Texte intégral
« Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Administrateurs, vous allez avoir prochainement à délibérer sur le programme du Fonds d'action sociale pour 1989.
Je souhaitais donc, avant que ce débat n'ait lieu, pouvoir vous indiquer quelles étaient les orientations gouvernementales en matière d'immigration, les décisions que j'ai moi-même déjà prises ou que je m'apprête à prendre dans le domaine qui me revient et enfin mes propositions en ce qui concerne le rôle que doit jouer le Fonds d'action sociale pour faciliter l'intégration des immigrés dans notre société.
J'ajoute, bien entendu, que pour le bon déroulement de cette matinée l'échange devra être réciproque. Je souhaite en effet prendre connaissance de vos réactions, de vos remarques et de vos propositions.
I - LES ORIENTATIONS GOUVERNEMENTALES EN MATIERE D'IMMIGRATION
Les orientations du gouvernement animé par Michel Rocard, en ce qui concerne l'immigration, se situent dans le prolongement des orientations qui ont prévalu en France depuis l'arrêt de l'immigration de main-d'oeuvre en 1974. Celles-ci ont été constamment axées autour de trois volets :
1. L'insertion des immigrés résidant régulièrement sur notre territoire.
2. La maîtrise des flux migratoires.
3. L'aide à la réinsertion dans le pays d'origine.
L'objectif du gouvernement est donc d'abord de se situer dans la continuité de ce qui s'est fait jusqu'en mars 1986 en y apportant les actualisations rendues nécessaires par l'évolution des communautés étrangères.
Je ne peux pas, en effet, ne pas rappeler que la tentative de réforme du code de la nationalité et la loi du 9 septembre 1986, dite loi Pasqua, relative à la réglementation du séjour des étrangers, ont été inspirées par une volonté politique qui n'est pas la nôtre.
Sensibles à la vague raciste et xénophobe qui s'est manifestée dans ce pays à partir des élections municipales de 1983, les choix qui ont été faits au cours de ces dernières années se sont caractérisés par un climat de méfiance à l'égard des étrangers, climat qui a été durement ressenti par les intéressés.
Heureusement, le débat très riche qui a eu lieu au sein de la commission des sages à propos du code de la nationalité a grandement contribué à l'élaboration du consensus actuel autour de l'intégration.
En effet, dans un pays où près de 80 % des étrangers sont présents depuis plus de dix ans et où beaucoup ont été rejoints par leur famille, la seule solution, socialement réaliste, est de faciliter leur installation définitive en France et non pas de créer d'illusoires barrières juridiques au nom de la défense d'une identité française fermée aux apports extérieurs.
La volonté première du gouvernement est donc que ce consensus là, sur l'intégration, soit consolidé et pérennisé.
Le dossier de l'immigration ne doit plus faire l'objet d'un débat de type droite-gauche au plan nationale. Les règles applicables ne doivent pas être complètement remises en cause en cas d'alternance politique. Les communautés immigrées vivant en France doivent s'y sentirent en sécurité, c'est ainsi qu'elles s'intégreront le mieux.
1. L'intégration des immigrés
Les étrangers qui résident actuellement en France y resteront, chacun en est aujourd'hui conscient, parlons donc maintenant d'intégration plutôt que d'insertion.
De même, le mot « immigré » correspond de moins en moins bien à la définition des populations dont nous parlons, qui se sentent de moins en moins en situation d' « immigré » dans notre pays au fur et à mesure que les années passent.
Aujourd'hui, les jeunes nés en France ou qui y sont arrivés dans leurs premières années ont les mêmes aspirations que les jeunes Français et ils ne souhaitent pas être désignés comme des « immigrés » dont le sort devrait relever d'un département ministériel spécifique.
Cela n'atténue pas notre volonté de développer une politique d'intégration bien au contraire, mais celle-ci doit être menée, naturellement, par les différents ministères concernés.
