'OTAN et l'UEO (Union de l'Europe occidentale). Nous avons mis en place un outil militaire qui sera opérationnel dans un an : l'Eurocorps, fort de 45 000 hommes français, belges et allemands, que nous avons, la semaine dernière, invité à défiler à Paris le 14 juillet prochain. Les Espagnols et les Luxembourgeois sont en train d'étudier les modalités pour y adhérer.

Par ailleurs, nous avons jeté les bases d'une structure commune en matière d'armement qui devrait voir le jour l'année prochaine, et qui préfigurera l'agence européenne de l'armement. Nous nous sommes également entendus pour réaliser en commun un appareil de transport militaire, l'ATF. 

Il y a aussi des domaines où nous avons eu des approches différentes, mais que nous avons réussi à harmoniser. Le ministre allemand de l'Économie, Günter Rexrodt, proposait récemment de revoir tout l'acquis communautaire et de supprimer les règles qui, selon lui, handicapent les entreprises. De notre côté, nous avons accepté le principe de modifier ou d'abroger les mesures pénalisant l'emploi : nous le faisons au niveau national, pourquoi pas au niveau communautaire ? Mais nous avons obtenu, lors de ce 63e sommet, l'accord de Bonn pour que ce travail se fasse sous la responsabilité de la Commission européenne et non par des représentants des États membres. 

Il est un autre sujet sur lequel nous avions des sensibilités différentes et où nos vues se sont rapprochées les relations avec les pays d'Europe centrale et orientale. Nous sommes d'accord pour leur offrir une perspective claire d'adhésion, mais aussi pour remettre la maison en ordre avant leur arrivée la « maison communautaire », avec l'adaptation des institutions communautaires prévue pour 1996, et la « maison Est » où les pays ont souvent hérité de l'histoire, des problèmes de voisinages complexes.

Q. : Vous venez de lancer l'idée d'un « nouveau contrat fondateur » que passeraient entre eux les pays de l'Union européenne à l'occasion de la révision institutionnelle de 1996. Cela n'implique-t-il pas que les pays concernés se prononcent alors clairement sur le sens qu'ils veulent donner à l'Europe ? 

R. : Certainement. Ce que je suggère, c'est que la France et l'Allemagne proposent en 1996 à leurs partenaires un « contrat » rassemblant les pays de l'Union européenne qui le souhaitent au sein d'une entité originale, qui ne serait ni fédérale ni confédérale mais communautaire, et où serait partagée une même vue sur la destination du voyage... Ces pays du « noyau dur » s'engageraient à mettre en œuvre immédiatement les nouvelles politiques, déjà prévues par le traité de l'Union européenne : pleine participation à l'UEO, participation à la troisième phase de l'Union économique et monétaire, coopération judiciaire…

Des rythmes différents pour y parvenir sont envisageables les 24 pays susceptibles à terme de signer cette convention ne pourront certes pas remplir au même moment les objectifs fixés. Mais une Europe à deux vitesses n'est acceptable qu'à condition que l'on soit bien tous d'accord sur le point d'arrivée. Nous ne pouvons accepter une Europe à la carte où l'Espagne ne s'intéresserait qu'à la coopération avec le Maghreb, la Grande-Bretagne à son volet commercial, l'Italie aux fonds structurels, l'Allemagne à la politique de soutien à l'Est… et où tous seraient d'accord pour envoyer des soldats français participer à des opérations de maintien de la paix ! 

Q. : Dans ce vaste débat, la France et l'Allemagne sont-elles encore en mesure de jouer un rôle moteur pour la construction européenne ? 

R. : Après en avoir fait l'expérience personnelle, d'abord au Parlement européen puis au ministère des Affaires européennes, j'en suis totalement convaincu. Si par malheur sur un sujet important, la France et l'Allemagne se trouvaient en désaccord, alors il y aurait deux Europe, c'est-à-dire la fin de la construction européenne. Ainsi, pour conclure le cycle d'Uruguay ou encore éviter le flottement du franc par rapport au DM, un accord franco-allemand a été déterminant.

