Texte intégral
Question d'un auditeur : Je me suis fait contrôler quatre ou cinq fois, j'aurais aimé savoir si c'est parce que je suis jeune, si c'est à cause de mes habits, si c'est à cause de mes amis qui sont peut-être un trop foncés ? Et je voulais savoir si être jeune est un délit qui mérite d'être contrôlé et fouillé systématiquement ?
Mme Sinclair : Bonsoir.
Pasqua et Depardieu, tous les deux dans cette émission. Charles Pasqua d'abord, Gérard Depardieu, tout à l'heure. Bonsoir, Charles Pasqua.
M. Pasqua : Bonsoir.
Mme Sinclair : Vous avez entendu l'interrogation de cette jeune fille, que lui répondez-vous ?
M. Pasqua : La jeunesse n'est pas un délit, c'est un grand avantage, mais c'est un état transitoire, alors cela lui passera, qu'elle ne s'inquiète pas…
Mme Sinclair : … Oui, ce n'est pas sur la jeunesse…
M. Pasqua : … Cela fait partie des petits désagréments, je comprends très bien ! Mais il n'en reste pas moins que, confronté à la montée de l'insécurité et à ses conséquences, il faut bien agir. D'autre part, je pense que si elle a été contrôlée autant de fois, c'est probablement davantage la nuit que le jour et c'est la nuit que l'on fait surtout ces contrôles. Cela n'empêche pas de sortir…
Mme Sinclair : … C'est-à-dire que vous lui conseillez de rentrer de bonne heure ?
M. Pasqua : Non, pas du tout, mais je dis que si elle a été contrôlée plusieurs fois, c'est certainement une coïncidence et rien d'autre.
Mme Sinclair : Il y a eu deux nuits au mois d'août à Paris où, selon les chiffres du ministère, il y a eu 5 161 personnes qui ont été contrôlées…
M. Pasqua : … Beaucoup plus que ça…
Mme Sinclair : … Plus que ça encore…
M. Pasqua : Oh oui, beaucoup plus que ça.
Mme Sinclair : Cela a servi à quoi exactement ?
M. Pasqua : On a voulu rapprocher les contrôles qui ont été faits des opérations que nous avions déclenchées contre les Islamistes, cela n'a strictement rien à voir ! Il s'agit des opérations de sécurisation que nous conduisons, certaines d'entre-elles revêtent ce type, d'autres, au contraire, consistent dans le renforcement de la prévention par l'îlotage dans les quartiers. Ce sont des opérations programmées, régulières, etc.
Mme Sinclair : Ce n'est pas un peu de mise en scène qui tombait au moment justement de la recherche de terroristes ?
M. Pasqua : Non, pas du tout ! Cela part simplement du principe que la peur du gendarme étant le commencement de la sagesse, pour que les délinquants ou les voleurs aient peur, il vaut mieux que les policiers soient dans la rue et qu'ils soient aux mêmes heures pour qu'ils puissent se rencontrer éventuellement.
Mme Sinclair : Cela veut dire que cela pourrait se répéter, c'est par vague…
M. Pasqua : … Oui.
Mme Sinclair : Vous avez l'impression que ce serait par vague ?
M. Pasqua : Cela se renouvellera, naturellement.
Mme Sinclair : Deuxième question, vous allez voir, question inverse.
Question d'un auditeur : Avec tout ce que vous faites en ce moment, les contrôles, la sécurité, tout ça, moi qui suis citoyenne, je ne vois pas la différence. Je prends le RER et le métro tous les jours, c'est toujours pareil, il n'y a pas plus de sécurité, donc je voulais vous demander si ce n'était pas de la poudre aux yeux ce que vous nous faites voir ?
Mme Sinclair : "Rien de changé sur la sécurité", dit cette commerçante.
M. Pasqua : Vous voyez comme il est difficile de satisfaire les gens. Pour l'une, il y a trop de contrôles, pour l'autre, l'insécurité est toujours la même…
Mme Sinclair : … Pour l'autre, elle dit : "C'est de la poudre aux yeux parce que du coup cela ne diminue pas la sécurité".
M. Pasqua : Je ne suis pas l'Enchanteur Merlin. Si j'étais capable d'un coup de baguette magique de réduire l'insécurité, je n'aurais pas besoin de faire tant de choses.
L'insécurité dans le pays, plus exactement la délinquance a progressé de 60 % au cours des 10 dernières années.
Mme Sinclair : La petite délinquance, pas les crimes de sang.
M. Pasqua : Oui, la petite délinquance, mais la petite délinquance, c'est celle qui choque et qui traumatise le plus les gens. Depuis un an, c'est-à-dire de juillet 93 à juillet 94, nous avons stoppé la progression de la délinquance et nous commençons à la faire régresser. Le rétablissement de la sécurité dans le métro, dans le RER, fait partie de mes préoccupations. Nous allons donc être amenés à prendre un certain nombre de mesures, j'espère que les gens qui seront contrôlés dans le RER ne trouveront pas désagréable d'être contrôlés.
Mme Sinclair : Le projet de loi qui va venir devant les députés, le projet de loi sur la sécurité, et qui prévoit l'installation de caméras sur la voie publique, est-ce pour rassurer les citoyens.
M. Pasqua : … Pardon, pardon, le projet de loi…
Mme Sinclair : … De réglementer l'usage des caméras pardon.
M. Pasqua : Le projet de loi ne prévoit pas du tout l'installation de caméras sur la voie publique.
Mme Sinclair : Elle autorise l'installation…
M. Pasqua : … Non, elle réglemente. À l'heure actuelle, il n'y a aucune réglementation, la loi n'en a pas prévu. Nous le disons désormais : "On ne doit pas pouvoir installer un dispositif de vidéo-surveillance sans une autorisation préalable et sans qu'un certain nombre de conditions soient réunies permettant d'assurer le respect de la vie privée.
Mme Sinclair : Pour ceux qui s'inquiètent et qui disent que c'est une façon de surveiller la population ?
M. Pasqua : Oh, écoutez !… Ils ont trop lu de livres, ils se figurent que nous sommes en train d'installer Big Brother et que l'on va contrôler tout le monde, c'est grotesque ! Par contre, il est bien évident que mettre des caméras aux carrefours pour permettre de contrôler les flux de circulations, installer des dispositifs de vidéo-surveillance sur les autoroutes plutôt que d'utiliser des policiers statiques, cela me semble préférable.
Mme Sinclair : Dans un instant, on parle de l'Algérie, de l'islamisme et de la France. Deux minutes de pause.