Actuellement, l'intégration des immigrés passe par cinq questions essentielles : le statut juridique, la formation et l'emploi, le logement, l'insertion sociale et culturelle, la participation à la vie sociale.
A - Le statut juridique
Depuis la loi du 17 juillet 1984 ayant instauré le titre unique de séjour et de travail, les étrangers vivant en France disposent d'un statut plus stable et plus simple.
80 % des étrangers résidant en France ont maintenant un titre valable 10 ans, renouvelable de plein droit.
Bien entendu, je sais aussi qu'il existe un certain nombre de situations humainement difficiles concernant notamment des jeunes arrivés en France, en dehors des procédures prévues pour le regroupement familial, qui atteignent maintenant leur majorité. Nous savons tous que ces jeunes resteront ici.
De même, certains parents étrangers d'enfants français sont dans une position juridique incohérente.
Je sais également que des étrangers, conjoints de Français, peuvent se trouver placés dans des situations très difficiles.
Dans l'immédiat des mesures ont été prises pour un traitement bienveillant des situations particulières les plus justifiables d'une régularisation, mais il faudra sans doute aller plus loin.
Toute réglementation est perfectible et tout texte qui ne répond plus à son objet doit être modifié.
Rien ne s'oppose à ce que la réglementation relative au séjour des immigrés soit réexaminée pour mieux garantir les droits de la population étrangère vivant dans notre pays. Si ce réexamen reste compatible avec la nécessaire maîtrise des flux migratoires.
En ce qui me concerne, c'est ainsi que j'examinerai ces questions avec le ministre de l'Intérieur, compétent à titre principal sur ce dossier.
J'ajoute enfin qu'au-delà de la réglementation elle-même, il faudra aussi améliorer l'accueil des étrangers dans les préfectures et les procédures de délivrance et de renouvellement des titres.
B - La formation et l'emploi
Les suppressions massives d'emplois non qualifiés dans l'industrie, en raison de la modernisation de l'appareil de production, ont fortement affecté les travailleurs immigrés.
D'autre part, force est de constater que l'accès à l'emploi des jeunes issus de l'immigration se fait difficilement.
L'action en matière de formation est donc prioritaire avec un équilibre à trouver entre dispositifs de droit commun et dispositifs spécifiques.
Je sais qu'il y a eu au sein de votre conseil des débats importants sur ce plan puisque, depuis 1986, vous avez tenu à donner, dans les programmes financés par le F.A.S., la priorité à l'emploi dans toutes ses composantes, en recherchant une démarginalisation des actions et formation.
J'aimerai savoir aujourd'hui quelle est votre position à ce sujet.
Sachant que la situation de l'emploi est appelée à rester difficile pour les jeunes issus de l'immigration, j'aimerai savoir comment vous voyez l'avenir. Avez-vous des pistes de réflexion ? Des propositions comme celles avancées par votre président dans une tribune libre du Monde l'été dernier pourraient-elles être mises en oeuvre dans le cadre de programmes expérimentaux ?
C - Le logement
Le logement est évidemment, comme pour les populations françaises, un élément déterminant d'intégration, pour les familles d'origine immigrée.
Nous connaissons les difficultés qu'éprouvent les familles à revenu modeste pour se loger. Ces difficultés sont aggravées en ce qui concerne les populations d'origine immigrée.
Ce sujet mériterait à lui seul un débat pour lequel le temps manque, mais j'indiquerai plus loin comment je souhaite engager la réflexion à ce sujet.
D - L'insertion sociale et culturelle
Les spécialistes disent qu'une bonne insertion sociale passe par une adaptation nécessaire à la société d'accueil sans renoncer à ses valeurs fondamentales.
La France, pays laïque, respecte et permet l'exercice des différentes philosophies et religions.
Sous réserve du respect des lois républicaines, les étrangers peuvent donc, s'ils le souhaitent, pratiquer chez nous la religion de leur choix, conserver leurs coutumes, développer leur culture.
L'action sociale de droit commun et l'école sont là pour permettre l'intégration dans le tissu national.