Et ce rôle moteur, nos partenaires l'acceptent, et ils l'attendent même de manière implicite. Sans pour autant qu'existe un pilotage ou un condominium franco-allemand. Les pays d'Europe centrale, de leur côté, ont compris que le chemin de l'Union européenne passerait par- Paris autant que par Bonn.


Interview du ministre délégué aux Affaires européennes, M. Alain Lamassoure, à « La BBC World Service (Paris, 10 juin 1994) 

Q. : Quels sont à votre avis les problèmes qui vont être posés par l'adhésion d'autres pays à l'Union européenne, surtout des pays de l'Europe de l'Est. On peut même envisager dans quelques années l'adhésion de 20 ou 24 membres ? 

R. : Nous devons faire face à deux catégories de problèmes au niveau européen. Il y a d'abord les problèmes internes, l'urgence interne d'améliorer le fonctionnement à Douze. Par exemple, depuis le Traité de Maastricht, nous nous sommes donné comme objectif d'avoir une véritable politique étrangère commune mais nous constatons que les institutions actuelles ne nous permettent pas d'avoir une véritable politique étrangère. Il faut déjà améliorer nos institutions internes. En même temps, il faut faire face à une deuxième exigence qui est une exigence externe, nous ouvrir aux pays d'Europe centrale et orientale. Depuis que le rideau de fer n'existe plus, que les pays de l'Est du continent ont retrouvé leur liberté, leur souveraineté, ils sont candidats pour entrer dans l'Union et nous ne pouvons pas refuser leur entrée à partir du moment où ils le souhaitent, où ils sont pleinement démocratiques et où ils ont fait le choix de l'économie de marché. Nous devons donc combiner les deux exigences: l'exigence interne, une Europe plus efficace, l'exigence externe, une Europe plus vaste. 

Q. : Est-ce que vous croyez qu'il est possible d'avoir à la fois un élargissement et un approfondissement de la Communauté ? 

R. : Je crois que c'est nécessaire. Pendant de longues années il y a eu un débat au sein de Douze sur le point de savoir s'il fallait approfondir avant d'élargir ou élargir avant d'approfondir. Je crois qu'il faudra faire les deux. La difficulté s'est comment y parvenir. Je crois qu'il faudra faire preuve de beaucoup d'imagination et surtout il faudra admettre que ceci puisse se faire à deux vitesses et que des pays qui sont prêts à aller plus loin, plus vite, dans la construction européenne puissent avancer sans attendre ceux qui ont besoin d'un délai plus important, mais à une condition: c'est que tous, les rapides et les lents, soient d'accord sur le point d'aboutissement final. 

Q. : Le Premier ministre britannique a parlé l'autre jour, lui aussi, d'une Europe à plusieurs vitesses. Est-ce que vous croyez que son idée est la même que la vôtre ou en quoi est-elle est différente de votre idée de nouveaux membres fondateurs ? 

R. : Je crois qu'il sera utile que nous en parlions tous ensembles entre Britanniques et Français et nos autres partenaires aussi. Nous sommes favorables à une Europe à plusieurs vitesses. Nous comprenons que dans certains domaines certains pays aient besoin d'un peu plus de temps par exemple pour la politique étrangère, la sécurité et la défense nous sommes en train de faire entrer dans l'Union européenne des pays qui étaient neutres : l'Autriche, la Finlande, la Suède, et on comprend qu'ils aient besoin d'une certaine période avant de rejoindre notre alliance. Par contre, nous sommes hostiles à l'Europe à la carte. L'Europe à la carte est une Europe dans laquelle chacun choisirait ce qui l'intéresse et laisserait tomber le reste. Or, nous avons besoin d'une solidarité européenne. Dans une Europe à la carte, par exemple, l'Allemagne se concentrerait sur les relations avec l'Est, l'Espagne sur les relations avec le Sud, la Grande Bretagne ne s'intéresserait qu'au commerce international, l'Italie aux fonds structurels dont elle est la principale bénéficiaire et tout le monde se mettrait d'accord pour que ce soient des soldats français qui aillent participer aux opérations de maintien de la paix de l'ONU. C'est une Europe qui ne serait plus une Communauté. Nous pouvons admettre des vitesses différentes à condition que l'objectif soit commun et que, dans un délai raisonnable, tout le monde participe à toutes les politiques européennes.

