Article de M. Edouard Balladur, Premier ministre, dans "Le Figaro magazine" du 26 mars 1994, sur le bilan de l'action gouvernementale et les réformes structurelles prévues pour 1994.

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Média : Le Figaro Magazine

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« Si l'on qualifie de recul toute inflexion, il n'y a plus de dialogue possible dans une démocratie et la concertation se transforme en caricature »

Un an écoulé, il est temps de faire le point sur l'action entreprise par le nouveau gouvernement, ses résultats, le sens qu'elle aura durant l'année qui nous sépare de l'élection présidentielle.

En mars 1993, j'étais conscients des difficultés de la situation ; elles m'ont incité, non pas à décliner l'offre de diriger le gouvernement, mais bien davantage à engager sans tarder la politique de redressement et de réforme pour laquelle le pays s'est prononcé et dont j'avais, avec d'autres, dessiné les grands traits quelques mois plus tôt.

Nous étions confrontés à une crise à la fois économique, sociale et morale, dans une situation internationale menaçant certains de nos intérêts essentiels.

Notre pays est en récession, sa situation économique était là plus grave qu'il ait connue depuis la guerre : la production baissait dans pratiquement tous les secteurs, les biens d'équipements, les biens de de consommation courante, le commerce : la situation des entreprises se dégradait et les faillites étaient, mois après mois, plus nombreuses.

« L'inaction de 1988 à 1991 a coûté cher »

Le chômage croisait à un rythme très élevé. Il avait augmenté de 161 000 personnes en 1992, et encore de 80 000 de janvier à mars 1993. Avant que les mesures de redressement que nous avons prises ne commencent à porter leurs effets. 230 000 chômeurs supplémentaires sont apparus d'avril à octobre 1993, ce qui prouve la gravité du mal.

Le déficit du budget de l'État atteignait 340 milliards de francs. En trois ans, il avait plus que tripler, tandis que, depuis 1988, la dette de l'État avait augmenté de 40 %. Dépenses impayées, recettes réduites par une activité économique ralentie : l'État était menacé d'asphyxie, sous le poids de déficit non maîtrisés.

La protection sociale était dans une situation précaire, plus de la moitié des contrats emplois solidaire, indispensables à la lutte contre l'exclusion, n'étaient pas financés et les régimes sociaux subissaient un déficit supérieur à 100 milliards de francs ; plusieurs crises de violence avaient déjà secoué les banlieues et révélé un profond malaise : l'immigration, notamment l'immigration clandestine, n'était pas maîtrisée.

La crise était également morale ; elle mettait en cause la confiance des citoyens dans l'État et dans la société ; la sécurité n'était pas assurée convenablement et le nombre de crimes et des délits augmentent. La délinquance sur la voie publique et le phénomène des bandes prenaient une ampleur accrue.

Les Français doutent de leur justice et la justice elle-même doutait de l'État, incertaine de sa mission, inquiète de l'insuffisance des moyens de son fonctionnement, soucieuse de voir son statut matériel et moral remis en cause.

Enfin, nous étions confrontés, sur le plan international, à des risques majeurs : une crise monétaire persistante qui n'était évitée que grâce à des taux d'intérêt extrêmement élevés qui étouffaient l'économie, des négociations commerciales mal engagées par la Communauté européenne et qui menaçaient l'agriculture française, comme la cohésion de l'Europe.

Qui portait la responsabilité de la situation ? Comme toujours, à la fois l'état du monde ; l'évolution de la société et des esprits, qui, le plus souvent ; échappe au pouvoir politique, mais aussi de l'action ou plutôt l'inaction des pouvoirs publics qui avaient gaspillé, de 1988 à 1991, les chances qu'offrait la croissance redevenue forte depuis 1987, et qui avaient négligé d'opérer une réforme profonde de nos structures économiques et sociales.

