Programme du Centre national des indépendants et paysans, adopté le 15 janvier 1994, pour les élections européennes 1994.

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Propositions pour l'Europe du Centre national des Indépendants et Paysans

Ce rapport adopté à l'unanimité par le Comité directeur national du CNI le 16 janvier 1994 a été préparé par la Commission Europe du CNI présidée par : Jean-Antoine Giansily, Président du CNI, conseiller de Paris ; Alexis Kummetat, Secrétaire de la Commission.

Avant-propos

L'Europe par tradition

En 1977, lorsqu'il fut acquis que le Parlement européen serait élu pour la première fois au suffrage universel, le Président Bertrand Motte et son Secrétaire Général, Camille Laurens, décidèrent de constituer une commission "Europe" chargée d'élaborer le programme du CNI pour les élections européennes. Je fus alors désigné pour assurer le secrétariat, tâche que je devais poursuivre, après le décès du Président Motte, sous la houlette de Michel Junot, avant d'en prendre la présidence à mon tour, au printemps 1992. Entre-temps, de nombreux responsables du Mouvement, parmi les plus éminents, devaient siéger à Strasbourg. Michel Junot, Olivier d'Ormesson, Philippe Mahud et enfin Yvon Briant, dont le mandat fut tragiquement interrompu dans les conditions que l'on connaît, devaient faire entendre la voix des Indépendants et Paysans, dans l'hémicycle strasbourgeois. Au cours de ces dix-sept années, jamais nous ne devions nous éloigner, doctrinalement, de l'intitulé donné à nos orientations en 1977 ; "Libéraux et européens". Les hommes la génération qui avaient pris part à la Seconde Guerre mondiale, comme ceux qui, tel Antoine Pinay, avaient fait la première, avaient avant tout un objectif : plus jamais ça. L'intégration européenne était donc l'antidote au poison de la guerre entre les Européens.

Ainsi, la construction européenne devait être la nouvelle frontière des enfants du baby-boom. Maintenant que ceux-ci abordent les rivages de la cinquantaine, il n'est pas inutile de rappeler que les délais que voulaient voir respecter nos pères, et la perspective qu'ils s'assignaient en 1955, lorsque le Ministre des Affaires Étrangères de la France, Antoine Pinay, obtenait par les six membres de la CECA et d'Euratom la signature de la résolution de Messine, n'ont jamais été, qu'on le veuille ou non, respectés.

En fait, il aura fallu qu'en 1986, le gouvernement de Jacques Chirac fasse voter la ratification de l'Acte Unique, pour que le "cycle de Messine, c'est-à-dire la libre circulation des hommes, des capitaux et des biens, aboutisse le 1er janvier 199. Le Traité sur l'Union Européenne signé à Maastricht est un point de passage : amendant le Traité de Rome, il appelle les Européens à définir le cadre de leur vie commune, c'est-à-dire, à écrire leur Constitution, selon un calendrier qui peut paraître provocateur au regard des différences persistances en ce qui concerne l'économie des Douze.

C'est pourquoi les représentants des peuples d'Europe au sein des institutions communes, qui seront à la fois les inspirateurs et les rédacteurs de cette charte, devront avoir à l'esprit deux règles qui me paraissent fondamentales au regard de l'importance de l'enjeu : tout d'abord être les défenseurs des principes libéraux qui doivent guider l'Union face aux partisans d'une technostructure socialiste privée de la légitimité du contrôle démocratique. En second lieu, faire preuve d'une infinie patience et d'une indispensable prudence. La sagesse paysanne qui sait pertinemment que l'on ne récolte que ce que l'on a semé, doit nous rendre réalistes : le temps de la moisson n'est pas encore venu.

Le projet politique des Indépendants et Paysans s'est, depuis l'origine, inscrit dans le cadre de la construction européenne. Acteurs de la vie politique nationale paysanne, nous devons être, comme toujours, présents au cœur de ce vaste chantier afin que, demain, l'Europe soit à l'image de nos valeurs : libérale et indépendante. Ces propositions sont notre contribution à l'Europe de l'an 2000 qui est là, à portée de notre main.

Jean-Antoine Giansily, Président du Centre national des Indépendants et Paysans, conseiller de Paris.


Introduction

L'Europe par nécessité et par conviction

Au fil des siècles, les structures politiques qui ont donné naissance aux nations européennes ont mis en œuvre des coalitions, de façon ponctuelle ou durable : alliances militaires ou accords commerciaux, places diplomatiques ou structures impériales. Les alliances étaient souvent forgées pour opposer les uns aux autres les puissances européennes, les empires ont souvent été constitués contre la volonté des peuples vaincus ; et les accords commerciaux n'ont jamais réussi à prévaloir durablement sur les ambitions politiques. Mais, de la lutte entre François 1er et Charles Quint à l'Europe napoléonienne, ou de la Sainte Alliance à l'Entente Cordiale, la succession des guerres et des traités a montré la pérennité d'intérêts communs. Cet héritage de conflits et d'alliances, de déchirures et de fidélités est celui d'une très ancienne famille.

L'Europe n'est pas, en effet, une récente construction technocratique, elle est un ensemble de peuples qui partagent leur histoire et leur culture depuis des millénaires. Et si les conflits qui l'ont déchiré sont nombreux, ils ne doivent pas dissimuler la richesse des œuvres communes, de l'Europe des cathédrales et des universités à celles des Lumières de l'Empire de Charlemagne à l'Europe des États-nations.

L'Europe du XXe siècle a vu l'effondrement de l'empire austro-hongrois et l'émergence, puis la chute de l'empire soviétique ; elle a assisté à la naissance de structures politiques démocratiques bouleversées parfois par la victoire de régimes autoritaires ; et sa domination coloniale a été portée à son apogée, sur tous les continents.

Mais elle a aussi connu la pacification des relations entre les nations qui la composent et l'amorce, puis la consolidation, d'une coopération économique, politique et militaire entre elles, alors que, à travers le monde, se développaient de nouvelles puissances. Face à la multiplication des interlocuteurs extérieurs, qu'ils soient partenaires ou adversaires, elle a senti la nécessité d'unir enfin ses forces, alors qu'elle n'avait su jusque-là que les opposer.

Les défis d'aujourd'hui sont à la hauteur de ses conseils passés : c'est, par exemple, l'Europe de l'espace et de la technologie. Mais c'est aussi celle des citoyens et de leur vie quotidienne : l'Europe de la libre circulation des hommes, des capitaux et des biens, l'Europe politique, l'Europe diplomatique et militaire.

La puissance des nations européennes était à la mesure des enjeux continentaux, voire coloniaux. À l'heure du "village planétaire" de la communication d'électronique instantanée, à l'heure du GATT et des actions militaires intercontinentales, l'Union Européenne est le cadre naturel pour l'épanouissement des forces et compétences des nations qui la composent.

