Texte intégral
Radio France : Vendredi 11 février 1994
M. DENOYAN : Bonsoir.
Marseille paralysée par des grévistes CGT de la métallurgie ce matin, 70 % des pêcheurs qui votent la poursuite de la grève, Air France au bord du dépôt de bilan, la SNCF qui s'enfonce dans son déficit, des entreprises qui annoncent des licenciements massifs : le climat social tend à nouveau à s'alourdir, à tel point que le Président de l'Assemblée Nationale, monsieur Philippe Seguin, met en garde contre une politique anti-chômage pas suffisamment audacieuse.
Face à la crise, à la politique gouvernementale, quelles peuvent être les réponses syndicales ?
Invité d'Objections ce soir : Monsieur Louis Viannet, Secrétaire Général de la CGT.
Monsieur Viannet, bonsoir.
M. VIANNET : Bonsoir.
M. DENOYAN : Ce matin, à Marseille, vous vous êtes manifesté à travers des syndiqués CGT de la métallurgie locale, en bloquant l'accès à Marseille. Est-ce que cela veut dire qu'il y a depuis quelques jours un durcissement de la CGT ?
M. VIANNET : Non. Ce que je crois, par contre, c'est qu'il y a, pas seulement depuis quelques jours, mais le phénomène va en s'amplifiant et en s'affirmant, une montée à la fois de mécontentement, d'angoisse et d'exaspération en présence de situations particulièrement lourdes. C'est le cas de Marseille, Marseille et sa région qui sont malmenées depuis déjà des mois, pour ne pas dire des années, et malmenées alors qu'ils ont la conviction, et je crois avec beaucoup de raison, que d'autres solutions pourraient être trouvées.
Je pense à Sud-Marine. Voilà une entreprise qui est en difficulté, sauf que, au moment même où elle est en difficulté, le Groupe Elf, qui fait construire des plateformes off-shore, les fait construire hors de France plutôt que de choisir Sud-Marine. Comment voulez-vous qu'il n'y ait pas une explosion de colère ?
Je prends La Ciotat : c'est un chantier qui a été fermé à partir de l'affirmation vite faite que les besoins en construction navale lourde allait en diminuant. Il y a quelques jours, Vincent Bolloré a reconnu lui- même qu'il y avait des perspectives et des besoins considérables en matière de construction navale lourde. Et on n'arrive toujours pas à faire démarrer le charretier, on n'arrive toujours pas à faire débloquer des montages financiers qui permettraient que les repreneurs relancent ces activités.
Je constate que les banquiers français ont été moins regardants pour investir dans Euro Disneyland qu'ils ne le sont pour investir dans des entreprises qui méritent toute l'attention et qui sont indispensables pour le développement du patrimoine national.
M. ROLAND-LEVY : Revenons au blocage de Marseille ce matin. Je voudrais savoir si vous avez été consulté pour cette action.
M. VIANNET : Pourquoi est-ce que j'aurais été consulté ?
M. ROLAND-LEVY : Est-ce que vous étiez au courant ?
M. VIANNET : Je suis au courant de l'aggravation de la situation dans la région de Marseille, car ce matin il n'y avait pas que Sud-Marine ; il y avait Sud-Marine, il y avait la Solac, il y avait Saint-Marcel Ferroviaire et la manifestation qui a eu lieu au début de la semaine comportait tout ce monde-là renforcé par les salariés de La Ciotat.
Mais les salariés de Sud-Marine, de toutes ces entreprises-là, ne demandent pas, et ils ont raison, l'autorisation à qui que ce soit pour décider de leur action, de leurs revendications et des formes que cela doit prendre.
M. DENOYAN : Monsieur Viannet, comme on ne fait pas une émission uniquement sur la région marseillaise, il y a beaucoup de gens qui nous écoutent ce soir, je voudrais que vous puissiez répondre à la question que je vous posais en démarrant cette émission : est-ce que, face à la situation que vous évoquiez à l'instant, il y a un durcissement, une volonté nouvelle de convaincre de la CGT ?
M. VIANNET : Elle n'est pas nouvelle.
M. DENOYAN : Non, mais depuis un moment vous êtes un peu moins combatif, on vous a moins entendu.
M. VIANNET : Elle n'est pas nouvelle. Nous avons dit, et nous continuons de dire très clairement que la situation actuelle appelle une mobilisation très importante des salariés. J'espère qu'on aura l'occasion tout à l'heure de parler…
M. DENOYAN : Allez-y, développez…
M. VIANNET : Je vais développer. Pourquoi ? Tout simplement parce que nous sommes aujourd'hui en présence d'un niveau de chômage et d'un développement de l'exclusion tels que non seulement la situation économique du pays est pleine d'inquiétude et d'angoisse, mais qu'on risque maintenant une véritable déchirure ; on risque de voir dans ce pays se dresser ceux qui sont rejetés dans l'exclusion, qui passent de la déqualification à la disqualification sociale et qui sont de plus en plus nombreux.
M. DENOYAN : Vous croyez à un vaste mouvement social ?
M. VIANNET : J'ai déjà dit, et sans être démenti, que si l'on tient compte de tout : des chômeurs, de ceux qui sont dans des faux emplois, de ceux qui sont dans des situations instables et de ceux qui sont carrément maintenant dans le monde de l'exclusion, on a près de 7 millions d'hommes et de femmes qui sont aujourd'hui hors du champ des normes de la vie sociale de ce pays. Vous vous rendez compte que cela ne fait pas loin de 30 % de la population active ?
