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Le système actuel de protection sociale n'est pas satisfaisant ni pour l'économie, ni pour les assurés, ni pour les professionnels de santé, affirme Valéry Giscard d'Estaing, qui soutient le projet de réforme du gouvernement (séparation des branches de la Sécurité sociale et débat annuel au Parlement). Il propose une refonte complète du mode de financement de l'assurance-maladie. Il approuve la maîtrise médicalisée et évalue à 50 000 le nombre de lits excédentaires dans les hôpitaux.
Une réforme nécessaire
L'ancien président Valéry-Giscard d'Estaing n'est pas de ceux qui pensent que nous avons le meilleur système d'assurance-maladie. Dans l'interview que publie "Le Quotidien", il fait un constat très clair, à savoir que le système ne convient ni aux assurés, ni aux professionnels de santé, ni à l'économie du pays et que, dans ces conditions, on serait bien coupable si on ne tentait de le réformer.
M. Giscard d'Estaing soutient donc la réforme lancée par le Premier ministre et dont la première étape est la séparation des branches de la Sécurité sociale. Comme divers projets du gouvernement Balladur, celui-ci a été très mal accueilli. Il est généralement admis que le gouvernement va "revoir sa copie".
Le droit de critiquer une mesure des pouvoirs publics est inaliénable. Mais on peut s'étonner que parmi les détracteurs du projet de loi sur la protection sociale, certains s'élèvent aujourd'hui contre [ligne manquante sur la vue] conclu avec l'industrie pharmaceutique.
La réforme du système de santé français est donc entamée. Il faut aller plus loin, ce qui est, en partie, prévu pour la session de printemps. Des mesures très importantes resteront, certes, à prendre. Compte tenu de leurs implications économiques et sociales, elles doivent être parfaitement préparées et ne peuvent être mises en œuvre dans la précipitation.
50 000 lits excédentaires
Le Quotidien du Médecin : Le gouvernement a annoncé dans un premier temps la fermeture de 22 000 lits d'hôpital. Il prétend aujourd'hui les convertir. Faut-il, à votre avis, fermer ces lits ? Sinon, comment peut-on réduire les dépenses hospitalières, qui représentent près de 50 % des dépenses de l'assurance-maladie ?
Valéry Giscard d'Estaing : Il y a aujourd'hui dans notre pays plus de 50 000 lits de court séjour excédentaire, résultat de l'évolution des méthodes thérapeutiques avec le développement des hospitalisations de plus courte durée, des hospitalisations [manque du texte sur la vue], voir de l'hospitalisation à domicile. Il faut donc prendre en compte cette réalité et envisager la reconversion de ces lits en lits de moyen et long séjour, notamment pour les personnes âgées et les personnes dépendantes. Cette transformation nécessite une très grande concertation, d'une part, avec les professionnels hospitaliers et libéraux et, d'autre part, avec les élus locaux, notamment départementaux, compte tenu des compétences liées à la décentralisation. Il ne s'agit donc pas, de fermer tous les lits, mais de les transformer, ce qui n'aura pas d'incidence sur le plan de l'emploi.
Le Quotidien du Médecin : Le gouvernement se heurte à l'opposition des élus locaux, dès qu'il s'agit de fermer des lits. Doit-on écarter les maires de la présidence des conseils d'administration des hôpitaux ?
Valéry Giscard d'Estaing : L'hôpital est souvent le premier employeur de la commune et génère nombre d'emplois induits. Dans un contexte économique déjà difficile, les maires sont donc souvent réticents devant l'annonce de fermeture de lits et l'éventualité de suppression d'emplois.
L'objectif n'étant pas aujourd'hui la suppression mais la conversion le lits, le problème ne devrait pas se poser avec la même acuité.
On peut néanmoins s'interroger sur le bien-fondé du maintien des maires à la présidence des conseils d'administration des hôpitaux, car le fait qu'ils soient à la fois juge et partie obère l'autonomie et la responsabilité des gestionnaires des hôpitaux.
Dépendance : médicaliser les maisons de retraite
Le Quotidien du Médecin : Le gouvernement s'apprête à déposer une lois sur la dépendance au Parlement. Comment la dépendance doit-elle être financée ? Par les cotisations sociales ? Par l'impôt ? Ne faut-il pas prévoir des structures d'accueil supplémentaires ? Lesquelles ?
