Conférence de presse de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères, sur les relations franco-allemandes, l'état d'avancement des négociations sur le plan de paix en Bosnie et le problème des sanctions, Bordeaux le 23 août 1994.

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Circonstance : Visite de M. Klaus Kinkel, ministre des affaires étrangères d'Allemagne à Bordeaux le 23 août 1994

Texte intégral

Je suis très heureux d'accueillir aujourd'hui à Bordeaux Klaus Kinkel ainsi que son épouse. Ma femme et moi-même avons tenu à passer avec eux cette journée d'été aussi conviviale et détendue que possible comme nous l'avions fait l'année dernière à Dresde. Nous croyons l'un et l'autre que dans les relations internationales, et plus précisément au sein de l'Union européenne, la connaissance personnelle des ministres, leurs relations d'amitié sont utiles et permettent très souvent de faire avancer les dossiers. Il y aura donc ce soir une partie récréative, si je puis dire, avec une visite rapide du cœur du vieux Bordeaux que Klaus Kinkel ne connaît pas encore. Nous essayerons aussi de parfaire notre connaissance du vin de Bordeaux.

Q. : (inaudible)

R. : Nous avons d'abord commencé par travailler. Nous avons abordé les questions bilatérales, c'est à dire fait le point des relations entre la France et l'Allemagne. Elles sont excellentes, vous le savez, donc les choses sont allées vite. Je vous signale – c'est une des façons dont se traduit cette étroite concertation entre nos deux pays – que se tiendra à Paris le 19 et le 20 septembre prochain, une conférence qui réunira les ambassadeurs français et les ambassadeurs allemands dans les pays d'Europe centrale et orientale. Nos ambassadeurs ont déjà préparé cette rencontre en établissant des rapports conjoints sur la situation dans le pays où ils se trouvent et sur la manière dont la France et l'Allemagne pourraient intensifier leurs relations. Nous attachons l'un et l'autre beaucoup d'importance à cette rencontre, qui se situe bien sûr dans la perspective de l'élargissement de l'Union européenne aux pays d'Europe centrale et orientale.

Dans le même esprit, nous nous retrouverons le 14 et le 15 septembre en Bavière, pour ce que nous appelons une rencontre trilatérale qui réunira, outre M. Kinkel et moi-même, notre collègue polonais puisque, vous le savez, depuis plusieurs années France Pologne et Allemagne se retrouvent régulièrement. Voilà deux exemples de cette étroite coopération et coordination entre nos deux pays.

Nous avons ensuite évoqué toutes les questions communautaires, bien sûr, puisque nous nous trouvons actuellement sous présidence allemande de l'Union européenne et que la France de son côté prépare sa propre présidence à partir du 1er janvier de l'année prochaine. Nous avons donc évoqué précisément les relations avec les pays d'Europe centrale et orientale, les relations avec la Méditerranée, et la préparation de la conférence sur la Méditerranée qui a été décidée à Corfou. Nous avons également fait le point du déroulement de la Conférence sur la Stabilité, et je voudrais remercier tout particulièrement la présidence allemande de s'être montrée très efficace pour lancer très rapidement les deux tables rondes de cette Conférence sur la Stabilité, la table ronde sur les pays baltes et la table ronde sur l'Europe centrale et orientale qui se tiendront l'une et l'autre avant la fin du mois de septembre.

Enfin nous avons évoqué les questions internationales qui relèvent de la politique extérieure et de sécurité commune de l'Union européenne, ainsi que de nos relations bilatérales : l'Algérie, le Rwanda et tout particulièrement la Bosnie. Et sur ce sujet, que nous avons abordé à plusieurs reprises, vous savez que le plan de Genève trouve son origine dans le plan de l'Union européenne, qui lui-même est fondé sur l'initiative Kinkel/Juppé que nous avions prise au mois, Je novembre de l'année 1993. Nous avons donc fait le point de la situation et nous avons établi une déclaration commune qui vous sera distribuée, dans laquelle nous exprimons notre préoccupation devant la situation actuelle. Nous appelons le président Milosevic à mettre ses actes en conformité avec ses engagements et ses déclarations, en acceptant un contrôle international effectif à la frontière de la Bosnie-Herzégovine, dès lors que Belgrade accepte le plan de paix et adjure Pale de l'accepter à son tour, il faut que cette attitude se concrétise, je le répète, et que nous puissions vérifier de manière internationale et effective la réalité du blocus à la frontière entre la Serbie et la Bosnie-Herzégovine. Nous avons souhaité en même temps que les deux projets de résolutions qui sont en cours de discussion actuellement au Conseil de Sécurité des Nations unies, et qui traitent d'une part du renforcement des sanctions et, d'autre part, en cas d'acceptation du plan de paix, de leur allégement, puissent être soumis au Conseil le plus vite possible. Nous appelons les responsables de Bosnie… et le parlement de Pale à bien mesurer la responsabilité qu'ils prendraient en refusant à nouveau le plan de paix, car ce serait prendre la responsabilité de relancer la guerre. Et enfin, nous appelons les trois parties au conflit à ne pas tirer parti de la situation actuelle pour essayer d'obtenir de nouveau gain territoriaux. Nous sommes dans une période cruciale une fois encore, le mois d'août, la fin du mois d'août et mois de septembre seront décisifs avant d'en revenir à ce que nous avons toujours considéré les uns et les autres comme une solution de désespoir, c'est-à-dire la levée l'embargo sur la fourniture des armes. Voilà le sujet que nous avons donc plus particulièrement évoqué.

