Extraits de la conférence de presse de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères, sur le succès de la conférence sur la stabilité en Europe, sa mission de règlement des différents entre pays voisins et de préparation de l'élargissement de la Communauté, Paris le 27 mai 1994.

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Circonstance : Conférence sur la stabilité en Europe à Paris les 26 et 27 mai 1994

Texte intégral

Le ministre : Monsieur le Président, merci de me passer la parole ; j'ajouterai quelques mots en tant que représentant de la puissance invitante, si je puis dire.

Les deux journées qui viennent de se dérouler à Paris, à l'invitation de l'Union européenne, constituent pour le gouvernement français et tout particulièrement pour son chef, Édouard Balladur, un grand sujet de satisfaction et je voudrais le souligner devant vous.

Premier sujet de satisfaction : "l'initiative Balladur", pour l'appeler de manière simple, a été totalement endossée par l'Union européenne qui l'a faite sienne et qui a mis beaucoup de conviction et beaucoup d'ardeur à la concrétiser. Je voudrais, de nouveau, rendre hommage à la Présidence en exercice de l'Union européenne, assurée vous le savez par la Grèce en ce moment, pour la manière dont elle s'est investie dans la préparation de cette conférence. Cela a duré plusieurs mois ; il a fallu un grand nombre de réunions préparatoires à la fois à Athènes, mais aussi dans toutes les capitales intéressées et ceci a été fait avec – je le répète – beaucoup d'efficacité. Je rends hommage aussi à la troïka, c'est-à-dire outre la Grèce, à la Belgique et à l'Allemagne, qui ont beaucoup coopéré à la préparation de la conférence. Vous avez vu hier l'article commun du Chancelier Kohl et d'Édouard Balladur sur ce sujet. J'ai moi-même, la semaine, eu l'occasion de cosigner avec Klaus Kinkel une lettre à l'ensemble des pays intéressés pour leur dire tout le prix que nous attachions à cette conférence.

Deuxième sujet de satisfaction : la conférence s'est déroulée dans de très bonnes conditions ; d'abord avec une participation nombreuse – plus de 50 pays ont envoyé à Paris leur ministre des affaires étrangères. Hier soir, Andreï Kozyrev, autour de la table, me disait en forme de boutade, qu'il avait été parmi les plus assidus, ce qui est vrai et que je voudrais souligner.

Enfin, troisième sujet de satisfaction, pour être bref, c'est que les textes qui ont été adoptés, ce matin, à l'unanimité, comme vient de le dire à l'instant le ministre Pangalos, sont de très bons textes. Ils contiennent tout à fait ce que nous souhaitions voir figurer dans les décisions de la conférence. D'abord, le rappel d'un certain nombre de principes qui ne sont pas propres à la conférence, qui sont ceux de la CSCE, du Conseil de l'Europe, de l'Acte final d'Helsinki, de la Charte de Paris, à savoir le rappel de l'inviolabilité des frontières, de l'intégrité territoriale et du respect des frontières existantes. Je veux souligner ce premier point qui, je crois, fait justice d'un certain nombre de critiques qui ont pu être faites ici ou là encore aujourd'hui ou hier de la part de certains observateurs. Donc ce point est clair.

Deuxième principe qui a été évoqué, c'est celui du rôle du respect des minorités nationales qui est clairement indiqué dans le texte. Ces deux textes sont bons parce qu'ils fixent les objectifs que nous souhaitions voir assigner à ce processus de stabilité en Europe, à savoir la conclusion d'un certain nombre d'accords de bon voisinage qui, avec les accords déjà existants, constitueront le moment venu ce que nous appelons "le pacte de stabilité en Europe" qui recevra une sorte de consécration internationale.

Ces accords se situent dans une double démarche : premièrement, le règlement des difficultés qui peuvent exister entre pays voisins en Europe et deuxièmement, démarche d'élargissement progressif de l'Union européenne, puisque notre objectif est d'accompagner les pays candidats à l'adhésion dans leur marche vers la communauté.

