Texte intégral
Alain Obadia : "Personne ne nie plus la réalité" des relations de la CGT et du PCF
Dans un entretien au "Monde", Alain Obadia, numéro deux de la CGT, s'explique sur sa décision de ne pas solliciter le renouvellement de son mandat au comité central du Parti communiste français (le Monde du 30 décembre 1993) qui tient son congrès du 25 au 29 janvier à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis). Hostile au cumul des mandats politiques et syndicaux de même niveau décisionnel, il dénonce des "dérives inacceptables" et souhaite que la confédération puisse "construire son avenir de manière totalement autonome".
Le Monde : Au nom de l'indépendance syndicale, vous avez décidé de ne pas solliciter le renouvellement de votre mandat au comité central du Parti communiste. La coupe était-elle vraiment pleine ?
Alain Obadia : Ce n'est pas un mouvement d'humeur. C'est bien plus profond ! Au terme d'une expérience de douze années, je suis arrivé à la conclusion qu'il était préjudiciable, et pour la CGT et pour le Parti communiste, de continuer à entretenir une situation de cumul de mandats politiques et syndicaux de même niveau décisionnel. Un tel mélange des genres est générateur d'ambiguïtés et conduit souvent à des conjugaisons difficiles entre deux logiques, celle du parti et celle du syndicat, quelles que soient par ailleurs les proximités de combat. Par ailleurs, des dérives inacceptables quant aux principes d'indépendance syndicale, inscrits aussi bien dans les orientations du PCF que dans celles de la CGT, se sont produites. Pour que cessent de telles pratiques, il faut les récuser avec clarté et de manière explicite.
Le Monde : De quelles pratiques voulez-vous parler ?
Alain Obadia : Certains ont prétendu et prétendent encore donner des directives aux militants syndicaux. Deux exemples. Lors de la préparation du 44e congrès confédéral de la CGT, des pressions ont eu lieu pour mettre en cause la volonté de transformation affirmée par les projets de texte ou pour empêcher de critiquer ceux qui se considèrent "en mission dans la CGT" Au XIe congrès de l'UGICT-CGT, l'organisation des ingénieurs et cadres, on a tenté de faire en sorte que celle-ci ne puisse se doter de la direction et des orientations qu'elle souhaitait.
Pas de réforme statutaire
Le Monde : Dans ces conditions, proposez-vous une réforme statutaire précisant les incompatibilités de mandat ?
Alain Obadia : Ce serait, à mon sens, inopérant. Le plus important est d'avoir la conviction que ce type de cumul pose un problème et de déterminer son attitude en conséquence. Quand cette conviction n'existe pas, les interdictions statutaires deviennent purement formelles et peuvent être contournées. Je pense, au contraire, qu'en ne proposant pas une telle réforme statutaire on crée de meilleures conditions pour favoriser les évolutions sans drame. Et, à cet égard, je suis plutôt optimiste.
Le Monde : Comment jugez-vous ceux qui, à la tête de la CGT, n'ont pas du tout l'intention de quitter les instances dirigeantes du PCF ?
Alain Obadia : Chacun se détermine en conscience et en fonction de l'analyse qu'il fait de la situation. Je ne préconise rien d'autre. Mais une chose est désormais certaine ; personne ne nie plus la réalité du problème posé, ni son ampleur. Il s'agit pour la CGT, avec la place qui est la sienne dans le syndicalisme, d'être en capacité de penser et de construire son avenir comme son évolution de manière totalement autonome. C'est une donnée déterminante pour faire face aux défis qu'elle doit relever, et avec elle tout le syndicalisme.
Le Monde : Votre décision vous fait clairement apparaître comme le rival de l'actuel secrétaire général de la CGT…
Alain Obadia : J'ai lu de nombreux commentaires à ce sujet. Ils sont sans fondement. Ma décision porte uniquement sur des problèmes de fond. elle vise à pousser et à concrétiser les évolutions que de nombreux militants jugent indispensables, qu'il s'agisse de l'indépendance, des relations entre le mouvement syndical et les salariés ou de l'unité d'action.
Le Monde : Certains vous reprochent d'avoir décidé de participer aux Assises de la transformation sociale.
Alain Obadia : Il n'y a aucune contradiction entre ma décision de quitter les instances dirigeantes du PCF et ma signature d'un appel prônant un débat pluraliste entre toutes les forces qui se disent favorables à la transformation de la société. Je ne suis surtout pas partisan de la "mutilation citoyenne" des militants syndicaux. Il faut au contraire encourager chacun à être acteur de la vie collective. On reconnaîtra sans peine qu'il existe une différence de nature entre le fait d'être signataire, à titre personnel, d'un tel appel et le fait d'exercer des fonctions politiques dirigeantes. Quant aux commentaires que l'on peut porter sur le fond de cette initiative, ils relèvent en tout état de cause d'une démarche politique et non d'une démarche syndicale.
Février 1994
Liaisons Sociales – N° 86
Alain Obadia : "Le cumul de mandats est préjudiciable aussi bien pour la CGT que pour le PCF"
Le virtuel numéro deux de la CGT, tête de file des "modernistes" et démissionnaire du comité central du PCF, appelle la confédération à mieux répondre aux aspirations des salariés et s'inquiète d'un risque de fracture sociale.
Liaisons Sociales : Vous avez décidé de quitter le comité central du Parti communiste français. Quel lien cette décision a-t-elle avec votre rôle au sein de la CGT ?
