Interviews de M. Nicolas Sarkozy, ministre du budget et porte parole du gouvernement, à RTL le 14 mars 1994, France 3 le 16, à "Paris-Match" le 17, France 2 le 22 et Europe 1 le 31, sur les manifestations des étudiants contre le "SMIC-jeunes", les circonstances de retrait du CIP et l'exclusion des jeunes du monde du travail.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Manifestations contre le CIP les 10 et 12 mars 1994-annonce le 30 mars par le gouvernement du retrait du CIP

Média : RTL - France 3 - France 2 - Paris Match - Europe 1

Texte intégral

RTL : Lundi 14 mars 1994

P. Caloni : L'unité syndicale semble se refaire sur votre dos…

N. Sarkozy : Malheureusement, ce n'est pas ce qui va créer des emplois pour les jeunes. Le véritable sens d'une manifestation, de la protestation, c'est le fait qu'à niveau économique de développement égal, la France est le pays qui fait le moins bien pour l'emploi des jeunes. En 1981, il y a un jeune Français sur six qui est au chômage ; en 1993, il y a un jeune sur quatre qui est au chômage. Et la même année 93, en Allemagne, il n'y a qu'un jeune sur 20 qui est au chômage. La question essentielle est : comment donne-t-on du travail aux 750 000 jeunes qui n'ont pas d'emploi ? Voilà le véritable sens d'une mobilisation.

P. Caloni : Est-ce que le CIP n'est pas en train de se vider de son contenu ? 

N. Sarkozy : Sur ces 750 000 jeunes, il y a 690 000 qui n'ont pas de diplôme. C'est cette population. qui est visée par les CIP. C'est ce qui est extraordinaire dans tout cela, c'est que personne n'a manifesté lorsque L. Fabius a créé les TUC. Qu'est-ce que c'est qu'un TUC ? 30 % du SMIC pour être dans une administration sans aucune formation. Aujourd'hui, tout le monde n'a qu'un seul mot à la bouche, et on a raison, c'est le mot « insertion ». Qu'est-ce que c'est que l'insertion pour un jeune ? C'est d'avoir un travail. Qui donne un travail ? C'est une entreprise. Pour une fois on propose à des jeunes un contrat, et non pas un stage, dans une entreprise, et non pas dans une administration, avec une possibilité d'avoir un développement de carrière, de pouvoir s'insérer. Et bien il faut expérimenter cette formule avant même de voir ce que cela peut donner. Enfin, aujourd'hui, le résultat est mauvais en France, puisque s'il n'y avait pas de problème cela se saurait. Tout le monde proteste, mais qui propose quelque chose ? Nous n'avons pas été élus pour regarder les problèmes de la France, mais pour les résoudre. Même quand c'est difficile, même quand cela risque de provoquer des malentendus, et même quand ça provoque des problèmes.

P. Caloni : N. Notat dit qu'au lieu de réduire les charges, on réduit les salaires ?

N. Sarkozy : On fait les deux, pardon de le dire. Dans la loi quinquennale, dont j'observe d'ailleurs qu'il y a quelques mois, quand l'ensemble des observateurs parlaient de la loi quinquennale, qu'est-ce qu'on disait ? Il n'y a rien dans cette loi quinquennale. C'est pas à la hauteur du défi. Et maintenant, il y en aurait trop ? Il y a dix milliards de francs dans le budget 94 pour alléger les charges des entreprises. Aujourd'hui, la priorité est celle-ci : qu'un jeune puisse rentrer en entreprise. Pour cela qu'est-ce qu'on propose ? Qu'un jeune qui n'a pas de formation soit payé à 80 % du SMIC et ait de la part de l'entreprise, soit par le biais du tutorat, soit par le biais d'une autre procédure de formation, la chance d'acquérir un métier. Mais quelle famille française peut, un jour, se plaindre d'avoir un jeune accepté dans une entreprise pour apprendre son métier avec un tuteur où avec une formation interne à l'entreprise plutôt que devoir faire la queue dans les files de l'ANPE ? Est-ce qu'il y a motif à manifestation de ce côté ? Le vrai motif à manifestation, c'est qu'il y a 750 000 jeunes au chômage. Nous devons résoudre ce problème, nous le résoudrons.

P. Caloni : Au départ, 80 % du salaire conventionnel était réservé au Bac+2, et maintenant, c'est le Bac professionnel, et puis le CAP. Vous allez continuer jusqu'où comme cela ?

N. Sarkozy : C'est vrai. Il faut écouter ce qu'on nous dit. Vous avez parlé de recul tout à l'heure. Si dans une démocratie vous vous asseyez à la table de négociations, vous rencontrez les syndicats, les partenaires sociaux et l'ensemble de ceux qui comptent, si vous dites, je ne ferai aucune concession parce que sinon, c'est des reculs, alors vous n'êtes pas en démocratie. C'est vrai que pour les jeunes diplômés, il y a eu un problème. Nous avions considéré qu'on pouvait rendre les jeunes diplômés éligibles au CIP simplement après six mois de chômage, mais bien sûr, on touchait là un symbole, ce qui veut dire que le Premier ministre a décidé très clairement que pour un jeune diplômé, il ne pourra pas être payé au- dessous du SMIC. C'est clair.

P. Caloni : Vous n'avez pas le sentiment d'être un peu lâché par vos propres partenaires, à savoir les députés de la majorité ? 

N. Sarkozy : Non, je n'ai pas le sentiment-là, j'ai un sentiment tout à fait différent. Il est très simple. C'est qu'en France, on adore parler des réformes...

