Interview de M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche, dans "L'Hebdo des socialistes" du 18 septembre 1998, sur les objectifs de la loi d'orientation agricole, notamment le contrat territorial d'exploitation (CTE), intitulée "Refonder une politique agricole durable".

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Média : L'Hebdo des socialistes

Texte intégral

Monique Grima : Quarante ans après l’instauration de la politique agricole commune, pourquoi une nouvelle loi d’orientation agricole ?

Louis Le Pensec : Les lois de 1960/62 étaient des lois destinées à mobiliser le monde agricole sur le développement de la production. Il s’agissait alors pour la France comme pour l’Europe de conquérir l’autonomie alimentaire.
Cette politique a été efficace puisqu’elle a fait de la France la première puissance agricole européenne, le premier exportateur mondial de produits agricoles transformés.
Mais cette politique est aujourd’hui remise en cause, y compris par les agriculteurs. La modernisation de l’agriculture s’est en effet accompagnée d’une très forte concentration des exploitations. Non seulement nous n’en comptons plus que 700 000 mais, parmi elles, 150 000 seulement réalisent les deux tiers de la production.
Cette concentration s’accompagne de déséquilibres entre les territoires et les productions.
Aujourd’hui, pour les dix premières productions agricoles françaises, dix départements produisent autant que quarante-cinq. Ces dix départements sont tous situés au nord d’une ligne Nantes-Strasbourg.
La politique agricole est aussi remise en cause par nos concitoyens qui contestent les excès de ce qu’il est convenu d’appeler le productivisme. La crise de la vache folle a agi comme un révélateur des angoisses des Français devant une agriculture de plus en plus artificialisée. Mais ce sont plus généralement les conséquences négatives d’une certaine forme d’agriculture sur l’environnement qui sont remises en cause.
En outre, on ne peut pas empêcher les Français, souvent confrontés dans leurs familles, ou parmi leurs proches, au chômage massif qui frappe toute l’Europe, de s’interroger sur le coût de la politique agricole au regard des avantages qu’elle procure.
Au sein de l’Europe elle-même, le consensus autour de la politique agricole commune est de plus en plus menacé.
Les pays du Sud de l’Europe remettent en cause une politique qu’ils jugent exagérément favorable aux grandes productions des pays du Nord et il faut bien constater que la PAC s’est développée autour de celles-ci : céréales, lait, viande bovine.
Enfin, la politique agricole de l’Union est contestée par les partenaires de l’Europe. Nous avons en mémoire les difficiles négociations du GATT. Les accords de Marrakech ont constitué une trêve, mais celle-ci est fragile et la date de reprise des hostilités est proche. Nous devons imaginer de nouvelles formes d’intervention publique. Le projet de Loi d’orientation agricole (LOA) doit permettre de refonder en France comme en Europe, une politique agricole durable.

Monique Grima : Vous désirez passer à une gestion « plus contractuelle » des aides. Qu’entendez-vous par là ?

Louis Le Pensec : La contractualisation de la politique agricole permettra d’en faire une politique moderne et citoyenne.
Le contrat sera l’outil assurant le passage d’une politique répartissant de façon aveugle les moyens publics en fonction des volumes de production, à une politique qui proportionne l’attribution de ces moyens à l’intérêt des projets présentés par les agriculteurs, pour l’accomplissement des objectifs publics que l’État aura fixés pour la politique agricole du pays. Et il est évident que les objectifs doivent rejoindre les nouvelles préoccupations économiques qui émergent avec d’autres critères que ceux du passé.
Les organisations agricoles appellent depuis plusieurs années un renouvellement du contrat liant l’agriculture et la Nation. À travers le Contrat territorial d’exploitation (CTE), j’entends donner un contenu à cette attente.
En accord avec la profession, il a été convenu de conduire des opérations de préfiguration dans quelques départements. L’adhésion au projet a été telle qu’à ce jour, plus de soixante-quinze départements et trois régions ont souhaité se lancer dans cette opération.
L’enjeu est maintenant de réfléchir avec tous les partenaires concernés au contenu concret des CTE.

Monique Grima : Quels services collectifs les agriculteurs peuvent-ils rendre en matière de protection de l’environnement et d’occupation du territoire ? Comment seront-ils rémunérés ?

Louis Le Pensec : Le Contrat territorial d’exploitation comportera obligatoirement deux volets :
Un chapitre baptisé « économique et social », dans lequel les agriculteurs présenteront leur démarche pour augmenter la production de valeur ajoutée, conduire des actions de diversification, reconvertir leurs exploitations en agribio, développer l’emploi…
Le second chapitre, intitulé « territorial et environnemental » détaillera les actions menées par les agriculteurs au titre du développement de modes de production plus respectueux de l’environnement, contribuant à l’entretien des paysages, gérant mieux la ressource en eau, valorisant leur espace. Par exemple, en matière de gestion du paysage et de protection du patrimoine naturel et culturel, le CTE doit encourager la préservation du bocage, l’aménagement parcellaire, la lutte contre l’érosion, le maintien de la biodiversité, l’amélioration de la santé animale. De la meure façon, les opérations de prévention des risques naturels et des incendies sont à prendre en compte.
Je tiens à souligner que si ce contrat est individuel, sa conception et la définition de ses orientations peuvent se faire dans un cadre collectif, en particulier au sein d’une petite région ou d’un pays. Il devra prendre en compte les réalités locales ou départementales. Il permettra aux agriculteurs de reconquérir la maîtrise de leur action et de leur métier dans toute sa globalité. C’est un choix que nous leur proposons et je constate qu’ils sont dès maintenant nombreux à le faire.

Monique Grima : Si elle avait été votée, cette nouvelle loi aurait-elle pu aider les éleveurs de porc qui manifestaient contre l’effondrement des cours ?

Louis Le Pensec : Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, cette crise de surproduction est avant tout européenne. Ce que démontre de façon exemplaire cette crise, c’est d’abord la nécessité d’organiser et de réguler les marchés agricoles. Leur fragilité, leur caractère spéculatif nécessitent une intervention publique et je crois à cet égard que la conjoncture porcine vient utilement le rappeler au moment où s’engagent les négociations sur la réforme de la PAC et où les propositions de la Commission tendent à l’abandon de cette intervention des pouvoirs publics pour les autres OCM. Mais la loi d’orientation agricole n’est pas étrangère à cette réflexion puisqu’elle permettra à la France de peser dans le débat communautaire. La LOA, en redéfinissant les objectifs de la politique agricole, refondera l’intervention des pouvoirs.