L'école, en particulier, a évidemment un rôle essentiel à jouer dont nous pourrons également reparler.
E - La participation à la vie sociale et publique
L'intégration des étrangers passe aussi par leur participation à la vie sociale et publique : vote aux prud'hommes, à la sécurité sociale, aux offices HLM, etc.
Il est évidemment regrettable, comme le président de la République en fait le constat, que notre société ne soit pas encore prête à accepter que les étrangers résidant en France depuis un certain temps puissent voter aux élections locales.
Il n'est pas bon, dans le cadre d'une politique active d'intégration, qu'un pourcentage important de la population d'origine immigrée, celle qui a conservé sa nationalité d'origine, soit exclu des affaires publiques au plan communal.
Je forme le voeu, en ce qui me concerne, que des maires de toutes tendances veillent à prendre sur leur liste, en mars prochain, des candidats issus de l'immigration. Car je rappelle qu'il y a dans ce pays environ 1 million et demi de Français récents issus de l'immigration.
Je souhaite aussi que se poursuivent et se développent toutes les expériences de participation des étrangers à la vie locale.
2. La maîtrise des flux migratoires
La maîtrise des flux migratoires est, depuis 1974, le second volet de la politique menée par le gouvernement dans le domaine de l'immigration.
Elle est fondée sur le contrôle du marché de l'emploi. Aucune autorisation de travail permanente n'est accordée lorsque la situation de l'emploi pour le poste demandé est défavorable. Cela signifie que, sauf de rares exceptions justifiées, l'immigration de main-d'oeuvre demeure suspendue.
La maîtrise des flux migratoires passe par le contrôle aux frontières et la lutte contre l'emploi clandestin.
Elle implique aussi, nécessairement, la reconduite à la frontière ou à l'expulsion des étrangers en situation irrégulière.
Lorsque M. Charles Pasqua, ministre de l'Intérieur, a présenté devant l'Assemblée nationale ce qui allait devenir la loi du 9 septembre 1986 il a justifié sa démarche par le fait que l'action menée depuis 1974 pour maîtriser les flux migratoires n'avait donné que des résultats limités. Il citait notamment trois raisons :
- le régime conventionnel de libre circulation avec certains Etats africains ;
- l'obligation constitutionnelle d'assurer aux étrangers résidant régulièrement en France le droit au regroupement familial ;
- un régime libéral d'admission des étudiants étrangers.
Il indiquait que le respect de chacun de ces impératifs pouvaient conduire à des détournements de procédure et à des fraudes auxquels il convenait de mettre un terme par une meilleure adaptation des dispositions législatives en vigueur à la réalité.
Vous savez, comme moi, que les dispositions retenues par la loi du 9 septembre 1986 ont donné lieu dans leur application à des excès. Des étrangers ont été victimes de décisions arbitraires ou contraires à certains principes humanitaires caractérisant la patrie des droits de l'homme.
C'est en raison de ces excès que la loi du 9 septembre 1986 devra vraisemblablement être amendée. Toutefois, ce travail de toilettage, s'il est entrepris, devra l'être avec le souci de maintenir des dispositifs efficaces de maîtrise des flux migratoires.
Il faut en effet savoir que, malgré la crise économique, la France reste attractive pour les ressortissants des pays pauvres.
Actuellement, malgré les dispositions de la loi Pasqua, la pression d'étudiants étrangers cherchant à accéder au marché du travail français à l'occasion de leurs études reste importante.
Le nombre de demandeurs d'asile d'origine africaine pour des raisons économiques s'accroît.
Dans différents secteurs d'activité, les chantiers du bâtiment et des travaux publics, l'artisanat, la restauration et l'hôtellerie, la présence d'étrangers en situation irrégulière, c'est-à-dire clandestins, demeure forte malgré les dispositifs de lutte contre l'immigration clandestine.