P. Caloni : Vous avez une bonne oreille, non ?

N. Sarkozy : J'ai une bonne oreille, mais je n'ai pas envie de polémiquer sur des sujets de cette nature, dans la mesure où nous avons bien d'autres choses à faire. En France, on adore parler des réformes, on adore les commenter, on adore en discuter, on adore les prévoir, mais lorsque l'on met en œuvre ces réformes, ça pose des problèmes. Nous le savions. D'ailleurs, si nous ne savions pas que c'était difficile de gouverner, surtout dans un pays qui est en crise, comme la France, avec le nombre de chômeurs qui est le nôtre, nous ne serions pas venus aux responsabilités du gouvernement. S'agissant du Premier ministre, cela n'a rien à voir avec le fait de sentir ou pas le terrain. Il a suffisamment l'expérience…

P. Caloni : Il n'y a pas de problème de communication de la part de Matignon ?

N. Sarkozy : Si ce n'était qu'un problème de communication, de couleur de cravate ou de présentation, cela se saurait. La vérité, c'est que dans cette affaire-là, il faut faire évoluer la société française pour lui faire comprendre qu'elle ne peut pas rester en l'état si elle veut résoudre le problème majeur qui la tenaille, c'est-à-dire celui du chômage. Enfin, toutes les mesures traditionnelles ont échoué. Pourquoi voulez-vous que nous refusions avec pragmatisme d'expérimenter ? Et si en France, on se disait que parfois, il vaut mieux expérimenter qu'échouer ?

P. Caloni : Quand J. Chirac dénonce devant l'Assemblée générale des Clubs 89 le conservatisme des responsables, il vise qui ?

N. Sarkozy : Il a parfaitement raison. C'est vrai que les élites françaises, toutes tendances confondues, se voient plus dans un rôle de conservateurs que dans un rôle de réformateurs. Dans cette affaire-là, il me semble que le gouvernement, E. Balladur le premier, engage un mouvement de réformes sans précédent, avec courage, en rencontrant bien sûr des difficultés.

P. Caloni : Vous maintenez le CIP ? Envers et contre tous ?

N. Sarkozy : Ce n'est pas la question d'envers et contre tous. La question que je voudrais poser à tous ceux qui manifestent : faut-il maintenir 750 000 jeunes au chômage ? Faut-il faire quelque chose ? La question n'est pas tant de savoir si nous sommes accrochés au CIP. La question, c'est quelle est la formule pour donner du travail aux jeunes ? Nous proposons celle-ci. Personne ne propose d'autres formules. Si ça amène des résultats, si ça permet de faire régresser le chômage des jeunes, on aura bien travaillé pour la France. 


France 3 : Mercredi 16 mars 1994 

M. Autheman : Déficit de 315 milliards de francs n'aviez-vous pas dramatisé les prévisions pour annoncer ce bon résultat aujourd'hui ?

N. Sarkozy : Ces prévisions ne sont pas les miennes. Les chiffres sont ceux du procureur général auprès de la Cour des comptes. Trois chiffres sont importants : nous avons trouvé un déficit de 343 milliards. J'avais promis, sur instruction personnelle du Premier ministre, que je ramènerais ce déficit à 317 milliards. Aujourd'hui, il est de 315 milliards. Les chiffres parlent d'eux-mêmes.

M. Autheman : Ce déficit est tout de même impressionnant. Quel est votre marge de manœuvre ?

N. Sarkozy : Je ne me satisfais pas de ça. J'ai toujours dit qu'on ne pouvait pas réduire le déficit d'un coup de baguette magique. La totalité des recettes annuelles de l'impôt sur le revenu c'est 300 milliards. Comment voulez-vous que je vienne à bout, avec l'ensemble du gouvernement, de ce déficit d'un seul coup ? Deux choses: nous avons fait très attention à ce que les dépenses de l'État ne dérivent pas. Par rapport à mes prévisions, les dépenses ont augmenté de 0,05 %. Deuxièmement, nous avons une bonne surprise sur les recettes qui témoigne du redémarrage incontestable de l'économie française. Quand la TVA rentre mieux, cela prouve que les consommateurs ont davantage consommé, et cela veut dire que l'économie repart.

M. Autheman : L'argent des privatisations a été utile. On vous reproche de l'avoir utilisé trop facilement pour les dépenses courantes ? 

N. Sarkozy : J'accepte ce reproche. L'argent des privatisations nous en avons fait une tripe usage: 1/ Pour une vingtaine de milliards, nous avons donné de l'argent aux entreprises publiques qui en avaient besoin. 2/ Pour une quinzaine de milliards, j'ai réduit le déficit. Le déficit d'aujourd'hui c'est l'endettement de demain. Et l'endettement d'aujourd'hui, c'est le déficit d'hier. Il est vrai que, pour 9 milliards, j'ai consacré cet argent à engager tout de suite la lutte contre le chômage et pour l'emploi. Qui peut me le reprocher ? Nous avons trouvé une économie en récession pour la première fois depuis 18 ans à situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles.

M. Autheman : C'est demain l'heure de vérité. On n'entend pas beaucoup de voix pour vous défendre, y compris dans la majorité ?

