Interview de M. Édouard Balladur, Premier ministre, dans "La Dépêche du Midi" du 28 février 1994, sur la politique en matière de lutte contre le chômage et la place de la région Midi-Pyrénées dans le cadre de la politique d'aménagement du territoire.

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Circonstance : Déplacement de M. Edouard Balladur, dans le cadre du débat sur l'aménagement du territoire, à Toulouse le 28 février 1994

Média : La Dépêche du Midi

Texte intégral

La Dépêche du Midi : Vous êtes jusqu'ici la vedette incontestée des sondages. Et voici que pour la première fois depuis votre entrée à Matignon, vous n'avez plus que 47 % de satisfaits contre 43 % de mécontents. Est-ce la fin de l'état de grâce ? Si oui, pourquoi ?

Édouard Balladur : Je crois que les chiffres varient, d'autres sont meilleurs que ceux que vous voulez bien citer. Mais ce n'est pas important. Ce qui importe, c'est la réalité de la situation française.

Voilà plus de vingt ans qu'avec des rémissions de moins en moins longue durée, les Français vivent dans la crise économique. Il y a presque un an, à la formation de ce gouvernement, notre pays traversait la récession la plus sévère qu'il ait connue depuis la guerre. Un an plus tard, nous avons pu faire repartir la croissance. De - 0,8 en 1993, elle sera pour 1994 aux alentours de 1,4 %. Cela fait une différence sensible mais ce n'est pas encore suffisant et notamment pas encore suffisant pour avoir pu mettre fin à la croissance du chômage.

Les Français sont donc inquiets, ils attendent du gouvernement qu'il favorise la reprise et qu'il leur garantisse la protection sociale à laquelle ils sont attachés. Je ne sais pas s'il s'agit de la fin de l'état de grâce, et d'ailleurs ce n'est pas là ma préoccupation essentielle. J'ai fixé, devant la représentation nationale, les objectifs du gouvernement. Il y a dix mois, cette politique est mienne et je l'assume toute entière.

La Dépêche du Midi : Le chômage continue de progresser et vous avez-vous-même reculé à 1995 l'espoir d'une éventuelle stabilisation. N'est-ce pas l'aveu d'une certaine impuissance et ne craignez-vous pas que les Français se lassent d'attendre des remèdes qui ne viennent pas ?

Édouard Balladur : Les Français savent qu'il n'y a pas de remède miracle en matière de chômage. Les Français ne croient pas les marchands d'illusions. Je n'ai jamais caché que le chômage continuerait à augmenter, mais j'ai promis que cette augmentation se ralentirait progressivement au cours de l'année 1994 ou au début de 1995. D'ores et déjà, la croissance du chômage a été deux fois moins rapide au second semestre 1993 par rapport au premier semestre (+ 200 000 au premier semestre, + 100 000 au second semestre).

D'où viendra ce ralentissement ? Tout d'abord, le retour de la croissance permettra d'augmenter le volume des offres d'emplois. D'août 1993 à janvier 1994, le volume des offres a augmenté de 60 %. Après une chute de la production nationale en 1993, l'économie devrait croître de 1,4 % en 1994. Les indications des derniers mois me conduisent à penser que cet objectif est réaliste. Ensuite les mesures prises depuis un an, sur l'apprentissage, sur l'allègement des charges ou pour soutenir la trésorerie des entreprises vont progressivement produire leurs effets.

Je comprends l'impatience de nombreux Français touchés par le fléau du chômage. C'est pourquoi tous les efforts du gouvernement vont progressivement produire leurs effets.

La Dépêche du Midi : Vous avez renoncé au projet envisageant pour des raisons de meilleure « gestion » la suppression de 22 000 lits d'hôpitaux. Et de façon générale, il semble que vous mettez désormais entre parenthèses vos ambitions de réforme. Cette attitude est-elle dictée par le souci de ne rien brusquer avant l'élection présidentielle ?

Édouard Balladur : Je n'ai jamais entendu procéder à la « suppression » de 22 000 lits d'hôpitaux. La vérité est que votre système hospitalier souffre d'un excédent total de lits, qui alourdit la gestion et compromet un bon fonctionnement. Il faut donc porter remède au bon fonctionnement. Il faut donc porter remède à cette situation en organisant, chaque fois que cela est possible, la reconversion de ces lits au bénéfice  des personnes âgées et des victimes de longues maladies ; cette reconversion devra se faire, je l'ai indiqué de la manière la plus claire aux  préfets de région et de départements que j'ai réunis à ce sujet, au terme d'une concertation approfondie avec les élus locaux, les praticiens  et les personnels hospitaliers, sans perdre de vue l'objectif d'aménagement du territoire qui est  celui du gouvernement. S'il s'avérait que des fermetures devient indispensables, des décisions seraient associées, pour les collectivités locales concernées, de justes compensations. Mais, une fois encore, je souhaite qu'aucun effort ne soit ménagé pour éviter d'en arriver à ce genre de décisions.

Il ne s'agit donc pas de renoncer à une ambition de réforme. Il s'agit de faire en sorte que les réformes nécessaires soient acceptées par le plus grand nombre, faute de quoi elles s'avèreraient fragiles.

Vous me permettrez d'ajouter qu'en matière de sociale, tout particulièrement, la volonté de réforme qui m'anime ne peut être mise en doute. Réforme des retraites, redressement de de l'assurance-maladie, budgétisation des cotisations familiales et allègement des charges sur les bas salaires : telles sont les réformes, d'ores et déjà menées à leur terme et qu'aucun gouvernement, depuis bien longtemps n'avait été engager. Cet effort ne se relâchera pas en 1994, comme en témoigne le programme législatif du gouvernement pour les prochaines semaines : loi sur la famille, loi sur la protection sociale et la dépendance, loi sur la participation et l'intéressement, Livre blanc sur l'avenir de notre système de santé.