Enfin, ces textes sont bons parce que, sur la méthode et sur le calendrier, ils sont tout à fait précis. Le document joint à la déclaration finale, prévoit très clairement que seront organisées deux tables rondes régionales, l'une pour la région baltique, l'autre pour la région d'Europe centrale et orientale. Il énumère les questions qui seront à l'ordre du jour des travaux de ces tables rondes : coopération transfrontalière régionale, questions relatives aux minorités, coopération culturelle, y compris formation linguistique, coopération économique, coopération juridique ou administrative, problèmes d'environnement. La liste n'est pas exhaustive, mais elle est assez précise. De même, toujours sur la méthode, il est indiqué qu'un groupe que nous qualifions de "groupe ad hoc" va se mettre en place immédiatement et se réunir régulièrement pendant tout le processus la conférence de stabilité, c'est-à-dire dans l'année qui vient. Enfin, il est indiqué, outre une conférence intermédiaire qui pourrait se dérouler d'ici quelques mois pour évaluer les progrès réalisés, que l'objectif est de conclure l'exercice dans un délai d'un an après la conférence inaugurale et c'est à ce moment-là que serait adopté le pacte de stabilité que j'évoquais.

Voilà donc très rapidement soulignés les points qui me paraissent les plus importants dans ces deux textes et qui correspondent tout à fait aux objectifs que nous nous étions fixés.

Je terminerai en disant que bien entendu l'essentiel reste à faire. Il fallait réussir la conférence inaugurale, elle a été réussie. Il faut maintenant engager les discussions au fond, tenir les tables rondes régionales, voir, dans les conditions qu'indiquait tout à l'heure M. Pangalos, comment elles peuvent ensuite donner naissance à des tables bilatérales avec raccord des parties et suivre tout ce processus avec beaucoup de continuité et de détermination ; c'est ce à quoi nous sommes décidés, c'est ce à quoi l'Union européenne tiendra la main, et vous savez que la France sera directement impliquée puisqu'à partir du 1er juillet 1994, dans quelques semaines, nous serons dans la troïka et que le Ier janvier 1995 nous assumerons la présidence de l'Union européenne.

Question : Monsieur le ministre, mardi vous nous avez parlé de dix pays principalement concernés, dont la Slovénie ; aujourd'hui on se retrouve avec neuf pays principalement concernés, moins la Slovénie. Pourriez-vous nous expliquer les circonstances dans lesquelles la Slovénie est passée à la trappe et est-il exact que le nouveau gouvernement n'a pas souhaité que la Slovénie soit inclue dans le groupe de pays qui ont vocation à devenir membres de l'Union européenne ?

Le ministre : À ma connaissance, il n'y a pas eu de veto. La liste que j'avais mentionnée était indicative. J'avais toujours indiqué que cet exercice s'adressait aux pays d'Europe centrale et orientale ; on connait la liste des six pays concernés plus les trois États baltes. J'ajoute, comme nous l'avons dit à plusieurs reprises dans toutes nos interventions, que le processus n'est pas figé et que les choses sont ouvertes aussi bien sur le plan géographique que sur Je plan des sujets à traiter. C'est donc au groupe ad hoc, au fur et à mesure que les procédures se mettront en place, d'examiner cette question.

Le ministre (suite à une question posée au Président) : Sur ce point, avec la permission de M. Pangalos, je voudrais ajouter juste un mot.

On nous fait souvent des reproches contradictoires ; ou bien on dit que ce pacte ou ce projet de pacte est trop ambitieux, ou bien il ne l'est pas assez, ou bien nous voulons trop embrasser ou bien nous ne nous occupons pas d'assez de pays.