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Mme Sinclair : Charles Pasqua et Gérard Depardieu à 7 sur 7, ce soir. Pour l'heure, Charles Pasqua, nous allons parler de l'Algérie avant de parler d'Haïti d'ailleurs tout à l'heure qui est le sujet du jour.
L'Algérie qui a fait la une des journaux toute cette semaine, tension croissance avec le Maroc mais peut-être espoir de dialogue à Alger.
Zoom : L'Algérie
Enfin un espoir de dialogue, cinq dirigeants du FIS sortent de la prison de Blida.
Reportage.
Mme Sinclair : Charles Pasqua, vous croyez que c'est la fin de la descente aux enfers pour l'Algérie ?
M. Pasqua : Qui peut le dire ? On ne peut que le souhaiter mais, pour l'instant, rien n'est moins sûr, en tous les cas, il est toujours préférable de dialoguer que de s'étriper. Nous allons bien voir ce qui va s'ensuivre.
Mme Sinclair : Il vous paraît vraisemblable que les terroristes d'hier soient des partenaires de demain, à la fois pour le Gouvernement algérien et puis pour nous éventuellement ?
M. Pasqua : Tout cela est très difficile à dire. D'abord, il y a le FIS et, à l'intérieur du FIS, il y a ceux qui militent pour un Islam pur et dur, qui ne sont pas pour autant des terroristes, puis il y a une branche armée du FIS qui est l'AIS, qui est responsable d'un certain nombre de règlements de compte, puis il y a…
Mme Sinclair : … Le GIA.
M. Pasqua : Ceux qui sont encore plus extrémistes, le GIA.
Mme Sinclair : Le groupe islamiste Armé.
M. Pasqua : Mais, dans toute cette mouvance, qui est qui ? Qui fait quoi ? Qui dirige qui ? Je ne suis pas en mesure de répondre en ce qui me concerne.
Mme Sinclair : Vous avez dit, au mois d'août, "il n'y a pas d'islamisme modéré", n'est-ce pas des propos comme ceux-ci qui peuvent entraîner une confusion entre islamisme et religion musulmane ?
M. Pasqua : Je crois que cela correspond à la réalité. Il y a des Musulmans modérés mais dès lors que l'on est islamiste, qu'est-ce que l'on veut ? On veut le triomphe de l'Islam et l'application de la charia, on veut un État uniquement dirigé, basé selon les principes de la religion musulmane et, à partir de ce moment-là, je ne crois pas qu'on puisse dire qu'on est modéré.
Mme Sinclair : Est-ce que, d'une manière générale, tout de même, on ne va pas être confronté, quand je dis "on", ce sont les sociétés occidentales, à un combat qu'on n'avait pas mené depuis longtemps contre des sociétés, elles, devenues religieuses ?
M. Pasqua : Depuis des siècles.
Mme Sinclair : Oui, depuis des siècles.
M. Pasqua : Il est certain que l'Islam est une religion dynamique, prosélyte et que, au travers de la religion, un certain nombre de peuples qui ont été, pensent-ils et souvent à raison, bafoués, méprisés, relégués au second rang, grâce à la religion retrouvent à la fois leur dignité et une espérance.
En face de cela, il faut bien reconnaître que les sociétés occidentales sont surtout des sociétés matérialistes dont le spirituel est un peu exclu ou en tous les cas moins présent. Pour s'opposer ou en tous les cas pour défendre le type de société auquel nous sommes attachés, il faut tout de même la foi, il faut la foi dans certain nombre de principes, il faut la foi en la nation, dans la République, dans les Droits de l'Homme, un certain nombre de valeurs qui ont fait, pour nous, la France…
Mme Sinclair : … Et la foi démocratique…
M. Pasqua : … La République.
Mme Sinclair : … Qui est moins vigoureuse que la foi religieuse. Finalement, la religion, c'est toujours l'opium du peuple, des plus démunis ?
M. Pasqua : Je ne suis pas certain que ce soit l'opium du peuple, je crois que c'est un levier puissant qui permet aux gens de retrouver leur identité et le respect d'eux-mêmes à une certaine espérance. C'est la raison pour laquelle je crois, en ce qui me concerne, que lorsqu'on veut construire un nouvel ensemble géopolitique, c'est le cas de l'Union européenne, on ne peut pas le faire seulement en prenant en compte des mécanismes financiers ou administratifs, il faut incarner un certain nombre de valeurs, il faut représenter, aux yeux du monde, un type de société qui ne peut pas être basé seulement sur l'argent. Peut-être aurons-nous l'occasion de reparler de tout cela dans un moment.
Mme Sinclair : Certains, comme Jean-François Deniau ou Bernard Stasi, ont trouvé que, cet été, on souvenait – quand je dis "on", c'est vous, peut-être –, souteniez d'un peu trop près le Gouvernement algérien et Édouard Balladur que j'interrogeais la semaine dernière disait : "Il faut se tenir à égale distance entre le Gouvernement algérien et le FIS", est-ce une correction de tir pour vous ?
M. Pasqua : Non, pas du tout. Naturellement, si on avait lu la totalité des propos que j'avais tenus, on n'aurait pas donné la place à ce quiproquo parce que mes propos étaient très clairs, je n'ai jamais dit qu'il fallait soutenir le Gouvernement algérien actuel. Nous n'avons pas à intervenir dans les affaires intérieures de l'Algérie, c'est l'affaire des Algériens, il n'en reste pas moins que ce qui se passe en Algérie aura des conséquences chez nous.
J'ai été de ceux qui ont vivement soutenu l'idée que nous devions aider financièrement et économiquement l'Algérie parce que si nous voulons éviter que ce pays ne sombre dans le chaos, il est bien évident qu'il faut essayer de lui donner le ballon d'essayer de lui donner le ballon d'oxygène économique et financier dont il a besoin parce que si on analyse les conditions dans lesquelles le FIS a émergé en Algérie, on voit bien que c'est dû aux conséquences d'une politique. D'abord une politique absurde suivie depuis des années en Algérie, une politique inspirée de ce que faisaient les Soviétiques, l'industrie lourde, la concentration des populations qui ont quitté le bled pour venir dans les grandes centres urbains, dans le même temps, les efforts faits par les gouvernements algériens successifs sur le plan de l'instruction pour faire en sorte que la plus grande partie de la population jeune accède à un niveau de connaissance et en même temps le chômage…
Mme Sinclair : … Et la répression de ce Gouvernement qui a alimenté beaucoup le FIS.
M. Pasqua : La répression n'a été que la conséquence d'une manifestation mal contrôlée. Tous les ingrédients d'une explosion étaient réunis, voilà ce qu'il faut constater et cela risque d'être la même chose dans un certain nombre d'autres pays.