Comment voulez-vous qu'il n'y ait pas là les sources d'une césure dans ce pays ? Et c'est précisément parce que nous sommes conscients du risque de cette césure, que nous avons décidé, que nous avons appelé dès le début décembre, à préparer une initiative dans laquelle doivent pouvoir se rassembler les non-chômeurs et les chômeurs, ceux qui ont un emploi et ceux qui n'en ont pas, les actifs et les retraités. C'est en réalité pour construire des solidarités très fortes qu'aujourd'hui la CGT engage toutes ses forces.
Mme JEANPERRIN : C'est quand même, monsieur Viannet, pas mal de discours. Sur le fond, qu'est-ce que vous faites pour tous ces gens-là, pour tous ces exclus ? Qu'est-ce que vous faites en amont, si ce n'est actuellement de mobiliser les gens de Sud-Marine qui sont en règlement judiciaire, avec un plan social excessivement avantageux, beaucoup plus avantageux que beaucoup de plans sociaux, et que vous êtes en train de demander des pré-retraites par exemple pour les dockers avec un pactole de sortie de 600.000 francs par tête ? Est-ce que vous croyez que c'est vraiment une bonne méthode pour lutter contre les plans sociaux actuellement et pour le maintien de l'emploi dans les entreprises ?
M. VIANNET : Ne jouons pas à cache-cache. La position de la CGT, que ce soit pour Sud-Marine, pour La Ciotat, pour Chausson ou pour toutes les entreprises qui sont actuellement confrontées à une menace de fermeture, c'est que nous sommes contre la fermeture, nous sommes pour la relance des activités, nous sommes pour le développement et des entreprises et des activités économiques des branches qui sont concernées.
Mme JEANPERRIN : En jouant des plans sociaux qui coûtent de plus en plus cher ? En voulant toujours plus pour les plans sociaux seulement ?
M. VIANNET : Qui a mis en place les plans sociaux ?
Mme JEANPERRIN : Les syndicats, avec le patronat.
M. VIANNET : Les syndicats ont mis en place les plans sociaux ? Qui a créé cette espèce de mécanique perverse qui aboutit en fait à faciliter les licenciements, qui a abouti à encourager le patronat à casser les emplois, à gérer les entreprises en se servant de l'emploi comme le vecteur privilégié à partir duquel on décide de la marche de l'entreprise ?
Mme JEANPERRIN : Vous avez négocié les pré-retraites, vous avez négocié les contrats de conversion, vous avez négocié les antennes emploi-reclassement. Vous avez tout fait pour que les plans sociaux se passent bien et vous signez.
M. VIANNET : Je suis assez frappé par le fait que, à vous entendre, ce serait les syndicats qui, en définitive, seraient responsables des difficultés économiques du pays, que ce serait les syndicats qui seraient responsables des fermetures des entreprises, que ce serait les syndicats qui auraient soufflé dans l'oreille du Gouvernement Balladur de faire 80 milliards de cadeau au patronat, sans se préoccuper le moins du monde de ce qu'il allait en faire, sans exiger la moindre contrepartie en matière d'emplois, sans mettre le moindre garde-fou sur l'utilisation de ces crédits.
Là je crois qu'il faut être sérieux, justement parce que la situation est grave. Personne ne peut reprocher à un syndicat, placé devant la situation de chômage telle que nous la connaissons, d'essayer de faire en sorte que cette situation de chômage soit la moins dure possible, alors que …
M. DENOYAN : Mais cela, tout le monde le dit, monsieur Viannet ; on ne fait pas avancer le problème en disant « le moins dur » … Personne ne dit qu'il faudrait que le chômage soit plus dur pour les gens, qu'ils aient moins d'aides ; personne ne dit cela. On est devant une situation qui s'aggrave…
M. VIANNET : Personne ne dit cela, mais lorsque, par exemple, nous avons des discussions avec le patronat, où nous sommes obligés de ferrailler, y compris de nous appuyer sur la mobilisation pour obliger le patronat à assumer ses responsabilités dans le financement des éléments de couverture sociale…
M. DENOYAN : C'est normal, c'est le rapport à l'intérieur d'une société entre les syndicats et les patrons.
Ce qui serait intéressant de savoir de votre part, c'est comment vous, face à une situation dont on voit bien qu'elle n'est pas uniquement mesurable à l'aulne de la France, comment vous allez, syndicat ouvrier avec votre tradition, essayer de réfléchir et de proposer de manière constructive et pas simplement en réaction à des situations.
M. VIANNET : Je vous entends bien. Je voudrais simplement vous faire remarquer, non pas que je conteste l'importance de l'audience de la CGT parmi les ouvriers, mais que la CGT est quand même le syndicat de tous les salariés, que nous faisons beaucoup d'efforts pour syndiquer les employés, les cadres, les ingénieurs et les techniciens.
M. DENOYAN : D'accord, mais c'est là le discours traditionnel. Vous, CGT, qu'est-ce que vous faites ?
M. VIANNET : Ce n'est pas traditionnel, la preuve c'est que …
M. DENOYAN : Il faut parler concret, monsieur Viannet, il faut parler concret. Je disais tout à l'heure qu'Air France est au bord du bilan ; à la fin du mois, ils vont peut-être déposer le bilan. Que fait la CGT ? Comment réfléchit-elle par exemple aux moyens de sauver la grande compagnie aérienne française ?
