Texte intégral
Q. : (Sur les titres de la presse américaine parlant des divergences franco-américaines sur la Bosnie).
R. : Je dois vous dire que j'ai lu les titres de la presse américaine ce matin avec une certaine surprise, car ils ne traduisent absolument pas le climat des discussions que j'ai eues hier, ici à Washington, notamment avec le Secrétaire d'État. J'ai trouvé ici à Washington la volonté de préparer, en étroite coopération avec la France, la réunion ministérielle de demain. J'ai également trouvé une grande communauté de pensée ou de vues sur ce qu'il fallait faire demain. Il y a peut-être des messages à usage interne qui conduisent à parler d'une différence d'approche, mais cela ne me concerne pas. Ce qui m'intéresse, c'est ce que nous allons faire demain.
Quelle est la position de la France ? Il ne s'agit pas d'imposer un plan de paix dont les parties ne voudraient pas. Il s'agit de savoir si nous sommes prêts à faire des pressions sur les parties pour qu'elles se mettent d'accord sur un plan raisonnable, et le fait que nos amis américains aient accepté de venir demain à Genève, ce que je demandais depuis maintenant plus d'un mois, permettez-moi de le rappeler, montre qu'ils sont prêts à exercer ces pressions. La pression la plus importante, c'est que pour la première fois, je l'espère, les Américains, les Russes et les Européens vont pouvoir parler de la même voix. Il n'y a jamais eu, autant que je me souvienne, de déclarations communes de l'Union européenne, des Américains et des Russes sur ce que nous souhaitons voir se produire en Bosnie. Vous allez me dire qu'il y avait eu l'année dernière, au mois de mai, une déclaration à Washington, mais à l'époque, l'Union européenne n'était pas représentée en tant que telle. Cela nous avait d'ailleurs posé beaucoup de problèmes. Cette fois-ci, je l'espère, nous pourrons définir une position commune aux trois grandes puissances ou groupe de puissances qui ont une influence sur les parties et de cela, je me réjouis. Je pense que c'est un progrès.
Alors, qu'est-ce qu'il y aura dans cette déclaration ? Je ne peux évidemment pas vous le dire aujourd'hui. Je peux simplement vous livrer mes idées à moi.
Première idée : nous devons demander aux parties un cessez-le-feu et une cessation des hostilités immédiates. Quitte à fixer une durée, par exemple six mois pour la validité de ce cessez-le-feu. Je crois que nous aurons cela demain à Genève, car les Russes, les Américains et les Européens sont d'accord pour le dire.
Deuxième idée : nous devrions à mon avis rappeler que la Bosnie-Herzégovine est un État indépendant avec des frontières internationalement reconnues, membre des Nations unies et que nous sommes attachés à ce statut de la Bosnie-Herzégovine. Là encore, je ne crois pas qu'il y aura problème entre nous.
Troisième idée : il nous faut bien constater qu'à l'intérieur de cette Bosnie-Herzégovine il y a trois communautés, chacune avec sa personnalité, sa culture, sa religion et même son histoire. Et bien ces communautés veulent avoir la possibilité de s'administrer librement, ce qui veut dire que la Bosnie-Herzégovine ne sera pas un État unitaire centralisé, mais un État confédéral avec des républiques fédérées ou confédérées, le tout lié par un système institutionnel très souple. Là encore, sur ce troisième point, je me permets de dire qu'il devrait y avoir accord demain à Genève. Tout simplement parce que les Américains ont déjà été très loin dans ce sens. Je pense à l'accord de Washington du 18 mars dernier, la création de la fédération croato-musulmane se situe très exactement dans la perspective que je viens de dire. À condition bien sûr qu'elle soit prête à travailler avec une république serbe de Bosnie dans cadre d'une confédération bosniaque.