N. Sarkozy : Permettez-moi de revenir sur ce que j'ai entendu (voir passages antenne sur France 3, ndlr). C'est assez étonnant N. Notat, pour qui j'ai du respect, qui est une femme courageuse, qui est une responsable courageuse. Elle dit cela serait un drame que le gouvernement ne prenne pas une initiative sur le CIP. Mais le drame, c'est pas le CIP, c'est pas le gouvernement, c'est 750 000 jeunes au chômage ! Nous avons, en France, un jeune sur quatre au chômage. En Allemagne, il y en a un sur vingt. Le CIP c'est la transposition d'une mesure que connaissent nos partenaires allemands depuis longtemps. Nous ne nous battons pas sur ce principe du CIP !

M. Autheman : Vous le maintenez, tout de même ?

N. Sarkozy : Bien sûr ! Et si le CIP pouvait donner du travail à des jeunes ! Pourquoi n'expérimente- t-on pas ? Pourquoi manifester avant de savoir si cette formule va marcher ? Je ne me contente pas d'avoir, comme une fatalité, le fait qu'un jeune sur quatre soit au chômage. Le drame est là ! Quand je voyais M. Aubry et ses amis ! Avec eux, le chômage a doublé, et le chômage des jeunes a quadruplé, alors franchement !

M. Autheman : Que pouvez-vous répondre aux jeunes qui accusent l'État d'avoir si peu d'ambition pour les jeunes ?

N. Sarkozy : Vous avez raison ! Est-ce que c'est d'avoir peu d'ambition que de dire que, pour un jeune, il vaut mieux avoir un vrai contrat dans une véritable entreprise, que de faire la queue à l'ANPE ? Toutes les anciennes mesures ont échoué. En France, nous sommes les plus mauvais s'agissant du chômage des jeunes. Leur inquiétude, c'est parce qu'on la comprend que l'on a décidé de faire cela. Vous croyez que c'est par plaisir que l'on se met à dos tous les conservatismes de la société française ? Est-ce que vous croyez que c'est par plaisir masochiste qu'on se met dans cette situation-là ?! Toutes les anciennes mesures ont échoué ! Pensez-vous que nous avons été élus pour faire des discours dominicaux sur la jeunesse. , et attendre que ça passe ?

M. Autheman : Quelle que soit l'importance de la manifestation de demain, le gouvernement ne changera pas d'avis ?

N. Sarkozy : Qu'est-ce que ça veut dire ? Cela veut dire que nous avons été élus pour agir, pour réformer, et obtenir des résultats sur la relance de l'économie et la résorption du chômage. Nous avons le choix entre deux solutions : 1/ Continuer comme avant. Les mêmes causes produiront les mêmes effets. Les jeunes continueront à subir des discours dominicaux et le chômage continuera à progresser. 2/ Agir avec courage. Mais quand on agit avec courage, il est sûr que l'on est un peu seul.


Paris-Match : 17 mars 1994

Paris-Match : Une fois de plus, le gouvernement a été contraint de reculer partiellement sur les contrats d'insertion professionnelle, les fameux CIP Balladur ne peut-il donc pas réformer la France qui en a pourtant tant besoin ?

N. Sarkozy : Si on appelle « recul » la concertation, le souci de convaincre et d'écouter, alors, ou allons- nous ! Nous avons maintenu le CIP pour les jeunes sans diplôme et nous l'avons amendé pour les diplômés. Voilà la réalité. Ni plus, ni moins ! J'ai la conviction qu'il est possible de réformer la société française. La meilleure preuve : nous l'avons fait depuis onze mois pour les retraites, pour la fiscalité, pour la justice, pour le contrôle de l'immigration... Mais les réformes ne peuvent passer que si elles sont l'aboutissement d'une évolution collective. Croire qu'un homme charismatique, fût-il chef du gouvernement, puisse réussir seul serait illusoire.

Paris-Match : Peut-être alors le gouvernement a-t-il commis une erreur de communication ? 

N. Sarkozy : Ce serait si commode ! Cette peur du changement est beaucoup plus profonde : la société française sait qu'elle a besoin de réformes, mais elle les craint ! C'est la crise, c'est l'inquiétude qui rend si difficiles les changements. Et pourtant, ils sont nécessaires. Voilà pourquoi le rythme de la réforme est une affaire essentielle. Sans doute le gouvernement a-t-il trouvé le bon rythme puisqu'il est critiqué tout à la fois pour ne pas en faire assez et pour en faire trop. 

Paris-Match : Instaurer les CIP pour des jeunes qui ont passé leur bac et qui ont deux ans d'études à leur actif, ce n'était tout de même pas très gratifiant pour eux ?

N. Sarkozy : Et croyez-vous que, pour des parents, qui ont fait des sacrifices pendant des années pour que leurs enfants fassent des études, il soit gratifiant de les voir sans travail ? Ce qui est intolérable, c'est d'être, à niveau de développement comparable et après onze années de socialisme, le pays qui compte le plus grand nombre de jeunes au chômage. Je vous rappelle les chiffres. La France avait un jeune sur six au chômage en 1981 ; en 1993, il y en avait un sur quatre alors que, dans le même temps, l'Allemagne en comptait un sur vingt. Voilà ce qui devrait nous mobiliser. Quant aux jeunes diplômés, ils souffrent comme les autres de la récession la plus forte que nous ayons connue depuis la guerre, et 60 000 sont aujourd'hui sans travail. L'idée du gouvernement était de leur permettre d'accéder aux CIP lorsqu'ils étaient au chômage depuis plus de six mois. Cela a suscité des inquiétudes. Nous avons considéré qu'il valait mieux adapter la formule du CIP sur ce point plutôt que d'en fermer la porte aux 690 000 jeunes sans qualification aujourd'hui au chômage. Au-delà des polémiques, je pense qu'il vaut mieux offrir un vrai contrat avec une véritable formation et un véritable salaire, dans une véritable entreprise, que de laisser aux jeunes le chômage comme seule perspective.

