Interview de M. Alain Deleu, président de la CFTC, à RMC le 9 juin 1998, sur le conflit des pilotes à Air France, la conférence nationale sur la famille et la décision du Gouvernement de revenir sur le plafonnement des allocations familiales.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

Philippe Lapousterle : Vous aimez le foot ?

Alain Deleu : « Oui heureusement pour moi. »

Philippe Lapousterle : Le conflit des pilotes : à la CFTC est-ce que vous soutenez le mouvement des pilotes ou est-ce que vous le condamnez au bout du neuvième jour ?

Alain Deleu : « Quand on a le niveau de rémunération qu’ont les pilotes d’Air France, je pense que la grève est vraiment l’ultime recours et dans des circonstances extrêmes. Je crois vraiment que pour les pilotes cela devrait pouvoir se mener sans la grève. C’est la première chose. La seconde, c’est aujourd’hui on peut analyser toutes les raisons pour lesquelles ils en sont là mais personne ne comprend que des revendications catégorielles puissent perturber, qu’on le veuille ou non, l’accueil d’étrangers pur un événement mondial. Ce n’est pas proportionné à leur propre problème. »

Philippe Lapousterle : Vous avez une position bien gouvernementale ?

Alain Deleu : « Non, c’est une position CFTC. La grève est proportionnée à son enjeu. Et moi, je suis convaincu que les pilotes de ligne, qui sont respectés et estimés dans le pays, ont les moyens de se faire entendre sans entrer dans un rapport de forces qui, aujourd’hui, risque de jouer en leur défaveur. »

Philippe Lapousterle : La réquisition : quand vous entendez des responsables politiques demander la réquisition des pilotes, même l’exiger en disant que c’est le rôle du Gouvernement que de la décider ?

Alain Deleu : « Je crois surtout que le Gouvernement et le patron de l’entreprise doivent être très clairs sur ce qu’ils veulent et peuvent le faire en prenant en compte les demandes qu’ont formulé les pilotes, écoutant ce qu’ils ont dit et en disant : voilà, j’ai entendu tout cela, on peut faire cela, on peut ne pas faire cela. Voilà terminé ! Et puis il faudra bien qu’on en sorte. Cela étant dit, c’est vrai à Air France que le mode de fonctionnement, le mode d’organisation permettrait de dégager encore des marges de performances sans pour autant taper sur les salariés, si j’ose dire. Et toute l’attitude que l’on a c’est qu’au bout du compte ce soit les personnels au sol ou les personnels commerciaux qui payent avec d’ailleurs toute la compagnie les conséquences d’un tel conflit. »

Philippe Lapousterle : Réquisition, c’est fondé ou non ?

Alain Deleu : « Je ne sais pas, c’est un secteur concurrentiel, les gens iront ailleurs. Et c’est d’ailleurs pourquoi, au fond, le fait d’avoir changé de cap sur la privatisation a sans doute beaucoup perturbé la situation de l’entreprise. »

Philippe Lapousterle : A propos de privatisation est-ce que c’est une bonne idée que de privatisée Air France ? Il faut la privatiser ?

Alain Deleu : « En secteur concurrentiel, il n’y a pas de raison que l’Etat soit majoritaire. Qu’il y ait une part de l’Etat, bien sûr, mais on aurait pu construire les choses de manière plus équilibrée de telle façon que ce soit réellement une entreprise qui puisse être dirigée autrement qu’en fonction d’un cabinet ministériel et d’un Gouvernement. »

Philippe Lapousterle : Qu’avez-vous pensé à la CFTC des choix décidés, hier, par J.-P. Chevènement et E. Guigou, des mesures qui sont prises maintenant pour les mineurs et qui tendent vis-à-vis des mineurs à les rendre responsables de ce qu’ils font ainsi que les parents qui pourront être condamnés financièrement au cas où leurs enfants sont considérés comme non assez gardés ?