La SNCF, cela fait je ne sais combien de temps qu'elle est dans le rouge. Qu'est-ce qu'on fait avec la SNCF qui perd son image ?
Sur des choses concrètes, que les Français lisent dans leurs journaux, entendent à la radio ou à la télévision, comment vous positionnez-vous ?
M. VIANNET : Monsieur Denoyan, j'ai déjà eu l'occasion de dire dans des émissions précédentes que je trouvais assez fort de café qu'on n'interpelle pas seulement la CGT mais les syndicats en général, au moment où se présentent les difficultés, y compris en leur disant : « Vous avez des solutions ? Vous avez des propositions ? », et qu'on refuse de les écouter lorsque les syndicats interviennent pour mettre le doigt sur la gravité des conséquences que vont entraîner les choix, que vont entraîner les décisions.
Par exemple, vous parlez d'Air France. Où sont les racines des difficultés d'Air France ? Depuis des années nous nous battons contre la déréglementation ; depuis des années nous nous battons contre la loi de la jungle que l'on a instaurée en portant la concurrence entre les compagnies à un niveau tel que forcément cela met en cause la propre capacité… On parle d'Air France, mais il n'y a pas que la Compagnie Air France qui est en difficulté. Donc là il y a des causes…
M. APHATIE : Mais le consommateur a profité de la concurrence.
M. VIANNET : Si la Compagnie Air France venait à ne pas pouvoir surmonter ses difficultés, vous croyez que le consommateur en profiterait ? Le consommateur en a profité, pendant combien de temps ?
M. APHATIE : Pendant 20 ans.
M. VIANNET : Non, non, parce qu'il n'y a pas 20 ans que les Accords IATA ont été abandonnés, il n'y a pas 20 ans que la déréglementation sert de règle de conduite dans les compagnies aériennes.
M. DENOYAN : Ne repartons pas dans l'historique, monsieur Viannet, parce que l'émission n'y suffirait pas. C'est la réponse concrète d'une situation que l'on connaît comme gravissime. Vous êtes un des partenaires de la discussion : qu'est-ce que vous allez faire si Christian Blanc à la fin du mois annonce qu'il dépose le bilan ? Qu'est-ce que vous faites, vous CGT, syndicat important d'Air France ?
M. VIANNET : Nous commençons par interpeler la Direction d'Air France, le Gouvernement. Il n'est pas envisageable qu'un pays comme la France laisse sa grande compagnie de transport aérien déposer le bilan, ce n'est pas envisageable.
Cela veut donc dire que les avertissements que nous avons lancés sur et elle n'est pas les dangers que représente la déréglementation seulement vrai pour les transports aériens doivent être aujourd'hui pris en compte. Le Gouvernement a des responsabilités dans les négociations internationales pour mettre le doigt sur la nécessité de remettre en cause…
M. DENOYAN : Vous ne répondez pas à la question, monsieur Viannet : est-ce qu'il faut dégraisser ? Est-ce qu'il faut abandonner les avantages acquis ? Est-ce qu'il faut un plan de restructuration ? Est-ce qu'il faut trouver des alliances ?
M. ROLAND-LEVY : Est-ce qu'il faut que les salariés acceptent une baisse de leurs salaires, comme une enquête auprès d'eux vient de montrer qu'ils n'y seraient pas opposés ?
M. DENOYAN : Une baisse de 30 %.
M. VIANNET : Quand on connaît la situation d'Air France et quand on connaît le niveau des sommes qui sont en jeu, je souhaite beaucoup de plaisir à celui qui m'apportera la preuve qu'en jouant seulement sur la masse salariale, on va résoudre les problèmes de la compagnie…
M. ROLAND-LEVY : Je voudrais savoir si vous pensez que les salariés qui ont répondu à cette enquête…
M. VIANNET : Je ne vois pas pourquoi les salariés feraient les frais d'une gestion contre laquelle ils se sont battus.
M. ROLAND-LEVY : Est-ce que les salariés, 59 % du personnel au sol, qui ont dit éventuellement accepter cette baisse de leurs salaires, ont tort ou raison ?
M. VIANNET : Dans la mesure où comme, dans beaucoup d'autres situations, ils sont en présence d'un effroyable chantage, je comprends que des salariés, dès l'instant où la pression se fait terrible : « Si vous n'acceptez pas, on va liquider la compagnie ; si vous n'acceptez pas, vous porterez la responsabilité des difficultés de la compagnie … », je comprends tout à fait qu'à un moment ils puissent céder.
Ils n'ont pas raison parce que cela ne résoudra pas les problèmes. La solution est ailleurs.
M. APHATIE : Quand on est un partenaire syndical, est-ce qu'il n'est pas de votre responsabilité d'essayer d'avancer des solutions, d'essayer de contribuer à une sortie de la crise en dialoguant ? Le refus systématique de tout, est-ce que c'est une position ?
M. VIANNET : Bien sûr que sur chaque dossier nous faisons une proposition.
M. APHATIE : Quand par exemple dans la société française s'ouvre un débat sur la réduction du temps de travail, la position de la CGT c'est : « On diminue le temps de travail, on ne touche pas au salaire ».