Nous nous sommes fixés un objectif précis. Cet objectif précis est la table ronde régionale sur l'Europe centrale et orientale concernant six pays et c'est la table baltique qui en concerne trois. Il est vrai qu'il y a beaucoup d'autres problèmes ailleurs. Mais c'est de propos délibéré que nous ne les avons pas incorporés dans la conférence sur la stabilité, et le plus souvent d'ailleurs c'est parce qu'il existe déjà, s'agissant de ces autres dossiers, des procédures en cours. Il est inutile de rappeler, sur l'ex-Yougoslavie, tout ce qui est actuellement en cours sous la responsabilité des Nations unies, de l'Alliance atlantique ou de l'Union européenne, sans parler du groupe de contact qui est au travail. Il ne s'agissait donc pas d'interférer avec quelque chose qui existe.

En ce qui concerne l'Arménie, l'Azerbaïdjan, le Haut-Karabagh, une institution internationale est déjà chargée de suivre cette affaire, c'est la CSCE, et je ne veux pas multiplier les exemples. Il s'agit pas de se superposer à d'autres initiatives existantes dans d'autres régions. Il s'est agi de choisir un certain nombre de pays avec un objectif tout à fait clair, que j'ai rappelé tout à l'heure, afin combler une lacune. Voilà très exactement le domaine de compétence et d'action de la conférence sur la stabilité, et je crois que cela mérite de la logique et de l'efficacité.

Q. . Monsieur Juppé, quand vous avez vu M. Kozyrev hier soir, a-t-il indiqué si la Russie est prête à participer à la table ronde balte, parce qu'hier dans son discours c'était loin d'être clair ?

Le ministre : Sur le premier point vous savez, je suis un esprit simple : il y a un document, il a été adopté à l'unanimité, ce document prévoit qu'il y aura une table ronde régionale à l'Europe centrale et orientale et l'autre pour la région baltique. Il est prévu, pour la table baltique, que participeront les États baltes, bien entendu, les pays voisins et ceux qui se sentiront concernés. De mes entretiens à Moscou avec le Président Eltsine, de mes entretiens nombreux depuis quelques jours avec Andreï Kozyrev, j'ai retiré la conviction – à condition bien sûr que cette table définisse elle-même ses objectifs, ses méthodes de travail, ses thèmes de réflexion – que la Russie est tout à fait prête à participer.

Q. : Je n'ai pas encore bien compris pourquoi c'était nécessaire cette conférence si on a la CSCE et si on a dans la CSCE, la Charte de Paris etc. le mécanisme de résolution de conflit. Pourquoi ne pas fortifier ce mécanisme si cela existait déjà, pourquoi créer quelque chose de parallèle ?

Le ministre : Cher monsieur, vous êtes relativement isolé dans votre non-compréhension puisque, si j'ai bien compris, une cinquantaine de pays l'ont compris. Ils sont venus. L'initiative qui a été lancée a bien répondu à un besoin. Si cette idée était aussi inutile que vous avez l'air de le penser, je ne vois pas pourquoi une cinquantaine de ministres des affaires étrangères se seraient déplacés. Ce n'est pas pour nous faire plaisir, c'est tout simplement parce qu'ils ont senti qu'il y avait là un vide qu'il fallait combler.

Je veux dire une fois encore que notre objectif n'est en aucune manière de créer une nouvelle institution permanente. Il ne s'agit pas de créer une CSCE bis, ou un nouveau Conseil de l'Europe ou je ne sais quoi d'autre, encore moins un doublon de l'Union de l'Europe occidentale ou de l'Alliance atlantique. Ce n'est pas une institution permanente. Elle disparaîtra dans un an. Dans un an, il n'y aura plus de conférence de la stabilité, il y aura, je l'espère, un pacte, mais il n'y aura plus de conférence. Le pacte sera un ensemble de textes ; certains existent déjà, je pourrais vous en citer qui ont valeur d'exemples et qui sont les traités de bon voisinage signés entre la Pologne et la Lituanie, des traités signés entre l'Allemagne et la Pologne, entre la Hongrie et l'Ukraine. Ceux-ci existent déjà et il y en aura d'autres, nous l'espérons, et c'est l'objectif des tables rondes qui vont se mettre en place. L'ensemble de ces accords internationaux constituera un pacte. Ce pacte sera approuvé, je l'espère, par tous les pays participants à la conférence ; il sera ensuite mis en dépôt – si je puis dire – auprès de la CSCE qui en vérifiera au fil des années la bonne application et le strict respect.