Je veux dire par là que les grandes puissances industrielles, notamment celles du G7, et, ont une responsabilité exceptionnelle. Si on veut éviter que cela ne tourne mal dans un certain nombre de pays, il faut investir et les soutenir économiquement.
Mme Sinclair : Reconnaissez-vous avoir commis quelques maladresses en disant leurs quatre vérités aux États-Unis, aux Allemands, aux Anglais, auxquels vous disiez qu'ils étaient trop complaisants vis-à-vis du FIS ?
M. Pasqua : Non, ce que je reconnais simplement, c'est que je n'ai pas tenu un langage diplomatique habituel, c'est peut-être pour cela que j'ai été compris manifestement.
Mme Sinclair : Vous voulez dire que votre mise en garde a été comprise de ceux que j'ai nommés tout à l'heure ?
M. Pasqua : C'est l'impression que j'ai, oui.
Mme Sinclair : Vous ne vous êtes pas pris un peu pour le ministre des Affaires étrangères dans la chaleur de l'été ?
M. Pasqua : Non, pas du tout, je me suis pris simplement pour le ministre de l'Intérieur qui a en charge la sécurité du pays et qui est en droit de dire aux amis de la France : "Soyez donc un peu plus prudents et un peu plus solidaires". Je l'ai dit à ma manière.
Mme Sinclair : À propos des expulsés de Folembray, le tribunal administratif d'Amiens se prononcera le 21 septembre, néanmoins le commissaire du Gouvernement vous a donné tort pour deux des expulsés disant que c'était à tort qu'ils l'avaient été…
M. Pasqua : Ça, c'est l'avis du commissaire du Gouvernement, ce terme d'ailleurs ne recouvrant pas du tout et ne correspondant pas du tout à un représentant du Gouvernement.
Mme Sinclair : Il n'est pas diligenté par le Gouvernement.
M. Pasqua : Absolument ! C'est son opinion, nous verrons bien ce que décidera le tribunal.
Mme Sinclair : Si le tribunal tranchait ainsi, ils reviendraient en France ?
M. Pasqua : Ah non, nous ferions appel. Je n'ai aucune envie de les voir revenir en France, aucune.
Mme Sinclair : Et au terme d'une procédure que vous perdriez, à ce moment-là…
M. Pasqua : … Nous verrons bien ! En tous les cas, il y a des voies d'appel.
Mme Sinclair : Un mot peut-être sur cette expulsion. Ils étaient assignés à résidence, quelle était l'urgence de les expulser ?
M. Pasqua : Non, ils n'étaient pas assignés à résidence…
Mme Sinclair : À Folembray, ils n'étaient pas en liberté ?
M. Pasqua : Attendez, une seconde, reprenons les choses dans l'ordre : ils étaient frappés d'un arrêté d'expulsion en urgence absolue. L'application de cet arrêté ne pouvant pas intervenir immédiatement compte tenu de la situation en Algérie et des risques que leur retour dans ce pays pourrait leur faire courir, ils ont été assignés à résidence en attendant que nous trouvions un pays susceptible de les accueillir, voilà, c'est tout.
Après j'entends les avocats s'indigner, etc., mais ils n'avaient donc pas compris les choses ? Elles sont pourtant très claires : expulsion en urgence absolue, en attendant que cet arrêté puisse être exécuté, assignation à résidence. Dès lors qu'un pays a pu les accueillir, on les a envoyés.
Mme Sinclair : Je voudrais revenir un instant sur l'Algérie, tout le monde a en mémoire les images récentes de ces dernières semaines des réfugiés quittant Cuba. Imaginons un scénario catastrophe mais après tout envisageable de démocrates, de peuple algérien prenant la mer pour fuir une Algérie devenue terrible, totalitaire, encore plus qu'elle n'est aujourd'hui, qu'est-ce que fait la France ?
M. Pasqua : D'abord, espérons que ce scenario ne verra pas le jour…
Mme Sinclair : … Oui, mais un responsable politique l'envisage.
M. Pasqua : Espérons, espérons ! Ensuite, naturellement, si des événements de ce type devaient survenir en Algérie, ils ne concerneraient pas la France, ils concerneraient au moins les pays du bassin méditerranéen, l'Italie, l'Espagne, qui sont en première ligne, et nous-mêmes et aussi l'ensemble de l'Union européenne.
Mme Sinclair : Et vous en avez déjà parlé en tous cas avec les pays d'Europe du Sud ?
M. Pasqua : Nous en avons parlé non seulement avec les pays d'Europe du Sud mais nous en avons parlé à Douze, oui.
Mme Sinclair : Et vous arrivez à quoi ?
M. Pasqua : Eh bien, nos réflexions…
Mme Sinclair : … Ne sont pas encore à maturation ?
M. Pasqua : Si, si, elles ont bien avancé.
Mme Sinclair : Et alors ?
M. Pasqua : Eh bien, alors nous aviserions.
Mme Sinclair : Bon.
M. Pasqua : En tous les cas, c'est une chose que nous ne souhaitons pas. Je pense que tous les démocrates, non seulement de France, quelquefois d'ailleurs je tends l'oreille et je ne les entends pas s'exprimer très fort, très haut, mais tous les démocrates devraient se préoccuper de l'évolution de la situation en Algérie car nous n'aurions pas à nous réjouir de voir, je ne dis pas du tout que c'est ce qui va arriver, mais si d'aventure une chape de plomb tombait sur l'Algérie, cela serait extrêmement préoccupant pour l'avenir.
Mme Sinclair : On a continué cette semaine à beaucoup parler de la jeunesse et des amitiés de François Mitterrand. Le Président, pendant une heure et demie, lundi dernier, a voulu lui-même s'en expliquer.
Panoramique :
"Je me sens très en paix avec moi-même. Vous savez, je me trouve devant des échéances qui ont un rapport avec la sincérité". Le ton inédit, grave, émouvant, d'aucuns diront pathétique ; François Mitterrand ne veut rien cacher de sa maladie, sauf sa souffrance par pudeur.
Sur son passé, il ne regrette rien, ses débuts à Droite, le chef de l'État les explique par son milieu familial bourgeois, sa participation au régime de Vichy, le Président évoque le contexte historique et son ignorance des lois répressives et antisémites, enfin, son amitié avec René Bousquet là encore, il la justifie par l'époque.
Présidentielles : À droite, à vos marques, la pré-campagne a bel et bien commencé. Avec cette semaine, un candidat de plus au débat, Raymond Barre.