De même que les productions régionales ont réussi leur développement national, les productions agricoles, industrielles et tertiaires de chacun des membres de l'Union doivent trouver leurs débouchés naturels dans l'espace économique européen. Face aux puissances commerciales américaine et asiatique qui se constituent en "grands marchés", l'achèvement d'une union économique européenne opérationnelle est une impérieuse nécessité. Telle est notamment, au-delà de l'Europe des Douze, la vocation de l'Espace Économique mise en place le 1er janvier 1994 et qui regroupe, avec ses dix-sept pays, 370 millions d'habitants.

Les questions de sécurité et de défense ne peuvent plus être envisagées de façon unilatérale : les nations européennes partagent des intérêts, mais aussi des menaces et des risques, elles doivent se doter d'une volonté et d'un outil communs de dissuasion et d'action. Les crises récentes ont montré l'inadaptation des assemblées de concertation devant des situations de conflits : l'action diplomatique n'a de poids que si elle dispose de moyens militaires efficaces. L'Union Européenne doit donc se doter d'une défense commune, propre à assurer la sécurité de chacun des États membres et donc, celle de tous.

Enfin, puisque la vie économique et la puissance diplomatique et militaire ne sauraient se passer d'un pouvoir politique, l'Union Européenne est naturellement destinée à adopter une Constitution qui assure la pérennité et le respect des principes qui ont conduit sa construction : une Europe souveraine et libérale, s'appuyant sur la souveraineté et la liberté de chacune des nations qui la composent.

Les frontières de l'Europe sont définies par une communauté historique et culturelle, elles sont aussi fixées par la volonté d'adhérer à un projet commun. L'Union européenne actuelle pourra s'ouvrir à des nations appartenant à la même sphère culturelle, et c'est pourquoi la Constitution de l'Europe acceptée par les États membres "constituants" représentera le modèle d'intégration offert aux nouveaux membres.

Enfin, la construction européenne ne saurait être l'alibi d'un protectionnisme à l'usage de nos partenaires extra-européens. La Communauté Européenne permettra, certes, aux États membres de faire face plus efficacement à une concurrence irrespectueuse des règles commerciales et sociales, mais l'application de la "préférence communautaire" prévue depuis le Traité de Rome ne saurait justifier un repli isolationniste de l'Europe sue elle-même. La tradition internationale du modèle culturel, technologique et commercial européen doit être développée, pour offrir à travers le monde l'exemple d'une Union respectueuse de la diversité de ses États membres.


Première partie

L'Europe souveraine

L'Europe moderne doit être efficace. Cet objectif nécessite, plus de des instances de concertation, de véritables organes de décision et d'action.

Elle doit être libérale, car elle tire sa puissance et sa légitimité des nations qui la composent, et non d'une utopie à usage internationaliste. Les États membres et leurs peuples, seuls, peuvent fixer les objectifs et les moyens des actions communes en confiant à leurs représentants un mandat.

L'Acte Unique Européen et le Traité de Maastricht sont des amendements portés au traité de Rome de 1957 : l'Union Européenne est l'héritière directe d'accords portant principalement sur les échanges économiques. Il est donc grand temps de donner à ce projet commun un socle institutionnel sur lequel pourront reposer les accords commerciaux, certes, mais aussi toutes les dispositions régissant les actions communes et définissant les domaines propres à chaque État-membre. (1)

Le principe de subsidiarité, sur lequel repose le Traité de l'Union Européenne (2), ne doit pas en effet être une simple déclaration d'intention ; il régit les attributions de souveraineté au sein de l'Union, autorisant les actions collectives lorsque celles-ci sont appropriées, mais laissant la place à des processus de décision décentralisés lorsque les compétences des États-membres sont avérées.

I.1. Les missions de l'Europe

L'Union Européenne ne saurait légiférer une action commune, centralisée, lorsque les différences de préférences, de traditions ou de moyens justifient des politiques décentralisées. Le transfert de souveraineté des États membres aux structures politiques européennes est une décision qui ne peut trouver sa légitimité que dans la plus large adhésion des peuples ; ce processus doit être changé au cas par cas, lorsqu'il est utile aux États membres, et seulement avec leur accord. La prise de décisions au niveau national n'est cependant pas incompatible avec une recherche d'harmonisation afin que, progressivement, l'unité européenne accroisse son champ d'application et remplisse pleinement ses fonctions.

Le Traité sur l'Union Européenne signé à Maastricht a fixé un objectif d'unification de certaines politiques nationales. Ainsi que l'avait été le Traité de Rome, on ne peut douter que son application sera soumise aux aléas des politiques des États membres et des amendements proposés par les représentants des peuples : aucun texte ne saurait s'imposer totalement aux citoyens sans leur adhésion, et c'est pourquoi chacun des représentants des peuples au sein des institutions parlementaires devra défendre tout au long de son mandat, les principes qui construiront véritablement l'Europe de demain.

Une politique commune

L'échec du projet de défense commune en 1954, avec le refus français de la Communauté Européenne de Défense, puis le plan Fouchet en 1962, ont déplacé les objectifs de la Communauté Européenne sur le seul plan économique. Les ambitions de l'Union Européenne sont plus vastes, même si la convergence économique et monétaire fait l'objet des projets les plus précis. Le manque d'enthousiasme des peuples d'Europe quant à l'Union est sans doute dû à l'absence d'une politique commune clairement définie dans les domaines qui touchent plus à l'âme d'une nation que les seuls critères de convergence économique et monétaire, à savoir, notamment, la conduite d'une diplomatie et d'une politique de sécurité commune.

La politique étrangère et la sécurité commune

Le Traité de l'Union Européenne définit son deuxième objectif comme suit : "affirmer son identité sur la scène internationale, notamment par la mise en œuvre d'une politique étrangère et de sécurité commune, qui pourrait conduire, le moment venu, à une défense commune" (3) et lui consacre son titre V. Cette politique étrangère et de sécurité commune (PESC) prévoit tant "le renforcement de la sécurité de l'Union et de ses États membres" que "le maintien de la paix et le renforcement de la sécurité internationale". Sa mise en œuvre est preuve grâce à la concertation des États membres, "en vue d'assurer que leur influence combinée s'exerce de la manière la plus efficace, par la convergence de leurs actions" afin que "chaque fois qu'il l'estime nécessaire, le Conseil définisse une position commune (4)".

Cet objectif doit être réalisé le plus souvent possible et, dans ce but, il doit pouvoir s'appuyer sur des structures concrètes : des représentations diplomatiques communes, par exemple, mais aussi des unités militaires opérationnelles pour pouvoir, le cas échéant, montrer une réelle détermination. Cet outil militaire se développe déjà, à l'initiative du couple franco-allemand et s'appuie sur des réalisations communes en matière d'armement : il faut le développer afin que les décisions du Conseil en matière de politique étrangère puissent être, désormais, suivies d'effets. L'échec relatif de la politique européenne face au conflit en ex-Yougoslavie ne doit pas se renouveler.

