Interviews de M. Charles Pasqua, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, à Europe 1 le 3, dans "Le Journal du Dimanche" du 8 et à RTL le 17 mai 1994, notamment sur sa menace de démission en cas de remise en cause du projet de loi sur l'aménagement du territoire, et sur le report des élections municipales.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Europe 1 - Le Journal du Dimanche - RTL

Texte intégral

Europe 1 : Mardi 3 mai 1994 

F.-O. Giesbert : On a pu avoir, ces derniers temps, le sentiment que vous étiez de mauvaise humeur... 

C. Pasqua : Pas du tout ! Quand je suis de mauvaise humeur, je le manifeste.

F.-O. Giesbert : Un peu silencieux…

C. Pasqua : Il y a un temps pour parler et agir.

F.-O. Giesbert : Valeurs Actuelles consacre un dossier à vos « éclats », et on lit qu'il faut se méfier quand vous êtes silencieux : « Il faut se méfier de l'eau qui dort... C. Pasqua pratique la stratégie du crocodile, il attend, immobile, l'œil mi-clos, puis il se dresse et se jette sur sa proie. » Que mijotez-vous ?

C. Pasqua : Rien de particulier, mais je suis assez occupé.

F.-O. Giesbert : C'est pour cela qu'on ne vous a pas entendu, dimanche, lors du débat sur l'emploi, avec Chirac et Séguin qui ont fait entendre leurs différences avec le gouvernement ?

C. Pasqua : Je trouve très bien que J. Chirac et P. Séguin soient intervenus sur l'emploi. Pendant six mois j'ai fait le tour de France pour parler de l'aménagement du territoire avec un seul objectif la reconquête du territoire pour l'emploi. Donc ce n'était pas la peine que j'intervienne. Je vais essayer, maintenant, de faire passer ce que j'ai dit dans les faits, à savoir dans la loi. Parler c'est bien, agir c'est mieux.

F.-O. Giesbert : Le Premier ministre vous soutient à fond ?

C. Pasqua : Je l'espère, nous verrons bien.

F.-O. Giesbert : Vous n'êtes pas sûr…

C. Pasqua : Non, je n'ai pas de doutes. Je ne suis pas E. Balladur. Lui c'est lui et moi c'est moi. Chacun d'entre nous a ses responsabilités propres. E. Balladur a fait le tour de France avec moi en grande partie et je crois qu'il est comme moi, convaincu de la nécessité de mettre un terme à l'éclatement de la France et à la fracture sociale.

F.-O. Giesbert : Mais il ne vous pas encore dit : « Charles, je vous soutiens » ?

C. Pasqua : Une chose est de le dire, une autre est d'aboutir à une loi qui corresponde à ce que nous souhaitons. Les procédures sont en cours, nous verrons bien comment elles se termineront.

F.-O. Giesbert : Le projet des primaires avant l'été, pour l'élection présidentielle, il vous a dit aussi : « Charles je vous soutiens » ?

C. Pasqua : Mon devoir, c'est de préparer le texte qui est prêt. Si le Premier ministre le veut, il est à sa disposition. De toute façon, je le lui transmettrai.

F.-O. Giesbert : Vous n'êtes pas sûr qu'il le veuille ?

C. Pasqua : Écoutez, vous avez fini de vous livrer à ce petit jeu, ce matin, M. Giesbert ! Posez-moi les questions qui dépendent de moi et posez aux autres les questions qui dépendent d'eux ! 

F.-O. Giesbert : Qu'allez-vous faire si E. BALLADUR refuse votre projet sur les primaires à la française ? 

C. Pasqua : Je ne suis pas crispé sur un projet.

F.-O. Giesbert : Mais vous avez du caractère et vous pouvez avoir mauvais caractère... 

C. Pasqua : Merci ! Je dis ceci : il me semble indispensable qu'il y ait un seul candidat dès le premier tour des présidentielles. Si on connaît un autre moyen pour y parvenir, qu'on l'utilise. S'il n'y en a pas, on sera probablement bien content d'utiliser celui que j'ai préparé. Je ne l'ai pas préparé tout seul." 

F.-O. Giesbert : Un seul candidat, c'est qui ? Chirac qui remonte dans les sondages? Balladur qui résiste ? Barre, Valérie Giscard d'Estain, Pasqua ?

C. Pasqua : Le meilleur, nous verrons bien le moment venu. Je vous trouve très en forme ce matin.

F.-O. Giesbert : P. Séguin, ce week-end, a fait une proposition très intéressante un référendum sur l'emploi. Vous êtes pour ?