Le contrôle des flux migratoires et la lutte contre l'immigration clandestine demeurent donc un objectif incontournable du gouvernement parallèlement à l'intégration dans notre société des étrangers en situation régulière.
3. L'aide à la réinsertion dans les pays d'origine
Depuis 1974, le troisième axe de la politique d'immigration a été l'aide à la réinsertion dans le pays d'origine.
Conçue au départ sous la forme d'une aide financière destinée à faciliter le retour d'immigrés vers leurs pays d'origine pour diminuer le nombre de ceux résidant en France elle n'a jamais véritablement atteint cet objectif.
Aujourd'hui, après avoir été régulièrement amendée, la politique d'aide au retour semble avoir épuisé tous ses effets.
Les difficultés réelles de réinsertion dans le pays d'origine et les échecs connus de certains de ceux qui ont tenté l'aventure sont à l'origine de cette évolution.
Toutefois, le volet réinsertion ne doit pas être abandonné. Des projets de coopération avec les pays du Sud peuvent être conçus avec l'appui et le concours des communautés immigrées résidant en France. Le F.A.S. a participé au financement de tels projets, qui relèvent autant de la coopération avec le tiers monde que de la réinsertion des immigrés.
Cette action doit être poursuivie et encouragée, car de tels projets, par leur exemplarité, témoignent de notre volonté politique de contribuer au développement des pays du Sud.
II – LES DECISIONS PRISES OU EN PREPARATION DU MINISTRE DE LA SOLIDARITE, DE LA SANTE ET DE LA PROTECTION SOCIALE
Je voudrais d'abord vous rappeler que, d'une manière générale, les étrangers résidant en France bénéficient très largement des mêmes dispositifs sociaux que les nationaux.
C'est, notamment, en raison de ce principe qu'ils auront accès au bénéfice du revenu minimum d'insertion, dont j'ai récemment présenté le texte de loi au Parlement, sous réserve de résider régulièrement en France depuis au moins trois ans.
En ce qui concerne mes premières décisions, j'ai décidé d'améliorer les procédures de naturalisation, de remettre en place le Conseil national des populations immigrées et de revoir les missions de l'Agence de développement des relations interculturelles.
1. Améliorer les procédures de naturalisation
Une contradiction existe entre le code de la nationalité qui permet aux étrangers qui le souhaitent d'acquérir relativement facilement la nationalité française, ce qui est une bonne chose, et les procédures à mettre en oeuvre qui, pour des raisons diverses, sont excessivement longues et complexes.
Dans sa lettre à tous les Français, le président de la République a indiqué que nous nous honorerions en rendant ces procédures moins longues et moins humiliantes.
Actuellement, un délai minimum de deux ans apparaît nécessaire pour qu'un dossier en ordre aboutisse favorablement mais, dans de nombreux cas, ces délais sont beaucoup plus longs.
Cette situation m'apparaît tout à fait scandaleuse. Les étrangers qui souhaitent acquérir la nationalité française, ce qui est un choix grave au plan personnel, ne doivent pas rester dans une sorte de no man's land dans l'attente de la réponse de l'administration.
J'ai donc fait de l'amélioration des procédures de naturalisation ma priorité. Cela passe par un renforcement de la sous-direction des naturalisations de la DPM, tant au plan des personnels que des moyens matériels, notamment informatiques.
Parallèlement, j'ai demandé à Pierre Joxe, ministre de l'Intérieur, de veiller à ce qu'un effort du même ordre soit mené au niveau des préfectures.
2. Remettre en place le Conseil national des populations immigrées
Mis en sommeil par mon prédécesseur le Conseil national des populations immigrées va être remis en place.
Le mandat des membres étant venu à expiration, il est actuellement procédé à leur renouvellement et dès que cette procédure sera achevée le conseil sera réuni.
En effet, il m'apparaît tout à fait indispensable de redonner de l'importance à un lieu d'échange et de dialogue sur les problèmes relatifs à l'insertion des immigrés.