Monseigneur Decourtray : "tout le monde aime Albert Decourtray et si on l'aime, c'est parce que lui-même est un homme qui acceptait d'être aimé et qui savait aimer les autres". Les autres, c'était aussi bien les jeunes des Minguettes que les détenus de Villefranche-sur-Saône. Cardinal et académicien, l'archevêque de Lyon, Albert Decourtray, a toujours su faire entendre une voix juste et indépendante au risque de déranger.
Affaires : Rebondissement dans l'affaire Dauphiné News. Le bras droit d'Alain Carignon, Jean-Louis Dutaret, PDG de la Sofirad, est mis en examen pour recel et abus de bien sociaux.
Autre dossier toujours à Lyon, l'affaire Botton.
Haïti : la guerre ou l'exil, tel est le dilemme des généraux putschistes d'Haïti.
Mme Sinclair : Charles Pasqua, Jimmy Carter est toujours pour l'instant à Port-au-Prince, il va rendre compte à Bill Clinton de sa mission de médiation et nous verrons ce que les États-Unis décident. En cas d'intervention, vous approuveriez cette intervention ?
M. Pasqua : Le Gouvernement français soutient effectivement la démarche engagée par le Président Clinton dès lors qu'elle se situe dans le cadre d'une résolution des Nations-Unies.
Mme Sinclair : Ce qui est le cas, résolution de fin juillet.
M. Pasqua : Tout à fait ! Mais nous ne participerons pas à la première phase de cette opération. Si on nous demande notre aide dans la deuxième phase, ce qui est prévu d'ailleurs, c'est-à-dire aider à la réorganisation des forces de sécurité, nous le ferons, mais nous ne participerons pas…
Mme Sinclair : … À l'opération de débarquement.
M. Pasqua : À l'opération proprement dite.
Mme Sinclair : On a mentionné la France comme éventuel pays d'accueil pour les dictateurs actuels d'Haïti ?
M. Pasqua : Écoutez, si on pouvait s'en passer, j'aimerais autant, on n'a pas vocation à cela. Pourquoi les Américains ne les recevraient-ils pas ? Leur pays est beaucoup plus grand que le nôtre, ils ont davantage de place et, à partir du moment où ce sont eux qui interviennent, ils n'ont qu'à assumer les conséquences.
Mme Sinclair : En tout cas, cela vous serait facile de dire "non" ?
M. Pasqua : Oui, mais si cela ne dépendait que de moi, c'est ce que je dirais mais, pour les personnes de ce niveau, je pense que je ne serai pas le seul à devoir me prononcer, mais si cela ne dépend que de moi…
Mme Sinclair : … Pendant que passaient ces sujets, vous m'avez dit que vous voudriez revenir un instant sur l'Islam.
M. Pasqua : On a beaucoup parlé de l'Islam sur le plan mondial et aussi de ce qui se passe en Algérie, il faut tout de même parler un peu des Musulmans de France en deux ou trois phrases simplement pour dire que, naturellement, je ne confonds pas les Musulmans ou ceux qui peuvent se réclamer de la religion musulmane et qui sont très nombreux, ils sont un peu plus de 4 millions, dont un million de pratiquants, je ne les confonds pas avec les Islamistes…
Mme Sinclair : … C'est en effet le sens de ma question tout à l'heure.
M. Pasqua : Avec les Islamistes intégristes, mais il faut que les choses soient bien claires. En France, il n'y a pas de place pour l'application de lois autres que les lois françaises, ce n'est pas en France que l'on appliquera la charia, alors nous ne laisserons pas se développer ce genre de choses. Si d'aventure certains considèrent qu'ils ne peuvent pas vivre comme ils l'entendraient, eh bien ils doivent en tirer les conséquences, nous ne les retenons pas.
Mme Sinclair : Juste un mot au-delà : avoir des liens avec des organisations proches du FIS, est-ce un délit ou pas ? Souhaiteriez-vous éventuellement voter une loi pour laquelle avoir des liens avec le FIS serait…
M. Pasqua : … Non, ce n'est pas un délit mais organiser des réseaux de soutien qui se réclament du FIS ou pas mais qui lui soient en quelque sorte rattachés, qui ramassent de l'argent et qui organisent éventuellement des transports d'armes et autres à destination de l'Algérie, c'est inacceptable. Avoir dans notre pays des gens qui s'entraînent pour pouvoir faire demain des attentats, même si c'est seulement à l'extérieur de notre pays, ce n'est pas tolérable et cela ne sera pas tolérable.
Mme Sinclair : Autre sujet à la Une du Monde, hier soir. Vous avez publié un papier intitulé : "Mémoires d'avenir", au titre gaullien, sur le fond duquel on va revenir dans un instant à propos de la polémique sur la jeunesse du Président de la République. Visiblement, vous n'avez pas été convaincu par son intervention du lundi soir ?
M. Pasqua : Oui, c'est le moins qu'on puisse dire.
Mme Sinclair : Dites-vous : "c'était difficile d'ignorer les lois antisémites de Vichy" ?
M. Pasqua : Je dis d'abord ceci, le parcours personnel de François Mitterrand, c'est son problème. Ce qui ressort de tout ce qui a été écrit et dit au cours des dernières semaines, c'est la confirmation par François Mitterrand de ce parcours donc, ça déjà, c'est assez choquant, pour employer un terme à la mode "cela interpelle les consciences" ; Mais j'ai le sentiment qu'on est en train d'aller plus loin et on comprend mieux maintenant un certain nombre de choses. Le sentiment que j'ai, et je ne suis pas le seul, je pense, c'est qu'en réalité on veut donner aux Français l'image d'une France, pendant l'occupation, qui était quasi unanimement asservie, consentante, etc., tout cela, naturellement, est totalement faux. Je rappelle d'ailleurs dans mon papier et je le dis…
Mme Sinclair : … Vous dites dans votre papier : "Vous craignez que, derrière l'histoire personnelle de l'homme, ne se profile la révision de l'histoire, de cette extraordinaire épopée que furent le France libre et la Résistance. Il semble bien qu'il y ait désormais la volonté de nier l'acte fondateur du 18 juin", vous allez un peu loin ?