Quatrième point, et c'est là que les choses commencent à devenir plus difficiles, ces trois communautés, dont deux se sont regroupées, sur quel territoire vont-elles vivre et exercer leur autorité ? On nous dit : la diplomatie américaine est tout à fait réticente à l'idée d'avancer une solution dans ce domaine. Je ne crois pas qu'il en soit ainsi. J'ai sous les yeux une lettre que Warren Christopher m'a adressée le 9 mai dernier, dont je vous lis un passage : "The second goal of our meeting should be to intensify our common efforts to obtain a territorial settlement, giving the Bosnion governement better quality territory based on the 51 percent criterion". Qu'est-ce que je tire comme conclusion de ce passage ? C'est que les pourcentages agréés à Genève et à Bruxelles à la fin de l'année dernière, qui donnent donc 51 % aux Croato-Musulmans et 49 % aux Serbes, sont acceptés par toutes les grandes puissances. Les Russes l'on déjà dit. Le président Eltsine vient de l'écrire dans une lettre qu'il a adressée à ses homologues, Warren Christopher l'a écrit dans la lettre qu'il m'a adressée et les Européens l'ont inscrit dans leur plan l'année dernière.
J'ajoute un dernier élément : lorsque, hier à vienne, les Croates et les Musulmans se sont mis d'accord pour revendiquer 58 pour cent du territoire de la Bosnie, l'administration américaine, si j'ai bien lu les dépêches, a réagi négativement en indiquant que ce pourcentage était excessif. Bon, voilà le quatrième point que je souhaitais voir dans la déclaration de demain à Genève : c'est un appel aux parties pour se mettre d'accord sur une allocution du territoire respectant ce grand pourcentage de 51/49.
Je ne veux pas entrer dans les détails, il y aurait encore d'autres choses à dire : Sarajevo, Mostar. On pourrait imaginer que nous donnions aux parties un délai de quelques semaines ou de quelques mois pour se mettre d'accord sur une carte précise respectant ces grands pourcentages, mais, cela, nous le verrons plus tard.
Enfin, dernier point, et je m'arrêterai, parce que je suis intarissable sur la Bosnie, la question des sanctions. Si, et je voudrais bien préciser la position de l'Europe, si les Serbes acceptent tout ce qui précède, le cessez-le-feu, la reconnaissance de la Bosnie, etc. et s'ils commencent à s'exécuter sur le terrain, c'est-à-dire à se retirer, puisque 49 % cela veut dire qu'ils abandonnent plus de 20 % du territoire qu'ils occupent aujourd'hui. S'ils font tout cela et si l'on peut le vérifier sur le terrain, alors les Européens disent qu'il faudra ouvrir le dossier des sanctions pour voir comment, étape par étape, on peut les lever ou les suspendre.
Voilà mes idées, et je me répète, sur un grand nombre de ces idées, je n'ai pas observé hier un refus comme semblent l'indiquer certains titres de journaux que j'ai vus ce matin. On verra qui a le mieux compris demain à Genève.
Q. : (Êtes-vous prêt à imposer des sanctions aux Bosniaques pour qu'ils acceptent la répartition territoriale prévue ?).
R. : Non, bien sûr que non. On ne va pas imposer les sanctions à ceux qui ont été agressés. Enfin je parle des Musulmans. Parce que si on refait bien l'histoire, je ne suis pas sûr que l'on puisse mettre les Croates dans le camp des agressés. En tout cas on peut les mettre dans les deux camps : agresseurs et agressés. On ne peut pas empêcher de conclure un accord croato-musulman.
La question que vous posez est évidemment décisive, et je la généraliserai d'ailleurs. Si ce que les grandes puissances demandent vendredi est rejeté par les parties sur le terrain, que se passera-t-il ? À cela je ferai deux réponses qui ne vous satisferont pas. La première, c'est qu'il faut essayer et la deuxième, c'est qu'il faut savoir que certains pays contributeurs de troupes, comme la France, ne pourront plus attendre des mois et des mois, parce que nous sommes dans une situation impossible. Nos hommes sont exposés. Nous avons plus de morts en Bosnie-Herzégovine qu'il n'y en a eu du côté de l'Ouest pendant toute la guerre du Golfe, et par ailleurs, j'y reviendrai peut-être si vous le souhaitez, il faut bien reconnaitre aujourd'hui que la présence de la FORPRONU sur le terrain nous empêche de fait d'utiliser la force. Alors nous perdons sur tous les tableaux. Et je répète que le statut quo n'est pas possible. Il faut donc essayer de faire une percée diplomatique comme je le souhaite demain à Genève.