C. Pasqua : Il faudrait que Philippe explicite un peu ce qu'il entend par référendum sur l'emploi.

F.-O. Giesbert : Ça sera peut-être une question genre : « Êtes-vous pour ou contre le chômage ? »

C. Pasqua : Ne prenez pas les gens pour des idiots ! P. Séguin a une idée derrière la tête quand il propose cela. Il faut lui demander d'expliciter un peu sa pensée. S'il veut dire par là que cette société est tellement bloquée, qu'il y a tellement de corporatismes et tellement d'oppositions à vaincre, que pour les vaincre il faut en appeler au peuple, alors je crois qu'il a raison. Mais c'est valable sur bien d'autres sujets.

F.-O. Giesbert : Même sur l'aménagement du territoire ?

C. Pasqua : Sur beaucoup de sujets.

F.-O. Giesbert : Vous êtes partisan d'un référendum sur votre réforme, dites-le !

C. Pasqua : Je l'ai déjà dit. Mais savez-vous qui est président de la République à l'heure actuelle ? Dites-moi son nom : « F. Mitterrand » Voilà, bravo M. Giesbert ! La possibilité d'organiser le référendum dépend du président de la République, on ne peut pas lui forcer la main. Il a déjà dit qu'il ne le ferait pas. Mais moi, s'il était prêt à le faire, je dirais banco!

F.-O. Giesbert : L'Union syndicale des magistrats, vient de nous annoncer que le malaise est dissipé entre la magistrature et le ministère de l'Intérieur. Et puis voilà que deux magistrats publient une contre-enquête sur ce qu'on a appelé « l'affaire HB » sur la prise d'otages de Neuilly en 93. Votre avis?

C. Pasqua : Ne mélangeons pas tout. Le malaise est dissipé entre la magistrature et le ministère de l'Intérieur pour une raison simple : c'est qu'il n'y en a jamais eu. Je n'ai jamais mis en cause l'institution judiciaire et donc, elle n'avait pas à se sentir soit blessée, soit critiquée par mes propos. J'ai mis en cause les agissements de certains juges. Et si je devais confirmer mon jugement de l'époque, justement ce à quoi vous faites allusion ce matin, le livre publié par deux militants du Syndicat de la magistrature, ne ferait que me confirmer dans l'idée qui est la mienne.

F.-O. Giesbert : Ils disent: HB a été abattu pendant son sommeil. Il ne s'agissait pas d'un cas de légitime-défense, mais finalement, d'un assassinat. Vous pouvez commenter un peu ?

C. Pasqua : Vous consacrez beaucoup de temps à ce type de ragots, permettez-moi de vous le dire. Et je n'ai pas du tout l'intention d'entrer dans ce débat. Cela a déjà été dit par ces deux militants du SM, et c'est la raison pour laquelle une information judiciaire est ouverte à la demande du gouvernement. Ils répondront donc de leurs déclarations devant la justice. Ça les changera.

F.-O. Giesbert : Pas un jour sans que l'on parle des Islamistes en France. C'est un réel danger pour vous ?

C. Pasqua : Il faut faire attention à ce que l'on dit. Je ne crois pas à la réalité du danger islamiste pour le moment. Cela ne veut pas dire qu'un jour, ce danger n'existerait pas. C'est la raison pour laquelle, nous surveillons ces milieux, mais pas de danger pour l'instant.

F.-O. Giesbert : On exagère ?

C. Pasqua : Je crois et il ne faut pas dire n'importe quoi car ça peut avoir des conséquences.

F.-O. Giesbert : Vous allez voter avec enthousiasme pour la liste de D. Baudis ?

C. Pasqua : Pour l'instant, cette liste n'est pas encore constituée. On connaît la tête de liste ; j'attends de voir quels sont tous les candidats du RPR. Du reste, je vais en parler tout à l'heure avec A. Juppé.

F.-O. Giesbert : Vous n'êtes pas d'accord avec tous les candidats du RPR ? H. Carrère d'Encausse ça vous…

C. Pasqua : Non, j'attends de voir comment cette liste sera constituée. Je souhaite qu'elle soit comme on l'a dit, ouverte. À savoir qu'un certain nombre de gens qui ont défendu les mêmes idées que moi lors du référendum de Maastricht y figurent.

F.-O. Giesbert : Qu'on ait quelques amis de Pasqua sur la liste…

C. Pasqua : Ce n'est pas cela le problème. Le problème, c'est qu'il y ait des gens qui restent fidèles à leurs convictions.