L'Europe dispose depuis bientôt quarante ans d'une structure apte à organiser la défense commune : L'Union de l'Europe Occidentale, créée le 23 octobre 1954 par les Accords de Paris. L'UEO constitue une organisation charnière entre la défense européenne et l'OTAN, et cette position particulière est à l'origine des discussions quant à sa vocation : dédiée à la défense européenne, ou intégrée dans l'Organisation atlantique. Cette caractéristique, plus qu'un obstacle, est un atout. Le retrait progressif des forces américaines du territoire européen plaide en effet pour une organisation européenne opérationnelle capable d'intervenir, sur décision du pouvoir politique communautaire, hors zone OTAN, que ce soit en coordination avec les forces extra-européennes à disposition de l'OTAN ou indépendamment, pour des raisons de sécurité communautaire. L'UEO a vocation à constituer le pôle européen de l'Alliance Atlantique, de façon à défendre efficacement ses intérêts, seule ou associée à d'autres forces armées.

La convergence des diplomaties européennes sera nécessairement progressive, en raison des traditions nationales. De plus, la politique étrangère commune ne doit pas interdire les initiatives unilatérales, mais renforcer celles-ci lorsque les intérêts de plusieurs États membres sont en jeu. La citoyenneté européenne prévue par le Traité de l'Union (5) est le symbole de cette garantie supplémentaire accordée aux citoyens des États membres car, hors du territoire européen, leurs droits sont garantis par tout État membre disposant d'une représentation locale. Cette qualité, au-delà de son caractère symbolique, devient particulièrement utile lorsqu'en l'absence de liens privilégiés ou tout simplement, de moyens, l'État dont un individu est ressortissant n'entretient pas de représentation diplomatique.

Sécurité intérieure

Avec l'ouverture des frontières intérieures, le maintien de la sécurité intérieure et le contrôle des frontières extérieures sont devenus des enjeux communs. L'application du volet sécuritaire a rencontré des difficultés dans le cadre des accords de Schengen en raison du caractère impératif de la suppression des contrôles aux frontières intérieures : les différences de législation des États membres sur les stupéfiants, notamment, sont à l'origine des retards rencontrés. Associée à des politiques nationales efficaces (comme une loi de type "Sécurité et Liberté" en France) et ne s'y substituant pas immédiatement, la politique commune doit représenter un objectif de convergence appelé à alléger progressivement le champ d'application des politiques nationales particulières à des niveaux satisfaisants pour chacun des États membres.

Sans attendre, et parce que les risques communs sont nombreux, l'organisation européenne de police – Europol – doit-être instituée et rendue opérationnelle afin que le territoire européen ne soit pas livré à la criminalité internationale : terrorisme, drogue ou escroqueries diverses…

Politique Agricole Commune

La renégociation des accords de Blair House, signé le 15 décembre 1993, a ouvert la voie à une refonte de la Politique Agricole Commune qui, sous sa forme actuelle, n'est pas satisfaisante. Les États-Unis ont en effet reconnu l'existence d'une politique commune européenne en négociant avec les représentants de l'Union Européenne et non plus avec chacun des États membres. Cette reconnaissance explicite renforce le statut de la Politique Agricole Commune, dont l'utilité ne sera plus désormais mise en doute, et permet donc de demander, dans l'intérêt de nos paysans, sa renégociation.

Une coopération accrue, mais des politiques nationales maintenues

Respectant le principe de subsidiarité, l'Union Européenne ne saurait attribuer aux institutions communes des missions qu'elles mèneraient moins efficacement que les pouvoirs nationaux, régionaux et locaux. Il faut aussi être réalistes et ne songer à l'unification des politiques nationales qu'après de longs efforts menés en vue de l'harmonisation de ces politiques.

Politique économique

Les critères de convergence prévus pour la mise en application d'une politique économique et monétaire commune annoncent d'ores et déjà un ajournement des étapes vers l'Union Économique et Monétaire. La définition d'un terme ultime et inamovible – le 1er janvier 1999 – pour la mise en œuvre de cette union était à la fois une maladresse et une erreur : maladresse envers les peuples européens, pour qui le caractère inéluctable de transfert de souveraineté renforçait l'idée d'une Europe technocratique et autoritaire ; erreur de méthode, aussi, car la détermination arbitraire de cette date n'est aucunement justifiée, si ce n'est que par son caractère symbolique. Le Traité sur l'Union Européenne prévoit une révision de certaines de ses dispositions, notamment lors de la conférence intergouvernementale de 1996 (6). L'échéancier de convergence pour l'Union Économique et Monétaire doit être ajourné à cette occasion.

La mise en œuvre d'une politique économique et monétaire commune doit être progressive et volontaire : les États membres ne sauraient être contraints à abandonner leur souveraineté à un moment qu'ils ne souhaiteraient pas, à une date fixée par le simple hasard du calendrier. C'est pourquoi les dates prévues ne doivent représenter que des objectifs, et non des échéances.

L'Union Européenne et Monétaire est un atout pour chacun des États membres : cette conviction ne saura être partagée que par l'adhésion volontaire d'un grand nombre d'États membres, et non par leur intégration forcée.

Politique monétaire

L'Union monétaire sera atteinte progressivement, et plus naturellement possible, grâce à la généralisation de l'utilisation de l'ECU dans les transactions internationales, certes, mais aussi internes. Et si le premier objectif doit être atteint grâce à des incitations de la part des pouvoirs publics, mais surtout grâce à la crédibilité suscitée par la stabilité de la monnaie, le second ne peut l'être qu'à l'aide de mesures nationales en faveur de cette monnaie, c'est-à-dire avec l'ouverture des marchés à l'ECU, parallèlement à la monnaie nationale. Ce soutien au développement de la monnaie européenne pourrait notamment se traduire par la suppression de la TVA pour les commissions, sur les opérations de charge ECU/monnaie nationale, le paiement en ECU de la TVA sur les échanges extérieurs ou la cotation boursière en ECU… L'utilisation de cette "treizième monnaie" aura pour intérêt de familiariser les citoyens européens et de préparer, le moment venu, le passage à la monnaie unique.

Cette décision, corollaire indispensable à la conduite d'une politique économique et monétaire européenne, ne pourra être décidée que par les États membres, après une phase de coopération préliminaire à l'Union dont la durée sera fonction des possibilités de convergence et de la volonté des États membres qui, progressivement, s'associeront.

Vie juridique

La coopération en matière juridique est, comme la politique économique et monétaire, une étape nécessaire avant une harmonisation qui ne saurait, cependant, recouvrir tous les aspects de la vie des États.

Cette coopération devra aussi s'appliquer aux politiques judiciaires car tout citoyen européen ne saurait se prévaloir des lois de son pays d'origine pour violer celles d'un pays d'accueil ou de celles d'un pays d'accueil pour se prémunir des pénalités encourues dans un autre État membre : c'est pourquoi, notamment, chacun des États membres sera tenu de permette la poursuite de tout individu, même si la législation nationale ne prévoit pas le cas.