M. VIANNET : Et alors ?
M. APHATIE : Vous pensez que c'est une façon dynamique d'entrer dans le débat ?
M. VIANNET : Bien sûr ! C'est même tellement dynamique qu'il y en a beaucoup qui hésitent à nous suivre…
M. APHATIE : C'est vrai …
M. VIANNET : Mais lorsqu'on rentre dans ce débat, avec la dynamique que nous permet la prise en compte de l'augmentation de la productivité qu'on constate dans la plupart des grandes branches, quand on rentre dans ce débat-là avec la dynamique que nous permet ce que sont les résultats des branches essentielles de l'économie française, et je vous ferai remarquer que nous n'avons jamais dit que sur la réduction de la durée du travail, cela devait se traduire par une décision autoritaire, applicable partout, dans n'importe quelles conditions … Ce n'est pas de cela qu'il s'agit…
M. DENOYAN : Personne ne l'a dit d'ailleurs.
M. VIANNET : Non, mais souvent on essaie de nous accuser d'un tel travers.
M. ROLAND-LEVY : Vous êtes un des rares syndicats à avancer un dogme qui est : « Pas un centime de diminution de salaire, quelle que soit la réduction de la durée du travail », alors que dans les autres pays européens, cela se passe différemment.
M. VIANNET : Écoutez, jusqu'à maintenant, je n'ai pas beaucoup d'exemples dans les autres pays européens, que des mesures…
M. ROLAND-LEVY : Le grand syndicat Ige-Metal allemand est prêt à négocier.
M. VIANNET : Mais le patronat, lui, pas.
M. ROLAND-LEVY : Vous n'êtes pas le patronat, vous êtes les syndicats.
M. DENOYAN : Revenons à la situation française, avec une question de Brigitte Jeanperrin.
Mme JEANPERRIN : Je voulais revenir sur Air France. Vous parlez de dérégulation, vous avez dit depuis longtemps que l'Europe ultra-libérale ne devait pas passer. Elle passe : janvier 97, le ciel européen est dérégulé. Que faites-vous ? Pourquoi une action nationale et uniquement au sein d'une entreprise ? Pourquoi ne pas vous ouvrir aux autres syndicats européens ? Pourquoi ne pas vouloir plus militer sur une Europe sociale ?
M.VIANNET : J'aime les conseils quand ils sont donnés avec autant de précision …
Je suis bien obligé de constater d'abord que, sans vous vexer, nous n'avons pas attendu vos conseils pour, y compris…
Mme JEANPERRIN : On ne les a pas vraiment vus…
M. VIANNET : … y compris faire des propositions et essayer d'ouvrir des perspectives de convergence revendicative, de coopération entre tous les syndicats et de créer les conditions pour qu'au niveau de l'Europe le poids des salariés s'affirme de plus en plus fort.
Mais je le répète, il ne faut pas faire porter aux syndicats aujourd'hui la responsabilité de la difficulté de trouver des solutions à des problèmes qui résultent de choix que nous avons combattus, parce que nous avons combattu les choix qui conduisent à la situation d'aujourd'hui.
Nous n'avons pas été assez forts pour être entendus. Bien, dont acte. Nous continuons à nous battre.
M. LE MARC : Vous avez parlé des 7 millions de personnes en état de précarité et c'est vrai que la situation n'a jamais été aussi grave depuis plusieurs années. Mais en même temps, on ne sent pas la mobilisation, on ne sent pas la révolte si on sent l'inquiétude.
Est-ce que votre difficulté ne vient pas de ce que les salariés ne croient plus au grand soir social et se replient simplement sur des revendications catégorielles ? Et difficulté aussi pour vous parce que vous êtes face à un gouvernement qui manœuvre assez bien, qui est très prudent sur le plan social, qui joue la négociation et qui recule lorsqu'il est en difficulté.
M. VIANNET : Sur ce problème du chômage, de l'exclusion, je considère que la France a besoin d'un véritable sursaut national. On ne peut pas laisser les choses continuer ainsi. Et si nous proposons pour le 12 mars une grande initiative, que nous voulons essayer de mettre en œuvre avec toutes les organisations syndicales qui en sont d'accord, avec toutes les associations, avec toutes les mutuelles, avec toutes les organisations de jeunesse, pour faire grandir dans ce pays l'exigence de la prise en compte du droit au travail, en dehors duquel il n'y aura pas de solution pour toutes les grandes questions sociales qui sont posées…
M. LE MARC : Les salariés croient-ils encore à ces grand-messes ?
M. VIANNET : … En dehors duquel il n'y aura pas de solution pour toutes les grandes questions sociales qui sont posées…
M. LE MARC : … Les salariés croient-ils encore à ces grand-messes sociales alors qu'ils veulent, eux, du concret, de la bataille concrète sur des objectifs bien précis ?
M. VIANNET : Malheureusement, le concret ne va pas tomber du ciel…
Mme JEANPERRIN : … Il y a du concret.
M. VIANNET : Je crois que ce qui est en train de grandir dans l'état d'esprit et la réflexion des salariés, c'est précisément la prise de conscience que, vraiment, le moment est venu de s'y mettre et si on s'y met tous ensemble, on sera plus forts.
Regardons la situation en matière d'emploi puisque, à chaque fois, on dit : « Oui, mais enfin, le chômage, on ne va pas trouver des solutions au chômage du jour au lendemain », c'est vrai, il n'y a pas une solution, il y a toute une série de mesures, mais quelles qu'elles soient. Qu'il s'agisse d'augmenter le pouvoir d'achat pour relancer la consommation, qu'il s'agisse de mettre en œuvre la réduction de la durée du travail, qu'il s'agisse de mettre en œuvre des mesures draconiennes pour mettre un terme aux décisions de licenciements, il y a besoin, dans ce pays, d'une mise en mouvement très forte du mouvement social et je crois que la CGT est vraiment décidée à jouer son rôle pour parvenir au niveau de mobilisation nécessaire.