Paris-Match : Malgré cela, les Français sont de plus en plus inquiets... 

N. Sarkozy : C'est vrai. Face à cette inquiétude, il y a deux réactions possibles : celle du repli qui conduit à l'échec et celle de l'ouverture du pragmatisme. Il y a suffisamment de vraies inquiétudes en France pour ne pas en ajouter d'artificielles. Tout doit être mais en œuvre pour que les portes des entreprises s'ouvrent aux jeunes. Le CIP est l'un de ces moyens. Y avait-il dans cette démarche quelque chose de provoquant ? Ma réponse est clairement non. A-t-on perdu la mémoire à ce point ? Qu'est-ce qui a été fait depuis dix à ce point ? Qu'est-ce qui a été fait depuis dix ans ? Des Tuc. Personne n'était alors descendu dans la rue. Pourtant, les jeunes étaient employés dans des administrations avec 30 % du Smic et sans obligation de formation. Seulement, à partir du moment où c'était l'administration, personne n'a rien dit. 

Paris-Match : Vous poussez un coup de colère contre cet état d'esprit français ?

N. Sarkozy : C'est le perpétuel débat qui, au travers de notre histoire, oppose les forces du changement aux conservatismes de tout bord. J'entends toutes sortes de groupes de pression, de corporatismes, de lobbies s'exprimer. Chacun veut préserver sa petite sphère. Mais qui parle au nom des 750 000 jeunes qui n'ont pas de travail ? Agir pour ceux qui sont exclus du monde du travail, qui n'ont comme seule perspective que faire la queue à l'ANPE c'est ce qu'a voulu faire le gouvernement. Notre seul objectif est simple : faire en sorte tous les jours que chaque jeune puisse être accueilli en entreprise, y apprendre un métier, y vivre de son salaire. Est-ce si condamnable ? Est-ce si révolutionnaire ? Verser des larmes de crocodile ne sert à rien, discourir, pas davantage. Surtout lorsque l'on a, comme les socialistes, été dix ans au pouvoir et accepté sur cette période le triplement du nombre des chômeurs ! Agir même si c'est risqué, voilà quel était notre devoir. Nous l'avons fait.

Paris-Match : Votre idée du tutorat, consistant à donner à ces jeunes insérés dans l'entreprise un parrain expérimenté, n'a pas du tout séduit. Pourquoi ?

N. Sarkozy : Encore un faux débat ! Qu'y a-t-il de plus noble que de devenir tuteur d'un jeune lorsque l'on a soi-même une grande expérience que professionnelle ? Quelle plus belle idée que de transmettre son savoir à plus jeune soi ? En Allemagne, cela existe depuis des années, avec le succès que l'on sait. Or, il se trouve qu'en France le tutorat est suspect. Allez comprendre !

Paris-Match : Le 10 mars, les universités, les LUT, les BTS manifesteront avec la CGT et, le 17 mars, ce sera avec la CFDT, FO et la CFTC. Les étudiants et les syndicats ne désarment pas et espèrent encore vous voir reculer.

N. Sarkozy : Je ne peux pas croire que les gens puissent à ce point se laisser abuser. Qu'y a-t-il de plus dangereux ? Laisser 750 000 personnes au chômage sans perspective ou essayer la formule du CIP ?

Paris-Match : Que pensez-vous de l'idée de Chirac de soumettre à la procédure du référendum toute réforme ?

N. Sarkozy : Je suis pour le principe du référendum. Quoi de plus démocratique que de soumettre au peuple les grands choix de société ? Mais il ne peut devenir un instrument quotidien de gouvernement.

Paris-Match : À propos du choix du candidat pour 95, justement, le gouvernement n'est-il pas gêné par le climat de campagne présidentielle qui règne actuellement ?

N. Sarkozy : La France, après dix ans de socialisme, a perdu suffisamment de temps pour qu'on n'y ajoute pas une année d'inaction préélectorale. Le gouvernement est bien décidé à travailler et à engager les réformes jusqu'au dernier moment. Il ne sera pas dit que ce gouvernement aura fait perdre du temps sur le chemin du redressement de la France.

Paris-Match : Reconnaissez que l'approche de la présidentielle empoisonne le climat politique.

N. Sarkozy : Cela complique les choses, c'est vrai, mais si les Français nous ont donné une si forte majorité, ce n'est pas pour que nous nous perdions dans des querelles aussi néfastes que superficielles.

Paris-Match : Trouvez-vous que la majorité soutient suffisamment le gouvernement ?

N. Sarkozy : Dans son ensemble, oui, la majorité nous soutient dans ses votes, c'est bien le principal. Chaque parlementaire doit être conscient que la reprise qui s'installe a pour fondement le retour de la confiance. Rien ne doit être fait qui puisse l'affaiblir.

Paris-Match : Depuis une semaine, l'étoile de Balladur semble pâlir : sa cote d'amour dans les sondages s'effrite, ses réformes passent mal, sa majorité commence à le bousculer. N'éprouve-t-il pas une certaine lassitude ?

N. Sarkozy : Pourquoi le Premier ministre éprouverait-il de la lassitude alors que les premiers résultats sont là ? La situation économique s'améliore, la négociation internationale du Gatt a trouvé une solution, le gouvernement dispose désormais de moyens de conduire une ferme politique de contrôle de l'immigration... J'ajoute qu'Édouard Balladur reste, et de loin, celui qui bénéficie du plus grand crédit dans l'opinion. L'heure n'est pas aux états d'âme, elle est à l'action. 