M. Pasqua : Je rapproche cela de beaucoup de choses et je crois que cela ne peut pas être accepté. Si tel était le cas, il appartiendrait non seulement à tous ceux qui ont participé à cette épopée, qui sont encore assez nombreux, je rappelle 1 000 compagnons de la Libération dont 302 à titre posthume, 20 000 médaillé de la Résistance, quelques dizaines de milliers de déportés, dont la plupart ne sont pas revenus, je rappelle également la phrase d'Eisenhower concernant la Résistance, c'est-à-dire qu'il a considéré que "l'engagement des maquis représentait un apport de près de 15 divisions et avait permis la réussite du débarquement", beaucoup de gens ont payé tout cela de leur vie et ils n'ont pas réfléchi si cela devait leur servir un jour à quelque chose ou pas. Alors qu'on respecte au moins cela et je considère comme extrêmement choquant ce débat actuel. Je constate d'ailleurs que s'il existe c'est parce que le Président de la République l'a engagé car, il y a trois semaines, personne ne parlait de cela.
Mme Sinclair : "Bousquet, tout le monde le recevait à Paris", disait François Mitterrand, vous l'avez croisé ?
M. Pasqua : Pas moi, non. Il est vrai que je fréquentais peu les conseils d'administration de la Banque d'Indochine et autres. Par contre, s'il y a eu Bousquet, il y a eu aussi 50 préfets et sous-préfets qui ont été fusillés ou qui ont été déportés, ceux-là, j'aurais pu les rencontrer.
Mme Sinclair : Dont Jean Moulin.
M. Pasqua : Ceux-là, j'aurais pu les rencontrer.
Mme Sinclair : Sondage de la Sofres pour 7 sur 7 sur le thème de la réconciliation nationale :
Estimez-vous qu'il faille condamner le régime de Vichy et continuer d'en parler pour ne pas oublier ? 45 % des Français répondent "oui".
Qu'il faut tourner la page au nom de la réconciliation nationale ? 48 % des Français répondent "oui".
Là, on voit les sympathisants de Gauche et de Droite qui, exactement, à front renversé, à Gauche, 51 % sont pour continuer d'en parler et, à Droite, 51 % sont pour tourner la page. Très peu de sans opinion, ce qui montre que tout le monde a un avis sur le sujet. Et le clivage n'est pas tant Droite-Gauche qu'à l'intérieur de toutes les familles.
Sur le thème de la réconciliation nationale, estimez-vous que c'est un…
M. Pasqua : … C'était un peu comme cela pendant la guerre, il y avait aussi le clivage à l'intérieur des familles. Moi j'avais de la chance, dans ma famille, il n'y avait pas de clivage, on était tous du même côté et dans la Résistance mais c'est sûr que, dans un certain nombre de familles cela pouvait poser des problèmes.
Je constate simplement que, il y a trois semaines, personne n'aurait imaginé poser ce genre de question. Alors, la réconciliation nationale n'est pas du tout menacée, il n'y a pas de problème à ce niveau, par contre, il ne faut pas laisser sous un prétexte ou sous un autre, tandis que, nous, nous sommes encore vivants, nous avons le devoir de rappeler ce qui s'est passé, c'est un devoir sacré parce que l'histoire est porteuse de leçons et nous ne sommes pas meilleurs que les autres.
Mme Sinclair : Franchement, Charles Pasqua, est-ce que cela ne vous a pas choqué aussi quand certains chefs de la Gestapo en France qui avaient sur les mains le sang des résistants, des communistes, des juifs ont été livrés par les Allemands aux Français qui les avaient condamnés à mort, graciés par le Président Coty, libérés par le Général de Gaulle en 1964, comme ne vous a pas choqué à l'époque Pompidou graciant Touvier, à ce moment-là on ne vous a pas entendu ?
M. Pasqua : J'étais un peu plus jeune qu'aujourd'hui…
Mme Sinclair : … Cela ne vous empêchait de réagir ?
M. Pasqua : Non, cela ne m'empêchait pas de réagir, je veux dire par là que j'aurais réagi beaucoup plus brutalement, certainement.
Mme Sinclair : Plus brutalement à l'époque ?
M. Pasqua : Oui.
Mme Sinclair : On va faire une très courte pause, puis on va parler dans un instant des présidentielles, des affaires et Gérard Depardieu qui doit venir.
M. Pasqua : N'oubliez pas Gérard Depardieu, tout de même.
Mme Sinclair : Mais je ne l'oublie pas.
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Mme Sinclair : Vous venez de voir la bande-annonce avec Carlos mais ce n'est pas le même.
M. Pasqua : Ce n'est pas le même, oui, je l'avais compris, je l'avais déjà vu hier soir dans Sébastien.
Mme Sinclair : Les élections présidentielles, vous qui êtes pour un candidat d'union, dite-moi, cela se bouscule à la Droite, Le Pen, sans doute de Villiers, puis tous ceux qui ne sont pas officiellement candidats, Balladur, Chirac, Barre et j'en passe ?
M. Pasqua : Oui, je suis presque tenté de chantonner ce refrain : "Ils sont venus, ils sont tous là" mais cela ne ferait pas très sérieux.
Je crois que le constat que nous avions fait en 1991, c'est-à-dire le risque d'un trop-plein de candidats de notre côté et la nécessité d'avoir un candidat d'union, le constat est toujours d'actualité.
Mme Sinclair : Remarquez, j'en ai oublié un, cela pourrait être Charles Pasqua.
M. Pasqua : … Oui, soyez sans crainte.
Mme Sinclair : Je regarde "Courrier international", vous avez vu ?
M. Pasqua : Oui, oui.
Mme Sinclair : "Pasqua pour Président".
M. Pasqua : C'est le Courrier international, ce ne sont pas les étrangers qui votent en France.
Je dis simplement que le RPR et l'UDF, au cours des derniers jours, ont fait savoir, j'attends leur lettre à la réponse de la lettre que je leur avais adressée, qu'ils étaient effectivement d'accord pour organiser les primaires selon les termes mêmes de l'accord intervenu entre ces deux formations en 91.
Mme Sinclair : Vous continuez à croire à vos chères primaires…
M. Pasqua : Mais oui.
Mme Sinclair : Vous ne les remettez pas dans votre poche ?
M. Pasqua : Non, pourquoi voulez-vous que je le remette dans ma poche ?
Mme Sinclair : Parce que c'est dépassé aujourd'hui, plus personne ne pense les organiser ?
M. Pasqua : Ce n'est pas dépassé du tout, c'est même le seul moyen de résoudre les problèmes actuels et d'éviter ce qui risque de se passer, c'est-à-dire la mise en marche de la machine à perdre.
Mme Sinclair : Oui, mais vous n'allez pas jusqu'au mois d'avril continuer à dire "il faut organiser les primaires", il faut les maintenant alors ?
M. Pasqua : Le secrétaire général du RPR, le secrétaire général de l'UDF siègent au sein du Gouvernement, donc ce n'est pas très difficile pour eux de se rencontrer. Ils ont dit, tous les deux, qu'ils étaient d'accord pour mettre ce système en marche, qu'ils le fassent. Si d'aventure il faut certaines dispositions législatives pour les aider, nous le ferons.