« Notre effort doit couvrir au moins cinq ans »

Cependant, les Français étaient prêts à soutenir une autre politique., ils étaient conscient de la nécessité de l'effort ; ils s'estimaient capables de retrouver la croissance ; ils redoutaient l'effet destructeur du chômage ; ils voyaient bien que les problèmes posés par le déficits publics et sociaux, s'ils étaient laissés sans solution ; menaçaient à la fois la protection sociale à la prospérité ; ils voulaient croire en la France ; ils avaient été fiers du rôle qu'elle avait joué lors de la guerre du Golfe : ils estimaient que son rôle était bien de défendre dans le monde le droit et la morale ; ils soutenaient l'action de nos forces armées engagés dans l'ex-Yougoslavie ou ailleurs.

Dès lors, les principes sur lesquels devait s'appuyer l'action du nouveau gouvernement étaient clairs : réforme de la société française pour qu'elle retrouve son dynamisme, sa confiance en elle-même afin qu'elle soit plus prospère et plus juste. Cela signifiait redresser l'économie, améliorer la justice sociale et la formation de la jeunesse, lutter contre toutes les illusions nées de la crise restaurer l'État dans son rôle de gardien des libertés et de l'ordre public.

Cet effet ne pouvait être que progressif. Comme je l'annonce le 8 avril dernier, il devait couvrir au moins cinq ans. Tout ne pouvait pas être entrepris en même temps parce que les marges de manœuvre étaient, du fait de la récession, presque nulles. Il fallait donc entraîner et convaincre, mais sans distribuer les fausses promesses ni faire naître d'illusions destinées à être déçues.

Dans notre action nous avons,  depuis un an, rencontré des difficultés. Sont-elles le fait de la cohabitation ? Il s'agit d'un exercice délicat qui n'interdit nullement de gouverner, mais ne rend pas nécessairement facile l'exercice du pouvoir. Cependant, jusqu'à aujourd'hui en tout cas, la cohabitation n'a pas fait obstacle à l'action gouvernementale.

La majorité parlementaire très importante qui soutient le gouvernement est-elle une force ou une faiblesse ? C'est une force et un atout, son soutien n'a jamais fait défaut.

« Une difficulté, la proximité de la présidentielle »

Les vraies difficultés viennent d'ailleurs : tout d'abord de la proximité de l'élection présidentielle : pour ma part, je suis déterminé à maintenir ma ligne de conduite, qui est de gouverner en faisant en sorte que cette préoccupation ne pèse pas sur l'action du gouvernement. Elles viennent aussi de l'inquiétude, de l'angoisse des Français traumatisés par la situation actuelle et qui le seraient plus encore si l'on voulait tout bouleverser brutalement sans les écouter, sans prendre le temps ni faire l'effort d'expliquer et de convaincre que le changement est à la fois nécessaire et urgent.

L'action du gouvernement s'est inspirée de quelques principes. Le premier, dire la vérité aux Français. La France a trop souffert des marchands d'illusions. Je n'ai rien dissimulé de l'ampleur et de la durée de l'effort qu'il nous fallait entreprendre. Tout changement véritable nécessite du temps. Nous n'avons pas fait de promesses inconsidérées, nous nous sommes simplement engagés à mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour améliorer la situation.

« Le besoin de réforme est grand, mais il fait peur »

Deuxième principe : reformer dans la concertation. La fragilité d'un tissu social l'impose : jamais peut-être nos concitoyens n'ont été aussi grands ni aussi profondément ressenti, mais jamais il n'a fait aussi peur et n'a été aussi difficile à mettre en œuvre. Cependant, il faut avancer et décider. C'est pourquoi nous avons organisé les consultations les plus larges sur tous les grands sujets : l'emploi, la protection sociale, l'agriculture, l'aménagement du territoire, la recherche, la situation de telle ou telle entreprise nationale en difficulté.

Il est arrivé que ces concertations infléchissement les intentions du gouvernement. Elles étaient faites pour cela. Si l'on qualifie de recul toute inflexion, il n'y a plus de dialogue possible dans une démocratie, la concertation se transforme en caricature, elle est ressentie comme telle. Alors, elle devient du temps perdu.

Troisième principe : restaurer l'impartialité de l'État an renforçant l'état de droit. Laissons de côté les procès fait au nouveau gouvernement qui se serait livré à des nominations politiques. Si l'on se réfère à ceux qui l'ont précédé, la comparaison est à son avantage.