France 2 : Mardi 22 mars 1994 

P. Amar : Le décret a été publié aujourd'hui: ce n'est pas une erreur d'imprimerie ?

N. Sarkozy : Ce n'est pas une erreur d'imprimerie.

P. Amar : Il est bien imprimé ?

N. Sarkozy : Il est bien imprimé.

P. Amar : Il est donc appliqué ?

N. Sarkozy : Il est donc applicable.

P. Amar : Vous avez accepté de dialoguer avec des jeunes, alors que vous étiez venu pour parler des élections cantonales.

N. Sarkozy : C'est bien normal. Je ne vois pas, d'ailleurs, au nom de quoi on ne se parlerait pas, en 1994, quand il y a un problème aussi important que le chômage des jeunes. Il est bien normal que le gouvernement dialogue avec les jeunes. C'est le contraire, me semble-t-il, qui serait anormal.

Jeune : À quoi sert le CIP malgré l'évolution « n° 4 », vu qu'il y a le TUC et le CES ?

N. Sarkozy : C'est tout simple. Le TUC a été inventé par nos prédécesseurs, c'est 30 % du SMIC pour travailler dans une administration. Ce n'est pas l'administration qui vous donnera un emploi. Le CIP, c'est un vrai contrat avec une vraie formation pour travailler dans une vraie entreprise. Ce n'est pas quelque chose qu'on a inventé nous-mêmes. Pourquoi on fait ça ? Parce qu'on a été chercher dans le pays qui réussit le mieux à donner du travail aux jeunes. C'est l'Allemagne. En France, un jeune sur quatre est au chômage. En Allemagne, il y en a un sur vingt. Il faut bien que vous vous rendiez compte que, si nous avions le même nombre de jeunes au chômage qu'en Allemagne, il y en a 600 000 d'entre vous qui auraient un emploi. C'est-à-dire qu'on a 750 000 jeunes au chômage. Il n'y en aurait que 150 000 au chômage.

Jeune : Ce n'est pas la solution de diminuer les salaires. Déjà avec le SMIC, on a des difficultés à vivre. Comment voulez-vous qu'on puisse acheter quelque chose pour monter la consommation ?

N. Sarkozy : Le problème qui nous est posé, c'est « est-ce qu'on peut accepter cette situation proprement scandaleuse qui fait de tous les pays européens, la France est le pays qui a le plus de jeunes au chômage. » Je ne vais pas vous dire ce soir, que le CIP est la solution miracle, parce que cela serait mentir. Mais ce que je veux vous dire c'est que toutes les solutions traditionnelles que l'on a expérimenté nous-mêmes et nos prédécesseurs. Vous savez les stages, les formations parkings, tout ce qui a été inventé conduit à 750 000 jeunes au chômage. Il faut bien essayer des formules qui marchent. J'aimerai que l'on m'explique pourquoi cela marche pour les jeunes allemands et ça ne marcherai pas pour les jeunes Français. Qu'est-ce que l'on proposé aujourd'hui ? De faire un Comité de suivi et pour la première fois, on a proposé que les syndicats qui vous représentent suivent avec nous. De deux choses l'une, soit le CIP marche et dans ce cas-là on ne va pas manifester contre quelque chose qui donne du travail aux jeunes. Soit il ne marche pas et dans ce cas-là il ne nuira à personne. Mais peut-on se permettre de ne pas expérimenter cela alors qu'en France la situation est si grave pour le chômage des jeunes ?

Question d'un jeune : Le problème n'est pas là, M. Sarkozy. Le problème est qu'il y a aujourd'hui des personnes qui ont deux salaires. C'est quand même lamentable que la personne puisse toucher une retraite de quelque chose et à côté travailler. C'est quand même grossier. Le problème est notre devenir après un an de CIP. Va-t-on être au chômage ? Quand nous allons entrer dans cette société nous allons pousser les vieux à la retraite ou au chômage ?

N. Sarkozy : Après un an en entreprise, c'est-à-dire un an après le CIP, qu'est-ce que vous allez devenir ? Mais grand Dieu, si on ne vous donne pas la chance de rentrer en entreprise en quoi s'améliorera votre situation ? Le CIP s'adresse d'abord à tous les jeunes qui n'ont aucun diplôme. Tous ceux qui ont un diplôme ne sont pas concernés par le CIP et seront tous payés au minimum à 100 % du SMIC. Mais ceux qui n'en ont pas, si on ne leur donne pas la chance de rentrer en entreprise, comment ils vont faire ? Je ne vous dis pas qu'un an en entreprise avec CIP, c'est la résolution de tous vos problèmes. Mais ceux qui n'ont pas de diplômes, si on ne les fait rentrer en entreprise ne serait-ce qu'une année, quelle est leur chance de s'en sortir ? Je ne dis pas que parce qu'ils auront été pris un an – cela suffira, mais au moins ils auront appris quelque chose, ils auront une référence. Et pourquoi les deux millions de chefs de petites et moyennes entreprises, après avoir investi dans la formation d'un jeune, ne le garderaient-il pas ?

Question d'un jeune : Le problème est que le décret a été revu trois ou quatre fois. On dirait que vous partez de quelque chose qui paraît inacceptable pour les étudiants – c'est-à-dire d'être payé à 80 % du SMIC pour un BAC +2 – puis vous allégez le décret, et enfin nous arrivons au décret qui est paru aujourd'hui dont nous ne connaissons pas exactement le contenu d'ailleurs. On dirait que votre idée est de faire tout votre possible pour voir jusqu'où les jeunes sont prêts à accepter de travailler et, s'ils acceptent, on leur donne. Ce n'est pas très social.