Mme Sinclair : Dans quel délai ? Vous voyez quel calendrier possible ?
M. Pasqua : Cela peut être fait très vite. Le système tel qu'il a été prévu indiquait que les primaires devaient se terminer six mois avant les élections présidentielles elles-mêmes.
Mme Sinclair : … On n'en est pas très loin.
M. Pasqua : Il faudrait donc qu'elles aient lieu en novembre. On peut très bien décider au lieu de six mois, quatre mois, et à ce moment-là on peut les faire en janvier, il n'y a aucun problème.
Mme Sinclair : Vous dites : "C'est pour éviter la machine à perdre" parce que vous pensez que ce serait…
M. Pasqua : … La machine à perdre, je crois que s'il y a plusieurs candidats, le risque de voir les Français profondément écœurés se détourner des urnes n'est pas négligeable et aussi celui de n'avoir aucun candidat de la majorité qui franchise la barre des 25 % au premier tour. On a vu ce que cela nous a coûté en 88, entre le premier et le second tour, Jacques Chirac a gagné 26 points, s'il était parti de 24, il aurait gagné les élections présidentielles mais il est parti d'un peu moins de 20. Alors, moi, je n'ai aucune envie de recommencer, je souhaite que la majorité gagne les élections présidentielles et je ferai tout ce que je peux pour cela.
Mme Sinclair : Quel que soit le candidat, parlons clairement…
M. Pasqua : … Quel que soit le candidat.
Mme Sinclair : Chirac-Balladur, on a l'impression que vous dites : "Tantôt l'un, tantôt l'autre" ?
M. Pasqua : Non, pas du tout. Moi, je dis : "À chacun d'entre eux d'apporter la preuve de ce qu'il peut faire", vous savez aussi bien que moi que ce sont les Français qui choisissent, à un certain moment, ils sentent que tel homme plutôt que tel autre est porteur de l'image qu'ils ont pour la France.
Mme Sinclair : Vous les connaissez bien maintenant, tout de même, dans le fond de votre cœur, ne me dites pas que vous n'avez pas choisi ?
M. Pasqua : Non, je n'ai pas choisi…
Mme Sinclair : … Vous ne savez pas encore ce qu'ils pensent ?
M. Pasqua : Même si j'avais choisi je ne vous le dirais pas, conformément à ce que souhaite le Premier ministre qui veut que l'on ne dise rien avant le 1er janvier prochain.
Mme Sinclair : Mais vous parliez de ce qui peut exaspérer les Français, est-ce que ce jeu de cache-cache ne les exaspère pas un peu ?
M. Pasqua : En ce qui concerne le Premier ministre, non, puisqu'il a toujours dit qu'il ne se prononcerait pas avant le début de l'année prochaine.
Mme Sinclair : Et en ce qui concerne les autres ?
M. Pasqua : Les autres, s'ils ont envie d'être candidats qu'ils le disent, c'est vrai, ce serait plus clair. Mais d'un autre côté chacun d'entre eux se dit : "Est-ce que c'est vraiment le moment ? Est-ce qu'il vaut mieux que je n'attends pas un peu pour avoir de meilleurs sondages ?" Les sondages, ça monte et ça descend.
Mme Sinclair : Croyez-vous que c'est possible, si votre système de primaires n'est pas mis en marche, que le RPR se retrouve avec deux candidats ? Trouvez-vous cela envisageable ?
M. Pasqua : Non, pas moi.
Mme Sinclair : Pas vous, c'est-à-dire qu'il se passera quelque chose qui fera qu'il n'y en aura qu'un ?
M. Pasqua : Je le crois. Je n'imagine pas une seule minute que nous puissions avoir deux candidats aux élections présidentielles.
Mme Sinclair : François Léotard a dit aujourd'hui sur France 2 que "l'UDF, ce n'était pas obligatoire qu'il ait un candidat", donc il déblaie le terrain ?
M. Pasqua : C'est bien ! Si c'est son sentiment, il a raison de le dire. Moi, je ne vais pas dire du même coup que le RPR peut aussi ne pas avoir de candidat.
Mme Sinclair : Non, ça, je ne pensais pas que vous le diriez.
M. Pasqua : On serait dans un système tout à fait absurde.
Mme Sinclair : Après le déjeuner de 41 parlementaires favorables à Édouard Balladur et réunis par Nicolas Sarkozy et Nicolas Bazire, Jean-Louis Debré qui est un soutien fidèle de Jacques Chirac a proposé et dit : "Mais qu'ils se rencontrent enfin", croyez-vous que c'est encore temps, que cela sert encore à quelque chose ?
M. Pasqua : Mais ils se rencontrent souvent. Ils se rencontrent souvent, ce sont des amis de 30 ans, ils peuvent se parler quand ils veulent, il n'y a aucun problème.
Mme Sinclair : Vous aussi, vous croyez à cela ?
M. Pasqua : Avec moi, c'est seulement un ami de 20 ans.
Mme Sinclair : C'est cela !
M. Pasqua : Ils peuvent se parler quand ils veulent. Le problème n'est pas là, tout le monde le sait bien.
Mme Sinclair : Où est-il alors ?
M. Pasqua : Je ne trouve pas anormal que plusieurs personnes aient le sentiment de posséder les qualités pour être Président de la République, je trouve cela tout à fait logique. Quand on conduit une carrière politique, on doit aller jusqu'au bout de sa démarche, mais il n'y a pas seulement la carrière de tel ou tel qui est en jeu là, c'est l'intérêt national. Est-ce que ces hommes qui ont exercé ou qui exercent des responsabilités éminentes, les plus importantes dans la république, ne sont pas capables à un moment donné, regardant la situation telle qu'elle est et non pas telle qu'ils souhaiteraient qu'elle soit, tirer les conséquences ?
Mme Sinclair : Racine face à Corneille.
M. Pasqua : Oui, je crois que, le moment venu, cela se passera ainsi, du moins je l'espère. Si ce n'était pas le cas, nous serions sûrement un certain nombre à intervenir.
Mme Sinclair : Cela veut éventuellement dire : "Dans ce cas-là, j'y vais" ?
M. Pasqua : Ah oui, pour qu'il y en ait davantage.
Mme Sinclair : Pour mettre tout le monde d'accord ?
M. Pasqua : Non, non, ce n'est pas cela du tout.
Mme Sinclair : Ah bon, j'avais mal compris.