Q. : (Sur les relations entre la Grèce et l'Albanie)

R. : Je me bornerai à ajouter un mot, tout en souscrivant entièrement à ce que vient de dire Klaus Kinkel. Les Balkans en général, et cette région en particulier, sont suffisamment compliqués pour qu'on n'ajoute pas à nouveau des tensions de ce type. Il faut résoudre ce genre de difficultés par le dialogue, la négociation. Et je crois que le rôle de la France, le rôle de l'Allemagne, est de faciliter ce dialogue et la recherche de solutions négociées. Il n'y a rien de bon à tirer de l'affrontement ou de la surenchère dans ce genre de problèmes.

Q. : l'envoyé du Chancelier Kohl à Moscou a-t-il obtenu des réponses précises des Russes en matière de trafic de plutonium ?

R. : Même si cette affaire a fait moins de bruit dans les médias français qu'elle n'en a fait en Allemagne, le gouvernement français est évidemment très préoccupé par ces trafics. Et nous sommes tout à fait prêts à nous associer à toute mesure permettant de renforcer les contrôles, le contrôle de la comptabilité des matières fissiles en particulier, que ce soit dans le cadre de l'Union européenne, d'EURATOM, dans le cadre de l'Alliance atlantique, ou dans le cadre du G7, et nous examinerons avec la plus grande ouverture d'esprit les propositions qui nous seront faites.

Q. : Pouvez-vous nous confirmer que M Kozyrev a envoyé une lettre au groupe de contact sur la Bosnie, dans laquelle il déclare qu'il compte se rendre à Belgrade le week-end prochain ?

R. : M. Kozyrev m'a écrit, effectivement, en ce sens.

Je suis très attaché, en ce qui me concerne, à la cohésion du groupe de contact. Vous savez que ce groupe de contact, nous l'avons voulu. C'est en fait à partir du mois de février, avec le tournant qu'a constitué l'ultimatum de l'OTAN à Sarajevo, que nous sommes arrivés à impliquer dans la discussion, d'une part les États-Unis, et d'autre part les Russes Et donc nous sommes très attentifs à tout ce qui se passe au sein du groupe de contact.

Je crois que depuis la dernière réunion de Genève, le 30 juillet dernier, un élément nouveau important s'est produit. C'est la dissociation entre Belgrade et Pale. Et vous voyez jour après jour, que le discours des dirigeants serbes de Belgrade se durcit vis-à-vis de ceux qui, à Pale – je dis Pale pour désigner de façon générale les responsables bosno-serbes – prennent le risque de déclencher la guerre. Ceci est important. Donc il faut tout faire pour que ce découplage, si je puis dire, permette de débloquer la situation. Je pense que dans cet esprit, la diplomatie russe, et Andreï Kozyrev, ont un rôle à jouer et donc nous voyons tout à fait favorablement les initiatives qu'ils peuvent prendre en ce sens.

Mais dans le même temps, il ne faut pas traîner, et la France comme l'Allemagne – nous l'avons dit dans notre communiqué commun sur la Bosnie – souhaitent que les projets de résolutions, qui sont maintenant à peu près au point à New York et qui prévoient soit le renforcement des sanctions à l'encontre de ceux qui continueront à refuser le plan de paix, soit l'allégement des sanctions au profit de ceux qui l'accepteront, que ces projets de résolutions soient maintenant mis aux voix le plus vite possible.

Q. : Pour revenir à un aspect plus régional de votre voyage. Ces entretiens seront référencés, je suppose, sous le titre d'entretiens de Bordeaux. Et je suppose que le symbole a une, signification bien particulière pour vous ?

R. : Je vous connais, chère Madame et je connais votre sagacité, donc je vous laisse le soin d'interpréter le symbole. Non, les choses sont toutes simples : je souhaitais inviter Madame Kinkel et Klaus Kinkel dans une belle ville de France et dans une belle région de France qu'ils ne connaissaient pas encore. Il se trouve que c'était le cas de Bordeaux et du Bordelais, voilà la raison de ce choix.

Q. : Avez-vous évoqué le cas des intégristes algériens qui sont hébergés en Allemagne ?

R. : Nous avons évoqué cette question, puisque nous avons, depuis plusieurs mois, concerté nos positions sur la situation en Algérie. J'ai pour ma part remerciée mon collègue et ami Klaus Kinkel des mesures qui ont été prises tout récemment contre certains extrémistes qui tiennent des propos d'incitation au terrorisme, je pense en particulier à Rabah Kebir. Je crois que ce qui a été fait depuis quelques jours dans ce domaine va dans le sens que nous souhaitions.