Quoi qu'il en soit, une harmonisation à terme sera nécessaire pour éviter les conflits entre juridictions ; mais elle sera l'œuvre des législateurs nationaux bénéficiant, dans cet objectif, des conseils des instances communautaires, et non d'une décision arbitraire et centralisée.

Politique sociale

Les politiques sociales sont marquées, dans chaque pays, par les traditions ; de plus, elles dépendent des ressources budgétaires. L'Union Européenne ne doit pas être une source de déficit mais, bien au contraire, d'enrichissement pour chacun des États membres. L'harmonisation des politiques sociales est nécessaire, afin d'éviter un transfert massif des charges vers les systèmes de protection les plus favorables, par le biais de migrations et de délocalisations, d'autant plus que la politique sociale est souvent un élément de solidarité nationale, et donc de politique générale, ne répondant pas seulement à des critères économiques. Une harmonisation strictement "libérale" des législations sociales, où les prestations seraient parfaitement équilibrées par les cotisations, permettrait d'éviter toute distorsion entre les systèmes de protection sociale, mais elle mettrait fin, dans le même temps, au caractère "politique" de la solidarité nationale. À l'opposé, une harmonisation européenne selon le modèle le plus protecteur traduirait la mise en œuvre d'une "solidarité européenne", le coût d'une telle initiative provoquerait sans aucun doute un violent refus des citoyens des États membres les plus prospères, peu enclins à accepter une augmentation supplémentaire de leurs charges sociales. La voie médiane sera donc sans protection sociale au paiement des cotisations correspondantes et de discuter les prestations "courantes" des prestations à caractère "politique". Il n'est pas exclu d'envisager à terme, l'apparition de prestations européennes à caractère "politique" qui répondraient à des préoccupations communes – une politique familiale européenne, par exemple, pour faire face à la chute de la natalité – ; mais ces décisions devront être précisément définis et faire l'objet d'un accord de tous les États membres.

L'Europe de la recherche scientifique

Les domaines de coopération entre les citoyens et les entreprises des États membres sont nombreux : les politiques de recherche et de développement incitent depuis plusieurs années déjà les entreprises, qu'elles soient à capitaux privés ou contrôlées par les pouvoirs publics, à mener conjointement leurs travaux. La coordination des recherches et l'exploitation des résultats sont cependant encore insuffisantes.

L'Europe de la recherche scientifique ne se fera pas sous la contrainte, mais par nécessité, dans la mesure où l'Union européenne accuse un retard sensible dans certaines industries de pointe face au Japon et aux États-Unis ? La promotion des échanges universitaires doit être encore accrue, afin de faciliter les échanges ultérieurs et donc les recherches communes.

Les structures existantes (Euréka, Agence Spatiale Européenne, CERN, JET,…), qui dépassent parfois le cadre de l'Union, ainsi que les comités consultatifs actuels de la Commission, peuvent être efficacement regroupées au sein d'une instance scientifique et technologique commune afin d'améliorer la coordination des programmes et des stratèges et de conduire une veille technologique au niveau européen.

La définition d'objectifs industriels, civils et militaires communs constituera, elle, une motivation bien réelle à une recherche fondamentale et appliquée commune. Des cadres de concertation regroupant les entreprises européennes, au sein ou non de l'organisation scientifique et technologique commune, permettraient d'associer les fabricants et les utilisateurs de l'Union, valorisant ainsi la recherche et renforçait les entreprises européennes face à la concurrence internationale.

Éducation et culture en Europe

Les politiques éducatives et culturelles sont incontestablement du ressort des pouvoirs nationaux ou régionaux, car la formation des hommes, dans la plus large acceptation, ne saurait être prise en charge par une organisation centralisée. En effet, elle doit tendre à mettre en valeur les atouts de chaque région.

L'enjeu européen impose un enrichissement de cette formation par un apport de connaissances et de l'héritage culturel communs. La politique éducative et culturelle européenne doit viser à stimuler l'intérêt des citoyens européens pour les formations harmonisées : celles-ci seront d'autant plus demandées qu'elles deviendront nécessaires) des emplois ouverts sur le marché communautaire. Cette politique facilitera donc les échanges d'élèves, d'étudiants et de professeurs ; elle encouragera l'enrichissement des programmes nationaux en leur donnant une dimension européenne, tant dans le contenu – avec des matières "européennes" ou des stages intracommunautaires – que dans la forme, en s'appuyant sur la reconnaissance mutuelle et effective des diplômes nationaux.

Quant à la culture européenne, elle bénéficiera naturellement d'un attrait croissant avec la généralisation des échanges divers entre États membres. Ceux-ci, avec l'appui des instructions communautaires auront pour souci légitime de faire partager leur goût pour la culture commune et la diversité des traditions nationales : là encore, les citoyens européens bénéficieront d'une offre supplémentaire. À eux alors, d'être séduits !

Cette "rupture européenne" ne remplacera pas les cultures nationales auxquelles les peuples européens continueront de s'identifier. Mais c'est par le développement de projets communs, et notamment dans le domaine audiovisuel, que la coopération européenne permettra de promouvoir à la fois les traditions régionales, nationales et transfrontalières, et les productions communes. La maîtrise des éléments techniques et industriels ne suffit pas à justifier "l'exception culturelle". Car si l'Europe doit connaître et développer les techniques les plus avancées de diffusion audiovisuelle et en particulier la compression numérique, il est impératif qu'elle puisse répondre à la demande de productions originales. Accusés de diffuser un "modèle culturel dominant", les États-Unis sont cependant les seuls à disposer d'une véritable "industrie de l'imaginaire". À son tour, l'Europe doit favoriser, aux côtés des productions nationales qui seules, répondent à des besoins culturels spécifiques, l'émergence d'un pôle européen de production culturelle regroupant les moyens humains et financiers nécessaires.

I-2. Les institutions de l'Europe

La mise en œuvre des politiques communes doit reposer sur des institutions dotées de missions et de compétences clairement définies par les représentants des États membres. Les peuples, seuls, sont détenteurs de la légitimité démocratique dont ils dotent leurs représentants et les institutions communautaires comme ils le font de leurs représentants et structures étatiques nationales.

Les compétences de différentes institutions européennes sont peu connues du public ; la complexité de l'administration et la dépersonnalisation des représentants ont fait des structures communautaires, dans l'esprit du nombre de citoyens européens, les responsables anonymes des maux provoqués par une "bureaucratie" européenne. Les citoyens prennent part aux élections européennes tous les cinq ans, votent, en France, pour des listes dont ils ne connaissent, au mieux, que les "têtes d'affiche" qui laisseront la place, une fois l'élection passée, à des personnalités certainement compétentes, mais rarement identifiées. Ils ne connaissent bien souvent des institutions communautaires que la Commission et savent trop rarement définir l'origine des décisions communautaires. L'Europe souffre fatalement, selon le terme désormais célèbre, d'un "déficit démocratique", mais plus encore d'un déficit de communication.