F.-O. Giesbert : Vous ferez campagne pour la liste Baudis s'il y a suffisamment d'amis de Pasqua ?

C. Pasqua : Le mot est peut-être un peu excessif.

Q: Qu'allez-vous faire alors ? 

C. Pasqua : Vous verrez bien.


Le Journal du Dimanche : 8 mai 1994

Le Journal du Dimanche : La menace de démission reste donc une stratégie payante ! 

C. Pasqua : Ce n'est pas un problème de stratégie mais de tempérament. Je suis exigeant avec moi-même et je m'engage toujours à fond, pas à moitié. L'étonnant, c'est que cela surprenne les gens. Ce qui devrait les surprendre, c'est que l'on n'assume pas ses responsabilités, que l'on ne mette pas en œuvre la politique pour laquelle on a été élu et les priorités que l'on s'est fixées. Ce n'était pas ure menace de démission, mais j'ai pensé que si je n'obtenais pas satisfaction, en effet, il me faudrait m'en aller.

Le Journal du Dimanche : C'est une victoire de Pasqua sur Bercy.

C. Pasqua : Non, c'est une victoire du gouvernement sur lui-même et sur les pesanteurs de toute sorte. Moi, je n'ai jamais douté que le gouvernement se donnerait les moyens d'assumer cette priorité. C'est bien pourquoi j'ai demandé l'arbitrage du Premier ministre lui-même. Je n'ai jamais eu de problème avec lui, il y avait des choix lourds de conséquences à faire et il y avait, au sein du gouvernement, diverses approches. Il a tranché et j'en suis très satisfait. 

Le Journal du Dimanche : Le Premier ministre a parlé de « psychodrame ! »

C. Pasqua : Moi, j'en ai été l'objet, pas l'auteur.

Le Journal du Dimanche : Mais cet arbitrage lourd en votre faveur ne vous fait-il pas l'obligé de Balladur ?

C. Pasqua : Écoutez, je suis très heureux que nous présentions aux Français une grande loi qui se donne les moyens au maximum des possibilités actuelles de rétablir l'égalité des chances entre les Français, entre les régions, une loi-cadre qui aide à la relance de l'économie par le développement du territoire. Ce texte s'appellera d'ailleurs « loi d'orientation pour le développement du territoire ». Elle permettra aux régions les plus pauvres de combler leur retard et à l'ensemble du pays de se mettre au niveau de ses grands concurrents européens. Et ce, notamment par des fonds de péréquation, une fiscalité dérogatoire pour les entreprises qui choisiraient de se créer ou de s'installer dans les zones déshéritées ou les banlieues. Comprenez qu'il s'agit d'une grande affaire et non d'une querelle subalterne, du genre « Pardon monsieur, je veux passer devant vous ! »

Le Journal du Dimanche : On dit que vous aimeriez être plus libre de vos propos, de vos actions, voire vous mettre à votre compte, d'où ces rumeurs de démission.

C. Pasqua : Je suis tenu par la solidarité gouvernementale, c'est normal, mais je ne me sens ni bridé ni brimé, et c'est mal me connaître que de penser que je pourrais, comme vous dites, me mettre à mon compte. Je suis gaulliste.

Le Journal du Dimanche : Qu'est-ce à dire aujourd'hui ? 

C. Pasqua : Privilégier l'intérêt général sur l'intérêt particulier, y compris le mien. Le problème n'est pas de savoir ce qui est bon pour tel ou tel, mais ce qui est bon pour le pays ! En France, il faudrait que les hommes politiques se consacrent moins à la course aux places et plus à redonner espoir et confiance aux gens. C'est cela l'essentiel.

Le Journal du Dimanche : Mais vous pouvez souhaiter que vos idées soient mieux entendues.

C. Pasqua : Mes idées et l'action que je mène sont comprises et appréciées. Beaucoup s'en contenteraient.

Le Journal du Dimanche : On peut comprendre que vous ne vouliez plus seulement être celui qui roule pour Balla- dur ou pour Chirac.

C. Pasqua : Je suis le premier chez moi, dans les Hauts-de-Seine, même si je suis le second à Rome. L'essentiel, je le répète, est d'avoir une grande ambition pour la France. Si soi-même on peut y contribuer, c'est bien, il faut le faire à la place où l'on pense être le plus utile. Là où je suis aujourd'hui, je suis bien avec Chirac, bien avec Balladur, bien aussi avec Séguin, Barre ou Giscard.

Le Journal du Dimanche : Vous avez donc toutes les chances de devenir Premier ministre.