Votre conseil est appelé parfois à jouer ce rôle mais ce n'est pas et cela ne doit pas être sa fonction.
Il aurait peut-être été utile de dimensionner différemment le C.N.P.I. afin, notamment, de l'élargir vers les élus locaux, mais l'important était de disposer rapidement d'une instance de réflexion, de concertation et de proposition.
Je dois dire, qu'en ce qui me concerne, je ne verrais que des avantages à ce que le C.N.P.I. évolue vers une forme de haut conseil, disposant d'une autorité reconnue sur les problèmes relatifs à l'immigration.
Cela veut dire que je suis prêt à ce que le C.N.P.I. ne soit pas une simple commission consultative à la disposition de l'administration, mais une instance disposant d'une très large autonomie dans son domaine de compétence.
3. Revoir les missions de l'Agence pour le développement des relations interculturelles
Votre conseil est déjà bien informé de mes intentions en ce qui concerne les émissions de télévision du dimanche matin.
Je souhaite une émission ciblée sur un public d'origine étrangère, mais ne s'y limitant pas, qui soit en phase avec les jeunes générations en cours d'intégration.
Cette nouvelle formule d'émissions commencera en janvier prochain, dans le cadre d'une association créée spécifiquement à cet effet.
En ce qui concerne le devenir de l'A.D.R.I., amputée du volet télévision, il me semblerait utile que l'on s'oriente vers la mise en place d'un véritable instrument de connaissance de l'immigration qui, d'après les rapports publiés ces derniers mois, semble faire défaut.
Bien entendu, l'A.D.R.I. ne viendra pas se substituer aux différents organismes qui existent déjà.
Sa mission sera de rassembler une information éparse et de combler les manques.
On dit par exemple qu'il y a un manque de réflexion vis-à-vis de l'Islam en France et une absence de politique à l'égard de cette religion-culture pourtant maintenant très présente sur notre sol, puisqu'elle regroupe environ 3 millions de personnes.
Dans cette perspective, l'A.D.R.I. sera dotée d'un conseil scientifique et technique orientant ses travaux et lui garantissant la crédibilité nécessaire.
Voici donc, pour la fin de l'année 1988, qu'elles ont été mes priorités.
Je voudrais cependant vous indiquer, avant de parler du F.A.S., que mes ambitions ne s'arrêtent pas là.
Je voudrais notamment démentir une rumeur suivant laquelle les rapports publiés ces derniers temps sur l'immigration seraient enterrés.
Cela est inexact. Par lettre en date du 9 septembre, le Premier ministre a demandé à chacun des ministres concernés d'étudier les propositions du rapport Hessel le concernant et il a chargé le secrétaire d'Etat au Plan de recenser les mesures qui pourraient être mises en oeuvre.
Je veillerai, avec M. Stoléru, à ce que ce travail soit mené à bien.
Je voudrais aussi vous indiquer que je souhaite être très attentif à toutes les évolutions observables au sein des communautés immigrées qui sont susceptibles de favoriser l'intégration.
J'attache notamment une importance particulière à deux évolutions que je souhaite encourager : la création d'entreprises ou d'activités économiques au sein de l'immigration et la création de mutuelles à l'initiative des communautés immigrées.
J'appelle votre attention sur ce double phénomène qui est important pour l'avenir. L'immigration aspire à se prendre en charge et ne plus être objet de revendication ou d'assistanat.
Elle aspire à être un acteur à part entière de la vie économique et sociale.
Mais parlons maintenant du FAS dont les interventions doivent prendre place dans le cadre des grandes orientations gouvernementales visant à l'intégration des immigrés.
III – LE ROLE DU FONDS D'ACTION SOCIALE POUR LES TRAVAILLEURS IMMIGRES
Placé sous la double tutelle de la direction de la population et des migrations et de la direction du budget, le F.A.S. est un instrument d'intervention très important, puisqu'en 1988 il a attribué des subventions à 2 300 organismes pour un montant d'environ 1,2 milliard de francs, ce qui est considérable.