Valéry Giscard d'Estaing : Avec l'allongement de la durée de vie et malgré les progrès de la médecine, le problème de la dépendance se pose avec une réelle acuité. Des structures d'accueil supplémentaires sont et seront encore nécessaires. Outre la reconversion de lits en moyen de long séjour pour les personnes âgées et dépendantes, il conviendrait de médicaliser les maisons de retraite existantes.
Le financement ne peut plus, ici encore, reposer sur la seule masse salariale. En plus des économies générées par une meilleure utilisation des sommes gérées par la Sécurité sociale, la collectivité doit contribuer à la prise en charge de nos anciens. Mais il ne faudra pas exclure totalement la responsabilité individuelle.
Sécurité sociale : le nouveau texte du gouvernement prêt à la fin de la semaine
Après la levée de boucliers des syndicats et le rejet, mardi, par les conseils d'administration des caisses nationales d'assurance-maladie, d'assurance-vieillesse et d'allocations familiales, du projet de réforme de la Sécurité sociale, le gouvernement a décidé de revoir sa copie. Le spectre d'un nouveau conflit social, consécutif à cette réforme, n'est sans doute pas étranger à cette relance de concertation sur ce dossier.
Simone Veil, ministre des Affaires sociales, en charge de ce texte, devait dès hier recevoir séparément les différentes organisations syndicales, le patronat ouvrant le bal. L'ensemble de ces consultations devrait être clos à la fin de cette semaine. Il est vrai que le gouvernement a peu de temps pour boucler une fois pour toutes, ce dossier, aussi techniquement délicat que politiquement sensible. C'est mercredi, en effet, que le projet revu et corrigé devrait être présenté au conseil des ministres avant son dépôt au Parlement. On sait que les mesures sur la protection sociale doivent être insérées dans le projet de loi sur la famille, qui sera discuté par les députés et les sénateurs prochainement.
Il est hors de question, dit-on aussi, que le gouvernement comme il l'a fait pour le contrat d'insertion professionnelle (CIP), abandonne purement et simplement son projet, malgré l'insistance de la CGT, "convaincue" que ce texte raye d'un coup de plume la "solidarité, principe fondateur de la Sécurité sociale".
Une des priorités d'Édouard Balladur
À l'issue du séminaire de la majorité gouvernementale, qui s'est tenu mardi dernier, le Premier ministre, Édouard Balladur, a d'ailleurs précisé que le dépôt d'un texte réformant et réorganisant la Sécurité sociale était l'une des priorités de sa seconde année d'exercice à la tête du gouvernement. Sur le texte lui-même et de source syndicale, il semble à ce jour déjà acquis que Simone Veil adoucisse les critères d'inéligibilité au sein des conseils d'administration des caisses. Le ministre pourrait par ailleurs, redéfinir le rôle dévolu au Parlement dans la fixation annuelle des taux prévisionnels des dépenses d'assurance-maladie. Un des points sur lesquels les syndicats sont intransigeants.
Pierre-Henri Gergonne
Un projet qui va dans le bon sens, selon le CNPS
Le Centre national des professions de santé se réjouit de constater que le projet du gouvernement sur la protection sociale "va dans le sens de (ses) propres propositions", notamment "la séparation effective et l'équilibre financier de chacun des quatre régimes de Sécurité sociale", ainsi que "la compensation intégrale par l'État des mesures générales d'exonérations totales ou partielles des cotisations d'assurance-maladie".
Le CNPS est satisfait aussi de "l'instauration annuelle d'un débat du Parlement fixant, pour l'année suivante, un objectif chiffré d'évolution des dépenses prises en charge par les régimes obligatoires de Sécurité sociale et des orientations pour les trois ans à venir".
Raymond Barre : tous les médicaments prescrits ne peuvent être remboursés
L'ancien Premier ministre Raymond Barre estime, dans une interview à l'hebdomadaire "la vie", qu'on ne peut continuer à "rembourser systématiquement et sans aucune distinction tous les médicaments achetés par tout le monde y compris des bien portants, moyennant une ordonnance médicale".