C. Pasqua : Il ne s'agit pas de dire que je suis prêt à assumer telle ou telle fonction. Il ne faut pas, je le répète, raisonner en terme de places. La question est pour quoi faire ? La clé du système, c'est l'élection présidentielle, celle-ci est dans un an et je ne conseillerais à personne d'entrer en campagne trop vite. Ni aux présidentiables ni, a fortiori, aux premiers ministrables.


RTL : Mardi 17 mai 1994

M. Cotta : Pourquoi ce report des élections municipales à juin 1995, c'est à dire après l'élection présidentielle ?

C. Pasqua : Tout simplement parce qu'on ne peut pas faire autrement. Compte tenu de la date des élections présidentielles, des nécessités que prévoit la loi constitutionnelle pour l'envoi des formulaires par les parrains, tout cela fait que les élections municipales ne peuvent pas avoir lieu à leur date.

M. Cotta : Ce n'est pas pour avantager J.   ?

C. Pasqua : On ne fait pas une loi pour avantager J. Chirac. D'ailleurs, je voudrais bien qu'on m'explique en quoi ça l'avantagerait. Parce que vous pensez que si J. Chirac était candidat aux élections présidentielles, ça le gênerait de faire en mars une campagne municipale, et en mai, une campagne présidentielle. Il ferait une campagne présidentielle dès le mois de mars.

M. Cotta : L'opposition se trompe, alors? 

C. Pasqua : L'opposition joue son rôle. Elle exagère un peu mais c'est son problème, ce n'est pas le mien.

M. Cotta : Le tribunal de Lyon a relaxé un des deux Algériens qui avaient été expulsés de France en urgence absolue. Est-ce que c'est un camouflet, pour vous ?

C. Pasqua : Le tribunal a le droit de juger comme il l'entend. Mais il n'aura pas le dernier mot, du moins, je l'espère. Nous avons fait appel. De toute façon, l'affaire suit son cours.

M. Cotta : Le voyage du ministre libyen en France, c'était un hasard ? 

C. Pasqua : Je n'étais pas informé, donc je ne suis pas en mesure de vous répondre. Le ministre de l'Intérieur peut ne pas être informé la preuve, la voici.

M. Cotta : C'est une première ! La politique, enfin vous avez arrêté de faire la tête avec le gouvernement, vous aviez proposé votre démission.

C. Pasqua : Je ne fais jamais la tête. Des fois, je grimace un peu parce que j'ai une sciatique, ça n'a rien à voir avec la politique. Je traîne la patte, mais je ne la traîne plus, je vous rassure.

M. Cotta : Vous avez beaucoup grimacé, puisque vous avez présenté votre démission au moment où on se demandait si le projet sur l'aménagement du territoire allait passer.

C. Pasqua : Il est certain que le projet de loi sur l'aménagement du territoire va apporter beaucoup de changements et de bouleversements et notamment, au niveau des habitudes et des pratiques de l'administration française et des ministères. Il était donc normal que nous rencontrions sur notre route un certain nombre d'obstacles, et qu'il y ait beaucoup de freins. Je n'ai jamais douté de l'issue de cette affaire. Pour une raison simple, c'est que le Premier ministre s'était engagé, au moins autant que moi.

M. Cotta : Votre menace de démission, c'était pour dire au Premier ministre, aidez-moi ? 

C. Pasqua : Je n'ai jamais menacé de démissionner. À partir du moment, c'est ça qui est assez étonnant les gens sont surpris que l'on mette ses actes en accord avec son discours. J'ai dit qu'il s'agissait d'une affaire très importante pour l'avenir du pays. Je me suis engagé à fond. Si, pour une raison indépendante de ma volonté, cette affaire n'avait pas pu aboutir, évidemment, j'en aurais tiré des conséquences, c'est clair. Ce n'était pas une menace, c'était un constat.

M. Cotta : Vous parlez de freins, mais c'est surtout le budget qui était un frein ?

C. Pasqua : Non, ce n'est pas le budget. Quels que soient les défauts qu'on lui attribue, et il y en a, naturellement, il joue son rôle. C'est de veiller que les dépenses soient maintenues à un niveau raisonnable. Mais le budget a pour habitude d'obéir aux ordres du Premier ministre, donc, les freins ne venaient pas du budget. Ils venaient de beaucoup d'endroits, y compris de certains niveaux du monde politique qui, en paroles, sont pour le changement, et en réalité, freinent des quatre fers dès qu'on touche un peu à leurs compétences ou à leurs privilèges.