Alain Obadia : Après douze ans d'expérience, je suis arrivé à la conclusion que l'exercice simultané de responsabilités politiques et syndicales de même niveau décisionnel est préjudiciable, aussi bien pour la CGT que pour le PCF. Je pense donc qu'il fallait franchir une étape en ce domaine. Toutes les grandes actions revendicatives de ces dernières années montrent que les salariés veulent être pleinement propriétaires de leur mouvement et de la défense de leurs intérêts. Ils sont très exigeants vis-à-vis des syndicats, ils leur demandent d'être au service de leurs revendications et attachent beaucoup d'importance à ce que les objectifs réels des syndicats correspondent bien à ceux qui sont affichés. Toutes ces raisons m'ont poussé à prendre cette décision qui bien évidemment, est loin d'épuiser la question de l'indépendance syndicale. Dans le même temps, je ne suis pas partisan d'instaurer des incompatibilités statutaires. Chacun doit prendre en compte l'existence du problème et se déterminer en conscience.
Liaisons Sociales : Nombreux sont ceux qui pensent que la CGT est la courroie de transmission du PCF. Ont-ils tort ou raison ?
Alain Obadia : Cette situation, sans avoir jamais été formalisée, a longtemps existé dans les faits. Les choses ont bougé ces dernières années, mais des dérives existent encore. Elles sont autant d'écarts entre des principes d'indépendance affirmés nettement dans les orientations votées par les congrès et les pratiques relevant du passé. Je suis persuadé que les choses vont évoluer positivement, car tout pousse dans ce sens : aussi bien l'état d'esprit des salariés que le sentiment de nombreux militants.
Liaisons Sociales : Avez-vous le sentiment que l'ouverture prônée lors du 44e Congrès de la CGT en janvier 1992 est entrée dans les faits ?
Alain Obadia : Il y a indéniablement progrès, mais nous sommes loin de pouvoir nous reposer sur nos lauriers ! Et cela d'autant plus, que depuis le 44e congrès, les problèmes auxquels est confronté le monde du travail dans toute sa diversité n'ont fait que s'aggraver. Aujourd'hui plus qu'hier nous avons donc besoin de nous situer au niveau de ces enjeux, au diapason des aspirations et des revendications : celles des salariés qui ont un emploi dans le privé ou le public, mais aussi celles des salariés sans emploi ou en situation de précarité. C'est un défi qui nécessite une grande ouverture de la CGT sur la réalité, sa complexité et ses exigences. C'est dans cet état d'esprit que nous avons proposé notre initiative pour le droit à l'emploi du 12 mars que nous concevons comme un grand moment de convergence entre toutes les catégories de salariés. C'est aussi ce qui nous conduit à agir pour que le mouvement syndical parvienne à dépasser sa situation actuelle de division qui affaiblit les salariés de manière dramatique alors qu'ils sont durement frappés par la crise. L'unité d'action est plus impérative que jamais.
Liaisons Sociales : Comment expliquez-vous qu'au niveau des entreprises les militants CGT signent les trois-quarts des accords alors qu'ils le font déjà beaucoup moins au niveau des branches et quasiment jamais au niveau national, à part sur I'ASF ?
Alain Obadia : L'exemple de l'ASF démontre bien que l'attitude de la CGT n'est en aucun cas la non-signature de principe ! Dès lors qu’un accord nous semble réellement de nature à sauvegarder ou à conforter des intérêts des salariés concernés, nous savons prendre nos responsabilités. Le problème posé depuis de trop nombreuses années, au plan national notamment, est que la plupart des accords proposés en fin de négociation visaient à entériner des reculs sociaux. Au nom de quoi aurions-nous dû les signer alors que nous étions en désaccord ? Nous sommes persuadés que l’attitude de cohésion et de fermeté adoptée par les organisations syndicales à l’occasion des négociations en cours ou à venir. du sens des réalités. Cela dit, dans un certain nombre de cas nous sommes confrontés à des textes complexes qui comprennent à la fois des éléments permettant de limiter des dégradations mais qui comportent aussi un certain chantage patronal, ce qui place la CGT dans une situation difficile. La nouveauté vient des fédérations ou des unions départementales qui ont une plus grande capacité à comprendre à quel point il n'est pas facile pour certaines de nos organisations de se prononcer. Il y a moins de jugements à l’emporte-pièce sur les accords signés. Mais la signature d'accords n'est pas l'élément qui suffit à démontrer l'efficacité d'un type de syndicalisme.
Liaisons Sociales : Souhaitez-vous et pensez-vous possible la multiplication de conflits comme chez Air France ?
Alain Obadia : Les personnels d'Air France ont refusé et finalement mis en échec un énième plan social un énième plan social qu'ils estimaient, à juste titre, injuste et inefficace. Ils ont démontré que lorsque les salariés sont persuadés qu'on peut et qu'on doit faire autre chose et autrement, ils n'hésitent pas à agir. Mais aucun conflit ne peut servir de modèle. La réalité est toujours plus riche d'inventions que tous les schémas que nous pouvons élaborer. En revanche, une chose nous semble certaine : les salariés de notre pays ont besoin qu'un mouvement social enraciné dans les entreprises, plus fort, plus ample et plus uni qu'aujourd'hui se développe et puisse peser efficacement pour la satisfaction des revendications et des besoins sociaux. C'est ce mouvement que nous nous efforçons de construire au quotidien.
Liaisons Sociales : À l'extérieur, vous apparaissez comme le principal opposant de Louis Viannet. Cette situation est-elle tenable ?
Alain Obadia : Opposant ? Pas du tout ! La CGT est faite de diversité. Et c'est justement l'un des acquis du 44e congrès de considérer cette diversité comme une richesse et non un handicap ! C'est dans cet esprit que la direction confédérale travaille et détermine ses initiatives.
Liaisons Sociales : Vous auriez plus de poids si vous étiez le numéro un…
Alain Obadia : Ce problème ne se pose pas.