Le débat sur la Sécurité sociale
Valéry Giscard d'Estaing : il faut réformer un système qui ne satisfait personne
C'est un réquisitoire sévère que prononce Valéry Giscard d'Estaing, dans un entretien avec "Le Quotidien", contre le système actuel de protection sociale, qui n'est, dit-il, "satisfaisant ni pour l'économie nationale, ni pour les assurés, ni pour les professionnels de santé". Et son verdict tombe, implacable : "Il faut le réformer". L'ancien président de la République, qui espère que les réformes engagées par le gouvernement (et que le Parlement devrait examiner dans quelques semaines) amélioreront déjà la situation de notre régime de protection sociale, estime ainsi qu'il faut engager une réflexion approfondie sur le financement de l'assurance-maladie. Le mécanisme actuel, est pour "partie responsable de la tendance à l'automatisation et aux licenciements".
Valéry Giscard d'Estaing lance une mise en garde aux professionnels de santé : "La maîtrise médicalisée des dépenses est la seule solution pour garantir à tous un accès à des soins de qualité" ; sa réussite repose sur la responsabilisation des professionnels de santé. S'ils n'assument pas ces responsabilités, le seul moyen de limiter les dépenses sera une maîtrise comptable.
Enfin, on notera que l'ancien chef de l'État estime que 50 000 lits de court séjour sont excédentaire dans les hôpitaux ; il ne s'agit pas de les supprimer purement et simplement, mais de les reconvertir.
Le Quotidien : Malgré les politiques de maîtrise des dépenses de santé engagées par les gouvernements successifs, par le gouvernement actuel notamment, qui a incité les médecins à s'engager dans une maîtrise médicalisée de leurs dépenses, le déficit de Sécurité sociale se creuse : 29 milliards de francs en 1994 pour la seule branche maladie.
N'y a-t-il pas urgence à réformer entièrement notre système de protection sociale ?
Valérie Giscard d'Estaing : Le constat est d'autant plus inquiétant que nous ne pouvons nous en tenir à un seul bilan financier. Or, une analyse plus approfondie de notre système de santé révèle de multiples défaillances.
Malgré des dépenses de santé parmi les plus élevées des pays de l'OCDE (la France se situe ainsi au 3e rang mondial pour la part des dépenses de santé dans le PIB), l'état sanitaire n'apparaît que moyen par rapport à ces mêmes pays. Le niveau de remboursement est médiocre et les professionnels de la santé ne sont pas rémunérés dans des conditions comparables à celles de la majeure partie de leurs homologues européens.
Ainsi, le système actuel n'est satisfaisant ni pour l'économie nationale, qui pourrait tirer avantage de financements plus rentables, ni pour les assurés, dont l'état de santé ne s'améliorer pas sensiblement, ni, enfin, pour les professionnels, dont les revenus ne peuvent que décliner. Il faut donc le réformer.
Favorable à un contrôle du Parlement
Le Quotidien du Médecin : Doit-on redéfinir ce qui relève de la solidarité et de l'assurance personnelle ? Quelles pourraient être les parts respectives de la collectivité et de l'individu ?
Valéry Giscard d'Estaing : Il convient auparavant de créer les conditions d'une véritable autonomie des branches de la Sécurité sociale en poursuivant le processus engagé de budgétisation des allocations familiales. Cela est d'ailleurs prévu puisque le projet de loi sur la protection sociale qui doit être examiné par le Parlement au cours de la session de printemps retient le principe d'une séparation de la gestion financière des branches.
Il conviendra sans doute ensuite de redéfinir ce qui relève de la solidarité et ce qui relève de l'assurance et de distinguer le financement de la prévention et du risque maladie de celui des prestations demandées par un individu et n'ayant pas un impact sanitaire médicalement prouvé.
L'assurance-maladie ne pourra, dans sa conception actuelle, longtemps financer l'ensemble des dépenses de santé ; certaines dépenses qui relèvent de décisions personnelles devront plus clairement engager financièrement l'individu.
Le Quotidien du Médecin : Le Parlement doit-il contrôler chaque année le budget de l'assurance-maladie et fixer les grandes lignes de la politique de santé ?
Valéry Giscard d'Estaing : Les dépenses liées à l'assurance-maladie dépassent cette année les 600 milliards de francs. Elles représentent, par leur volume comme par le montant des transferts qu'elles permettent de réaliser, une masse considérable. Il s'agit, en outre, d'un secteur qui engage la vie quotidienne de chaque Français. La représentation nationale ne peut donc être tenue à l'écart de ces problèmes. Le projet de loi sur la protection sociale doit retenir le principe d'un débat annuel au Parlement sur la protection sociale. J'y suis favorable.