M. Cotta : À qui faites-vous allusion?

C. Pasqua : À personne, à personne !

M. Cotta : Vous mettez en valeur le rôle de l'État, un État déconcentré et pas décentralisé. Est-ce qu'on ne peut pas dire que c'est cette conception du rôle de l'État, prédominant chez vous, qui a créé des réticences, par exemple de V. Giscard d'Estaing ?

C. Pasqua : On ne peut pas vouloir une chose et son contraire. La France s'est lancée dans la décentralisation. Ça veut dire que l'État a transféré une partie non négligeable de ses compétences aux collectivités territoriales, surtout aux départements, et aux régions. La logique veut que, dans le même temps, pour qu'en face du président du Conseil régional, doté de moyens et de pouvoirs, y ait un seul interlocuteur en la personne du préfet, l'État transfère une bonne partie des pouvoirs détenus par les ministères et les administrations parisiennes aux préfets. Ça n'est pas le retour de l'État, c'est le transfert des compétences de l'État au niveau le plus proche des citoyens.

M. Cotta : Beaucoup de centristes s'inquiètent de ce qu'ils appellent une reconcentration.

C. Pasqua : Ils ont tort, il n'y a pas de reconcentration. Où y a-t-il une reconcentration ? Il s'agit de faire en sorte que l'État joue son rôle. Qui peut décider des grandes infrastructures ? C'est pas l'addition des présidents de conseils régionaux ou des présidents de conseils généraux, c'est bien l'État. D'ailleurs, qui peut engager les sommes nécessaires aux grands investissements ? C'est l'État. Mais la différence, par rapport à ce qui se faisait autrefois, c'est que cela ne se fera pas sans concertation et sans partenariat avec les élus. C'est donc, au contraire, une conception tout à fait démocratique et nouvelle des choses.

M. Cotta : Certains maires de France, qui publient ce matin un livre, semblent aussi s'en inquiéter ?

C. Pasqua : Mais naturellement, parce que chacun voit midi à sa porte. Les Français sont ainsi faits : tout le monde est prêt à recevoir davantage, mais personne n'est prêt à donner un peu à ceux qui ont moins. C'est ainsi, et bien il faudra s'y habituer. Je constate d'ailleurs au passage que cette association des maires de grandes villes qui se plaignent de ne pas avoir de moyens se lance dans une campagne de publicité. Ils auraient mieux fait de garder leur argent, cela aurait été plus crédible.

M. Cotta : Et le puissant président du Conseil général que vous êtes, celui des Hauts de Seine, est d'accord pour une péréquation avec les départements plus pauvres ?

C. Pasqua : Non seulement je suis d'accord, mais je donne l'exemple. Et permettez-moi de vous dire qu'il y a plus de mérite pour le président du conseil général des Hauts de Seine, comme vous dîtes, à prendre cette position, que pour le président du conseil général d'un petit département rural. Parce que lui est appelé à recevoir, et nous, nous sommes appelés à donner. C'est ça la péréquation, et c'est ça l'égalité des Français.

M. Cotta : Vous aviez souhaité un référendum, sur l'aménagement du territoire.

C. Pasqua : Je crois que si le président de la République l'acceptait, aussi bien le Premier ministre que moi, nous serions satisfaits.

M. Cotta : Ça fait un sacré nombre de référendums. Mais celui-là est le plus important ?

C. Pasqua : Il s'agit de rendre le pouvoir au peuple. Finalement, dans une démocratie, c'est le peuple qui doit avoir le dernier mot, et pas forcément ses représentants. Voilà encore un propos iconoclaste.

M. Cotta : Le Nouvel Observateur écrit cette semaine qu'entre E. Balladur et vous, c'est la fin de l'entente cordiale.

C. Pasqua : Ça me fait rire, mais je ne voudrais pas être désagréable avec le Nouvel Observateur. Je ne lis pas beaucoup ces hebdomadaires, je les lis peu.

M. Cotta : Hier, il y a eu un grand meeting sur l'Europe. Vous aviez montré que vous étiez un peu sceptique, modérément séduit par la liste Baudis. Est-ce que la conception de l'Europe, un peu gaulliste, que défend maintenant D. Baudis, vous séduit ?

C. Pasqua : Séduit, le mot est un peu excessif. Je suis d'ailleurs rarement séduit par les hommes, à vrai dire. Les femmes, ça va mieux. Je dirai que l'évolution de D. Baudis est intéressante, et les positions qu'il prend sont satisfaisantes. Et celles qu'E. Balladur a défini hier soir le sont encore plus.