Je suis convaincu que ces changements répondent aux souhaits de nos compatriotes qui ont voulu que, dès 1993, s'engagent les réformes qu'ils appelaient de leurs vœux.

La Dépêche du Midi : En attendant, il semble en tout cas qu'au travers de certaines nominations à des postes-clés dans la fonction publique (+ de 200) et dans l'audiovisuel, se prépare la mise en place de « l'état Balladur ». Que faut-il en penser ?

Édouard Balladur : La formulation de votre question est étrange. Est-ce le sentiment des partis politiques d'opposition ou une question d'observateur attentif ?

Pourquoi céder à la caricature ? Le gouvernement procède à des nominations comme c'est son rôle. Il y procède avec deux soucis, celui de l'impartialité de l'État, et celui de la compétence des hommes qu'il choisit. Tel n'a pas toujours été le cas.

En matière d'audiovisuel, je voudrais rappeler que ce gouvernement est le premier à avoir purement et simplement supprimé l'instance de régulation qui procède aux nominations. Non seulement il ne l'a pas supprimé, mais le CSA est aujourd'hui composé de la même manière qu'il y a dix-huit mois.

C'est sous ce gouvernement que pour la première fois depuis très longtemps, un président de la télévision publique a pu achever un mandat normal. Alors, il faudrait essayer d'éviter de tomber dans toutes les manipulations !

La Dépêche du Midi : Votre venue à Toulouse s'inscrit dans le cadre du grand débat sur l'aménagement du territoire. Or, dans notre région, les menaces sont nombreuses sur les grands groupes Industriels Péchiney, Elf Aquitaine, Aérospatiale, sur les bassins miniers (Carmaux, Decazeville) et sur l'agriculture notamment. Quelle réponse pouvez-vous y apporter à ceux qui doutent de l'avenir de notre région ?

Édouard Balladur : Chacune des situations que vous évoquez nécessite un développement plus large que nous permet cette interview. De manière générale, le gouvernement a témoigné à plusieurs reprises   déjà, de sa volonté de soutenir les activités économiques françaises, avec tous les moyens dont il dispose.

À ceux qui doutent de l'avenir de la région, je dirais volontiers que c'est à eux qu'il appartient de forger cet avenir. L'ambition et la volonté sont des préalables à la réalisation de tous projets.

Je souligne par ailleurs que Midi-Pyrénées dispose d'atouts réels. Une activité industrielle qui est tournée vers l'avenir et qui est dynamique pour une bonne partie ; une forte concentration intellectuelle sur Toulouse qui est la deuxième ville universitaire de France, un espace naturel qui offre des possibilités de développement encore inexploitées en sont quelques exemples.

Le débat national sur l'aménagement du territoire révèle, par ailleurs, que les Français reprennent confiance. L'état des esprits a évolué. Chacun souhaite à présent apporter sa pierre à l'édifice du développement national. Je m'en réjouis. Un des objectifs du débat national est ainsi atteint.

Je souhaite vivement que cet état d'esprit soit partagé en Midi-Pyrénées.

La Dépêche du Midi : L'idée du Grand Sud-Ouest lancé naguère par M. Giscard d'Estaing est aujourd'hui reprise par certains responsables politiques. Y êtes-vous favorable ? Pensez-vous qu'il faut remodeler les régions pour leur donner une dimension européenne ?

Édouard Balladur : Toute initiative qui permet le rassemblement et la coopération est la bienvenue.

Dans l'esprit d'un éventuel Grand Sud-Ouest, je voudrais citer l'initiative qui a été prise dans le bassin parisien. L'État, le conseil régional Ile-de-France et sept conseils généraux se sont entendus pour signer, en même temps que le contrat de plan, un contrat interrégional qui est financé en trois tiers par l'État, la région Ile-de-France et l'ensemble des sept autres.

L'Ile-de-France participe ainsi à des opérations situées en dehors de son propre territoire, et contribue à la dynamique de rééquilibrage du bassin parisien. Par ailleurs, les huit conseils régionaux sont parvenus un accord sur chacune des actions à venir.

C'est ce type d'initiative qu'il faut retenir plutôt que de s'engager dans un débat sur le remodelage éventuel des régions.

La Dépêche du Midi : Le désenclavement de nos régions est une priorité. L'aménagement de la RN 88 Toulouse-Rodez-Lyon est en bonne voie. Envisagez-vous de faire donner un coup d'accélérateur à la RN 20, entre Foix et le tunnel de Puymorens et la RN 124 entre Toulouse et Albi ?

Édouard Balladur : La mise à deux fois deux voies de la liaison Lyon-Toulouse est considérée par le gouvernement comme une priorité d'aménagement du territoire.

L'État a consacré 650 millions de francs à cette liaison de 1989 à 1993. Les décisions prises lors du comité interministériel d'aménagement du territoire de Mende se traduisent, à ce stade, par l'affectation de 1,6 milliard de francs pour la période de 1994 à 1998. L'accélération est très significative.

L'amélioration des liaisons Foix-Tunnel de Puymorens, et Toulouse-Auch est prise en considération dans le contrat de plan.  Le volume des travaux est fortement accru pour ces deux axes. Ainsi, la déviation de Foix sera réalisée, avec tunnel, et 430 MF seront engagés sur la liaison. En ce qui concerne Toulouse-Auch, c'est plus d'un triplement des crédits qui est prévu.

Je note d'ailleurs que près de 40 % du contrat de plan sont consacrés aux infrastructures de communication. C'est considérable.  C'est la première priorité régionale.