L'identification des institutions passe nécessairement par une dénomination dénuée d'ambiguïté, pour en définir, par exemple, avec la confusion entre Conseil de l'Europe et Conseil européen.

Des pouvoirs législatif et exécutif clairement définis

Le Parlement européen est l'institution la plus représentative des peuples des États membres : il doit, à ce titre, participer clairement au processus de décision communautaire. La procédure de codécision instituée par le Traité sur l'Union Européenne renforce son pouvoir législatif et doit être généralisée à tous les domaines de compétences communautaires.

Parallèlement, et afin de permettre au Parlement de faire face aux tâches induites par cet élargissement de compétences, un Sénat de l'Europe aura pour tâche de déterminer le champ de l'intervention communautaire, afin de prévenir les conflits de compétence entre les représentants des régions, remplaçant aussi le Comité des Régions institué par le Traité de Maastricht qui ne joue qu'un rôle constitutif.

Ces deux institutions seront les détentrices d'un pouvoir législatif plus efficace car renforcé par ce système bicaméral. Dans un souci pédagogique, il sera utile de rendre à la chambre élue par les peuples européens le nom d'assemblée de l'Europe afin que, associée au Sénat de l'Europe, elle forme le Parlement européen.

La légitimité politique européenne est double : démocratique, elle provient des peuples ; étatique, des gouvernements des États membres. En conséquence, le pouvoir exécutif communautaire doit émaner du collège des chefs du gouvernement, c'est-à-dire le Conseil européen, qui s'appuie sur les travaux des Conseils des ministres.

Enfin, tout pouvoir doit disposer d'une administration chargée de mettre en œuvre les décisions politiques et administratives : cette mission sera assurée par les organes administratifs existants, c'est-à-dire la Commission, le Comité des représentants permanents (COREPER) et les comités de type I, II et III (consultation, gestion et réglementation).

L'Organisation juridique

La séparation des pouvoirs ne saurait être complète sans la définition d'un pôle juridique. Les missions de l'Union en la matière sont de deux ordres : la définition d'un ordre juridique commun et la résolution des conflits entre juridictions.

La définition de l'ordre juridique est initiée par le pouvoir politique, c'est-à-dire par les gouvernements des États membres. En conséquence, la Cour Européenne de Justice ne sera pas habilitée à trancher quant à la division des pouvoirs, mais se promènera exclusivement sur le respect des règles juridiques communes acceptées par les membres de l'Union. La création d'une Cour de la Concurrence – préconisée par certains défenseurs du libre-échange – semble par contre peu justifiée, le respect des règles de concurrence définies par la législation commune était assuré par la Cour Européenne de Justice.

Les institutions financières

Le respect des critères de convergence économique, condition impérative et préalable à l'Union Économique et Monétaire, sera assuré par une institution indépendante : le Traité sur l'Union Européenne prévoit en effet le remplacement de l'Institut Monétaire Européen, créé le 1er janvier 1994, par la Banque Centrale Européenne, après la mise en fonctionnement de l'UEM. Quel que soit son nom, cette institution communautaire sera indépendante des pouvoirs de l'Union, au même titre que les institutions juridiques ; en veillant au respect des décisions communes quant à la conduite des politiques économiques et monétaires et non en prenant l'initiative de la réglementation.

Ce principe d'indépendance est d'ailleurs amené à s'imposer dans l'ensemble des États membres au cours de la phase d'harmonisation économique et monétaire et s'imposera aux candidats à l'Union. La France, pour sa part, l'applique depuis le 1er janvier 1994 (7), abandonnant ainsi son droit régalien.

L'Europe des régions

Le Comité des Régions prévu par le Traité sur l'Union Européenne est un organe consultatif, composé de représentants nommés par le Conseil sur proposition des États membres.

La politique de coopération inter-régionale doit être développée car nombre de régions européennes partagent les mêmes préoccupations où les mêmes compétences : les liens entre régions frontalières sont d'ailleurs un exemple réussi de développement de l'esprit européen. Les échanges entre ces structures politiques de hiérarchie équivalente seront favorisés, de façon à impliquer plus infiniment dans les processus de décisions les autorités les plus concernés, appliquant en cela le principe fondamental de subsidiarité.

Mais, plus encore, le développement d'une telle coopération devra s'appuyer, au plan institutionnel, sur une représentation démocratique. En instituant cette représentation des élus régionaux au sein du pouvoir législatif bicaméral, le Sénat de l'Europe succèdera au Comité des Régions sans intéresser toutefois avec les compétences du Comité Économique et Social Européen.

Un Président pour l'Europe ?

Le fait national a été soigneusement occulté pendant toutes les années passées, afin d'éviter le sentiment qu'un peuple dominerait les autres. Le système collégial omniprésent dans les institutions européennes, et souvent source de nombreux blocages, trouve sa justification dans ce souci. Dans la situation actuelle de difficultés économiques au sein de l'Union et de risques politiques à ses frontières, il n'est pas opportun de proposer, au moins pour cette mandature, ce qui deviendrait une nouvelle source de discorde.

Indépendamment de ce fait, l'élection d'un Président ne se justifie pas dès lors que les textes actuels ne lui accordent aucune prérogative réelle. Le principe du changement de président du Conseil tous les six mois pose certes des problèmes d'organisation en raison du nombre croissant des États membres, mais l'élection d'un Président conduirait inévitablement à des luttes d'influence sur des critères nationalistes.


Deuxième partie

L'Europe et le Monde

Définir ce que sera l'Europe, c'est aussi prévoir ce que seront ses rapports avec les pays tiers. Le processus d'Union Européenne ne doit pas être le prétexte à la mise en place d'un nouveau protectionnisme, mais elle ne peut pas non plus livrer les économies de ses États membres à la concurrence de pays pratiquant des politiques sociales ou environnementales déloyales : la sauvegarde des intérêts communs est un principe suffisant pour justifier toute décision de politique "extérieure" jugée unie par les États membres.

L'Union Européenne ne sera pas le prétexte au démantèlement des souverainetés nationales, au nom d'une utopie internationaliste qui ne dirait pas son nom ; mais, à l'opposé, elle ne saura constituer l'horizon indépassable et définir des échanges diplomatiques, commerciaux et culturels des États membres qui la constituent.

II.1. L'Union et sa Périphérie

L'Europe ne s'arrête pas aux frontières définies aujourd'hui par "l'Union des Douze". La coopération avec nos pays voisins de la sphère culturelle européenne au sein d'organismes économiques (l'EEE), stratégiques (la CSCE et le COCONA) ou politiques (le Conseil de l'Europe), illustre le caractère limité de l'Union actuelle. À l'opposé, un raisonnement strictement économique pourrait justifier l'élargissement à des États qui appartiennent à la périphérie de l'Europe mais n'en partagent ni les traditions, ni les intérêts essentiels.

