Article de M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche, dans "Le Monde" du 10 juillet 1998, sur le projet de loi d'orientation agricole, notamment la proposition de gestion contractuelle agricole, intitulé "Une nouvelle orientation".

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

Texte intégral

Certaines productions soutenues par la politique agricole, loin de faire défaut, sont devenues pléthoriques. Le départ des ruraux vers la ville, autrefois encouragé, est maintenant vécu comme une malédiction dans des zones rurales où il devient difficile de maintenir les services collectifs indispensables à ceux qui y sont restés. Les citoyens consommateurs se sont accommodés du bénéfice de produits alimentaires à bon marché, mais pas des conséquences sur l’environnement des méthodes de production intensives qui ont, par ailleurs, permis de réduire à 17 % la part de l’alimentation dans les dépenses des ménages.
Les agriculteurs s’inquiètent de leur devenir et de leurs capacités à jouer encore un rôle qui ne soit pas seulement celui de sous-traitants de l’industrie agroalimentaire. Pour couronner le tout, la politique agricole, longtemps écartée des négociations internationales entre l’Europe et ses partenaires, en est devenue un enjeu essentiel.
Devant toutes ces remises en cause, certains proposent de déchirer purement et simplement l’ancien contrat et de laisser faire le marché. Le projet de loi d’orientation du Gouvernement propose de fixer les termes d’un nouveau contrat entre l’agriculture et la société, permettant d’assurer la légitimité et la pérennité de l’intervention publique, au service d’une agriculture reconnue dans toutes ses fonctions, durable sur le plan économique aussi bien que dans sa relation avec la nature.
Ce projet de loi redéfinit les objectifs de la politique agricole, effort indispensable, quarante ans après l’instauration de la politique agricole commune. Ces nouveaux objectifs doivent s’accompagner d’une modernisation de la gestion de la politique agricole, dans laquelle la répartition administrative des crédits doit céder la place à des contrats entre la puissance publique et les agriculteurs.
La politique agricole doit permettre à l’agriculture de jouer pleinement son triple rôle : économique, social et dans la préservation et le renouvellement des ressources naturelles.
La légitimité de l’intervention publique en faveur des agriculteurs, dont le revenu dépend en moyenne pour moitié des aides publiques qu’ils reçoivent, ne sera durablement acceptée que si elle leur permet de remplir effectivement ces trois fonctions, de façon équilibrée, sans en faire prévaloir l’une plutôt que l’autre.
À cette redéfinition des objectifs de la politique agricole doit correspondre une modernisation de sa gestion. Les contrats territoriaux d’exploitation seront les outils de cette modernisation. La politique agricole est aujourd’hui administrée de façon aveugle, puisque les aides publiques versées aux agriculteurs sont, pour l’essentiel, proportionnelles à la taille des exploitations et au volume de leur production, sans que soient prises en compte les situations particulières des exploitations. Je propose de passer progressivement de ce système administré à une gestion contractuelle de la politique agricole. Dans ce cadre, les pouvoirs publics devront définir les objectifs collectifs qu’ils poursuivent et dont la réalisation justifie un accompagnement de leur part. Ils répartiront les aides publiques en prenant en compte les engagements pris par les agriculteurs dans les contrats territoriaux d’exploitation pour contribuer à la réalisation de ces objectifs, et non plus simplement la taille de l’exploitation.
Cette nouvelle politique trouvera sa place progressivement, tout comme les lois d’orientation des années 60 ont eu besoin de temps avant de produire pleinement leurs effets et de rencontrer l’adhésion. C’est précisément pourquoi il n’y a pas de temps à perdre. Il nous faut dès aujourd’hui engager notre agriculture sur ces nouvelles voies. Ce sont celles de l’avenir.