Q. : (Quels moyens de pression sont donc disponibles vis-à-vis des Bosniaques ?).
R. : Je peux voir quatre indications. La première, c'est qu'ils auront plus de territoires qu'ils n'en ont aujourd'hui : 51 % c'est plus que (je ne sais pas où ils en sont, mais ce doit être de l'ordre de 33), donc ils gagnent environ 20 %. Deuxièmement, ils gagnent une garantie internationale ; garantie internationale sur Sarajevo, garantie internationale sur Mostar, présence d'une force internationale à laquelle, je l'espère, les Américains participeront dans cette hypothèse, puisqu'ils l'ont promis. Donc voilà trois incitations importantes, plus la paix. Puis j'ajouterai une dernière réflexion : par quel autre moyen peuvent-ils espérer améliorer leur position actuelle ? Alors certains leur disent : par la levée de l'embargo. Très bien. Imaginons que l'on va lever l'embargo sur la fourniture des armes. Je sais que c'est une idée qui est très présente ici aux États-Unis. Permettez-moi de faire le scénario de la levée de l'embargo, sans pousser les choses au noir : on lève l'embargo sur les armes, dans la minute qui suit, les pays qui ont des troupes au sol les retirent, nous n'allons pas laisser nos casques bleus à Sarajevo entre des parties qui vont utiliser les armes. Deuxième conséquence, l'aide humanitaire s'arrête. Troisième conséquence, les combats reprennent. Alors on ne sait pas à quoi servent les armes à ce moment-là, c'est bien pour se battre. Les Musulmans, même s'ils reçoivent des armes vite, seront en situation d'infériorité pendant plusieurs semaines, donc, ils appelleront à l'aide, ils vous appellerons à l'aide, vous les Américains. Je ne poursuis pas le scénario.
Q : (Sur l'actualité des divergences franco-américaines).
R. : Nous avons eu, cela n'est un secret pour personne, des divergences d'approche dans cette affaire bosniaque. J'ai toujours pensé, en ce qui me concerne, que l'abstention des États-Unis, si je puis dire, leur non-participation au processus diplomatique, était ressentie par les Bosniaques de Sarajevo comme une incitation à poursuivre la guerre, et c'est pour ça que j'ai souhaité que les Américains s'impliquent dans le processus diplomatique. Ils l'ont fait, depuis trois mois, depuis l'ultimatum sur Sarajevo, et je crois qu'aujourd'hui, il y a une réelle volonté chez toutes les grandes puissances non pas d'imposer, je reviens sur ce fameux mot, une solution dont les parties ne voudraient pas, mais de convaincre ces parties que maintenant il faut arrêter la guerre ; de trouver une solution. Je crois que les Américains exercent leur influence aujourd'hui dans ce sens.
Q. : (Comment les États-Unis peuvent-ils influencer la décision des Bosniaques ?).
R. : Je crois que c'est tout à fait évident. Je vais vous raconter une petite histoire toute simple : cela se passe à Genève, à la fin du mois de novembre, il y a une grande table de négociation, il y a les douze ministres de l'Union européenne, qui font des efforts désespérés pour convaincre M. Milosevic, M. Izetbegovic et M. Tudjman de se mettre d'accord. On n'était pas loin. Nous avons eu à cette époque-là un accord formel, officiel, publique, des Croates qui ont dit d'accord pour dix-sept et demi pour cent, et M. Izetbegovic d'accord pour trente-trois 1/3 et MM. Milosevic et Karadzic d'accord pour quarante-neuf. Pendant ce temps, dans la même salle, une table derrière, il y avait M. Chokin et il y avait M. Redman, chacun (voyons, je ne veux pas être désagréable) avec un petit sourire sceptique, laissant entendre que tout cela avait peu de chance d'aboutir, que ces pauvres Européens n'y arriveraient pas sans les Russes et sans les Américains. Cette situation objective était ressentie par les Serbes et par les Musulmans comme une incitation à poursuivre sur le terrain. C'est pour ça que, si demain, ensemble, Kozyrev, Christopher et puis les autres ministres européens (il y en aura cinq : l'allemand, le britannique, le français, plus la présidence européenne) disent aux trois parties ensemble nous souhaitons que vous fassiez cela et cela, je crois qu'on a une petite chance supplémentaire de faire bouger les choses.