N. Sarkozy : Pour les étudiants, je vous répète qu'il n'y aura pas un seul diplômé qui aura moins de 100 % du SMIC. Pour les autres, ma conviction est que le seul endroit où l'on peut s'insérer et trouver un vrai travail c'est dans une entreprise. Pourquoi ne pas ouvrir les portes des entreprises aux jeunes ? Vous me dites, « mais vous l'avez modifié ». Mais bien sûr, parce qu'il y a eu malentendu, il y a eu des erreurs d'incompréhension. On a modifié de manière à ce que l'affaire des diplômés soit réglée. Pour le reste, qu'est-ce-que nous vous proposons ? Nous vous disons que toutes les formules ont échoué. Est-ce que l'on ne peut pas essayer celle-ci ? Le Premier ministre a demandé que le bilan soit fait le 30 septembre prochain. Je vous dis ce soir que je comprends qu'il y a de l'inquiétude dans un pays où il y a 750 000 jeunes au chômage. Mais est-ce que l'on ne peut pas faire autre chose que manifester, ce qui ne crée pas un emploi. Regarder ce que donne le CIP. Que vos associations rentrent dans l'Observatoire, et de deux choses l'une. Soit cela marche, et dans ce cas-là tant mieux, soit cela ne marche pas et ensemble on cherchera une autre formule. Mais est-ce que l'on va faire avancer la solution de ce problème en manifestant et en prenant le risque qu'il y ait des incidents violents ? Ce n'est pas votre intérêt et c'est encore moins le nôtre.

Question d'un jeune : En parlant des grandes manifestations qu'il y a en ce moment sur Lyon, est-ce que vous pensez que retirer le CIP cela pourrait annuler ces manifestations ? Pour vous, doit-on faire le même raffut qu'en mai 68 pour que vous l'enleviez ? Cet après-midi sur Lyon, ils ont balancé plus de deux cents bombes lacrymogènes sur des manifestants qui ne leur avaient rien fait. Il y a des casseurs et nous n'y pouvons rien. Les CPS n'arrivent pas à contenir les manifestants, comment voulez-vous que le service d'ordre étudiant y arrive. Comment voulez-vous que l'on s'exprime si l'on se fait tirer dessus. Si on nous enlève le droit de manifester à ce moment-là, on n'est plus en démocratie.

N. Sarkozy : On me dit, il y a un risque de mai 68. En mai 68, j'avais 13 ans, j'étais donc trop jeune pour manifester. Simplement, il faut que vous sachiez que cela n'a rien à voir, parce qu'en mai 68 on manifestait pour que l'on ne fasse pas une religion de la croissance. Ils ne voulaient pas qu'on les oblige à prendre un emploi dans la société qu'on leur construisait. J'ai le sentiment qu'aujourd'hui si vous manifestez c'est pour avoir un emploi et c'est donc le contraire. Il faut faire attention aux références, comparaison n'est pas raison. Il y a une deuxième chose que vous devez comprendre.

P. Amar : N. Sarkozy répond un petit mot sur la manifestation et nous reprendrons ce dialogue sur notre chaîne.

N. Sarkozy : Je suis d'ailleurs tout à fait prêt à reprendre ce dialogue en dehors des plateaux de télévision. Juste un mot sur les manifestations : le droit de manifester. c'est un droit imprescriptible en démocratie. Naturellement, ce n'est pas à moi de vous dire de ne pas faire. Simplement, vous devez comprendre, et on doit pouvoir vous le dire, qu'on essaie, que certains essaient de récupérer ce mouvement de jeunesse. Je pense aux casseurs, qui ne représentent pas les jeunes. Et quand on prend le risque de manifester, avec des manifestations qui deviennent de plus en plus violentes, on ne peut pas (...) au gouvernement d'essayer de faire respecter l'ordre. Est-ce qu'il n'y a pas, en 1994, un autre moyen de parler ensemble, notamment par l'Observatoire, que de déclencher manifestations sur manifestations ? À un moment, on risque d'avoir un incident et chacun risque d'en pâtir.

P. Amar : En un mot, vous entendez continuer à (...) demain ? 

N. Sarkozy : Bien sûr et nous continuerons cet effort.

P. Amar : N. Sarkozy, si le projet ne marche pas, vous retirez le CIP ? 

N. Sarkozy : Le Premier ministre a proposé un Observatoire. On verra à ce moment-là : toutes les solutions seront ouvertes. Il faut expérimenter nous voulons créer des emplois pour les jeunes. Si naturellement cette formule ne créait pas d'emplois, il faudra trouver autre chose.


Europe 1/ : Jeudi 31 mars 1994

F.-O. Giesbert : On vous voit partout, vous avez accédé au rang de vice-Premier ministre, vous n'arrêtez pas de monter dans les sondages et d'autres diront que vous êtes un enzyme glouton qui prend la place des ministres défaillants...

N. Sarkozy : Le moins que l'on puisse dire, c'est que vous pouvez vous lever tôt et être toujours en forme, M. Giesbert.

F.-O. Giesbert : Vous aussi. Sur le CIP, on a pu avoir le sentiment que vous étiez le seul à vous battre.