Le Quotidien du Médecin : Peut-on envisager un autre mode de financement de la protection sociale ? Par une TVA sociale ? Par la CSG ?
Valéry Giscard d'Estaing : Compte tenu de l'évolution des conditions de travail, il serait en effet nécessaire d'engager une réflexion sur le financement de l'assurance-maladie. La contribution des entreprises est calculée sur la seule masse salariale. Ce mécanisme est pour partie responsable de la tendance à l'automatisation et aux licenciements. Or, la diminution de la masse salariale, liée au chômage, est en grande partie responsable des déficits constatés. Nous devons sortir de ce cercle vicieux.
La responsabilité des professionnels de santé
Le Quotidien du Médecin : Peut-on réformer notre système tout en garantissant l'accès à des soins de qualité pour tous ?
Valéry Giscard d'Estaing : L'accès à des soins de qualité pour tous est déjà entravé aujourd'hui. On observe, en effet, depuis 1980, une diminution quasi constante de la part des dépenses financées par les régimes obligatoires de sécurité sociale et les collectivités publiques, ainsi que la progression parallèle des dépenses laissées à la charge des personnes privées. Une part des dépenses est couverte par les mutuelles, mais l'essentiel demeure à la charge des ménages. Une telle évolution, est particulièrement défavorable aux ménages de condition modeste. Les augmentations successives du ticket modérateur et du forfait hospitalier, bien que rendues nécessaires par l'urgence de la situation apparaissent peu compatibles avec notre idéal républicain d'égalité d'accès au système de soins.
Nous ne pouvons accepter cette fuite en avant comme nous ne pouvons accepter une maîtrise comptable des dépenses de santé. Une approche médicalisée de la maîtrise des dépenses de santé apparait dès lors comme la seule solution permettant de garantir à tous un accès à des soins de qualité. Elle doit reposer sur la responsabilisation des professionnels et être menée de façon négociée et progressive.
Une convention médicale novatrice
Le Quotidien du Médecin : Les médecins et les caisses de Sécurité sociale ont signé un accord de maîtrise "médicalisée" des dépenses de médecine de la ville. Va-t-il, selon vous, engendrer les économies escomptées, soit 10,7 milliards en 1994 ?
Valéry Giscard d'Estaing : Même si les économies ne sont pas immédiates, la volonté de maîtriser d'une manière médicalisée et non purement administrative les dépenses de santé a été clairement affichée. Il faut maintenant que les professionnels de la santé comprennent que, s'ils n'assument pas leurs responsabilités, le seul moyen de limiter les dépenses sera une maitrise comptable.
Le Quotidien du Médecin : Pourra-t-on éviter longtemps l'instauration d'une maîtrise économique des dépenses de santé, comme cela existe en Allemagne (taux directeur d'évolution des dépenses, sanctions pour les praticiens en cas de dépassement de ce taux) ?
Valéry Giscard d'Estaing : Ici encore, il appartient aux professionnels de prendre leurs responsabilités et de relever le défi. Ils connaissent l'enjeu et me paraissent déterminés.
Notons d'ailleurs que, comme cela se pratique déjà en Allemagne, la France met actuellement en place les unions professionnelles chargées de responsabiliser les praticiens.
Le Quotidien du Médecin : Le Premier ministre, Édouard Balladur, a déclaré qu'il se heurtait à une société bloquée. Le lobbying médical est-il un obstacle à faire passer toute réforme du système de santé ?
Valéry Giscard d'Estaing : Je ne crois pas que l'on puisse parler de blocage de la part du lobbying médical alors que des réformes très importantes ont été acceptées par les laboratoires pharmaceutiques, l'hospitalisation privée, l'industrie du médicament et les médecins libéraux. Il me semble au contraire que les professionnels de la santé agissent en acteurs responsables.
Le Quotidien du Médecin : Ni maîtrise économique, ni réforme du système de protection sociale : n'est-ce pas surtout le fruit d'un manque de courage politique ?
Valéry Giscard d'Estaing : Il ne faut pas tirer de conclusions trop hâtives et à l'emporte-pièce. Le système actuel n'avait pas connu, dans mon esprit, de modification depuis sa création en 1945. Nous nous étions engagés sur l'autonomie des branches de la Sécurité sociale et nous avons commencé avec la budgétisation des allocations familiales.