M. JEANPERRIN : Il y a un grand mouvement, c'est celui des chômeurs, des 5 millions d'exclus dont vous parlez, faut-il que les syndicats s'en occupent ou êtes-vous d'accord avec Martine Aubry, ils doivent, eux aussi, se mettre en association, se regrouper pour pouvoir se défendre ?
M. VIANNET : C'est une question qui ne nous laisse pas indifférents. Je crois que tout le monde admet que ce n'est pas facile de rassembler les chômeurs, que ce n'est pas facile de les réunir, c'est encore moins facile maintenant qu'ils ne sont même plus obligés d'aller régulièrement à l'ANPE, ce qui fait que pour les contacter, pour les réunir, pour les rassembler, tout le monde a des difficultés, les syndicats ont des difficultés, la CGT a des difficultés, même si nous sommes dans une période où nous voyons développer nos comités de chômeurs, et les associations de chômeurs sont en difficulté. Je le dis très nettement : « Il n'y aura jamais trop de monde sur le pont pour mobiliser l'ensemble des actifs des retraités et des chômeurs parce que c'est de cela dont nous avons besoin aujourd'hui et c'est cette perspective-là que nous donnons à notre initiative du 12 mars ».
OBJECTIONS
M. DENOYAN : Objections de Monsieur Philippe Vasseur, Secrétaire général du Parti républicain.
Bonsoir, Philippe Vasseur.
M. VASSEUR : Bonsoir.
M. DENOYAN : Vous avez entendu, Monsieur Viannet, il parle de sursaut national. Vous avez sans doute lu aussi les propos de Philippe Seguin, Président de l'Assemblée nationale, qui pense qu'il n'y a pas une mobilisation et une politique suffisamment audacieuse du Gouvernement dans la lutte anti-chômage ?
M. VASSEUR : Les propos que vient de tenir Monsieur Viannet ne surprennent pas, Monsieur Viannet est fidèle à lui-même dans un style combatif et il affirme, ce qui est tout-à-fait légitime d'ailleurs, le rôle revendicatif du syndicat et particulièrement du sien. Je suis même d'accord sur une partie de son constat…
M. DENOYAN : … C'est dommage que vous ne voyiez pas, Monsieur Viannet, il n'en revient pas.
M. VASSEUR : Oui, mais attendez la suite, il ne faut pas qu'il se réjouisse trop vite tout de même ! Je suis d'accord sur une partie du constat, je n'ai pas dit sur l'analyse qu'il en fait par la suite. Je crois que, effectivement, il y a de très, très graves problèmes, de graves difficultés dans notre pays, qu'il y a des risques de déchirure de la Société française, nous avons des risques de déchirure sociale et je crois que la France a besoin d'un grand sursaut national. Je suis là-dessus tout-à-fait d'accord.
Je voudrais faire deux remarques à Monsieur Viannet :
La première est que nous devons avoir le courage collectif, les uns et les autres, les hommes politiques, les syndicalistes, etc. de reconnaître certaines réalités, de voir le monde tel qu'il est.
J'ai entendu ce qui a été dit sur Air France, j'attends toujours la réponse de Monsieur Viannet ? Je voudrais prendre un exemple, un tout petit exemple : nous savons aujourd'hui que le nombre de personnes, aujourd'hui, âgées de 20 à 60 ans augmente beaucoup, beaucoup moins vite que le nombre de personnes âgées de plus de 60 ans. Nous avons devant nous un véritable mur concernant la retraite. Qui le dit ? Qui s'en préoccupe si ce n'est pour affirmer un certain nombre de mesures démagogiques ?
Deuxième remarque et dernière remarque que je voudrais faire, j'assiste à la multiplication de conflits catégoriels et localisés dans lesquels la CGT joue le rôle moteur, un rôle majeur. Monsieur Viannet dit que le durcissement n'est pas nouveau, je n'ai pas eu le sentiment que, sous le précédent gouvernement, il y a moins d'un an, – il y a moins d'un an, c'était un autre gouvernement, on ne peut pas demander au gouvernement de Monsieur Balladur de faire des miracles dans une si courte période –, avant l'arrivée de la nouvelle Majorité au Pouvoir, ces conflits n'étaient pas de même nature, en tout cas, pas de même ampleur.
Monsieur Viannet me permettra une question naïve, je sais qu'elle est naïve mais les Français se la posent, en tout cas, un certain nombre d'entre-deux : n'y a-t-il pas quelques arrière-pensées politiques dans l'exploitation des mécontentements, des angoisses et des inquiétudes des Français aujourd'hui par la CGT ?
M. DENOYAN : Je ne pense pas que vous l'avez supprimé par votre question là non plus.
M. VASSEUR : Je crois que c'est une question que Monsieur Viannet a déjà dû entendre et j'aimerais bien avoir une réponse.