C'est donc une procédure. Cette procédure a pour but de déclencher des discussions qui n'ont pas lieu aujourd'hui. Il y a une CSCE c'est vrai, mais il n'y a pas à l'heure actuelle de discussions permettant de régler les problèmes de minorités qui se posent entre les six pays d'Europe centrale et orientale. Je n'en connais pas. Donc, nous allons provoquer cette discussion, permettre le dialogue, faciliter la recherche d'un accord, et lorsque cet accord aura été conclu notre rôle sera terminé.

Donc vous voyez l'idée : c'est d'agir là où on n'agit pas aujourd'hui. C'est de provoquer des discussions qui ne se sont pas encore engagées ou bien d'accélérer des processus qui sont déjà en cours mais qui n'avancent pas suffisamment vite, et je pense en particulier à ce qui se passe dans les États baltes.

Voilà notre ambition. Elle est à la fois grande et limitée, mais je pense que cette fonction n'était pas remplie en l'état actuel des choses par les institutions existantes et qu'il fallait donc un processus un peu exceptionnel pour stimuler ces discussions de bon voisinage.

Q. : Je me demande pourquoi on n'a pas essayé d'utiliser les organismes qui existent.

Le ministre : Il y a bien une Organisation des Nations-unies, pourtant on a quand même fait une Conférence de Madrid pour le Proche-Orient. Alors si on allait jusqu'au bout de votre logique, on ne créerait jamais d'initiative nouvelle.

Je voudrais ensuite ajouter un autre point, c'est que dans la philosophie de cette Conférence et dans son objectif, il y a également une autre dimension que j'omettais de rappeler, c'est la préparation de l'élargissement de l'Union européenne. Ça, ce n'est pas la CSCE, ce n'est pas l'Alliance Atlantique. C'est bien parce que nous voulons accompagner la démarche de ces pays qui sont candidats, pour faciliter les choses, pour les aider à se préparer, éventuellement d'ailleurs pour mettre en place des projets d'intérêt commun, des projets de caractère économique, à l'initiative de l'Union européenne qui pourrait participer à tout ce processus, que nous avons senti le besoin de cette initiative. Donc, un double registre : les accords de bon voisinage, et la préparation de l'élargissement de l'Union européenne.

Q. : Votre plan est très ambitieux : conclure d'ici un an, et le processus de CSCE a bien montré que les questions comme ça peuvent s'éterniser très longtemps : alors comment allez-vous faire si ceci s'éternisait…

Le ministre : C'est justement parce que je suis peu amateur d'éternité que je pense qu'il était utile d'avoir une Conférence avec un calendrier. La Conférence est ambitieuse, vous avez raison de le dire. Néanmoins, elle ne couvre pas l'ensemble des problèmes relatifs au continent européen. Nous avons choisi. Il y a trois pays baltes : les problèmes ne sont pas infinis. Il y a six pays d'Europe centrale et orientale : là encore, les questions en jeu ne sont pas innombrables, et donc je pense que s'il y a de la bonne volonté – et elle est acquise, on l'a bien vu dans les déclarations des uns et des autres aujourd'hui –, s'il y a par ailleurs un processus de suivi efficace – et nous y veillerons, c'est la responsabilité de l'Union européenne – il n'est pas du tout irréaliste dans un délai d'un an d'obtenir les accords permettant de régler ces questions de bon voisinage entre les neuf pays concernés. Voilà, je vais pour ma part me retirer pour laisser le Président Pangalos débattre de questions plus spécifiques, en le remerciant de m'avoir laissé la parole pendant ce point de presse.