Q. : (La répartition territoriale proposée est-elle autre chose qu'une récompense de l'agression serbe ?).
R. : Je crois qu'il faut se sortir un peu du manichéisme intégral. Les Serbes ont agressé. Je crois que la France ne peut pas être suspecte d'indulgence vis-à-vis des Serbes. Je rappelle au passage que la résolution sur le renforcement des sanctions, la résolution sur les zones de sécurité, l'utilisation de la force aérienne de l'Alliance pour protéger les zones de sécurité, tout ça, ce sont des idées françaises qui au début se sont heurtées à pas mal de réticences ici ou là. C'est encore un petit fait que je rappelais hier ; jusqu'au mois d'avril, la France a préparé la résolution 820 qui durcit considérablement les sanctions contre Belgrade. Les Américains ne voulaient pas la voter parce que cela gênait M. Eltsine à quelques jours du référendum qu'il organisait dans son pays. La France a, sur la position serbe, une attitude tout à fait claire, mais je voudrais simplement vous appeler à réfléchir sur l'attitude des Croates et sur l'attitude des Musulmans. Les Croates ont fait du "nettoyage ethnique" et les Musulmans, en bien des circonstances, font de la provocation et reprennent l'offensive. Aujourd'hui, à Brcko, nous n'avons pas une ville musulmane assiégée par les Serbes, nous avons des positions serbes pilonnées par l'armée musulmane. Il faut donc avoir une vision un peu équilibrée des choses et comprendre que, si l'on va vers un accord, il faudra être vigilants sur la manière dont cet accord sera respecté par tous. Par les Serbes bien entendu, mais aussi par les autres.
Q. : (Sur le contenu des échanges avec M. Christopher au sujet de l'Algérie).
R. : L'échange a été utile. Il y a un point en tout cas sur lequel nous sommes tombés d'accord, c'est que la situation est d'une extrême gravité, et totalement imprévisible. À partir de ce constat qui ne nous apprendra pas grand-chose, on peut faire deux choses : soit se résigner à une arrivée inéluctable du FIS au pouvoir à Alger, moi je ne m'y résigne pas et je veux bien appeler l'attention ici à Washington sur les conséquences d'un tel scénario ; il y a peut-être ici ou là tel ou tel représentant du FIS avec qui on peut parler, mais globalement et dans son essence même, il s'agit d'un gouvernement extrémiste, terroriste, anti-européen, anti-occidental, et s'il arrive au pouvoir à Alger, les conséquences en seront incalculables. La Tunisie et le Maroc seront fragilisés, et je voudrais rappeler que l'Égypte n'est pas dans une situation de totale stabilité. Voilà pourquoi, la diplomatie française n'est pas de celles qui pensent qu'après tout il faut laisser faire les choses.
Alors, qu'est-ce qu'on peut faire ? D'abord encourager les autorités algériennes à sortir du statu quo, à recréer un dialogue démocratique en Algérie, dialoguer avec ceux qui veulent bien dialoguer et donc petit à petit, revenir à un état de droit plus conforme à nos valeurs. Le gouvernement algérien essaie de le faire. Il parle avec ses opposants ; pour l'instant cela n'a pas donné de résultats concrets. La deuxième chose que nous pouvons faire, c'est essayer de sortir l'Algérie de la crise économique terrible où elle se trouve et qui est la conséquence de trente ans de gestion socialiste. Pendant des années, les gouvernements algériens successifs ont refusé de s'engager dans la voie de la réforme économique. Depuis l'été dernier, ils ont changé sur ce point : ils ont négocié avec le FMI, ils ont dévalué leur monnaie, ils sont pris un certain nombre de mesures de redressement intérieur. La seule carte que nous pouvons jouer aujourd'hui, c'est de les aider dans ce processus. Ce qui veut dire concrètement : rééchelonner de manière importante leur dette qui les étrangle, et j'ai cru comprendre hier que les États-Unis étaient d'accord pour participer à ce rééchelonnement ; la France aussi bien sûr, et le Japon qui est le deuxième créancier de l'Algérie, donc cela est la première urgence.
La deuxième urgence c'est de dégager des fonds bilatéraux et multilatéraux supplémentaires pour aider l'Algérie. La France y met un milliard de dollars par an ; l'Union européenne est prête à faire un effort à peu près équivalent. Je pense que d'autres devraient s'y associer aussi. Je ne suis pas sûr que cela réussira ou que cela suffira, mais nous n'avons pas le droit, je crois, de ne pas jouer cette carte de l'aide économique à l'Algérie.