M. Pasqua : Cela veut dire : "Reprenons nos esprits". Le gaullisme, ce n'est pas cela, le gaullisme, c'est le service de l'intérêt général et pas le service de son ambition.
Mme Sinclair : La semaine dernière dans Le Figaro Magazine à une question de Catherine Nay vous répondez : "Ce n'est pas sur un bilan qu'on peut se présenter aux présidentielles", cela veut-il dire que c'est sur un projet ?
M. Pasqua : Oh, c'est plus compliqué que ça, je ne suis pas sûr qu'on ait le temps de discuter de ça.
Mme Sinclair : Très rapidement.
M. Pasqua : Non, ce que je voulais dire, c'est que si le bilan est mauvais, naturellement, c'est un handicap insurmontable, que si le bilan est bon, ce n'est pas suffisant, on l'a vu en 88, Jacques Chirac avait un très bon bilan, c'est autre chose. Si par projet, on entend par là avoir des idées sur l'avenir, c'est le moins qu'on puisse attendre de quelqu'un qui est candidat à la présidence de la République mais on est jugé, je le redis, c'est un contact qui s'opère, c'est alchimie, les présidentielles…
Mme Sinclair : … Le bilan, le projet et l'homme.
M. Pasqua : Entre notre peuple et un homme, et il sent quel est celui qui est le mieux à même de le conduire.
Mme Sinclair : Un mot sur l'actualité d'hier, François Mitterrand a sévèrement mis en garde le Gouvernement contre les menaces qui pèsent sur la Sécurité sociale disant qu'il pourrait faire appel aux Français, on ne sait pas sous quelle forme ?
M. Pasqua : Mais il pourrait faire appel aux Français pour quoi faire ?
Mme Sinclair : En cas de manquement à la cohésion sociale.
M. Pasqua : Non, non, pour leur demander de combler le déficit de la Sécurité sociale, parce que c'est cela qu'il faudrait qu'il fasse. La Sécurité sociale est menacée par qui ? Elle n'est pas menacée par le Gouvernement, elle est menacée par les conséquences de la gestion dont nous avons héritée et de l'évolution du système, personne ne menace la Sécurité sociale. Alors je serais presque tenté de dire, oh ce n'est qu'une boutade, après tout on va parler de littérature française tout à l'heure, en tous les cas des grands auteurs, je serais presque tenté de dire au Président qu'il n'y court pas grand risque, à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. La Sécurité sociale n'est menacée par personne.
Mme Sinclair : Vous faites les transitions très bien, Charles Pasqua, dans l'actualité de la semaine qui vient, il y a un très beau film, "Le colonne Chabert", tiré du romain de Balzac. Grâce à Yves Angelo, on va voir des images, dont c'est le premier film, c'est l'histoire d'un colonel de l'époque napoléonienne qui réapparaît dix ans après qu'il ait été laissé pour mort sur le champ de bataille d'Eylau, bataille terrible, 10 000 morts français, 20 000 morts russes, des cadavres de chevaux par milliers et, là, on voit ces images d'avant la charge sur une sonate de Schubert. Ils vont charger sur cette plaine glacée…
M. Pasqua : … Ces images sont extraordinaires.
Mme Sinclair : Où, paraît-il, la mort, c'est bleu, c'est froid, c'est rouge et c'est un silence, un silence de mort. Gérard Depardieu, bonsoir.
M. Depardieu : Bonsoir.
Mme Sinclair : Merci d'être là.
À côté de vous, bien sûr, il faut dire que Fabrice Lucchini est magnifique et joue un notaire pervers, que Fanny Ardant est somptueuse et joue l'ex-femme de Chabert, André Dussolier, Claude Rich qui a une scène mais quelle scène !
Avez-vous le sentiment que cette histoire est une histoire qui pourrait se passer aujourd'hui ou elle est très datée 1830 et la société de cette époque ?
M. Depardieu : Elle est datée de 1830 parce que cet homme revient d'une campagne napoléonienne et que, dix ans après, on ne voulait plus les voir parce que les choses avaient changé.
Mme Sinclair : On ne veut jamais voir les revenants ?
M. Depardieu : Non. J'avais des amis qui revenaient de la guerre d'Algérie ou même de l'Indochine et c'est vrai qu'on les traitait bizarrement. Je pense qu'ils étaient, eux aussi, étranges parce qu'ils avaient vécu des choses horribles et c'est difficile de retrouver une vie normale après ces choses-là.
Je pense que Balzac est encore contemporain, et tant mieux, parce que c'est tout de même un auteur qui montre les hommes avec leurs faiblesses, leur coup de génie et puis seulement les hommes tels qu'ils sont.
Mme Sinclair : Avec des ressorts terribles tout de même, toujours l'argent, l'argent qui avilit, qui fait que cela devient le moteur d'une société ?
M. Depardieu : L'argent, le pouvoir, l'amour, je pense que c'est pour cela que ça en fait un grand auteur. L'argent et le pouvoir, c'est la même chose, l'amour après, ça sauve un peu…
Mme Sinclair : … C'est la même chose, Charles Pasqua, l'argent et le pouvoir ?
M. Depardieu : Un petit peu tout de même.
M. Pasqua : Je crois que cela fait partie des moteurs de l'humanité. Depuis la fin des temps, c'est comme ça.
M. Depardieu : Oui. Et puis derrière cela il y a l'amour.
Mme Sinclair : Il y a plus d'amour ? Je suis d'accord avec Bernard Pivot qui disait que le film est sans doute plus grand que le livre, si on peut s'autoriser à dire cela, mais il y a plus d'amour dans le film que dans le livre qui est d'une transcription plus froide ?
M. Depardieu : La nouvelle, d'abord, est petite, elle fait 90 pages et on voit vraiment que cette femme est terrible. Elle ignore totalement Chabert et c'est une femme très sèche à la fin alors que, dans le film, non…
Mme Sinclair : … La femme de Chabert qui est remariée au comte Ferraud…
M. Depardieu : … Qui lui est bloqué sur la patrie de France.
Mme Sinclair : C'est son idée fixe.
M. Depardieu : C'est vraiment son idée fixe. C'est vrai que cette femme est beaucoup plus sympathique et belle dans le film que dans le roman de Balzac. Encore une fois, c'est un roman très pauvre, très petit, de même que Chabert, Chabert dans le livre est un pauvre pantin alors que, là, non, il n'est pas tout à fait fou, on le dit fou parce que cela fait 10 ans qu'on dit : "Mais non, c'est un homme qui dit n'importe quoi, qui raconte n'importe quoi", c'est plus intéressant, je dirais que c'est plus profond , voilà.
