Texte intégral
Lorsque, en juillet 1993, j'ai fait part de ma décision de créer un « Centre national du patrimoine », mon intention n'était évidemment pas de mettre en place un « sanctuaire culturel parisien » supplémentaire. Mon souci était d'offrir aux institutions intervenant dans le domaine du patrimoine monumental le lieu d'accueil, de recherche et de diffusion qui leur fait défaut depuis si longtemps. Pour localisé à Paris qu'il soit – et je m'en expliquerai – un tel établissement devrait échapper à tous parisianisme pour s'ouvrir au contraire largement, comme les sujets qu'il traite, aux préoccupations et aux initiatives régionales, locales, qu'appelle une politique active et moderne du patrimoine.
Le but à atteindre est donc bien le développement, sur l'ensemble du territoire, d'un réseau véritablement actif et organisé. Le Centre national du patrimoine, qui ne se conçoit que comme le centre nerveux de ce réseau, devra favoriser l'accès aux connaissances scientifiques et techniques, assurer la transmission didactique de ces connaissances, depuis l'enseignement hautement spécialisé en architecture, la formation des enseignants des lycées et collèges, jusqu'à la sensibilisation du public, essentielle et ouvertement revendiquée, le plus large.
Mais il est entendu que cette notion de « patrimoine » doit être élargie de son objet traditionnel que le « monument », au cadre de vie quotidien, aujourd'hui paradoxalement plus apprécié et plus menacé que jamais, dans les centres urbains sur-développés comme dans l'espace rural déserté.
L'affectation du palais de Chaillot à ce Centre national s'est imposé à moi : c'est là en effet que l'histoire de nos institutions patrimoniales s'est largement jouée, histoire que le Centre national du patrimoine devra reprendre à son compte : c'est en effet dans l'aile Ouest de l'ancien Trocadéro qu'était né le musée de la sculpture comparée conçu par Viollet-le-Duc ; dans le nouveau palais de Chaillot édifié en 1936 par Carlu, Paul Deschamps fit évoluer ces collections de moulages vers une spécialisation nationale et leur adjoignit progressivement les reproductions des peintures murales françaises. Ainsi naquit l'actuel musée des Monuments français. C'est également dans ce bâtiment qu'avait été implanté des 1936 le centre de recherche sur les monuments historiques avec son musée des matériaux et ses maquettes d'architecture ; de même la tradition didactique, initiée au Trocadéro dès 1887 lorsqu'Anatole de Baudot y institua son cours d'architecture, se poursuit aujourd'hui au travers du Centre d'études supérieures d'histoire et de conversation des monuments anciens, plus connu en France elle étranger sous le nom « d'École de Chaillot », pépinière dont sont issus les architectes en chef des monuments historiques et les architectes des Bâtiments de France et qui a pris naturellement sa place dans la formation du nouveau corps des architectes-urbanistes de l'État.
Le palais de Chaillot s'impose donc naturellement, par ses collections documentaires, ses activités didactiques, ses acquis et ses potentialités, comme ce lieu privilégié de rencontre, de formation et de sensibilisation au patrimoine. Cette action patrimoniale, vous le savez, concerne certes la culture mais appelle également une collaboration interministérielle puisqu'elle s'inscrit dans les compétences actuelles d'au moins trois départements : outre la culture, l'équipement pour ses responsabilités conjointes en matière de patrimoine urbain et d'architecture, et pour la tutelle de l'école de Chaillot qui relève de son autorité ; sans oublier l'éducation nationale afin d'étendre à l'enseignement primaire et secondaire cette approche sensible de notre patrimoine, action essentielle s'il en est puisqu'il s'agit de sensibiliser et de former les citoyens et responsables de demain.
J'ai donc décidé, au vu des propositions de MM. Pérouse de Montclos et Vincent à qui j'avais confié une mission de réflexion à ce sujet, d'abord de regrouper structurellement, sous l'autorité du directeur du patrimoine, les institutions relevant de mon ministère qui sont d'ores et déjà implantées dans l'aile Paris du palais de Chaillot : musée des Monuments français et centre de recherche sur les monuments historiques ; puis de mettre à l'étude les modalités d'association à cet ensemble d'autres organismes, actuellement dispersés, dont l'activité et la documentation sont essentiels pour la connaissance et la compréhension de notre patrimoine, et en particulier des archives des monuments historiques, du Centre national de documentation du patrimoine, du service photographique de la Caisse nationale des monuments historiques, ainsi que d'autres sources à définir en matière d'urbanisme historique et d'architecture moderne et contemporaine. Cette association, qui implique l'accès technique aux données documentaires mais non pas forcément l'intégration physique de celles-ci, concerne également des éléments relevant d'autres ministères et en particulier de celui de l'équipement ; elle appelle à l'évidence une claire conscience de l'existence et de la complémentarité d'autres établissements existant ou à venir, en particulier l'Institut international des arts projeté à Richelieu-Vivienne, de manière à tisser des liens de collaboration et d'échange documentaire, et à exorciser toutes rivalité.
