Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
Je me réjouis particulièrement d’être ici aujourd’hui avec vous. La création du 19e centre chorégraphique national, implanté à Rillieux-la-Pape, et confié à Maguy Marin, me semble une circonstance extrêmement heureuse et porteuse de nombreux espoirs.
C’est, en effet, un évènement qui s’inscrit dans les préoccupations qui sont, vous le savez, prioritaires à mes yeux : j’évoque ici, bien sûr, la nouvelle impulsion que j’entends donner à la politique du ministère en faveur d’une démocratisation accrue de la culture. Développer des actions de sensibilisation, de formation et de médiation, aller au devant des gens, au plus proche de leurs préoccupations, de leurs pratiques et de leur vie quotidienne, sont là des objectifs auxquels il convient de consacrer toute notre volonté, toute notre énergie.
Dans ces conditions, et dans ces conditions seulement, la culture peut remplir pleinement sa fonction : rapprocher, unir, épanouir.
Aussi, en favorisant l’implantation d’équipes artistiques partout sur le territoire, le ministère dont j’ai la charge assure-t-il, en partenariat étroit avec les collectivités territoriales, les conditions nécessaires à la lutte contre les inégalités culturelles et l’exclusion.
La danse est, à cet égard, un langage privilégié.
C’est pourquoi, en plus des dispositifs d’aide à la création chorégraphique, j’ai décidé de mettre en œuvre deux nouvelles mesures qui sont de nature à renforcer puissamment la présence de la danse dans l’ensemble du pays.
La première mesure, intitulée « plateaux pour la danse » vise à décupler la circulation des œuvres et des artistes.
Les « plateaux pour la danse » multiplient les lieux de diffusion, en proposant une approche ouverte et créative de l’art chorégraphique : films, conférences, rencontres d’artistes, stages… et toutes les initiatives de formation des publics. Les « plateaux pour la danse » sont ainsi de véritables lieux-ressources pour pratiquer la danse sous toutes ses formes.
La deuxième mesure, c’est « l’accueil studio » : en écho aux nouvelles orientations que j’ai pu récemment présenter dans le cadre de la charte des missions de service public, les centres chorégraphiques nationaux, ainsi que toutes les institutions culturelles, doivent s’ouvrir et développer l’accueil d’autres compagnies qui trouveront auprès d’eux des espaces et la possibilité d’y présenter leurs œuvres.
Ce qui m’importe au premier chef, vous l’avez compris, c’est que, par un meilleur aménagement culturel du territoire, chacun puisse trouver dans chaque région les moyens de la pratique artistique de son choix, la possibilité de rencontrer les artistes et de partager leur démarche.
En ce sens, l’installation d’un nouveau centre chorégraphique national à Rillieux-la-Pape est particulièrement exemplaire. Exemplaire et ambitieuse.
Tout d’abord par le choix du lieu, puisque c’est ici, à La Velette, quartier réputé difficile de Rillieux-la-Pape, qu’il a été décidé de créer un centre culturel, et que ce choix, loin d’être neutre, est significatif de toute une politique.
Ensuite, par le contenu du projet. Il comporte plusieurs volets : la danse, certes, mais aussi la musique, le théâtre de rue et différents pôles de formation professionnelle liés au spectacle et s’articulant entre eux.
Et, enfin, parce qu’il s’organise autour de l’une des plus grandes artistes du monde chorégraphique actuel et de son équipe.
Ce dernier élément, ajouté à l’envergure générale du projet, n’est sans doute pas le moindre de ceux qui ont permis que de nombreuses collectivités se réunissent et que soient dépassées les difficultés tant budgétaires que structurelles liées à sa mise en œuvre.
Je remercie tous les partenaires présents ici auprès de nous, et qui ont contribué à la naissance du projet.
Quant à vous, chère Maguy Marin, je n’ai pas à vous souhaiter la bienvenue dans cette région : vous la connaissez bien, depuis longtemps, et vous y êtes déjà chez vous, puisque vous avez fait le choix de vous y installer.
Si, depuis quelques 20 ans, vos chorégraphies, rencontrent un succès international considérable et ininterrompu, certaines de vos réussites les plus marquantes sont liées à la ville de Lyon et à l’activité du Lyon Opéra Ballet, où vous avez été chorégraphe résidente.