Les larges ambitions de l'Union Européenne restreignent nécessairement ses capacités d'intégration, sans que cela soit incompatible avec des accords de coopération par secteur d'activité avec des pays n'appartenant pas au strict champ communautaire. La participation à une politique commune implique en effet des responsabilités très larges, notamment sur le plan de la défense et la sécurité communes, où le risque d'engagement de forces nucléaires ne sera jamais exclu, quels que soient les accords de réduction des armements de ce type.

La définition du champ des intégrations possibles à l'Union doit conjuguer la cohésion géopolitique, la communauté culturelle et l'adhésion à un projet politique, économique et diplomatique. C'est dans ce cadre, et à la condition nécessaire de l'adéquation aux objectifs communs que des pays tiers pourront intégrer l'Union Européenne.

Les critères de convergences économiques et monétaire prévus pour la formation de l'Union Économique et Monétaire sont propre à constituer des objectifs quantitatifs pour les États candidats à l'Union.

Pour les autres aspects de la politique commune, les États membres "constituants" de l'Union Européenne fixeront, en écrivant leur Constitution commune, les principes fondateurs auxquels devront souscrire les États candidats à l'Union.

Les instances de concertation et de coopération "paneuropéennes", c'est-à-dire circonscrites au champ des intégrations possibles mais plus large que les institutions communes, serviront de cadre transitoire à l'élargissement de l'Union, à l'exemple de l'Espace Économique Européen, du Conseil de l'Europe et la CSCE. Les accords multilatéraux reposant sur ces structures n'excluent pas l'existence d'accords bilatéraux, entre l'Union Européenne et un État tiers, comme l'accord d'Ankara de 1963 régissant les relations entre la CEE et la Turquie. Le maintien de liens privilégiés entre l'Union et ses partenaires, qu'ils soient traditionnels ou issus d'une nouvelle organisation géopolitique et économique, permettra de maintenir l'homogénéité politique de l'Union tout en associant des États de la périphérie européenne.

La doctrine communautaire, définie dans l'esprit des échéances fixées par le Traité de l'Union, privilégiait l'approfondissement et l'achèvement de l'Union avant son élargissement. Il semble désormais acquis que l'Union Européenne des Douze ne pourra être achevée dans le cadre de l'échéancier du Traité de Maastricht, notamment en raison des divergences économiques et monétaires. C'est pourquoi la politique d'union progresse que nous préconisons, tant en termes de calendrier qu'en nombres d'États concernés et d'objectifs politiques, remet en cause cette doctrine, en permettant à de nouveaux États d'intégrer l'Union dans ses phases successives d'intégration dès lors qu'ils répondent aux critères fixés par les États membres fondateurs dans la future Constitution.

Bien que ce ne soit pas de sa seule compétence, il sera utile que l'Union Européenne préconise une redéfinition du rôle des institutions internationales, et particulièrement paneuropéennes, tenant compte de ses attributions et de son domaine d'intervention afin d'éviter une redondance des analyses et des actions. Cet objectif pourrait être utilement approché en créant un cadre paneuropéen de coopération économique, politique et militaire intégrant les organisations existantes. L'institutionnalisation d'une telle structure, plus large et concentrique à l'Union Européenne, permettrait d'améliorer les réflexions et actions communes, à l'image de l'Espace Économique Européen qui constitue depuis le 1er janvier 1994, une zone de libre-échange améliorée comprenant l'Union et cinq pays européens membres de l'AELE (8). Le Conseil de l'Europe pourrait alors former le pôle politique de cette structure.

II.2. Les relations avec l'extérieur

Le commerce international et les questions de défense sont des sujets qui dépassent l'enjeu strictement européen.

La défense européenne ne peut exister sans s'insérer dans le contexte plus large des alliances diplomatiques et militaires, et notamment dans le cadre de l'Alliance Atlantique. La défense commune renforcera la capacité d'intervention et de protection de chacun des États membres ; elle ne pourra cependant pas remplir des missions dont le cadre et l'importance dépasseraient trop largement le domaine européen. La politique étrangère de la France est un exemple de la capacité limitée d'intervention militaire de toute puissance politique : les effectifs et moyens destinés à protéger la souveraineté et les intérêts d'un État ou d'un groupe d'États permettent d'assurer la sécurité du territoire et celle d'alliés, sans pouvoir toutefois intervenir réellement en tous endroits au même moment. La politique étrangère et de sécurité commune s'appuiera, de même, sur la défense commune afin de respecter, le cas échéant, les accords d'assistance conclus par l'Union.

La coopération atlantique s'inspire naturellement de ce principe car les menaces sont bien souvent partagées des deux côtés de l'Atlantique, la conception libérale et démocratique de nos sociétés étant à la fois une idée commune et un même objectif pour des adversaires qui, directement ou indirectement, menacent à la fois les nations européennes et les autres puissances adhérant à l'OTAN.

La concurrence commerciale entre les États-Unis et l'Europe, que ce soit dans les domaines militaire ou civil, ne peut faire oublier une solidarité politique qui transcende les enjeux purement économiques.

Les tensions de la fin d'année 1993 au sujet du commerce international et des accords du GATT n'étaient pas seulement euro-américaines, même si les négociations entre Mickey Kantor et Léon Brittan furent les plus médiatisées : ainsi, le "moratoire" sur le texte annonce la montée en puissance des pays de la zone Pacifique qui n'accepteront probablement pas longtemps des accords de "libre-échange" ne leur ouvrant pas les marchés occidentaux. Le souhait des États-Unis de constituer une zone économique Pacifique ne se réalisera pas uniquement à leur profit, ni au seul détriment de l'Europe : les nouvelles puissances économiques de la zone Pacifique visent autant les marchés européens qu'américain, et l'Union Européenne devra, pour défense ses intérêts dans les échanges internationaux, disposer d'une véritable cohésion politique.

Les négociations de la fin de l'année 1993 auront eu au moins un avantage ; celui d'imposer la reconnaissance d'un pôle européen. Car, pour la première fois, les représentants de l'Europe auront été, aux yeux de tous, clairement mandatés par l'ensemble des États membres.

Dans l'Union Européenne a été renforcée le 1er janvier 1994 par la mise en vigueur de l'Espace Économique Européen, le plus grand marché unique de la planète avec 370 millions d'habitants au produit intérieur brut de 6 752 milliards de dollars : une puissance capable de tenir tête à l'ALENA, qui entrait en vigueur le même jour et regroupant avec les États-Unis le Canada et le Mexique, 366 millions d'habitants, soit un PIB de 6 507 milliards de dollars.


Conclusion

L'Europe, naturellement !

La construction européenne est en marche. S'approfondissant et s'élargissant, elle doit rester fidèle à l'inspiration libérale de ses pères fondateurs, au premier rang desquels figure Antoine Pinay, notre Président d'honneur.