Q. : Mais en attendant ce jour-là, il me semble que votre idée c'est de parler en effet d'une Europe à deux niveaux, c'est-à-dire qu'il y aurait un groupe qui serait dans des dispositions supérieures aux autres. 

R. : Ceux qui souhaitent aller plus vite (et qui se définiraient d'eux-mêmes). C'est ce groupe que j'appelle les nouveaux pays fondateurs de l'Europe parce que je crois que l'Europe a besoin d'un nouveau contrat fondateur aussi important que l'a été le Traité de Rome au tout début. Ces pays-là décideraient d'appliquer tout de suite toutes les politiques européennes, c'est-à-dire de passer à la monnaie unique européenne en abandonnant leur monnaie nationale, à la politique étrangère mais aussi à la politique de défense en participant à un corps européen de défense et également à la politique de libre circulation des personnes et de politique commune à l'égard des pressions migratoires en provenance de l'extérieur. Ce noyau dur de pays nouveaux fondateurs étant d'ailleurs ouvert à tous ceux qui le souhaitent et qui seront prêts en 1995-1996, puisque c'est le rendez-vous que nous nous sommes donné dans le Traité de Maastricht, à faire ce choix. Avec l'idée qu'ils doivent faire exemple et que dans un délai raisonnable de quelques années les autres pays européens les rejoignent pour exécuter aussi toutes ces politiques.

Q. : Que pensez-vous faire pour la réforme des institutions qui est prévue pour 1996 ?

R. : Nous avons besoin pour faire fonctionner cette Europe, qui comprendra plutôt deux fois douze partenaires que les douze partenaires actuels, d'institutions à la fois plus simples, plus efficaces et plus démocratiques. Ce qui me frappe, par exemple, c'est que lorsqu'une décision impopulaire est prise dans un de nos pays, cela peut arriver, toute l'opinion publique sait qui est responsable: c'est la faute du gouvernement et aux élections législatives suivantes, les Français ou les Britanniques peuvent punir ou récompenser leurs gouvernants. Lorsqu'une décision impopulaire est prise au niveau européen, on dit « c'est la faute de Bruxelles, c'est la faute de la technocratie », on ne parvient pas à identifier clairement une autorité responsable parce que dans les institutions actuelles de la Communauté, les responsabilités sont trop diffuses, le système de décision est trop compliqué. Nous devons simplifier les institutions européennes, clairement identifier ceux qui décident et faire en sorte que ceux-ci soient à portée de vote du citoyen.

Q. : Vous parlez de créer un pouvoir exécutif, comment cela ? En renforçant par exemple la présidence du Conseil des ministres ? 

R. : Oui. Il n'y a pas aujourd'hui de pouvoir exécutif en Europe. Je prends un exemple : la politique étrangère. Nous avons avec un certain courage, nous tous européens, décidé de proposer un plan de paix en Bosnie-Herzégovine. Aujourd'hui, ce plan est d'ailleurs de l'avis général les Américains et les Russes en sont d'accord la seule chance pour le retour à une paix rapide en Bosnie-Herzégovine. Quand il s'agit de l'exécuter et d'aller étudier son application pratique avec ceux qui se font la guerre en Bosnie-Herzégovine, nous n'avons pas une autorité européenne capable de parler au nom de Douze. Concrètement on a vu, à deux reprises, nos douze ministres des Affaires étrangères se transporter à Genève pour rencontrer les représentants des parties qui se battent. Évidemment ce n'est acceptable que dans une période transitoire. On ne peut pas conduire une politique étrangère avec douze ministres des Affaires étrangères, sans ministère, et sans non plus d'instrument militaire pour appliquer sur le terrain cette politique lorsqu'une intervention militaire est nécessaire. Nous voyons bien que nous avons besoin de créer le début d'un véritable pouvoir exécutif.