Quel est mon souhait en ce qui concerne l'action du F.A.S. ? Il est très simple, il est que l'établissement intervienne en appui aux orientations gouvernementales que j'ai exposées succinctement tout à l'heure.
Nous voulons l'intégration des immigrés dans la société française. Il faut donc que le F.A.S. contribue à cette intégration.
Je crois avoir exposé qu'il n'y avait pas dans ce pays, à dire vrai, de problème immigré mais que, par contre, il y avait des aspects immigrés de problèmes de la société française en matière de logement, d'éducation et d'emploi.
Il faut donc que le F.A.S. intervienne complémentairement aux politiques menées dans ces secteurs pour que les aspects immigrés soient effectivement pris en compte.
Il ne faudrait surtout pas que le F.A.S. intervienne indépendamment de ces politiques sectorielles car, alors, au lieu de contribuer à l'intégration, il marginaliserait les immigrés.
Si j'ai un message à faire passer aujourd'hui devant votre conseil, c'est d'abord celui là. Je ne dis pas, soyons clair, que le F.A.S. est devenu inutile et qu'il convient maintenant que les problèmes concernant les immigrés soient complètement et uniquement pris en charge par les différents ministères concernés. Mais par contre j'insiste beaucoup pour que le F.A.S. soit bien en phase avec ce que font ces différents ministères.
Je ne vous cache pas que depuis que j'ai pris mes fonctions j'ai entendu différents points de vue sur le F.A.S., y compris des points de vue critiques mettant en cause le bien-fondé de conserver un instrument spécifique d'intervention en faveur des populations issues de l'immigration.
Mon intention, qui n'est d'ailleurs pas abandonnée, était de confier une mission de réflexion prospective sur le F.A.S. à une haute personnalité afin, éventuellement, d'adapter l'établissement aux besoins des années 90.
Moi-même, je m'interroge s'il ne conviendrait pas d'élargir les interventions du F.A.S. à l'ensemble des populations connaissant des problèmes d'intégration dans notre société, qu'elles soient d'origine immigrée ou non.
Toutefois, avant de confier une mission de réflexion prospective sur le FAS à une haute personnalité, je souhaite d'abord prendre connaissance des conclusions de la mission conjointe d'inspection de l'établissement qui est actuellement effectuée par l'Inspection générale des finances et par l'Inspection générale des affaires sociales.
Cette mission a pour objectif de réfléchir à l'amélioration des procédures de gestion de l'établissement et à l'aménagement des textes le régissant, mais il est possible qu'elle nous livre aussi quelques éléments de réflexion prospective dont il faudra tenir compte.
Ayant indiqué qu'elle était ma préoccupation principale à l'égard du F.A.S., c'est-à-dire qu'il soit un instrument d'intégration des immigrés, je voudrais maintenant préciser ma pensée au niveau des différents domaines d'intervention de l'établissement.
1. Le logement
Comme vous le savez, 43 % du budget du F.A.S. est consacré à des actions concernant le logement des immigrés mais celles-ci concernent essentiellement le fonctionnement des foyers et très peu le logement des familles.
Cette aide du F.A.S. dans le domaine du logement m'apparaît, comme à vous-même, largement inadaptée aux besoins des communautés immigrées. En effet, aujourd'hui, c'est au niveau du logement des familles qu'apparaissent les principaux besoins.
C'est pourquoi, sans attendre les résultats de l'actuelle mission d'inspection ou d'une réflexion à venir, j'ai saisi, par courrier en date du 25 octobre dernier, les ministres du Budget et de l'Equipement et du Logement pour qu'une étude technique approfondie soit menée en commun entre nos départements ministériels pour revoir les mécanismes d'intervention du F.A.S. dans ce domaine.
A cet effet, j'ai proposé qu'un groupe de travail interministériel soit constitué dont le secrétariat technique serait assuré par les services du FAS et que, parallèlement, une concertation plus qualitative soit engagée au niveau d'un groupe ad hoc issu de votre conseil.