Q. : (La France est-elle prête à participer à une expédition militaire pour renverser les putschistes haïtiens ?).
R. : Sûrement pas. Nous n'allons pas jouer les conquérants, un peu partout sur la planète. Notre position sur Haïti est bien connue : nous condamnons sans appel le régime militaire qui usurpe le pouvoir, le président fantoche qui a été désigné hier n'a aucune légitimité. La démocratie est incarnée par le seul président démocratiquement élu, qui est le président Aristide. Un accord a été conclu à Governors Island l'année dernière, il faut l'appliquer. Alors vous allez me dire : mais comment ? Au mois de décembre dernier, la France était partisane d'un durcissement des sanctions contre les militaires. Ce n'était pas à l'époque la thèse ici à Washington. Les choses ont changé, les amis d'Haïti qui comprennent aussi le Canada, la France et le Venezuela, ont mis au point un projet de résolution ciblé contre les militaires. Il a été voté, maintenant il faut l'appliquer, il faut vis-à-vis du Général Cedras et du Colonel François les messages soient convergents, et qu'on leur dise tous "maintenant il faut partir". Il faut obtenir de Saint-Domingue un respect effectif de l'embargo le long de la frontière avec Haïti. Nous nous sommes donnés un délai de quatre mois, je crois, pour faire fonctionner ce système des sanctions. J'ajoute que la France est favorable au déploiement d'une force internationale des Nations unies pour faire respecter l'accord de l'Ile des Gouverneurs. Nous sommes prêts également à participer à la formation, à la démocratisation de la police haïtienne qui en a besoin, mais pas à une opération militaire.
Q. : (Êtes-vous prêt à une assistance technique pour la formation de la police haïtienne ?).
R. : Une force multinationale dans le cadre de l'accord de l'Ile des Gouverneurs, pour former et entrainer la police haïtienne ? Oui. Mais une opération militaire pour sortir par la force les militaires, non.
Q. : (Si le Général Cedras maintient son refus de cette force multinationale ?).
R. : Si les Nations unies en décident ainsi, puisque c'est prévu dans l'accord de l'Ile des Gouverneurs, il faudra mettre cela en application. Je vous rappelle qu'on a été à deux doigts de le faire il y a quelques mois, malheureusement le bateau qui transportait la force en question à fait demi-tour, parce qu'il y avait quelques braillards sur le quai.
Q. : (En cas d'accord sur la Bosnie, combien d'hommes seront nécessaires ?).
R. : C'est aux spécialistes et aux militaires de le dire. Il y a eu des études très précises. On a parlé à une certaine époque de 50 000 hommes. C'est l'OTAN qui avait donné ce chiffre. Il y a actuellement, je pense, 25 000 hommes en Yougoslavie avec l'ONU au total. Je crois donc que le renfort nécessaire, et cela correspond aux derniers chiffres que j'ai vus, serait de l'ordre de 10 à 12 000 hommes et je pense que c'est à la portée des Nations unie. Je rappelle que le Président Clinton avait indiqué que dans l'hypothèse où un accord serait signé, si donc on était au stade de l'application de l'accord, il proposerait au Congrès une participation qui avait même été chiffrée à l'époque aux alentours de 20 000 hommes, la question étant de savoir ce que fera le Congrès.
Q. : (Avez-vous rappelé ce point à M. Christopher ?).
R. : Non, pas spécialement. Mais ce sont des choses qui ont été dites et qui sont connues. Je crois que c'est très important et j'en reviens aux moyens de pression dont en parlait tout à l'heure vis-à-vis du gouvernement de Sarajevo, il est très important de les convaincre qu'il y aura une garantie internationale.