Le rapport d'orientation, ainsi que le texte de synthèse rédigé par MM. de Montclos et Vincent, analysent clairement les objectifs à partir desquelles il faut maintenant construire concrètement le projet du futur Centre national du patrimoine. Ils émettent des hypothèses de travail sur lesquelles vous aurez à vous prononcer ; mon attention a été particulièrement retenue par la proposition de création de « galeries d'architecture », qui me paraissent répondre à une nécessité évidente.
De la même façon, j'ai souvent évoqué l'ambition qui doit être la nôtre de développer une véritable « pédagogie du patrimoine ». Je souhaite à ce propos que vous puissiez examiner très particulièrement cet aspect du projet et que, selon la suggestion faite par certains d'entre vous, vous puissiez, parmi les activités pédagogiques destinés à d'autres publics, envisager la création de sessions de formation de haut niveau destinées au milieu des professionnels du patrimoine : élus, architectes, fonctionnaires de la culture, d'autres ministères, grands aménageurs et responsables divers pour, à l'exemple de l'Institut des hautes études de Défense nationale, assurer l'information, la motivation la plus complète et la plus actuelle des décideurs dans ce domaine.
J'ai mis en place le mois dernier la mission de préfiguration de ce centre, coordonnée par le directeur du patrimoine et constituée par les différents directeurs de mon ministère concernés par ce projet. Cette mission, qui associe naturellement les ministères de l'équipement et de l'éducation nationale, est chargée d'élaborer concrètement ce projet et de faire en sorte que la mise en place progressive du Centre national soit effectivement engagée à partir de janvier 1995. J'ai chargé Jean-Marie Vincent d'assurer le secrétariat général de cette mission de préfiguration sous l'autorité de Maryvonne de Saint Pulgent.
Aujourd'hui, j'ai tenu à installer moi-même le conseil scientifique qui accompagnera le travail de cette mission. Je remercie chaleureusement tous ceux qui ont bien voulu accepter d'en faire partie pour nous assister dans la mise au point de ce projet ambitieux. Vous avez été sollicités en raison de vos éminentes compétences personnelles, mais aussi pour la diversité et la complémentarité de vos approches disciplinaires et professionnelles. J'attends personnellement beaucoup de la confrontation de vos expériences autour de Jean-Marie Pérouse de Montclos que je remercie personnellement d'avoir accepté de consacrer une part importante de son temps et de son talent à ce projet qui me tient, comme à lui-même, particulièrement à cœur.
J'attends de votre conseil qu'à partir des propositions qui lui sont soumises, il dégage les axes prioritaires du futur projet en fonction de leur intérêt spécifique, de leur faisabilité et de leur comptabilité avec le champ d'intervention des autres établissements ou institutions existants ou projetés. Votre conseil doit donc être un creuset de réflexion et de validation. La mission de préfiguration attend donc vos propositions pour en assurer la mise en œuvre administrative et technique dans les délais les plus brefs.
Pour l'aider dans cette phase qui doit être désormais aussi concrète et rapide que possible, j'ai demandé à la mission des grands travaux de mettre ses moyens à la disposition de cette phase préalable. J'ai en outre confié à Monsieur Patrick Bouchain la tâche d'assurer la programmation de ce projet. Monsieur Bouchain dispose de trois mois pour remettre son analyse technique.
Nous disposerons ainsi, pour la fin du mois de juin prochain, d'un projet arrêté et chiffré dans ses grandes lignes. Je m'assurerai personnellement de la programmation budgétaire et administrative des moyens nécessaires à sa mise en place de l'exercice 1995. Il restera évidemment encore beaucoup de travail à faire ensemble au cours du second trimestre de cette année pour aboutir à un projet détaillé, étudié dans ses dimensions essentielles, mais les choix décisifs d'organisation devront être faits et les priorités établies à la fin de cette première échéance.
J'invite les membres de la mission de préfiguration, à l'exception du directeur du patrimoine à qui j'ai confié la responsabilité de ce projet, à laisser maintenant le conseil scientifique engager ses travaux « à huis clos » sous la présidence de M. Pérouse de Montclos. Je renouvelle à tous ses membres ma confiance et mes remerciements pour leur aide précieuse.