Les grandes lignes de l'action de redressement et de réforme entreprise par nous depuis un an sont claires, conformes à ce qui avait été promis aux Français.

S'agissant de l'État, la réforme de la Constitution, afin de permettre une plus grande indépendance de la magistrature, une justice mieux rendue pour tous et aussi une lutte plus efficace contre l'immigration clandestine, a été un premier pas. Le changement des règles sur la nationalité, les contrôles d'identité et la sécurité doivent assurer un plus grand respect de l'ordre public et des principes de la République.

Le redressement économique : diminution du déficit public, abaissé de 340 à 300 milliards ; vote d'une loi quinquennale permettant de le ramener d'ici à 1997 à un taux  de croissance de l'endettement qui soit supportable ; indépendance de la Banque de France : privatisation de vingt-deux entreprises industrielles, bancaires et d'assurances ; réforme de l'impôt sur le revenu représentant l'allègement le plus important depuis 1958. À ces réformes de structure, il faut ajouter des mesures de soutien de l'activité d'une grande ampleur : crédits aux bâtiment, aux travaux publics, mesures en faveur de la consommation telles que l'incitation à l'achat d'automobiles neuves, suppression du décalage d'un mois en matière de TVA qui a permis d'améliorer la situation des entreprises notamment des petites et moyennes.

Le ressort de cette politique était de restaurer la confiance, afin que les entreprises et les Français réinvestissent et consomment davantage. C'était le but de l'emprunt qui a été émis en juin 1993 et dont le succès a été sans précédent dans notre histoire.

« Le redressement de l'économie n'est pas tout »

Grâce à cette politique de confiance, l'on a assisté à une baisse spectaculaire des taux d'intérêt manifestant le nouveau crédit de notre pays sur le plan international.

Le redressement de l'économie n'est pas tout, l'on ne peut en attendre un effet automatique immédiat sur l'emploi. La lutte contre le chômage doit résulter d'une politique plus vaste.  C'est l'objet de multiples mesures prévoyant la réduction des charges sociales sur les bas salaires, le développement de la formation professionnelle et de l'apprentissage et une loi quinquennale relative à l'emploi qui se donne pour objectif d'assouplir les mécanismes et les réglementations existantes tout en préservant les droits essentiels des salariés. Telle qu'elle est, cette loi quinquennale, une fois publiés les décrets d'application, sera la modernisation la plus importante qui soit intervenue depuis la guerre dans les relations du travail, sans qu'il soit porté atteinte à aucun droit des salariés.

Quant à la protection sociale, la première réforme, celle du système de retraites, a été décidée rapidement ; sans cela il eût été en quasi-faillite, si grand avait été le retard à prendre toute décision courageuse. Par ailleurs, 30 milliards de francs d'économie sont attendus des mesures de redressement prises l'été dernier en matière d'assurance-maladie. Le déficit de régimes sociaux a été ramené de plus de 100 milliards à 40 environ, grâce à l'aide de l'État dont la contribution a permis de sauver l'UNEDIC, l'assurance-chômage ; grâce aussi aux efforts de l'ensemble des Français, une augmentation de 1,3 % de la Contribution sociale généralisée ayant été décidée, tant l'urgence du redressement était impérieuse. Cela montre, s'agissant des retraites comme de la CSG, que le gouvernement n'a pas hésité, même dans une période préélectorale, à prendre des décisions impopulaires des lors qu'elles étaient nécessaires. Il n'a pas hésité davantage à le faire en ce qui concerne l'assurance-maladie.

Le gouvernement était, en outre guidé par la volonté de restaurer dans notre pays une vraie solidarité.

Vingt ans de crise ont mis à mal les liens naturels existant dans la société.

Cette solidarité, c'est sur plusieurs fronts qu'il fallait la recréer, en passant du discours aux actes, en matière de lute contre le sida, d'exclusion ou de politique de la Ville. Des crédits nouveaux ont été affectés, dès le collectif budgétaire de 1993 et dans la loi de finances de 1994, à la lutte contre le sida : le nombre de ceux qui peuvent bénéficier des actions menées dans le cadre de la politique de la Ville a progressé en un an de plus de 30 %. Il s'agit là de combats difficiles, jamais gagnés complètement et pour lesquels des moyens importants ont été mobilisés, malgré les difficultés budgétaires. Il y va de la jeunesse, de sa santé, de sa confiance en l'avenir.