M. VIANNET : Et je ne l'ai jamais considérée comme naïve d'ailleurs, mais par contre je peux faire une réponse très directe : contrairement à ce que vous affirmez, la CGT a multiplié les initiatives, y compris contre certaines dispositions du gouvernement précédent dès l'instant où nous avons que non seulement elles n'allaient pas dans le sens de ce qu'il fallait faire pour répondre aux problèmes économiques et sociaux qui étaient posées dans le pays mais qu'elles allaient à l'inverse de ce qu'il fallait faire et c'est, en particulier, le cas de la politique…
M. VASSEUR : Monsieur Viannet, juste un tout petit mot, ce sera le dernier, je vous le promets : je vous accorde, c'est vrai, que vous aviez émis des protestations sous le précédent gouvernement, je n'ai pas le souvenir d'avoir eu une véritable guérilla syndicale comme celle à laquelle nous assistons aujourd'hui.
M. VIANNET : Peut-être faut-il prendre en compte la détérioration de la situation qui est allée en s'aggravant considérablement en particulier depuis l'arrivée de Monsieur Balladur qui a pris des dispositions dont, aujourd'hui, on est en train de mesurer la portée.
Lorsque nous avons discuté des dangers que représente le plan quinquennal pour l'emploi dans la mesure où ce plan va permettre aux employeurs de faire travailler les gens encore plus, de les faire produire encore plus sans embaucher alors que l'on prétend que la question qui est posée dans ce pays, la question n°1 qui est posée dans ce pays, c'est la question de l'emploi, que voulez-vous que je vous dise, il est absolument urgent que les gens ne se laissent pas faire.
Quand on regarde à quel point le pouvoir d'achat s'est détérioré dans la plupart des branches du secteur privé, public, nationalisé et que nous disons : « Il faut augmenter les salaires », il n'y a pas d'autres moyens pour y parvenir que l'action, que l'action collective et que la grève.
M. DENOYAN : C'était la réponse à Monsieur Vasseur.
M. LE MARC : Philippe Vasseur parlait d'arrière-pensées politiques, parlons un peu politique. Le 10 décembre, Louis Viannet, vous avez déclaré que le processus de succession à la direction du PC n'était pas satisfaisant, – je signale que vous avez été réélu au Bureau national du Parti communiste –, maintenez-vous cet avis et qu'attendez-vous du nouveau Secrétaire national, Robert Hue, et en quoi les rapports entre la CGT et le PC peuvent-ils changer à cette occasion ?
M. VIANNET : Je vais partir de votre dernière question, tout simplement parce que les premières n'interpellent pas directement le Secrétaire général de la CGT. Je suis invité à cette émission à ce titre-là et je crois qu'il faut rester dans le cadre de mes responsabilités syndicales si on veut conserver le caractère de l'émission.
M. APHATIE : L'ennui, c'est que vous êtes le seul dirigeant syndical français à avoir deux casquettes…
M. VIANNET : … Ce n'est pas un ennui.
M. APHATIE : C'est-à-dire d'être le responsable d'un grand syndicat ouvrier et membre de la direction d'un grand Parti politique, c'est assez singulier comme position ?
M. VIANNET : Non, ce n'est pas singulier…
M. APHATIE : … Vous êtes un personnage unique de ce point-de-vue.
M. VIANNET : Non, je crois que la liberté que laisse la CGT à l'ensemble de ses syndiqués, de ses militants, de ses dirigeants, d'avoir l'engagement politique, philosophique ou religieux de leur choix, c'est une liberté qui ne peut pas être conditionnée, ni conditionner elle-même la conception que nous avons de l'indépendance syndicale.
M. ROLAND-LEVY : Vous pourriez être totalement libre si vous étiez un simple militant de base, qu'avez-vous besoin d'être à la direction du Parti communiste français ?
M. VIANNET : Je milite sur le terrain politique, je milite sur le terrain syndical depuis plus de 35 ans et je dois dire que non seulement, quand je regarde la situation, je considère que le besoin de s'investir dans les luttes sociales et de s'investir dans l'action politique est aussi grand qu'avant, je pense même qu'il est de plus en plus grand.
Ce que je crois, parce que cela me paraît important…
M. LE MARC : … Eh oui, il y a un vrai débat à la CGT sur ce problème.
M. VIANNET : … Ce que je crois, c'est la période, aujourd'hui, pose en termes nouveaux la nécessité d'affirmer très fort l'indépendance syndicale. Je crois que l'avancée majeure qui a été réalisée au 44ème Congrès de la CGT, c'est précisément de définir les bases sur lesquelles nous entendons faire vivre cette indépendance syndicale…
M. LE MARC : … C'est une avancée qui a été contestée et combattue par la direction du Parti communiste.
M. VIANNET : Jamais de la vie ! Pourquoi dites-vous cela ?
M. APHATIE : Parce que cela correspond à la réalité.
M. LE MARC : Parce que c'est la réalité. Les dirigeants de la CGT le disent.
M. VIANNET : Je ne suis pas là pour défendre la direction du Parti communiste, je prends simplement en compte le fait qu'il y a eu, de la part du Parti communiste, des déclarations très nettes sur sa volonté de respecter l'indépendance syndicale. Ce que je veux dire, c'est que militant communiste que je suis, je suis bel et bien décidé de me battre de toutes mes forces pour affirmer l'indépendance de la CGT et pour faire en sorte que les orientations de la CGT soient décidées dans le syndicat et pour faire en sorte que ce que nous avons décidé, du point-de-vue de la transformation de la vie syndicale, pour faire que ce soit les syndiqués eux-mêmes qui décident de l'action syndicale, pour faire des syndiqués de la CGT des acteurs et des décideurs de l'action syndicale, croyez-moi qu'en tant que Secrétaire général de la CGT, je suis bien décidé à me battre pour cela.