Mme Sinclair : Vous vous connaissiez tous les deux ou c'est la première fois ?
M. Pasqua : Nous nous sommes déjà vus mais pas peut-être aussi longuement que ce soir.
M. Depardieu : Non.
Mme Sinclair : Vous avez écouté Charles Pasqua depuis le début, serait-ce un bon acteur ?
M. Depardieu : C'est un grand acteur, il le sait en plus, il le sait bien. Non, c'est un grand acteur aussi mais…
M. Pasqua : … La différence, c'est que je ne crois pas quand on est un homme politique, en tous les cas, c'est mon sentiment, je ne crois pas qu'on puisse donner dans la composition…
Mme Sinclair : … On ne peut jouer que son rôle.
M. Depardieu : Vous avez raison. Mais, moi, je serais incapable de faire ce que vous faites…
M. Pasqua : … Oh !…
M. Depardieu : Non, vraiment pas. Cela me panique totalement mais je crois aux convictions…
M. Pasqua : … Ah oui, tout à fait.
M. Depardieu : Mais les convictions, je les prends par des idées ou des auteurs. C'est vrai que les metteurs en scène, parfois, m'agacent un peu, il faut changer de metteurs en scène, il faut changer de direction, c'est pour cela que j'ai la boulimie, j'en fais beaucoup, je change de genres et de metteurs en scène. D'autres diraient que je retourne ma veste, eh bien pourquoi pas ? Je veux dire, je vis.
M. Pasqua : En tous les cas, vous êtes, excusez-moi de vous dire cela mais après tout il faut dire les choses comme on les pense, vous êtes quelquefois meilleur que d'autres, c'est normal, cela vient probablement aussi du metteur en scène ou de la mise en scène ?
M. Depardieu : Ah, bien sûr.
Mme Sinclair : Là, c'est du bon Depardieu, vous avez vu le film, Charles Pasqua ?
M. Pasqua : Ah oui, c'est génial. Honnêtement, c'est un film qui m'a vraiment emballé, emballé. Tout est formidable dans ce film, les quelques minutes de Claude Rich étaient extraordinaire, c'est fantastique. Premièrement, elle joue d'une manière fabuleuse…
M. Depardieu : … Ah oui !
M. Pasqua : On voit bien qu'elle est torturée en elle-même, il y a l'argent, il y a aussi d'autres sentiments qui interviennent et, vous vous êtes vraiment… lui, c'est un très, très grand acteur, très grand…
M. Depardieu : … Et puis il y a Fabrice Luchino qui fait un notaire…
M. Pasqua : … Extraordinaire. Vous savez que le Colonel Chabert a vraiment existé ? Vous savez qu'il y a un Colonel Chabert, colonel de cuirassier…
M. Depardieu : … Il paraît que c'était général.
M. Pasqua : Non, Louis, Louis Chabert, colonel de cuirassier qui a reçu un coup de sabre…
Mme Sinclair : … De l'armée Napoléon ?
M. Pasqua : Oui, qui a reçu un coup de sabre non pas à Eylau mais dans une autre bataille et qui a ensuite été poursuivi pour bigamie. Je suis persuadé que c'est ce qui a inspiré Balzac…
Mme Sinclair : … Sauf que la bigamie, là, c'est l'ex-femme de Chabert qui s'est mariée, c'est l'inverse.
M. Pasqua : Oui, c'est l'inverse. Si vous voulez voir le brevet de ce Colonel Chabert qui a existé, brevet signé de l'empereur Napoléon Ier, le maire de Versailles, monsieur Damien, vous le montrera avec plaisir, il est dans sa collection.
M. Depardieu : Je veux bien.
Mme Sinclair : C'est un grand bonapartiste, Charles Pasqua.
M. Pasqua : Oh, enfin…
Mme Sinclair : Vous avez l'aigle impérial dans votre bureau, je crois ?
M. Pasqua : Cet aigle a une histoire. C'est un aigle qui n'a jamais connu que la victoire parce qu'il a été réformé après Friedland et on me l'a offert avant les élections présidentielles de 1988, avant le second tour…
Mme Sinclair : … Cela avait un sens ?
M. Pasqua : Oui, cela avait un sens, c'était pour me dire : "Ne sois pas trop triste selon les résultats, prends cet aigle, lui, il n'a jamais connu que la victoire".
Mme Sinclair : Gérard Depardieu, j'ai l'impression que vous vous êtes lancé dans les grands auteurs parce que les grands textes inspirent, Cyrano, Germinal, Zola, Balzac, vous aimez cela les beaux textes qui portent un acteur, c'est formidable ?
M. Depardieu : Oui et c'est plus simple. C'est vrai que dans le cinéma de maintenant, en France, je dirais, nous n'avons pas tellement l'occasion d'avoir des grands textes et c'est vrai qu'il faut piocher. Je ne pense pas qu'il y ait du mal à prendre des classiques parce que, moi, j'ai eu la chance de les découvrir maintenant, je n'ai pas eu la chance de les lire ou de les entendre à l'école ou même de rentrer, de pénétrer ces textes à l'école mais c'est vrai que Balzac, pour moi, c'est du quotidien.
Mme Sinclair : Il paraît que vous êtes un héros balzacien, c'est vrai, ça ?
M. Depardieu : Non, peut-être que je ressens le personnage de Balzac, je rêverais de jouer la vie de Balzac parce que d'abord un travailleur…
M. Pasqua : … Je crois que vous pourriez.
M. Depardieu : C'est un travailleur acharné mais ce n'est pas de mon fait, c'est simplement que je rentre dans le travail parce que je trouver que c'est la seule relation honnête que je peux avoir avec les gens.
Mme Sinclair : Quand vous voyez toute l'actualité qui passe, vous vous dites : "Heureusement que je fais du cinéma et que je ne m'occupe pas de tout cela" ?
M. Depardieu : Je suis très admiratif des gens qui règlent des problèmes, notamment pour l'intégrisme, car quand on touche à ces passions, à ces violences, il faut vraiment être fort parce que, il y a une telle folie, une telle folie là-dessus… moi, je perdrais mes moyens, je n'aurais pas la patience ni même l'intelligence de résoudre cela.
Mme Sinclair : Merci à vous deux, merci d'avoir accepté d'être en direct tous les deux sur ce plateau ce soir. Merci, Gérard Depardieu, merci à vous, Charles Pasqua.
Dimanche prochain, Jack Lang sera invité de 7 sur 7, à côté de lui, un invité issu lui aussi de l'actualité.
Dans un instant, le journal de Claire Chazal, invité, Lionel Jospin
Merci à vous.
Bonsoir.