Il va de soi que tant que ces travaux de réflexion n'auront pas abouti nous ne pourrons que proroger le mécanisme conventionnel actuel d'aide à la gestion, mais je pense que vous admettrez comme moi que le secteur du logement est celui qui méritait d'être examiné en priorité.
2. La formation
La formation représente un peu plus de 26 % du montant des interventions du F.A.S..
A l'origine, on trouvait essentiellement dans ce domaine des actions d'alphabétisation destinées à des primo-arrivants.
Avec l'arrêt de l'immigration de main-d'oeuvre, les interventions dans ce secteur ont évolué et pour 1988 vos orientations convergeaient vers deux objectifs, la démarginalisation des actions de formation et le développement de formations à visée professionnelle. Je crois que le bilan de la démarginalisation, objectif légitime dans sa formulation, est nuancé dans son évaluation. Je pense que certains d'entre vous interviendront dans le débat à ce sujet. Pour ma part, j'ai deux préoccupations dans ce domaine : d'une part, comment gérer en terme de formation les conséquences des suppressions massives d'emplois non qualifiés dans l'industrie, tenus par des immigrés, d'autre part, comment améliorer les perspectives d'accès à l'emploi des jeunes issus de l'immigration dont on sait qu'elles ne sont pas satisfaisantes et qu'elles ne s'améliorent pas. Sans naturellement apporter ici les réponses à ces questions, je voudrais quand même dire, en ce qui concerne les jeunes, mon souhait de voir reprises les actions d'insertion par l'économique. Je pense que la mise en oeuvre du RMI va redonner une nouvelle vigueur à ce type d'actions, qui peuvent apporter des réponses adaptées à la situation d'un certain nombre de jeunes en difficulté.
3. Le socio-culturel
Le domaine socio-culturel représente lui aussi environ 26 % du budget du F.A.S..
Il concerne des actions très diverses, trop diverses peut-être, se rapportant à l'action sociale, notamment en direction de la petite enfance et des femmes, à l'action culturelle et à différentes actions menées en partenariat avec différents ministères et des collectivités locales.
Dans ce secteur, l'arrivée des associations issues de l'immigration a été un facteur de renouvellement important. En permettant aux étrangers de se constituer librement en associations, le gouvernement, en 1981, a permis la naissance de centaines d'associations issues de l'immigration.
En ce qui me concerne, je souhaiterais qu'un bilan soit effectué de l'action menée par ces associations. Au-delà de cette demande, mon souhait est que dans ce secteur socio-culturel, comme dans les autres, les actions menées le soient bien en liaison avec les dispositifs de droit commun. Il faut favoriser l'intégration et ne pas marginaliser, même avec de bonnes intentions.
4. La réinsertion
Avec 3 % du budget du F.A.S., ce secteur est le plus faible du F.A.S.. Mais je ne souhaite pas qu'il soit abandonné, malgré l'évolution que l'on a pu observer au niveau de retour volontaire des immigrés dans leur pays d'origine.
Je vous ai dit tout à l'heure mon souhait de voir mettre en oeuvre ces projets de coopération avec l'appui et le concours des communautés immigrées résidant en France. C'est pourquoi j'ai saisi le ministre de la Coopération pour qu'une réflexion soit engagée entre nos deux départements ministériels à ce sujet.
Je sais que vous avez déjà financé diverses actions expérimentales dans ce domaine. Il conviendrait donc de s'appuyer sur l'expérience acquise pour améliorer la fiabilité de ces projets.
Voilà donc Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Administrateurs, ce que je souhaitais dire devant votre conseil.
Je propose maintenant que le débat soit ouvert aussi franchement que possible car, je l'ai dit au début de mon propos, si je tenais à vous présenter les grands axes de l'action gouvernementale dans le domaine de l'immigration je veux aussi prendre le temps de vous écouter pour nourrir ma propre réflexion sur ces questions. »