Q. : Alors, c'est d'un gouvernement fédéral dont vous parlez ? 

R. : J'évite toujours d'employer le mot fédéral parce que l'Europe que nous bâtissons sera toujours une Europe de nations libres et indépendantes. La France n'est pas le Massachusetts comme la Grande-Bretagne n'est pas la Californie. Nous sommes de vieilles nations qui veulent conserver leur indépendance mais qui, en même temps, ont besoin de travailler en commun et de faire un certain nombre de choses ensembles. Par exemple, en matière de politique étrangère commune, je pense que nous avons besoin d'une autorité que nos gouvernements désigneront, que l'on pourra appeler « Secrétaire général du Conseil », « Délégué aux Affaires étrangères » ou qui sera peut-être d'ailleurs la Présidence du Conseil, mais à condition de lui donner un mandat plus long que le mandat actuel qui n'est que de six mois. Il faut deux ans, trois ans minimum. Personnalité ou autorité que l'on pourrait révoquer à n'importe quel moment si elle ne donne pas satisfaction, ou dont on pourrait renouveler le mandat si elle donne satisfaction. Ce n'est pas un système de type fédéral mais c'est un système dans lequel il y a quelqu'un dont la responsabilité est clairement précisée et qui a des comptes à rendre à nos gouvernements et, au-delà de nos gouvernements, aux opinions publiques. 

Q. : Il n'aurait pas de compte à rendre à Parlement européen pour améliorer le côté démocratique de l'Union en donnant plus de pouvoir au Parlement ?

R. : Je pense qu'il faudra donner plus de pouvoirs au Parlement en matière législative. Nous allons dimanche prochain, pour ce qui concerne la France, élire nos représentants au Parlement européen. Ils sont démocratiquement élus. Je pense qu'il faudra que le Parlement européen ait un pouvoir, une participation au pouvoir législatif égale à celle du Conseil des ministres européens. Après tout, les élus du peuple sont les mieux placés pour faire les lois internes de l'Europe, des lois qui s'appliquent à tous les citoyens européens ; il est donc normal que les citoyens désignent ceux qui font les lois en leur nom. Je crois qu'en matière de politique étrangère, par contre, les gouvernements doivent avoir le dernier mot. Ils doivent tous participer à l'élaboration de cette politique étrangère commune. Et si on charge une autorité d'exécuter cette politique étrangère, il faut que cette autorité, cette personne, soit responsable à tout moment devant les gouvernements plus que devant le Parlement européen. 

Q. : Et dans le domaine législatif, qui aurait le dernier mot ? 

R. : Le Traité de Maastricht fournit une voie que nous sommes en train de pratiquer, d'explorer, en définissant un certain nombre de domaines dans lesquels il faut un accord entre le Parlement et le Conseil des ministres. S'il y a un désaccord, nous avons 2 ou 3 lectures, de façon à parvenir à une solution commune. C'est un type de relation que nous pratiquons dans beaucoup de pays d'Europe continentale où le Parlement comporte deux chambres législatives, une chambre basse et une chambre haute. Il faut voir comment fonctionne le Traité de Maastricht. Je suis persuadé, pour ma part, que nous réussirons à trouver des consensus sur la plupart des sujets 

Q. : Comment prendre des décisions dans une Union de 20 ou 24 membres. Je me demande si vous n'avez pas proposé une idée d'Europe à 2 vitesses avec des nouveaux fondateurs, pour éviter les difficultés pour prendre ces décisions ? 

