Interviews de M. Nicolas Sarkozy, secrétaire général du RPR, à TF1 le 23 juillet 1998 et dans "Le Monde" le 24, sur les dispositions fiscales du projet de budget 1999.

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Texte intégral

TF1 - 23 juillet 1998

Q - D'abord, une réaction à ce qu'on peut appeler une privatisation, que vous n'avez pas osé faire, vous, quand vous étiez au pouvoir ?

- « Non, mais c'est difficile d'être le ministre de la Défense de L. Jospin, parce que M. Richard avait annoncé le contraire, exactement le contraire il y a quinze jours. Moi, chaque fois que le Gouvernement décidera de privatiser, je dirai que c'est une bonne chose. Ce sont deux très grandes entreprises, l'entreprise Matra et l'entreprise Aerospatiale. Mais une question qu'on se pose : pourquoi ce qui est nécessaire pour Aerospatiale, on l'a interdit à Air France ? Pour faire plaisir au ministre communiste des Transports, il y a quelques mois ? »

Q - Alors, dans une interview au Monde ce matin, vous critiquez sérieusement le plan de budget du gouvernement Jospin. Pourtant, il reprend des thèses de la droite, en particulier sur la taxe professionnelle !

- « Une hirondelle ne fait pas le printemps, et une contradiction de M. Jospin ne fait pas une politique de droite, en tout cas une politique pour préparer l'avenir de la France. »

Q - Enfin, vous êtes d'accord avec lui, pour cette opération sur la taxe professionnelle! C'est un ballon d'oxygène pour les entreprises !

- « Non, non. Qu'est-ce qui se passe ? La croissance est revenue - et cela, c'est une bonne chose, c'est une bonne chose pour la France, et tant mieux pour les socialistes, ils en profitent - la croissance est revenue pour deux raisons. Il y en a une qui est très importante, c'est grâce à la mondialisation. Quand on critique la mondialisation, on oublie que c'est grâce à la croissance étrangère qu'il y à de la croissance en France. Et l'autre raison, c'est parce que les gouvernements précédents, de Balladur et de Juppé, avaient fait un travail d'assainissement très important. Et aujourd'hui, le grand débat, c'est de savoir qu'est-ce qu'on fait des fruits de la croissance ? »

Q - Et vous trouvez que c'est une mauvaise utilisation ?

- « Il y a un certain nombre de points qui posent problème, et qui créent clivage entre nous. D. Strauss-Kahn choisit d'augmenter massivement les dépenses publiques. Elles vont augmenter, l'an prochain, deux fois plus vite que l'inflation. Alors que nous sommes, de tous les pays développés, celui qui à le plus grand nombre de dépenses. La question qui se pose, c'est que les recettes de la croissance durent autant que la croissance dure. Si la croissance ne dure pas, on a les dépenses qui, elles, vont continuer à croire. C'est un mauvais choix. Il y a un deuxième mauvais choix, me semble-t-il, c'est qu'il faut profiter des recettes de la croissance pour baisser le déficit, et ne pas se retrouver dans la situation de Rocard à la fin des années 80. Avec les objectifs de D. Strauss-Kahn, il faut savoir que l'an prochain, la France sera le mauvais élève de la zone euro. Alors quand aux baisses d'impôts, elles sont homéopathiques. C'est extraordinaire ! J'ai entendu dire qu'on baisse… »

Q - Ce sont des baisses d'impôts, quand même ?

- « Oui, mais parlons-en, c'est très simple. On nous dit : on baisse la TVA. Rendez-vous compte : on baisse la TVA sur l'abonnement d'EDF, c'est-à-dire pas sur la consommation ! »

Q - C'est bien pour les plus modestes ?

- « Enfin, c'est très bien, mais enfin chacun qui paye son EDF sait très bien que l'abonnement, c'est la toute petite part. Les droits de mutation ? On les baisse : cela va dans le bon sens. Il faut quand même savoir qu'après cette baisse, on sera au double des droits de mutation en Angleterre et en Allemagne, donc il y a un retard considérable ! Et alors, il y a la taxe professionnelle, cela, c'est formidable ! Cela va dans la bonne direction, mais c'est exactement le contraire de toute la politique qui a été mise en oeuvre par le gouvernement socialiste, qui a arrêté la politique d'allégement des charges sur les bas salaires que nous avions engagées. Il me semble que c'est une erreur de ne pas faire des baisses d'impôts plus fortes. Il y a des oubliés dans ce budget. Pas un allégement d'impôt pour les classes moyennes et pour les familles. Et pourquoi c'est grave ? Parce que la croissance, c'est aussi le produit du travail de ces classes moyennes et de ces familles qui ont été matraquées fiscalement par madame Aubry lorsqu'on a démantelé la politique familiale. Pas un centime de baisse d'impôt pour elles. »

Q - Vous critiquez durement ce budget. Si vous étiez à sa place, et vous l'avez été, que feriez-vous ?

