Interviews de M. Martin Malvy, président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, dans "Libération" du 3 mai 1994, sur le temps de parole de l'opposition dans les chaines de télévision.

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Média : Libération

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Libération : Selon vous les partis d'opposition font l'objet d'une discrimination de leur temps de parole à la télévision…

Martin Malvy : Depuis un an, notamment par abus d'information du Gouvernement, le droit de parole des oppositions est considérablement minoré. Ainsi la règle des trois tiers qui régit depuis 1969 la répartition des temps de parole à la télévision est-elle bafouée. Par ailleurs, ce qui est comptabilisé pour l'opposition n'a parfois que de lointains rapports avec la politique. Quand Bernard Tapie intervient au sujet de l'OM, cela compte au titre de l'opposition.

Libération : Le CSA a pourtant adressé des mises en demeure à TF1, France 2 et France 3…

Martin Malvy : À chaque alternance, la nouvelle majorité et le Gouvernement disposent d'un temps supérieur à ce que la règle fixe. Dans les premiers mois, je n'ai donc pas jugé utile de réagir. Mais la situation est devenue insupportable et j'ai saisi le président du CSA le 17 octobre dernier. L'instance de régulation a demandé aux chaînes de rétablir l'équilibre avant la fin 1993. La situation a continué à se dégrader comme l'a constaté le CSA.

Libération : Que peut faire le groupe socialiste de l'Assemblée ?

Martin Malvy : Les injonctions du CSA. Mais elles sont insuffisantes. D'autant que les chiffres que nous attendons pour le mois d'avril ne sont pas meilleurs que ceux de mars. C'est pourquoi au nom du groupe socialiste j'ai demandé à l'Assemblée nationale la création d'une commission d'enquête parlementaire.

Libération : Tout cela n'est-il pas lié au fait que la loi Carignon oblige le CSA à rendre des comptes mensuellement au Parlement, alors qu'auparavant cette procédure était trimestrielle et officieuse ?

Martin Malvy : C'est l'Assemblée qui a demandé que cette précision figure dans la loi grâce à un amendement présenté par le député Mathus et les membres du groupe socialiste. C'était indispensable. Surtout dans une période de concentration des capitaux. L'évolution de l'audiovisuel avec la constitution de groupes médiatico-industriels dont les responsables sont souvent engagés politiquement, risque de menacer à l'avenir le pluralisme d'expression. De surcroît, les chaînes de télévisions, prises à leur propre jeu, finissent par jauger l'information politique à l'Audimat.

Libération : Lorsqu'ils choisissent TF1 pour s'adresser à la moitié des téléspectateurs les hommes politiques ne profitent-ils pas de cet audimat ?

Martin Malvy : C'est différent. Les chaînes invitent les responsables nationaux. À la limite, ils peuvent choisir à une heure donnée leur mode d'intervention. Mais je parle de l'information politique quotidienne dans les journaux télévisés parce que c'est celle qui pénètre tous les jours chez le téléspectateur. Autrement dit rompre avec la règle fondamentale du « tiers », qui n'est déjà pas très généreuse pour les oppositions, revient à porter atteinte à la démocratie.

Libération : Les chaînes pourraient vous rétorquer que ces oppositions ne font pas assez l'actualité…

Martin Malvy : Mais de quel droit ? Quand l'opposition dépose une motion de censure, il est évident que la composition de l'Assemblée ne lui permet pas d'avoir la prétention de renverser le Gouvernement. Mais un an après, elle veut à l'occasion d'une motion de censure dresser le bilan de la politique gouvernementale. Et les chaînes de télévision décident que cela ne les intéresse pas. Est-ce l'objectif de l'information ? La réduction du temps de parole des oppositions à la télévision est un choix politique. Or depuis 1982 nous avions engagé un processus pour dégager la télévision du politique.

Libération : Les têtes n'ont-elles pas toujours valsé à l'occasion des changements de législature ?

Martin Malvy : Les récentes nominations dans l'audiovisuel n'avaient pas lieu d'être. En 1981, les présidents étaient encore désignés en Conseil des ministres. Un an plus tard, nous avons créé une autorité indépendante. Le CSA n'ayant pas été remis en cause, le grand chambardement n'avait pas lieu d'être. Nous sommes en train de revenir à la période la plus sombre de l'information, où elle était contrôlée et monopolisée par le pouvoir politique.