Alain Deleu : « On sait bien que c’est une des questions les plus grave de notre société parce qu’on voit aujourd’hui que la délinquance des jeunes est de plus en plus précoce et ceci parce que leur environnement, dès la naissance, est, dans certains secteurs, très difficile ; Donc, il y a un vrai problème. C’est un problème éducatif. Les enfants sont responsables, oui mais à la taille de ce qu’est un enfant. Effectivement, c’est bien au niveau éducatif que cela se joue entre parents et enfants. Il est donc normal et nécessaire de demander aux parents de jouer leur rôle mais surtout, il faut les aider. Regardons comment cela se passe, regardons les situations dans lesquelles sont les familles, dans lesquelles il y a le chômage ou même l’emploi des deux parents ou des parents isolés. Les enfants sont sur un terrain, dans une école où rien ne va, où pas grande chose ne va. C’est intenable. Il faut les aider. C’est vraiment tout le travail d’environnement, de soutien à la famille qui est essentiel. La répression, la sanction, bien sûr qu’elle est parfois nécessaire et indispensable mais le cœur du problème est d’aller là où sont les difficultés des gens et les aider à s’en sortir. »

Philippe Lapousterle : Vendredi il y aura une conférence nationale sur la famille. On prête à M. Jospin de rétablir les allocations familiales pour tout le monde, alors qu’il y avait un seuil décidé pour l’an dernier, en contrepartie de la limitation du quotient familial. C’est une bonne décision ?

Alain Deleu : « Revenir sur la décision de plafonner le versement des allocations familiales, c’est-à-dire de faire en sorte que de nombreuses familles ne recevraient plus rien comme allocations familiales, en reçoivent peu par rapport à d’autres en fonction de leurs revenus, mais plus rien : revenir là-dessus, c’est une bonne chose. Et je prends cela comme un progrès et comme un acquis de la discussion depuis un an. Cela étant dit, on vient d’évoquer des enfants en difficulté, la politique familiale, on voit bien qu’elle est bien plus globale que ce problème-là. Et donc au fond, on peut regretter que l’on ait passé un an à se battre autour de cette question alors qu’on aurait mieux fait de creuser plus au fond les affaires. Mais cela étant dit, je préfère cette décision-là. »

Philippe Lapousterle : Quel est le problème n° 1 de la famille en ce moment ?

Alain Deleu : « C’est qu’elle puisse tenir, faire face à sa stabilité dans un environnement qui est de plus en plus difficile par le travail, par l’environnement, les conditions de logement, l’environnement du quartier etc. Pour beaucoup de familles, c’est quasiment héroïque et comme tout l’environnement n’est pas pour porter, pour aider et soutenir la famille, et bien elle traque, elle casse, elle se disperse. Et les enfants sont les premières victimes de ces situations. Donc c’est vraiment tout un environnement qui est à mener, c’est le logement, l’éducation, l’école, ce sont les médias et ce sont les moyens bien sûr. Et là je trouve qu’actuellement encore on voit venir plutôt une démarche de redéploiement qu’une démarche d’efforts supplémentaires. Je demande qu’on fasse de la famille une des grandes priorités dans le pays. Ce n’est pas le cas aujourd’hui et je n’ai pas l’impression que ça soit vraiment le cas vendredi. Cela étant dit, on est là pour discuter, on essaie de faire avancer les choses. »

Philippe Lapousterle : Pour finir, la redistribution des fruits de la croissance, qui est un des problèmes qui va dominer la fin de cette année et l’an prochain, qu’est-ce qu’il faut faire de l’argent supplémentaire ?

Alain Deleu : « L’argent supplémentaire, cela veut dire qu’il y a davantage donc d’argent qui circule… »

Philippe Lapousterle : Il faut augmenter les minima sociaux ou bien ?

Alain Deleu : « Nous, nous voyons bien qu’il y a aujourd’hui des points faibles encore sur les minima sociaux. Entre les partenaires sociaux, ce qu’ils font à l’Unedic par exemple et ce que fait encore l’Etat, il y a un écart. Donc effectivement, on a à faire encore un peu plus sur les minima sociaux, c’est nécessaire. Il y a aussi, je crois, à jouer un peu sur les impôts, sur la TVA notamment, je crois qu’il faut baisser, la TVA au taux normal, de façon à accompagner cette croissance et je dirais, accélérer l’effet économique de la croissance. Notre pari, c’est qu’on profite d’une période favorable pour accélérer la création d’emplois. Et donc aussi sans doute que les recettes publiques dégagées permettent de mieux financer les actions pour l’emploi. Sur le temps de travail, ça va coûter cher, les 35 heures vont coûter cher. Il faut pouvoir le faire, il faut pouvoir s’y engager en créant des emplois. Et puis c’est la semaine, ce serait quand même dommage de ne pas en profiter pour faire un peu plus pour la famille, notamment pour permettre le libre choix des pères et mères de famille dans leur vie familiale, leur vie professionnelle. Il y a là des efforts à faire. »