- « D'abord critiquer durement, pardon, mais je sais que dans cette période d'unanimisme, il faut saluer le génie de L. Jospin. Peut-être que vous me permettrez d'émettre un jugement. Moi je ne suis pas socialiste. Quand ça va dans le bon sens, je le dis, comme la taxe professionnelle, mais sur le reste non. Qu'est-ce qu'il fallait faire ? Nous sommes un pays écrasé d'impôts. Nous avons 400 milliards d'impôts, de charges et de taxes de plus que nos partenaires allemands. On parle de l'Europe et de la construction européenne. J'y crois. On parle de l'harmonisation de l'axe franco-allemand. Savez-vous que le taux moyen de TVA des Allemands est à 16 %. Nous sommes à 20 %. Or Strauss-Kahn dit : on n'augmente pas l'essence. Mais on augmente le gazole. Je ne suis pas contre qu'on rapproche le prix du gazole et celui de l'essence. Mais pourquoi on rapproche le prix en augmentant le gazole ? Il y avait une autre solution. Il suffisait de baisser l'essence. Donc plus de réduction du déficit, plus de baisse d'impôts et surtout profiter des fruits de la croissance pour faire les réformes structurelles dont l'Etal a besoin. »


Le Monde : 24 juillet 1998

Q - Comme vous avez toujours milité pour une politique d'allégement fiscal, allez-vous féliciter le gouvernement, qui vient d'annoncer 16 milliards de francs de baisse des impôts pour 1999 ?

- Avant de le faire, j'aurai la sagesse d'attendre le mois de septembre. J'ai été ministre du budget et je sais d'expérience qu'il faut attendre cette époque pour connaître tous les détails d'un projet de loi de finances, car, dans l'intervalle, il y a des enthousiasmes qui peuvent être échaudés.

Q - Vous ne voulez pas admettre que le gouvernement joue habilement au retour de la croissance ?

- Que la croissance soit de retour, c'est incontestable et c'est une très bonne nouvelle pour la France. Encore faut-il en cerner les raisons. Pour ma part, j'en vois deux. La première, qui est la plus importante, c'est que la reprise française a été alimentée pendant de longs mois par les exportations, c'est-à-dire par la demande étrangère - tous ceux qui se plaignent des inconvénients de la mondialisation mais ne veulent pas en admettre les effets bénéfiques seraient bien avisés de ne pas l'oublier. En second lieu, le gouvernement bénéfice d'une bonne conjoncture qui provient de la politique d'assainissement des finances publiques conduite depuis 1993 par l'ancienne majorité avec les gouvernements d'Edouard Balladur et d'Alain Juppé. Tant mieux pour la France et tant mieux pour lui, mais la vérité commande de dire qu'il n'y est pas pour grand-chose. Mais la grande question reste posée : puisque la croissance va procurer des marges budgétaires de 55 à 60 milliards de francs en 1999, comment les utiliser au mieux ? Je crains précisément que le gouvernement Jospin ne les utilise en dépit du bon sens.

Q - Pourquoi en dépit du bon le sens ?

- J'observe d'abord que le gouvernement compte majorer les dépenses de l'Etat, en 1999, de 2,2 % en valeur, soit le double de l'inflation prévisible. Alors qu'il conviendrait de réduire les dépenses, ce qui a été fait en 1997, avant l'arrivée de Lionel Jospin, je regrette profondément que ce dernier fasse l'inverse. Et les contribuables doivent mesurer qu'on ne leur sert là que quelques apéritifs, car après, ils auront droit aux plats de résistance, lorsque les différentes bombes à retardement budgétaires auront éclaté : on leur demandera de financer les emplois Aubry, qui conteront 35 milliards de francs à partir de l'an 2000, et la réforme des 35 heures. Dans ce dernier cas, je crains que la facture n'atteigne 50 milliards de francs par an, soit le tiers des recettes de l'impôt sur les sociétés.

Q - Pourquoi réduire à toute force les dépenses, même quand la croissance est solide ?