« Cette année la croissance redeviendra positive »

La solidarité entre les Français passe également par une nouvelle politique d'aménagement du territoire. Le grand débat lancé il y a plusieurs mois n'a pas de précédent dans notre histoire récente. Il représente un effort considérable de réflexion sur ce que doit être notre pays dans vint ans, sue l'égalité entre les citoyens, le réseau des services publics, les libertés locales, le rôle de l'État, la modification des systèmes de financement public, les grands équipements indispensables. Il s'agit d'une réforme à la fois politique, économique et sociale, dont les répercussions se prolongeront plus loin qu'on le croit.

Quant à la place de la France dans le monde, elle a affirmé avec une vigueur renouvelée : nous avons pris l'initiative de proposer à l'ensemble des pays européens un pacte de stabilité garantissant les frontières et les droits des minorités, afin d'éviter les désordres et les violences comme celles que nous nous efforçons de faire cesser dans l'ex-Yougoslavie.

Nous avons surmonté une crise monétaire et sauvegardée, au prix d'un assouplissement de ses règles, le système monétaire européen. Nous avons surtout fait en sorte, dans les négociations du GATT, de reconstituer l'unité de l'Europe des Douze grâce à laquelle la France est plus forte, et d'obtenir de nos partenaires des aménagements aux accords envisagés qui garantissent nos droits en matière agricole, comme en matière industrielle et culturelle.

Est-il possible de juger dès aujourd'hui le résultat de toutes ces décisions prises durant une année et dont certains n'ont que quelques mois d'existence ? Dans une certaine mesure, oui. L'activité économique semble, plus personne n'en doute désormais, repartir, la dépression est derrière nous, et nous connaîtrons cette année une croissance enfin redevenue possible comme en témoignent les chiffres de l'industrie automobile, du bâtiment et de la consommation des ménages.

« La France commence à aller mieux »

Le rythme d'augmentation du chômage s'est déjà ralenti. De janvier à mars 1993, ils s'accroissent de 80 000 personnes. Dans les trois derniers mois, il a augmenté, mais cinq fois moins vite. C'est un résultat insuffisant, fragile aussi, mais l'amélioration ne peut être contestée.

Le rythme d'augmentation des dépenses sociales s'est considérablement ralenti, ce qui permet de prévoir, dans les années qui viennent, le retour à l'équilibre.

Les mesures permettant d'assurer la sécurité, qui figure à juste titre parmi les premières préoccupations des Français, ont été renforcées.

L'exercice de la justice n'a plus donné lieu, depuis un an, aux reproches et aux soupçons d'interventionnisme politique.

La stabilité de notre monnaie a pu être préservée ; malgré la crise de l'été 1993, le franc est aujourd'hui une monnaie respectée, les taux d'intérêt ayant baissé de 40 % à court terme et 15 % à long terme en l'espace d'une année.

Nous sommes extérieurs, qui connaît un excédent de 90 millions de francs en 1993 est la preuve éclatante du dynamisme de notre pays et de l'efficacité des Français lorsqu'ils sont en compétition avec le reste du monde. L'agriculture est l'un des acteurs principaux de ce succès.

D'autres résultats ne sont pas mesurables, en tous cas pas tout de suite : comment apprécier dès maintenant si les citoyens ont le sentiment que la justice est mieux rendue ? D'autres ne peuvent être mesurés immédiatement : l'ensemble des textes nécessaires à l'amélioration de la sécurité et de la lutte contre l'immigration clandestine n'ont pas encore tous paru, la procédure législative et réglementaire est longue. Les effets de réformes ne seront visibles que dans quelques mois. C'est le fait d'un État de droit, au sein duquel les transformations sont soumises à de règles précises garantissant les prérogatives de chacun.