Q. : (Quels sont les moyens de pression sur les Serbes bosniaques ?).
R. : Je crois que la principale incitation, c'est évidemment le plan de suspension progressive des sanctions. Alors vous allez me dire : mais ça c'est Belgrade, et la Serbie Monténégro, ce n'est pas les Bosno-Serbes. Je continue à penser que, quand on nous raconte que les Bosno-Serbes font ce qu'ils veulent et qu'ils ne sont pas sensibles à l'influence de Belgrade, on nous raconte des histoires. Je rappelle que récemment l'accord signé par M. Akashi et M. Karadzic, je crois que c'était le cessez-le-feu à Gorazde, s'est passé à Belgrade dans le bureau de M. Milosevic. Donc l'impulsion vient de là, et l'incitation, c'est évidemment la levée des sanctions. J'ajoute que, d'après les informations que nous avons, la capacité des Serbes de Bosnie à poursuivre la guerre n'est pas infinie. Ils ont des armes mais n'ont pas d'hommes, ils n'ont pas d`infanterie et donc parmi eux aussi, il doit bien y avoir des gens qui veulent la paix, même s'il y a quelques dirigeants bellicistes.
Est-ce que ma deuxième réponse est plus satisfaisante que la première ?
Q. : (En tant qu'État, la Bosnie-Herzégovine n'aura-t-elle jamais le droit de s'armer ?).
R. : Ah ! Mais, ça c'est une autre affaire ! Quand l'accord sera respecté, mis en œuvre, veux-je dire, il faut que la Bosnie-Herzégovine soit totalement réintégré dans la communauté internationale et que l'on s'engage alors dans une autre phase qui sera la reconstruction de la Bosnie. J'ai l'habitude de dire d'ailleurs que dans ce cas-là on pensera très chaleureusement et très amicalement à l'Union européenne. Dans ce contexte-là, naturellement, il n'y a aucune raison de maintenir telle ou telle mesure d'exception. Juste une petite notation d'ailleurs qui va dans l'autre sens, la Slovénie, qui est à l'écart du conflit aujourd'hui, est frappée par l'embargo sur les armes qui couvre le territoire de toute l'ancienne Yougoslavie ; et la Slovénie dit "mais moi je suis un pays normal, je suis candidat à l'entrée dans l'Union européenne, pourquoi est-ce que je n'ai pas le droit d'armer mes troupes dans le cas où je serais attaquée ?" Donc, il faudra effectivement aborder cette question.
Je voudrais ajouter un dernier point sur la levée des sanctions vis-à-vis des Serbes. Dans le camp de l'Union européenne, nous sommes très exigeants, nous allons même un peu au-delà de la lettre des résolutions du Conseil de sécurité. Les résolutions lient la levée des sanctions à la solution en Bosnie. Nous, nous l'avons liée à la solution dans les Krajina, c'est-à-dire en Croatie. Donc, nous disons aux Serbes : si vous voulez vraiment retrouver votre honorabilité internationale, il faudra aussi que dans les Krajina, vous ayez trouvé une solution durable et définitive.
Q. : (Sur la participation russe aux prochaines cérémonies de Berlin).
R. : Vous voyez, pour une fois vous me collez. Je n'ai pas d'avis particulier sur cette question. Je crois qu'il appartient aux autorités allemandes, qui ont recouvré maintenant depuis longtemps leur pleine souveraineté, d'agir comme elles l'entendent. Ce n'est pas à la France de leur dire, il faut faire ci ou il faut faire ça.