- Qui vous assure que le surplus de recettes de la croissance sera définitif ? Je crains que nous n'ayons encore rien vu des conséquences de la crise asiatique. Et, en tout état de cause, rien ne nous assure que ce cycle, de croissance sera long. Il faut donc, sans attendre, réduire les dépenses et aussi les déficits. J'ai le regret de constater qu'avec les objectifs de Dominique Strauss-Kahn, la France demeurera le mauvais élève des pays de la zone euro. De 1993 à 1997, chaque année, le déficit a été diminué d'un point de PIB. En 1998, les socialistes ont malheureusement stoppé ce mouvement. De surcroît - et c'est un autre désaccord fort que j'ai avec ce gouvernement -, j'estime que c'est en période de croissance qu'il est le plus facile de conduire des réformes de structure. Or, dans ce domaine, rien n'est fait : la réforme de l'Etat est en panne et le gouvernement n'engage pas une politique de réduction des effectifs de la fonction publique, ce qui est, une faute grave. Comme disait André Bergeron, c'est pourtant en période de forte activité qu'il y a du « grain à moudre » et que l'on peut donc conduire une restructuration ambitieuse.

Q - Pourtant, le gouvernement ne gaspille pas les dividendes de la croissance, puisqu'une partie de celle-ci sera affectée à un allégement de la taxe professionnelle…

- J'approuverais bien volontiers la mesure, mais je ne peux m'empêcher de souligner que, ce faisant, le gouvernement change totalement de discours pour reprendre celui qu'a toujours tenu l'opposition. Nous n'avons, en effet, cessé de répéter que le principal frein à l'emploi, dans notre pays, est le coût du travail. Je suis donc ravi de voir le gouvernement changer de doctrine pour se ranger à la nôtre, mais, dans ce cas, Lionel Jospin ne pourra pas éluder la question : pourquoi supprime-t-il la part salariale de la taxe professionnelle, alors que dans le même temps, il a décidé de donner un coup d'arrêt à la politique de réduction des charges sociales que nous avions engagée sur les salaires ? Il y a, là, beaucoup d'incohérence...

Q - Même la mise en place d'une fiscalité écologique ne trouve pas grâce à vos yeux ?

- Si. Je peux par exemple comprendre la logique qui conduit le gouvernement à souhaiter réduire l'écart de fiscalité entre le gazole et l'essence, de sorte que les produits les plus polluants ne soient pas nécessairement les moins taxés. Mais pourquoi faut-il nécessairement que l'harmonisation se fasse à la hausse et pas à la baisse ? Ce n'est pas la fiscalité sur le gazole qu'il faut majorer, c'est celle sur l'essence qui doit diminuer.

Q - Allez-vous défendre les huit cents grosses fortunes qui vont être assujetties à un nouveau taux majoré au titre de l'impôt sur la fortune ?

- Ce n'est pas le nombre de contribuables concernés qui importe, mais le signe que le gouvernement envoie. Son souci, c'est de faire plaisir aux communistes et de sacrifier à certains rites, que la gauche affectionne et qui la conduit à mener une politique archaïque.

Mais Il faut bien mesurer les conséquences de tout cela : tandis que le gouvernement était tout entier absorbé par ses marchandages, en coulisse, avec les Verts et le PCF pour concocter un budget qui ait la bénédiction de tous, il n'a pas vu venir l'accord entre les places boursières de Francfort et de Londres et la place de Paris n'a pas pu se mettre sur les rangs. C'est une erreur grave. Isoler la Bourse de Paris, c'est priver nos entreprises des moyens d'investir pour financer leur développement, et donc l'emploi.

Q - Approuvez-vous la baisse de la TVA sur les abonnements d'EDF-GDF ?

- C'est une aimable plaisanterie. Tous les abonnés savent lire leur facture et savent pertinemment que ce qu'ils paient en consommation est autrement plus lourd que les frais d'abonnement. Il fallait donc aller beaucoup plus loin. C'est une autre incohérence de Lionel Jospin : il affiche des convictions européennes, mais, en matière fiscale, il n'en tire aucune conséquence. Faut-il lui rappeler que le taux normal de TVA, en Allemagne, est de 16 %, alors qu'il est de 20,6 % en France ?

Q - La baisse de la TVA, c'est pour vous la priorité ? Où y en a-t-il d'autres ?

- Si j'ai un reproche majeur à adresser à ce gouvernement, c'est de ne tenir aucun compte des classes moyennes. On leur a supprimé de nombreux avantages, comme ceux liés à la politique familiale ou aux emplois à domicile, et rien n'est fait aujourd'hui en leur faveur. Alors que le retour de la croissance est aussi le fruit de leur travail, elles sont les oubliées de ce projet de budget qui ne prévoit pas de baisse de l'impôt sur le revenu.

Q - Oui, mais les taxes sur les ventes de logements vont baisser à moins de 6 %, et cela intéresse au premier chef les classes moyennes…

- Certes, mais en Grande-Bretagne comme en Allemagne, le prélèvement n'atteint pas la moitié de ce taux, ce qui permet de mesurer le fossé qui sépare la France de ses grands partenaires européens en matière de prélèvements obligatoires.