Interview de Mme Christiane Lambert, présidente du CNJA, dans "Paris-Match" le 30 juin 1994, sur les revendications des jeunes agriculteurs en matière d'installation, de fiscalité et de formation, et sur les accords du GATT ("la jachère est une hérésie").

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Circonstance : Election de Mme Christiane Lambert à la présidence du CNJA au congrès de Rodez du 14 au 16 juin 1994

Média : Paris Match

Texte intégral

Q. : Vous venez d'être élue présidente du C.N.J.A., première femme à la tête d'un milieu réputé misogyne. Que ressentez-vous ?

R. : Misogyne, dites-vous ? Seulement en apparence. En 1993, 25 à 35 % des nouvelles installations étaient féminines. Dans la jeune génération, un quart des chefs d'exploitation sont des femmes. J'éprouve un curieux mélange de sentiments : la satisfaction et la peur de cet engagement total. Je crois que la crainte l'emporte.

Q. : Quels sont vos objectifs ?

R. : Tout faire pour favoriser l'installation des jeunes agriculteurs. Depuis deux ans, celles-ci diminuent dramatiquement : moins de 38 % en 1992, moins 3 % en 1993. Seulement un agriculteur sur quatre est remplacé lorsqu'il cesse son activité. 400 000 personnes ont plus de 55 ans et partiront en retraite dans cinq ans. La relève n'est plus assurée.

Q. : Que demandez-vous à votre ministre, M. Jean Puech ?

R. : Si nous voulons que 12 000 jeunes s'installent chaque année, il faut nous donner les moyens. Financiers d'abord. Chaque installation coûte 1 million de francs. Aujourd'hui, les jeunes agriculteurs ne peuvent obtenir que 650 000 francs de prêt et, s'ils veulent davantage, ils sont obligés de multiplier les dossiers et donc les prêts. Nous souhaitons qu'ils puissent emprunter 1 million de francs. Par ailleurs, notre profession est traditionnellement héréditaire, mais ce renouvellement traditionnel ne se faisant plus, il faut permettre aux jeunes qui le souhaitent d'accéder à ce métier dans les meilleures conditions. Pour bénéficier des dotations, un diplôme de niveau 4 est nécessaire. Imaginons des passerelles entre les formations pour qualifier des jeunes ayant exercé d'autres professions auparavant.

Q. : Qu'attendez-vous concrètement du gouvernement ?

R. : Une fiscalité moderne, transparente, identique à celle d'autres secteurs d'activité, et motivante. Il est nécessaire de réformer des prélèvements trop lourds. Nous ne payons pas d'impôts sur notre salaire, mais sur l'ensemble du revenu agricole de l'entreprise. Il ne faut pas imposer immédiatement les bénéfices réinvestis, car ils sont créateurs de richesses. Le prélèvement doit se faire plus tard.

Q. : Le GATT est-il toujours votre bête noire ?

R. : C'est une tromperie. On nous avait annoncé de formidables opportunités, en fait nous ne voyons qu'une réduction de notre production et un accès facilité à certains marchés pour quelques grands pays. Quant à la jachère, c'est une hérésie. Aujourd'hui, deux rapports, de l'O.C.D.E. et de la F.A.O., démontrent que la demande en céréales augmentera de 50 % dans dix ans, à cause de l'explosion démographique de l'Afrique et de l'Asie du Sud-Est. La demande en viande blanche sera aussi en forte expansion.

Q. : Êtes-vous une agricultrice comblée ?

R. : Oui. J'aime mon métier. Et je souhaiterais que, plus tard, un de mes enfants ait envie de prendre la relève.