Qui de nous a oublié votre vision de « Cendrillon » ? En dissimulant les visages des danseurs derrière les magnifiques masques de Montserrat Casanova, vous avez accentué le côté intemporel du conte : sans doute est-ce là une des raisons du succès historique de cette commande du Lyon Opéra Ballet qui va bientôt la programmer pour la 400ème fois…
Et qui pourrait oublier aussi votre relecture de « Coppelia », toujours pour le Ballet de l’Opéra de Lyon ? En transposant ce fleuron du répertoire classique dans le cadre d’une cité périphérique, vous avez à merveille traduit certaines de vos préoccupations, — préoccupations auxquelles je souscris entièrement, — et vous avez en outre signé là l’un de vos dialogues les plus réussis et les plus originaux entre l’action scénique vivante et l’image cinématographique.
Je vous vois, chère Maguy Marin, comme une artiste toujours aussi radicale que singulière !… souvent déroutante… et jamais… immobile !
Votre vocabulaire chorégraphique n’est jamais prédéterminé mais résulte toujours du sujet travaillé et de la démarche de création mise en œuvre.
Aussi, votre parcours est-il émaillé de pièces très différentes, exprimant avec force un point de vue très personnel et très original.
Parmi un répertoire extrêmement riche, certaines de vos créations résonnent particulièrement dans notre souvenir et dans notre culture chorégraphique.
Ainsi, « May Be », œuvre saisissante inspirée du théâtre de Becket, loin de toute concession esthétique, et toujours applaudie dans le monde entier depuis sa création en 1981, après plus de 400 représentations…
Ainsi, « Gross Land », fête joyeuse des gens gros mais légers, qui interroge et dérange notre sens commun du « corps dansant »…
Pour autant, vous n’avez pas renoncé à créer quelques pages de danse pure : « Hymen » ; « Eden » et son fameux pas de deux, dansé par les plus grands interprètes, telle Sylvie Guillem ; « La Leçon des Ténébres », commande du ballet de l’Opéra national de Paris ; chant chorégraphique magnifique où vous exprimez votre extrême sensibilité musicale…
Plus récemment, c’est justement dans la relation à la musique et dans la rencontre avec des compositeurs que s’inscrit votre démarche, illustrée notamment par « Ram Dam » : grâce à la complicité du compositeur Denis Mariotte, les danseurs y sont aussi chanteurs et musiciens !
On aimerait, Maguy Marin, tout évoquer de votre carrière, depuis vos années d’apprentissage chez Maurice Béjart, votre prix au concours de Bagnolet, vos créations pour l’Opéra Garnier, l’Opéra de Nancy…
Mais, ce que je retiendrai de votre parcours, c’est avant tout une perpétuelle mise en jeu des interprètes, une véritable mise en danger qui fait apparaître de nouvelles problématiques.
Ainsi, vous ne craignez pas de bousculer la fonction, le statut même du danseur, et de poser la question du groupe, de la place dans le groupe, de la responsabilité individuelle et collective de l’artiste.
Pour vous, le danseur n’est plus seulement interprète mais assume aussi une place dans le champ politique et social… La compagnie n’est plus seulement le regroupement d’interprètes mais une communauté d’artistes et de citoyens réunis autour d’une proposition artistique.
Loin de vous satisfaire de vos nombreux succès et d’une confortable diffusion, vous exprimez la nécessité de créer de nouveau cadres qui vous permettent, avec votre équipe, de mieux vous inscrire dans la cité.
Vous ressentez, selon vos propres mots, « une grande énergie pour créer des liens avec les autres », créer un échange et une relation avec la population, rendre les gens autonomes et exigeants, donner et apprendre des autres : c’est toute la place de l’artiste que vous questionnez ainsi…
Il n’est donc pas étonnant que l’unanimité se soit faite sur votre nom quand il s’est agi d’ouvrir à Rillieux-la-Pape un nouveau centre chorégraphique national, et d’y développer une réflexion sur l’implication des artistes et des structures de création et de diffusion au cœur de la cité.
Mesdames, Messieurs,
Ces lieux de création et de diffusion de la culture sont aujourd’hui les cibles privilégiées du Front national, et des listes noires sont dressées désignant nommément des artistes qu’on veut réduire au silence.
Il ne faut pas voir dans ces attaques sans précédent un simple avatar des discours de haine proférés par ce mouvement.
Par la censure de la création contemporaine et des artistes qui la portent, c’est une conception vivante, ouverte et partagée de la culture qui est menacée. C’est cette conception, je le sais, qui nous rassemble et nous anime.
Le projet qui nous réunit a d’autant plus de valeur de symbole et témoigne de notre volonté de résistance.