L'Europe n'est pas une construction technocratique : mue par la volonté politique de ses États membres, elle vivra et se développera grâce aux valeurs que ceux-ci lui donneront.

L'Europe est à la fois réalité et nécessité. Forte d'un héritage culturel commun, elle est le berceau de nations qui partagent les mêmes valeurs démocratiques et libérales. Elle est devenue tout naturellement le cadre des coopérations de puissances complémentaires. Une pour réussir son développement économique, décide enfin à se doter d'un bras armé, elle doit désormais atteindre sa maturité politique. L'Union économique et monétaire, renforce par l'Espace Économique et Européen, confère aux nations de l'Union un réel pouvoir de négociation et d'action sur les marchés internationaux. La Défense européenne renforcera la sécurité de l'Union et donc, de chacun des États membres.

La clé de voûte de l'édifice européen est entre les mains des futurs représentants des peuples européens au sein des Institutions communes ; il s'agit désormais de donner à l'Union une véritable existence politique s'appuyant sur une Constitution inspirée par ses principes fondateurs, libéraux et démocratiques.

Nous n'avons pas lutté pendant des années contre le communisme pour admettre que les pays d'Europe centrale et orientale doivent être exclus de la coopération européenne. Seuls à la dictature communiste pendant un demi-siècle, ils doivent aujourd'hui s'élever au-dessus des décombres des économies socialistes. L'Union Européenne sous sa force avancée, préparée successivement par le Traité de Rome, l'Acte Unique et le Traité de Maastricht, doit rester pour eux un objectif de développement. La coopération européenne a évolué à l'intérieur de cadres institutionnels intermédiaires qui leurs ouverts.

La construction européenne s'est faite au travers de l'Union économique. Pour autant, elle a été la suite logique de l'accord militaire entre les puissances de l'Alliance Atlantique au sein de l'OTAN. La paix armée des cinquante dernières années, en assurant une stabilité optimale, a favorisé l'épargne longue et les investissements à long terme, conditions indispensables du développement industriel. Ainsi l'adhésion de l'Espagne et de la Grèce à l'OTAN ont permis à ces États d'envisager l'avenir sereinement et identifier leur croissance économique.

Il ne faut donc pas rester sourds aux demandes ce certains pays d'Europe centrale et orientale à intégrer les structures de défense occidentales. Partageant un objectif de sécurité, mais aussi de risques, ils seront alors naturellement associés au développement économique de l'Union avant d'en devenir un jour eux-mêmes membres.

Pour le moment, grâce à coexistence de structures économiques, politiques et militaires, tant au sein de l'Union qui a sa périphérie, nous souhaitons le maintien d'une Europe "à géométrie variable", prête à rassembler les forces de ses nations avant de les unir.

Mais, quel que soit la durée de cette phase transitoire, Indépendants et Paysans, attachés à nos traditions et notre terre, nous nous réjouissons du retour des vieilles nations européennes au sein de la sphère culturelle et politique qui a fait vivre et mourir, au long des siècles, nos idéaux et nos valeurs.


Notes

(1) La conférence des représentants des Gouvernements des États membres convoquée en 1996, conformément au Traité de Maastricht (Article n° 2), pourra être le cadre de telles négociations. Celles-ci devront être précédées d'un débat au sein des instances représentatives nationales.

(2) Traité sur l'Union Européenne, Titre premier – Dispositions communes, article B.

(3) Traité sur l'Union Européenne, Titre premier, Art. B § 2.

(4) Titre V, Art. J-2 § 1 et 2.

(5) Titre II, Art. 6 et 8C.

(6) Article N-2.

(7) "La Banque de France, en la personne de son gouvernement, de ses sous-gouverneurs ou d'un membre quelconque du Conseil de la politique monétaire ne peut ni solliciter ni accepter d'instructions du Gouvernement ou de toute personne."  Loi n° 93-1444 du 31 décembre 1993.

(8) L'Autiche, l'Islande, la Norvège, la Suède et la Finlande. Les deux autres membres de l'AELE, la Suisse et le Liechtenstein, ont refusé de faire partie de l'EEE. On se rappellera que le Royaume-Uni et le Danemark (en 1972) et le Portugal (en 1985) avaient quitté l'AELE pour intégrer la CEE.


Glossaire

Acte Unique Européen : Ratifié par les Parlements des États membres en 10986, il notifiait le Traité de Rome de 1957 et prévoyait la réalisation du marché intérieur pour le 31décembre 1992.

Agence Spatiale Européenne (ESA) : Entrée en vigueur en octobre 1980.

AELE : Association Européenne pour le Libre-échange. Créée en 1959, elle regroupe le pays d'Europe occidentale non membres de l'Union Européenne.

ALENA : Accord de Libre-échange Nord-Américain (NAFTA en v.o.). Associé les États-Unis, le Canada et le Mexique. Entré en vigueur le 1er décembre 1994.

BCE : La Banque Centrale Européenne succèdera lors de la troisième étape de l'Union Économique et Monétaire à l'Institut Monétaire Européen (IME), entré en vigueur le 1er janvier 1994 pour la deuxième étape.

BERD : Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement. Instituée le 18 novembre 1989 pour contribuer à la reconstitution économique des pays d'Europe centrale et orientale.

Ne pas confondre avec la BEI, Banque Européenne d'Investissement, qui a pour mission de contribuer au développement, équilibré de la communauté par l'octroi de prêts et de garanties.

CERN : Centre Européen de Recherche Nucléaire Fondé en 1953, il a son siège à Genève.

CNI : Le Centre National des Indépendants et Paysans est depuis sa création, partie prenante au processus d'Union Européenne. Son Président-fondateur, Antoine Pinay, représentant la France lors de la Réunion des Ministres des affaires étrangères à Messine, le 1er juin 1955.

Comité économique et Social (CES) : Organe consultatif, il permet d'associer les milieux professionnels au fonctionnement de la Communauté.

Comité des Régions : Organe consultatif institué par le Traité sur l'Union et réunissant les représentants des collectivités régionales et locales.

Commissaires européens, Commission : Nommés pour quatre ans (cinq à partir de 1995) par les États membres, les dix-sept membres de la Commission Européenne constituent un organe exécutif collégial.

Communauté Européenne : Institutionnalisée par le Traité sur L'Union Européenne pour succéder à la Communauté économique européenne.

Communautés européennes : Terme générique désignant les trois communautés (CECA, CEE, CEEA).

CECA : Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier, intitulée par le Traité de Paris signé le 18 avril 1951.

CED : La Communauté Européenne de Défense a été intitulée le 27 mai 1952 mais repoussée par l'Assemblée nationale française le 30 août 1954.

CEE : Communauté économique Européenne, ou Marché Commun, intitulée par le Traité de Rome le 25 mars 1957.

CEEA (ou EURATOM) : La Communauté Européenne de l'Énergie Atomique a été institué, comme la CEE, par le Traité signé à Rome le 25 mars 1957.