N. Sarkozy : Non, nous nous sommes tous battus. La question n'était pas tant de se battre sur le CIP que de se battre sur le premier sujet de préoccupation qui est le chômage et notamment celui des jeunes. Personne n'aurait compris que le gouvernement reste assis, les bras croisés, en commentant, inexorablement, les chiffres de hausse du chômage des jeunes.

F.-O. Giesbert : Maintenant que le CIP est retiré, vous ne regrettez pas de ne pas l'avoir fait plus tôt ?

N. Sarkozy : Je regrette surtout le malentendu. Nous avions posé cela comme une idée que nous avions trouvé sur un système qui fonctionne, puisqu'il y a beaucoup moins de jeunes au chômage. en Allemagne. Cette idée qui était destinée à favoriser l'emploi des jeunes, a été perçu comme une sorte d'exclusion des jeunes, du monde du travail. Il fallait donc le retirer.

F.-O. Giesbert : Parce que ça avait été mal expliqué...

N. Sarkozy : Pas simplement ça ; j'ai bien le sentiment que nous nous sommes attaqués à un tabou et il faut continuer, progresser dans cette voie.

F.-O. Giesbert : La politique consiste à s'attaquer aux tabous ?

N. Sarkozy : Oui, en tout cas faire progresser les choses. Quel tabou ? Pas celui du SMIC, il faut le comprendre. On dit toujours ça, sans avoir une réflexion profonde. La question est que depuis des années, on envoie les jeunes dans des administrations avec des stages qui ne débouchent sur aucune formation et il faut les envoyer vers l'entreprise, car moi, je me battrai jusqu'au dernier moment, pour dire que la seule façon d'être intégré c'est d'avoir un emploi et la seule façon d'avoir un emploi c'est d'être dans une entreprise. Il faut donc ouvrir les portes des entreprises aux jeunes. Il y avait la formule du CIP ; pourquoi se battre sur cette formule puisque les patrons n'en voulaient pas, ni les syndicats, ni les jeunes ? Il faut trouver un autre système.

F.-O. Giesbert : Et la majorité non plus…

N. Sarkozy : Dans une certaine mesure.

F.-O. Giesbert : Qui dans la majorité ?

N. Sarkozy : Dans la majorité une certaine mesure naturellement. De toute manière, vous comprenez bien qu'à partir du moment où l'ensemble de la société refuse un système, il n'y a pas de raison que la majorité l'accepte plus volontiers.

F.-O. Giesbert : Mais vous ne craignez pas que l'on dise maintenant que ce gouvernement, c'est celui de la reculade généralisée ?

N. Sarkozy : De toute manière, je n'ai pas à le craindre puisque certains le diront. Quand on est au gouvernement de la France, on n'a pas à faire des problèmes d'orgueil. On aurait à choisir entre l'entêtement et le recul. Qu'est-ce qui compte ? C'est d'être des gens pragmatiques, de bonne volonté, et de bonne foi, décidés à résoudre les problèmes. Le problème, là, est assez simple: comment faire rentrer les jeunes en entreprise. La formule proposée ne marchait pas et on en propose une autre, la formule de prime à l'embauche, qui va nous permettre, je l'espère, de faire entrer des centaines de milliers de jeunes en entreprise. C'est la seule chose qui compte.

F.-O. Giesbert : Est-ce que ce gouvernement vous paraît particulièrement doué pour le dialogue social ?

N. Sarkozy : Sans aucune langue de bois, je pense que la question que l'on devrait poser est : est-ce qu'en France, il est possible de mener à bien une politique de réforme ? C'est la question qui est sur la table, c'est certainement difficile. Quand on voit que nous avons réformé les retraites, les lois d'immigration, le code de la nationalité, la justice, la fiscalité. Au bout d'un an, il me semble que le bilan n'est pas si mauvais que ça.

F.-O. Giesbert : Comment se fait-il que des jeunes comme vous n'ont pas compris ce qui se passait dans la tête des lycéens, des étudiants ?

N. Sarkozy : La question n'est pas seulement s'il suffisait d'être jeune. Du reste, on est toujours jeune par rapport à quelqu'un et vieux par rapport à quelqu'un d'autre. C'est une notion relative, si tant est que la vérité existe.

F.-O. Giesbert : Comment allez-vous sauver la face de la majorité et du gouvernement maintenant ? Vous pensez que cette prime de 2000 francs à l'embauche suffira ?

N. Sarkozy : La question est simple : nous serons jugés sur notre aptitude à faire repartir l'économie, à faire diminuer le chômage, à juguler sa progression. Ceux qui nous ont précédé ont assisté – ils ne pouvaient pas faire autrement, d'après leurs idées et leurs convictions – au doublement du nombre de chômeurs en France. Nous, ce que nous devons faire, c'est conforter les premiers résultats obtenus sur le fond de la lutte contre le chômage. S'il y a l'année prochaine moins de jeunes au chômage, permettez-moi de dire que je n'ai pas le sentiment que qui ce soit aura perdu la face.

F.-O. Giesbert : Cette prime n'est pas un gadget, un cadeau aux entreprises, comme vont le dire les syndicats, comme ils disent déjà ?

N. Sarkozy : Deux réponses : est-ce un cadeau aux entreprises ? Pendant 9 mois on donne une prime pour chaque entreprise qui engage un jeune. Mais ce contrat proposé à ce jeune, doit être un contrat de longue durée, 18 mois. Donc l'entreprise s'investit elle aussi. Est-ce que c'est un gadget ? Rappelez-vous les commentaires qu'il y avait eus, lors du dernier séminaire gouvernemental sur la relance du marché automobile ; tout le monde avait fait des commentaires, en disant « c'est de l'homéopathie, ça ne marchera jamais ». Et finalement, le marché automobile a été relancé. Ce que je souhaite à cette mesure, c'est le même succès que la précédente.