M. LE MARC : Déplorez-vous l'attitude d'Alain Obadia qui, justement, a décidé de ne pas se représenter dans les instances du Parti communiste ?
M. VIANNET : Alain Obadia a dit, lui-même, c'est une position personnelle ; Il avait la liberté de la prendre…
M. LE MARC : … Est-ce la bonne ou la mauvaise position ?
M. VIANNET : Il avait la liberté de le faire. Ce que je veux ajouter…
M. DENOYAN : … On ne va pas refaire le Congrès.
M. VIANNET : … Parce que je sens bien que sur ce terrain de l'indépendance syndicale il y a des choses que vous aimeriez bien ne pas m'entendre dire…
M. APHATIE : … Oui, c'est vrai…
M. VIANNET : Eh bien, moi, je vous dis ceci : « En toute lucidité, nous sommes conscients qu'à partir du moment où un syndicat est capable de rassembler, quel qu'il soit, à partir du moment où un syndicat est capable de peser sur des décisions, de peser sur des choix, de générer un mouvement social qui percute très fort le dispositif politique et social d'un pays, forcément, la conception même de l'indépendance syndicale est une conception qui doit être défendue en permanence ». Je suis lucide là-dessus et je fais partie de ceux qui considèrent aujourd'hui qu'ouvrir une alternative dans ce pays à la politique de casse et de chômage qui se développe implique une action syndicale indépendante et autonome.
Mme JEANPERRIN : Je vais vous faire plaisir, Monsieur Viannet, on va revenir à la politique sociale. Vous dites qu'il faut s'impliquer, s'investir dans les luttes mais c'est aussi être une force de proposition. Vous allez rencontrer Monsieur Balladur bientôt, vous allez négocier avec le patronat plein de sujets autour de la loi quinquennale, qu'allez-vous proposer, qu'allez-vous dire au Gouvernement ?
M. VIANNET : Ce que nous allons dire au Gouvernement, c'est que si, véritablement, on veut commencer à créer les conditions de sortir le pays des difficultés dans lesquelles il se trouve, les mesures que doit prendre le Gouvernement sont à l'opposé de celles qu'il a prises jusqu'à maintenant. On ne peut pas continuer de dépenser des milliards et des milliards pour aider le patronat à mettre en œuvre sa stratégie de recherche de productivité en pressurant les salariés.
Mme JEANPERRIN : Ça, c'est la contestation, maintenant, quelle est votre force de proposition ?
M. VIANNET : Notre force de proposition est : 1. – Il faut relancer le pouvoir d'achat dans ce pays, je ferai remarquer que Monsieur Balladur en a admis lui-même le principe sans le dire puisque, pour relancer l'industrie automobile, ce qu'il a proposé c'est une prime de 5 000 francs, c'est-à-dire une aide financière pour permettre aux gens qui ont une voiture de plus de 10 ans de pouvoir la changer. Pour l'essentiel, ce sont des revenus modestes et ce n'est pas une prime de 5 000 francs qui peut suffire…
M. DENOYAN : … Ceci est la première mesure, relancer la consommation.
M. VIANNET : Deuxième mesure, il faut tout de suite un dispositif qui permettre d'engager le débat sur la réduction de la durée du travail et de mettre un terme à toutes les opérations de délocalisation, à toutes les opérations de transfert d'activités qui se situent de plus en plus en Europe. On parle beaucoup de délocalisations d'activités économiques qui se font en Thaïlande…
M. DENOYAN : … Dans le sud-est asiatique, oui.
M. VIANNET : Ou en Corée, c'est maintenant entre les pays d'Europe. Quand on sait que l'écart de salaire entre le Danemark et le Portugal est de 1 à 6, on comprend pourquoi les grandes multinationales vont de plus en plus chercher à développer leurs activités dans les pays où le niveau des salaires est le plus bas, avec cette contradiction incroyable : On nous a présenté l'Europe comme étant la perspective de débouchés économiques, la perspective de relance de l'activité, la perspective de diminution du chômage et voilà qu'on en arrive à cette situation où, par le biais des délocalisations, gagner une part de marché dans un pays se paie au prix du développement du chômage dans le pays d'où l'on vient. C'est véritablement la spirale…
M. DENOYAN : … C'est pareil pour tous les autres pays européens.
M. VIANNET : Bien sûr…
M. DENOYAN : … Nous ne sommes pas les seuls à être logés à cette enseigne ?
M. VIANNET : Ce n'est pas cela l'objectif qu'on poursuit.
M. DENOYAN : D'accord, on vous a bien entendu, Monsieur Viannet, mais on arrive à la fin de l'émission, il faut vous interroger sur la Bosnie.
M. ROLAND-LEVY : La CGT était hier dans la rue pour réclamer la paix en Bosnie. Je n'ai tout de même pas très compris votre position : estimez-vous que, depuis que le Gouvernement français a pris une initiative dimanche et a rallié l'OTAN, le dossier bosniaque est plus mal engagé qu'auparavant ou bien les choses bougent-elles ?