Cependant, combien demeure encore vaste la tâche à accomplir : la croissance de l'économie encore faible, la progression du chômage ralentie mais pas arrêtée, l'inquiétude de la jeunesse mal préparée à l'avenir, la situation dans les villes et les banlieues pleines de dangers, la protection sociale au financement encore fragile, les tâches traditionnelles de l'État, la justice, la police, aux moyens encore insuffisants pour répondre à l'attente des citoyens. Beaucoup a été fait, la bonne voie est prise, mais beaucoup reste à faire.

Le changement, pour peu qu'on soit objectif, est incontestable : la France commence à aller mieux. Mais ce n'est qu'un début.

« Bientôt un nouveau contrat national sur l'école »

L'action entreprise, nous devons la poursuivre tout au long de 1994 sans nous laisser arrêter par les obstacles : l'impatience de l'opinion qui souhaite et qui redoute à la fois les réformes : la situation économique qui, même si elle s'améliore ; nous prive encore des marges de manœuvre budgétaires ou sociales dont nous aurions besoin ; la campagne électorale présidentielle qui pèse trop tôt sur les esprits. Là est sans doute notre principale difficulté : il nous faut continuer à agir, tout au long de l'année 1994, malgré ceux qui sont prompts à critiquer la prétendue absence de réforme, prompts aussi à s'émouvoir dès que la mise en œuvre d'une réforme soulève des problèmes ; il faut continuer, c'est indispensable et urgent, j'ai la conviction que c'est possible.

Notre action en 1994 devra suivre quelques directions claires ; mettre en œuvre toutes les mesures relatives à la croissance de l'emploi contenues dans la loi quinquennale et développer la formation professionnelle et l'apprentissage ; appliquer la loi « initiative et entreprise » favorable au développement des petites et moyennes entreprises ; développer l'emploi à temps partiel dans la fonction publique et en même temps étudier le développement de l'emploi dans les services  qui ne sont pas exposés à la concurrence internationale ; prendre en faveur de la famille et des mères de famille des mesures de justice en élargissant le champ de l'allocation parentale d'éducation ; améliorer le sort des personnes âgées dépendantes : adapter l'organisation de la protection sociale en clarifiant bien la gestion des divers risques sans mettre en cause l'unicité de la Sécurité sociale ; étendre le champ d'application  de la participation et de l'intéressement des salariés ; réformer l'appareil judiciaire en lui consacrant les crédits nécessaires à sa modernisation ; doter la police de l'organisation et des moyens qui lui sont indispensables ; poursuivre les privatisations ; continuer la réforme de la fiscalité entreprise en 1993, notamment en matière d'impôt sur le revenu ; définir les grands objectifs d'aménagement du territoire permettant un développement équilibré de notre pays ; offrir un avenir nouveau aux départements et territoires d'outre-mer, afin de leur permettre d'accéder par eux-mêmes à la prospérité.

Tout cela devait donner lieu à des projets de lois soumises au Parlement en 1994, grâce auxquels, nous l'espérons, la situation continuera de s'améliorer.

J'ajoute que nous connaîtrons au mois de mai prochain les résultats de la concertation avec les organisations représentatives intéressées sur l'avenir de l'école dont il faut à la fois garantir les missions, rénover les méthodes, confirmer la vocation tout en l'ouvrant davantage sur le monde extérieur. Nous verrons alors quels doivent être la nature est le contenu d'un nouveau contrat national sur l'école. Notre jeunesse en a besoin, il y a trop de jeunes au chômage. Tous ceux qui ont une responsabilité dans la société doivent coordonner leurs efforts pour les aider à trouver un avenir.

Ainsi se dessinent les grandes réformes de structure qui, au-delà de1994, devront être discutées devant l'ensemble des Français, le temps nécessaire pour susciter leur adhésion. Elles concerneront l'Europe et son avenir, la place que doit y tenir la France, sa politique de défense. Elles concerneront l'indispensable adaptation des institutions, afin d'élargir le champ du référendum. Elles concerneront aussi la fiscalité, aussi bien d'État que locale ou sociale, l'organisation de la protection sociale et son financement, l'avenir de l'école pour la mettre mieux en mesure d'assurer son rôle de formation de la jeunesse, enfin la situation de tous ceux que le progrès laisse de côté, qui restent en marge de la société et que nous avons le devoir moral d'y intégrer mieux. C'est une nouvelle solidarité qu'il nous faut inventer.