F.-O. Giesbert : Vous pensez que la manif d'aujourd'hui est la dernière ?

N. Sarkozy : Je n'en sais rien.

F.-O. Giesbert : Les jeunes demandent maintenant le retour des deux Algériens de Lyon qui ont été expulsés. Vous allez les laisser revenir ? 

N. Sarkozy : Chacun doit bien comprendre que depuis un an c'est un progrès ; la justice est indépendante, c'est à elle de décider. Ce n'est pas au gouvernement de lui donner des ordres. C'est un changement de mentalité, je comprends qu'il faille s'y habituer. Finalement, je pense que c'est à l'honneur du gouvernement.

F.-O. Giesbert : Un an après son arrivée au pouvoir, est-ce que le gouvernement Balladur n'a pas retrouvé un peu l'image traditionnelle des gouvernements de droite, vous allez trouver cela caricature, loin des jeunes, et soucieux des privilégiés ?

N. Sarkozy : On peut peut-être considérer cela comme une caricature M. Giesbert, même le matin à cette heure-là. La question n'est pas de savoir si nous sommes de droite ou de gauche, mais de savoir, si, un an après, la France est dans un meilleur état que nous l'avons trouvée. Lorsque nous sommes arrivés, il y a un an – il ne s'agit pas de noircir le tableau ce serait ridicule et dérisoire au regard des problèmes de la France – il y avait une crise économique, sociale, morale. La crise économique est en passe d'être résolue, ça repart. La crise morale est me semble-t-il résolue. La crise sociale demeure car on ne change pas les problèmes. de la France, on ne les résout pas en un an.

F.-O. Giesbert : Succès au plan moral, mais échec au plan social…

N. Sarkozy : Non, je dis simplement que ce n'est pas en onze mois que l'on peut résoudre les problèmes d'un pays de 58 millions d'habitants, surtout après onze années de socialisme.

F.-O. Giesbert : Mais l'échec du gouvernement Balladur, pour vous, déjà, c'est le chômage ? C'est finalement 300 000 chômeurs de plus ?

N. Sarkozy : Je crois au contraire que c'est là que les résultats sont les plus spectaculaires. Quand nous sommes arrivés les six premiers mois, il y avait 40 000 chômeurs de plus par mois. Les chiffres de ces quatre derniers mois, c'est 4 000 chômeurs de plus par mois. C'est encore trop. Lorsque nous sommes arrivés, il y avait le double de chômeurs, en plus, en progression, qu'il n'y en a maintenant. Même sur le dossier le plus difficile, celui du chômage, on obtient des résultats.

F.-O. Giesbert : Hier, le gouvernement a limogé J.-Y. Haberer de la présidence du Crédit National, vous lui reprochez sa gestion au Crédit Lyonnais et qui a fait cette année 6,9 milliards de pertes. Pourquoi l'avoir destitué si tard ?

N. Sarkozy : C'est tout simple : il faut s'habituer avec le gouvernement d'E. Balladur, à ce que les responsables soient responsables. Quand on nous laisse un trou de 25 milliards, que le contribuable devra combler, il est normal que le président de l'institution en cause soit sanctionné.

F.-O. Giesbert : Mais ça on le savait à l'automne quand vous l'avez nommé au Crédit National !

N. Sarkozy : Lorsque nous sommes arrivés, les comptes 92 étaient publiés avec un très faible déficit. Quand nous nous sommes aperçus dans le premier semestre 93, que le déficit était plus important, nous avons changé le président.

F.-O. Giesbert : Vous avez appris le déficit par les journaux…

N. Sarkozy : Non, nous avons changé le président. Ce qui n'était pas la marque d'un très grand succès. Et quand le nouveau président a conduit un audit très précis avec la Commission bancaire, nous avons découvert l'étendue des dégâts. Mais compte tenu de l'importance du Crédit Lyonnais, nous ne pouvions pas annoncer ces pertes sans annoncer les voies pour assurer le redressement. À ce moment-là, la logique c'est que le président soit responsable. Ça change des habitudes d'il y a un an ; responsable et donc coupable.

F.-O. Giesbert : Vous étiez, il n'y a pas si longtemps, proche de J. Chirac et aujourd'hui vous êtes considéré comme un proche d'E. Balladur. Vous voyez toujours J. Chirac ?

N. Sarkozy : Oui.

F.-O. Giesbert : Vous avez de l'affection pour lui ?

N. Sarkozy : Oui bien sûr ! Je ne pense pas du reste, que les affaires de la France et du gouvernement, que les questions qui sont posées à 8 heures du matin pour les auditeurs soient les questions d'affection. Nous sommes au gouvernement pour servir le pays, nos convictions et obtenir des résultats. C'est là-dessus que nous serons jugés. Permettez-moi de vous dire, oui, certainement, qu'un an après, l'une des fiertés de mon engagement politique, c'aura été d'avoir été au gouvernement d'E. Balladur.

F.-O. Giesbert : Il y a un an, jour pour jour, vous vous prépariez pour aller à Bercy et devenir ministre du Budget, vous allez fêter cet anniversaire ?

N. Sarkozy : Non, je ne le fêterai pas pour la simple raison que ce soir, je dois présider un dîner-débat. Ce que l'on attend de moi, c'est je pense plutôt, de travailler, d'essayer de résoudre les problèmes, plutôt que d'étaler nos états d'âme.