CSCE : La Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe a été institutionnalisée le 21 novembre 1990 par la Charte de Paris. Compte tenu de la présence de l'Amérique du Nord et les États-Unis issus de l'ex-URSS, il s'agit d'une institution à la fois euro-atlantique et euro-asiatique regroupant plus de cinquante pays.

Conseil de l'Europe : Organisation intergouvernementale regroupant 32 pays démocratiques du continent européen.

Ne pas confondre avec le Conseil Européen, institution de l'Union Européenne regroupant les chefs d'État ou de gouvernement, née des "Sommets "européens.

Ne pas confondre non plus avec le Conseil, communément appelé Conseil des ministres qui rassemble les représentants des États membres et réunit en différentes formations selon les matières inscrites à l'ordre du jour. Il est aidé dans ses travaux par le COREPER, Comité des représentants permanents des États membres.

Cour des Comptes : Créée en 1975 et institutionnalisée par le Traité de Maastricht, elle assiste l'autorité budgétaire communautaire et assure le contrôle permanent des comptes.

Cour de Justice : Formée de treize juges et installée à Luxembourg, elle assure le respect du droit dans l'interprétation et l'application du Traité de l'Union.

Ne pas confondre avec La Cour Internationale de Justice de La Haye, organe judiciaire des Nations-Unies.

Ne pas confondre non plus avec la Cour européenne des Droits de l'Homme de Strasbourg, ni la Commission européenne des Droits de l'Homme créées pour appliquer la Convention du même nom.

ECU (European Currency Unit) : Monnaie européenne créée en mars 1979, elle s'est substituée le 1er janvier 1981 à l'unité de compte européenne. C'est un "panier de monnaies" jouant le rôle d'unité de compte, d'instrument de réserve et de moyen de règlement. Parallèlement à cet usage officiel, il faut noter l'existence d'un ECU "privé", véritable instrument de financement et de placement utilisé sur les marchés internationaux de capitaux.

EEE (Espace Économique Européen) : Zone de libre-échange née le 1er janvier 1994, regroupant la Communauté Européenne et cinq pays de l'AELE (Autriche, Finlande, Islande, Norvège et Suède).

Eurêka : Créée en 1955, la procédure Eurêka a pour objet de favoriser une coopération plus étroite en matière de technologies de pointe.

FED : Fonds Européen de Développement. C'est l'instrument d'une coopération financière avec les 69 pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique).

FERDER : Fonds Européen de Développement Régional. Instrument financier de la politique régionale communautaire, il a pour objectif exclusif de contribuer au développement des régions défavorisées.

FEOGA : Fonds Européen d'Orientation et de Garantie Agricole. Il permet le financement de la politique agricole commune (PAC) et repose sur le principe de solidarité financière entre États membres. Sa section "garantie" finance les dépenses d'intervention et de gestion, ainsi que les montants compensatoires monétaires.

GATT (General Agreement on Tariffs and Trade) : Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce. Entre en vigueur le 1er janvier 1948, il avait pour but initial de libéraliser le commerce et a été élargi à d'autres domaines, tels les services. Il se développe à l'occasion de négociations appelées "Round" ; Kennedy (1964-67), Tokyo Round (1973-79), Uruguay round (1986-93).

Tous les États membres de la Communauté en sont partis contractantes, mais ils ont accepté de remettre à la Commission leur pouvoir d'expression.

JET (Joint European Torus) : Programme de fusion nucléaire contrôlée.

Montants compensatoires monétaires : C'est un système correcteur permettant d'ajuster les prix agricoles dans l'ensemble de la Communauté. Il sera progressivement démantelé pour disparaître finalement avec la phase finale de l'Union économique et monétaire.

OCDE : Siégeant à Paris, l'Organisation de Coopération et de Développement Économique est née en 1960, succédant à l'OECE, qui coordonnait l'aide américaine en Europe occidentale (Plan Marshall). Organisme de coopération intergouvernementale, c'est une structure de concertation et d'information entre 24 pays industrialisés à économie de marché.

OTAN : Organisation du Traité de l'Atlantique Nord. Signé en 1949, le traité avait pour but d'assurer la sécurité de ses membres en préparant des plans de défense commune. Il compte aujourd'hui seize États membres.

Paiement européen : Assemblée de représentants des peuples européens élus au suffrage universel depuis le 1979. Les séances plénières ont lieu à Strasbourg, les réunions de commissions à Bruxelles et les services du Secrétariat général à Luxembourg.

PAC : La Politique Agricole Commune a été conçue selon trois principes : l'unité de marché, la préférence communautaire et la solidarité financière.

PESC : La Politique étrangère et de sécurité commune est un des cinq objectifs de l'Union Européenne.

Préférence communautaire : Un des trois principes de la PAC.

PIM (Programmes Intégrés Méditerranéens) : Ces programmes de développement régional ont pour eu but de moderniser entre 1986 et 1992 l'économie de la Grèce et de certaines régions de France et d'Italie afin de leur permettre de surmonter la concurrence des produits espagnols et portugais.

Subsidiarité : Article 3B du Traité de l'Union Européenne : "Dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, la Communauté n'intervient, conformément au principe de subsidiarité, que si dans la mesure où les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, être mieux réalisés au niveau communication".

SME : Le Système Monétaire Européen est entré en vigueur le 13 mars 1979 et vise à établir des relations de change plus stables entre les monnaies européennes et à susciter un rapprochement des situations économique des États.

Union Européenne : Institué par le Traité signé à Maastricht, elle est fondée sur les Communautés européennes complétées par de nouvelles politiques et formes de coopération. Elle a pour objectifs d'établir une Union Économique et Monétaire (UEM), de mettre en œuvre une politique étrangère et de sécurité commune (PESC), d'instaurer une citoyenneté de l'Union et de développer la coopération dans le domaine de la justice et des affaires inférieures.

UEO : L'Union de l'Europe Occidental a été créée le 17 mars 1948. C'est le seul organisme exclusivement européen habilité à traiter des problèmes de défense.


La commission Europe du CNI

Président : Jean-Antoine de Giansily

Secrétaire : Alexis Kummetat

MM. Jacques Albisson, Philippe Bertrand, Hervé Cadenne, Raymond Dequet, Jean Duboscq, Bruno Georges, Jean-Antoine Giansily, Alain Ketterel, Serge Kouchnir, lexis Kummetat, Jean-François Lalleman, Bernard-Pierre Lebeau, Mmes Patricia Lefeuvre, Barbara Michel, M. Laurent-Xavier Morin, Mlle Diane de Pertat, MM. Maurice Poirel, Yan de Saint Pol, Mlle Florence Texier, MM. Pierre-Jean Thomas, Jean Vallois.

En établissant nos propositions, nous nous sommes notamment référés aux travaux des instituts suivants : 
Euro 92 (Paris)
European Policy Forun (Londres)
Frankfurter Institut (Francfort)
Instituto Luigi Einaudi (Turin)