« Innover après une décennie de socialisme »

Dans bien des domaines, il s'agit de découvrir quelque chose de nouveau, après qu'ait pris fin le demi-siècle de l'après-guerre et, en France, plus d'une décennie de socialisme. Le monde est plus ouvert, plus compétitif. La France doit s'adapter aux nouvelles réalités, aux exigences des citoyens pour un État plus juste, plus respectueux de la loi, plus impartial, pour une politique plus morale et plus soucieuse de vérité, loin des faux-semblants, des exagérations et de l'utilisation démagogique des difficultés du moment.

La vraie question qui se posera l'an prochain à notre pays serra de savoir si la politique de réforme entreprise depuis 1993 inaugure une nouvelle période ou si elle ne sera qu'une parenthèse dans notre histoire contemporaine. Tel est le fond du débat qu'il faudra avoir de la façon la plus honnête et la plus dépassionnée possible.

« Tout ne peut être bousculé brutalement »

Une politique de réforme suppose de l'imagination et une capacité d'intervention, ce qui est le plus facile. Elle suppose l'adhésion des citoyens, qui est indispensable. Elle nécessite enfin un mélange de souplesse pour éviter les difficultés momentanées, car tout ne peut pas être bousculé brutalement, et de courage persévérant pour aller au but, fût-ce au prix d'un détour.

La politique menée depuis un an fait l'objet de deux reproches contradictoires, venus parfois des mêmes horizons.

Les uns disent ; « Surtout ne touchez à rien, ne bougez rien, évitez les vagues jusqu'à l'élection présidentielle. » ce n'est pas notre conception ; nous avons « été élus pour changer les choses et améliorer la situation ; notre choix est clair : faire en sorte que ces deux années ne soient pas perdues pour la France mais, au contraire, soient des années fécondes, préparant l'avenir.

D'autres nous disent ; « Vous n'avancez pas assez vite, vous ne faites pas suffisamment de réformes, il vous arrive de reculer.  Allez plus vite, plus loin, plus fort. »

Je ne redirai pas les motifs pour lesquels il me semble que, dans la période actuelle, il faut allier l'imagination et le courage à la prudence.

Je me bornerai à prendre un exemple : celui d'Air France. L'on a reproché au gouvernement d'avoir remis en cause le plan de redressement envisagé en octobre dernier, plan qui avait suscité de violentes réactions du personnel. Il m'a semblé qu'il fallait respecter une pause, tirer les conclusions de l'incompréhension mutuelle qui s'installait, discuter avec les organisations syndicales, étudier l'ampleur et les modalités de l'aide de l'État. Quatre mois sont passés et, aujourd'hui, on peut espérer que, chacun ayant pris conscience que l'intérêt commun de l'entreprise passe avant tout, les mesures indispensables au redressement vont pouvoir être acceptées. Cela ne valait-il pas la peine de prendre quelques mois de plus ?

De façon plus générale, l'on constate une volonté, dès qu'une difficulté se présente, politiser les inquiétudes de la société, de la jeunesse, des chômeurs, des habitants des banlieues, des exclus. Tous ceux qui n'ont en tête que la politique électorale se livrent à l'amalgame pour mieux s'opposer au changement.

L'enjeu des difficultés actuelles en clair ; l'immobilisme ou le mouvement, le conservatisme ou la réforme, le statu quo ou le changement.

Il s'agit de savoir si une société qui fabrique le chômage et l'exclusion mérite d'être maintenue en l'état, sans bouger. Ma réponse est que non. Mon choix est clair et mon devoir également : continuer le changement.

Nous devons pratiquer la tolérance, le dialogue, l'ouverture, afin de déminer les conflits, de rassurer les inquiétudes, légitimes ou non, d'arbitrer entre les intérêts opposés, mais nous ne devons pas nous laisser arrêter dans la voie du changement.

Cela suppose que les Français prennent conscience de l'enjeu et voient clairement que les obstructions ont le plus souvent pour seul but d'empêcher la modernisation de notre pays et sa marche vers plus de justice. Plus que jamais, l'union et le rassemblement des Français au service du changement sont indispensables.