M. VIANNET : Tout d'abord, je voudrais faire remarquer qu'entre ce que pouvait être la situation il y a une dizaine de jours et ce qu'elle est aujourd'hui, il n'y a pas seulement la décision de l'OTAN, il y a aussi le crime monstrueux sur Sarajevo et le fait que la conscience grandit du caractère dramatique de la situation dans ce pays. Moi, je le dis très nettement : « Je pense que la décision de l'OTAN représente un pas en avant vers l'irrémédiable » …
M. ROLAND-LEVY : … Donc, c'est pire qu'avant ?
M. DENOYAN : Qu'entendez-vous par "l'irrémédiable", expliquez-vous, Monsieur Viannet ?
M. VIANNET : L'irrémédiable, cela peut être la généralisation du conflit, je serais même tenté de dire que, en réalité, c'est un pas vers l'irrémédiable et personne ne sait jusqu'où pourrait aller l'irrémédiable dans la situation telle qu'elle existe actuellement dans ce pays, jusqu'où cela pourrait conduire le monde et d'abord l'Europe.
M. LE MARC : Quelle autre solution ?
M. VIANNET : Aucune solution, Monsieur Le Marc, n'est possible si l'on rajoute la guerre à la guerre.
M. APHATIE : Si les bombardements risquent de cesser sur Sarajevo, c'est bien parce que l'OTAN a exprimé la possibilité de pratiquer les frappes aériennes, c'est-à-dire que l'intervention de l'OTAN a, apparemment sur le terrain, rendu un peu d'oxygène aux habitants de Sarajevo qui en avaient bien besoin ? C'est cela qui s'est passé, non ?
M. VIANNET : Je souhaite que vous ayez raison, je dois vous dire que si on en juge par les réactions telles que nous les connaissons des dirigeants bosniaques, serbes, je suis loin de partager votre certitude.
M. DENOYAN : Si ce n'est pas la bonne solution, de votre point-de-vue de Secrétaire général de la CGT, que faut-il faire ?
M. VIANNET : Il y a des choses à faire. C'est vrai sur un certain nombre de problèmes sociaux, c'est toujours délicat de donner l'impression, « j'ai la solution »…
M. DENOYAN : … Votre proposition, en tout cas ?
M. VIANNET : Je pense qu'il y a des choses à faire et, d'abord, je crois qu'il y a devoir de faire grandir la pression internationale, c'est-à-dire la pression populaire, la pression des gouvernements pour structurer véritablement un véritable blocus sur les armes parce que ces armes viennent bien de quelque part…
M. LE MARC : … De quel côté ?
M. APHATIE : Les armes des Serbes ?
M. LE MARC : D'où viennent-elles ?
M. VIANNET : Parlons-en. Nous sommes capables de faire un blocus économique, nous en avons été capables et nous sommes toujours capables de faire le blocus économique et on veut nous faire croire que nous ne sommes pas capables d'opérer un blocus pour arrêter les livraisons d'armes ?
M. LE MARC : Si les choses tournaient mal et si la France devait être amenée à renforcer sa présence en Bosnie, est-ce que la CGT s'y opposerait de manière physique comme elle l'avait fait lors de la guerre du Golfe ?
M. VIANNET : Si vous voulez parler de l'engagement de la France dans les forces des Nations-Unies, nous sommes pour le maintien des forces des Nations-Unies parce que c'est absolument nécessaire, parce que c'est la condition de la survie de ces populations…
M. LE MARC : … Le renforcement aussi ?
M. VIANNET : Oui, y compris le renforcement. Si vous voulez parler d'une intervention militaire, je peux vous assurer que la CGT se battra de toutes ses forces contre une telle décision qui serait une véritable folie et une folie criminelle.
M. DENOYAN : Merci, Monsieur Viannet.
A vendredi prochain.
RTL : 15 février 1994
Q. : Que pensez-vous de L'Heure de Vérité d'E. BALLADUR ?
R. : J'ai remarqué l'assurance avec laquelle le Premier ministre a annoncé la fin de la récession dans notre pays. Il a pris des risques : les plus audacieux de nos experts se contentent de parler de frémissement, et encore. Par contre, en ce qui concerne le chômage, aucune perspective d'amélioration.
Q. : Sommes-nous sur la bonne voie ?
R. : Il a rajouté « on continue ». On ne change pas une politique qui fait reculer la France. On a cassé 220 000 emplois en 1993, dans l'industrie et le bâtiment. Le Premier ministre a été particulièrement discret sur la hausse des profits, de la Bourse, les records battus par toutes les opérations de spéculation financière. Il y a deux poids deux mesures dans la politique du gouvernement : quand il parle des mesures de la réduction du travail et d'augmentation du pouvoir d'achat, qui sont nécessaires, il dit que ça regarde les acteurs sociaux et la négociation. Par contre, en ce qui concerne les allégements de la taxe professionnelle, les exonérations de charges, la remise sur la TVA, c'est lui qui décide.
Q. : Y a-t-il des risques d'explosion sociale ?
R. : La CGT est engagée pour préparer une grande initiative nationale le 12 mars. Nous souhaitons rassembler les salariés, les chômeurs et les exclus. Il y a risque d'une césure entre les chômeurs et les non-chômeurs. Les propos du Premier ministre d'hier doivent galvaniser encore plus l'énergie de ceux et celles qui se rendent compte qu'il n'y a pas d'autre moyen pour peser aujourd'hui sur les choix que de s'engager dans l'action collective. Le Premier ministre a annoncé une réunion sur Marseille. Je le comprends. Mais c'est dans toute la France qu'il va devoir faire des réunions tant la situation est sérieuse.