R. : De toute manière, dans le modèle à deux vitesses que j'envisage, au bout de quelques temps on sera 20 ou 24. Il faudra bien décider à 20 ou 24 et donc on n'évitera pas un système de décision à la majorité dans lequel les pays situés dans la minorité sont obligés de se conformer aux choix de la majorité, sauf s'il y a un problème d'intérêt national fondamental, vital, pour un pays qui à ce moment-là devra pouvoir conserver une forme de droit de veto. Mais s'il n'y a pas de système de décision à la majorité, il est clair qu'à partir du moment où l'on est 15, 20 ou 25 autour de la table, on est complètement paralysés. Il faudra donc se soumettre à une loi majoritaire.


Interview du ministre délégué aux Affaires européennes, M. Alain Lamassoure, à « Infomatin » (Paris, 13 juin 1994) 

Q. : On note, un peu partout en Europe, un fort taux d'abstention. Comment analysez- vous le faible intérêt des électeurs européens pour ce scrutin ? 

R. : Le premier phénomène qui a joué, c'est à mon avis la complexité des institutions européennes. Les citoyens connaissent mal le système de décision, ils ne comprennent pas très bien quels sont les pouvoirs du Parlement européen par rapport à ceux du Conseil des ministres et de la Commission européenne. La priorité de la révision institutionnelle qui est prévue pour 1996 devra être de clarifier les institutions. Il faudra, d'une part, donner au Parlement une pleine participation au pouvoir législatif et, d'autre part, donner à l'Europe un visage, c'est-à-dire un véritable pouvoir exécutif dépendant des gouvernements des États membres, alors qu'aujourd'hui la Commission européenne est un pouvoir administratif. 

Q. : C'est dont le manque de visibilité de l'Europe qui explique le désintérêt des citoyens ? 

R. : Oui, en tout cas ce relatif manque d'intérêt. Il y a un deuxième phénomène, propre à un certain nombre de pays, dont la France, qui est le mode de scrutin pour désigner nos représentants au Parlement européen.

Q. : La proportionnelle ? 

R. : Oui, et la proportionnelle dans un cadre national. C'est-à-dire que la France entière est considérée comme une seule circonscription. C'est une prime aux petites listes, voire aux candidatures relativement farfelues, et cela à l'immense inconvénient d'éloigner l'électeur de l'élu. Il est sûr que cela joue un rôle dans le désintérêt. L'élection apparaît plus comme un sondage en grandeur nature que comme le choix de décideurs. C'est pourquoi je propose que la France se dote d'un véritable système démocratique, par exemple dans le cadre régional, ou même en définissant des euro-circonscriptions qui éliraient chacune un député. 

Q. : Pensez-vous, comme l'ancien président du Parlement européen Piet Dunker, que cette faible participation risque de nuire à la crédibilité du Parlement et de ses décisions ? 

R. : Je n'y crois pas trop. L'abstention, cela frappe beaucoup le jour de l'élection, et puis, plus personne n'y pense. Je crois néanmoins que c'est assez fâcheux et qu'il faut tenter à travers les réformes que je viens d'évoquer, de réduire cette abstention. 

Q. : Sur quoi porteront ces réformes ?

R. : Il a été prévu dans le traité de Maastricht qu'on ferait un bilan au bout de trois ans et qu'on réviserait les institutions au vu de l'expérience. Cette adaptation devrait avoir deux grands objectifs : simplifier les institutions pour les rendre compréhensibles et montrer que ceux qui décident en Europe sont à portée des bulletins de vote des citoyens, adapter l'architecture européenne à un ensemble de nations sensiblement plus vaste. Le traité de Maastricht avait été conçu pour les douze pays. Nous avons déjà décidé d'en accueillir quatre de plus et les pays d'Europe centrale frappent également à la porte. 

Q. : Cela veut dire plus de pouvoir pour les grands États ?

R. : Cela veut dire avoir un système de décision qui soit efficace et dans lequel chaque État se sente équitablement représenté. Il faut en particulier, lorsqu'une décision a été prise en commun, que les États désignent un exécutant et que tous les pays soient soumis aux mêmes contraintes. Notamment lorsqu'il s'agit d'opération de maintien de la paix.