Q. : (Avez-vous parlé du Rwanda avec M. Christopher ?).
R. : Nous avons parlé du Rwanda, effectivement. Je voudrais rappeler qu'au Rwanda, il y a 1,5 millions de réfugiés, enfin pas au Rwanda mais dans les pays voisins du Rwanda. Quant au nombre de morts, on n'a pas d'idée précise, on parle parfois de 100 000. C'est donc une affreuse tragédie. Alors on nous dit parfois : vous avez abandonné le Rwanda. Je crois que c'est inexact, et pas tout à fait juste. Il y a encore quelques mois la France avait 700 à 800 hommes à Kigali qui s'interposaient entre les forces gouvernementales et le Front Patriotique Rwandais pour éviter les massacres. Puis il y a eu les accords qui prévoyaient la réconciliation entre les deux camps et l'arrivée d'une force des Nations unies. Quand la force des Nations unies composée de Belges, de Ghanéens et de Bangladeshis est arrivée, nous sommes partis. Et pendant quelques mois, on a pu penser que les choses allaient en s'améliorant. Et puis là-dessus est arrivé l'attentat contre l'avion qui transportait le président rwandais et le président burundais, et cela a été l'explosion de violences. Je rappelle cela pour bien marquer que nous n'avons pas laissé le Rwanda à l'abandon pendant toutes ses années, nous avons essayé de tout faire pour réconcilier les tribus, puisqu'il s'agit en fait d'un combat tribal. Alors il est vrai qu'au milieu des combats qui se sont déchainés depuis quelques semaines, nous avons été obligés de retirer nos ressortissants et de replier une partie de la force de l'ONU. Qu'est-ce que nous essayons de faire aujourd'hui ? D'abord peser de tout notre poids avec les pays de la région, c'est-à-dire la Tanzanie, le Zaïre, l'Ouganda, le Burundi, pour parvenir à un nouveau cessez-le-feu et à un nouvel accord. Pour l'instant, l'objectif n'est pas atteint. Il y a eu des discussions intenses, mais pas d'accord. Nous poursuivons ces discussions bien sûr. Dans le même temps, nous avons, et c'était notre deuxième ligne d'action, développé considérablement notre effort humanitaire par des rotations aériennes au Burundi ou dans les pays voisins, nous utilisons également le canal de la Croix Rouge qui peut toujours pénétrer au Rwanda, et là nous espérons qu'il pourra y avoir, il y a déjà, une coopération humanitaire importante avec tous les grands pays.
Le Secrétaire général des Nations unies vient de proposer l'envoi d'une force de 5 500 hommes constituée de contingents des pays africains, à des fins humanitaires. Nous pensons que c'est une bonne proposition et nous la soutenons.
Q. : (Sur les critiques que les États-Unis émettent à l'encontre de l'ONU).
R. : Nous avons parlé d'un certain nombre de sujets hier, nous n'avons pas, c'est vrai, la même approche strictement sur tous les sujets.
Sur les Nations unies, j'ai un sentiment un peu partagé : je comprends certaines critiques qui sont adressées par les États-Unis, la façon dont les choses fonctionnent, par exemple en Bosnie, n'est pas satisfaisante. Un seul exemple : lorsqu'à Tuzla, il y a quelques mois, les troupes de la FORPRONU ont été prises à partie par les chars serbes, il a fallu quatre heures et demie entre le moment où le commandement de la FORPRONU a demandé l'intervention des avions de l'OTAN et le moment où l'ONU a donné l'autorisation aux avions de décoller. Il y a manifestement quelque chose qui ne va pas. Nous savons aussi par ailleurs que l'Organisation a des problèmes de gestion, nous soutenons l'idée américaine d'un inspecteur général qui pourrait vérifier un peu comment les choses sont gérées. Nous avons fait nous-mêmes des propositions dans ce sens mais, quand je vous dis que je suis un peu partagé, c'est que je crois qu'il ne faut pas aller trop loin dans la dénonciation de l'incurie des Nations unies. Parce qu'après tout, les Nations unies, c'est nous. De plus, les pays qui devraient assumer les opérations de maintien de la paix, ne le font pas toujours. C'est dès le mois de juillet 93 que M. Boutros-Ghali a dit : "pour faire mon travail en Bosnie, il me faut au minimum 7 500 hommes en plus de ceux que j'ai", c'était pour les zones de sécurité. Où sont les hommes qu'il a demandés ? Il y a mille Français de plus. Donc même si ce n'est pas parfait, il ne faut pas faire porter tous les péchés du monde aux Nations unies.
Q. : (Sur les critiques à l'encontre de la personnalité de M. Boutros-Ghali).
R. : Je m'interdis dans mes voyages à l'étranger de porter des jugements sur les personnes. Je connais bien M. Boutros-Ghali que je rencontre souvent et c'est un homme pour qui j'ai du respect.
Q. : (Sur les conséquences d'un vote du Sénat américain devant l'embargo sur les armes à destination de la Bosnie).
R. : J'ai posé hier la question à Warren Christopher qui m'a indiqué que le vote du Sénat ne suffit pas. Il faut aussi le vote de la Chambre des Représentants bien entendu. Donc l'affaire n'est pas faite. Par ailleurs, il s'agit dans ce cas précis, d'une levée unilatérale de l'embargo par les États-Unis. Moi je ne peux évidemment envisager qu'une décision multilatérale : c'est une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies.
Je vous remercie.