Déclarations de Mme Simone Veil, ministre des affaires sociales de la santé et de la ville, et M. Philippe Douste-Blazy, ministre délégué à la santé, sur les enjeux du sommet mondial des chefs de gouvernement sur le SIDA devant se dérouler à Paris en décembre 1994, Paris le 17 juin 1994.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Réunion préparatoire au sommet mondial sur le SIDA, à Paris les 17 et 18 juin 1994.

Texte intégral

Mesdames, messieurs,

Je voudrais tout d'abord remercier la cellule des personnes atteintes du VIH/SIDA qui participe à la préparation du Sommet mondial sur le Sida d'avoir pris l'initiative d'organiser cette rencontre d'accueil des réseaux internationaux d'ONG qui vont participer à la réunion préparatoire des 17 et 18 juin.

Je remercie aussi le Pr. Gentilini de nous offrir l'hospitalité ce soir et de marquer ainsi tout l'intérêt qu'il porte au rôle des ONG dans la lutte contre le Sida dans le monde.

Je voudrais d'abord rendre hommage à l'engagement des personnes atteintes par le virus du sida et à leurs associations. Vous pourriez, dans cette phase de votre vie, vous concentrer sur votre combat personnel. Au contraire, vous avez décidé de vous engager dans une démarche de solidarité: solidarité avec les autres personnes atteintes, solidarité avec l'ensemble de la société, que vous pressez d'accroître les mesures nécessaires au contrôle de l'épidémie.

Dans le développement de la solidarité internationale, vous avez aussi un rôle important à jouer, et je suis heureuse que vous soyez là, venus de Zambie, du Canada ou de France, pour préparer avec nous ce sommet des chefs de gouvernement visant à renforcer la lutte contre le Sida dans le monde. Le combat que nous menons contre le Sida, nous devons le mener avec les personnes atteintes.

Aux côtés de ces personnes, nombreux sont ceux de leurs familles ou de leurs proches, qui s'engagent dans la lutte contre cette épidémie. Ils ont constitué d'autres associations, représentées sur le plan international par le réseau ICASO, qui sont un outil essentiel de la lutte contre le Sida. Je souhaite que ce réseau international se renforce et que les associations françaises puissent y participer pleinement. Merci d'être venus du Nicaragua et du Canada débattre avec nous.

La lutte contre le Sida doit être intégrée à la lutte contre la misère et le sous-développement. C'est pourquoi nous avons voulu également inviter des ONG de développement à participer à notre réunion. Nous avons sollicité le Conseil international des agences bénévoles qui rassemble des ONG et des fédérations d'ONG de tous les continents. J'espère que le conseil pourra retransmettre dans le monde des ONG de développement les résultats des travaux que nous aurons menés ensemble.

La lutte contre le Sida n'est pas seulement un problème médical. Elle doit associer l'ensemble des forces vives d'un pays et l'ensemble de ses leaders d'opinion. Faire reculer le Sida nécessite des changements de comportement collectifs et individuels. Le Sida touche à toutes les dimensions de la vie, y compris la dimension spirituelle de l'être. C'est pourquoi nous avons voulu associer des responsables religieux à notre réflexion. La Conférence mondiale des religions pour la paix, qui a montré déjà son intérêt pour les questions qui nous rassemblent, doit jouer son rôle dans la lutte contre le Sida en associant les responsables religieux à la réflexion sur les enjeux de cette pandémie et en permettant aux responsables politiques et aux responsables religieux de travailler ensemble sur ces questions.

C'est tous ensemble, avec les représentants des États et les responsables des organisations internationales concernées, que nous pouvons espérer progresser dans le contre de cette pandémie, alors même que nous devons reconnaître que nous ne mesurons pas encore aujourd'hui toutes ses conséquences pour la société humaine.

 

Vendredi 17 juin 1994

Mesdames, Messieurs les ministres,
Mesdames, Messieurs les délégués,

Lors de mon voyage à Berlin, pour la conférence internationale sur le Sida, il y a juste un an, j'ai constaté que les responsables politiques n'avaient pas considéré que leur présence auprès des chercheurs, auprès des cliniciens, auprès des journalistes médicaux, auprès des associations qui participent en très grand nombre à ces rencontres, pouvait avoir un intérêt. Constatant que l'effort international de lutte contre le Sida avait tendance à régresser et en tout cas ne se développait pas aussi vite que l'épidémie, nous avons pensé, madame le ministre d'État et moi-même, qu'une initiative internationale visant à renforcer cet effort par une mobilisation des responsables politiques était de première urgence.

Il est vrai que notre pays a de bonnes raisons pour se trouver en première ligne dans ce drame et j'en citerai quatre qui me paraissent primordiales :

En premier lieu, hélas, je dois, comme l'a rappelé madame Veil, dire à nouveau que notre pays est le plus touché d'Europe, avec près de 150 000 personnes atteintes et plus de 32 000 cas de Sida déclarés.

La seconde raison est notre situation géographique particulière. D'une part, en effet, la métropole française est à cheval sur l'Europe du Nord et celle du Sud et participe ainsi des deux modèles épidémiologiques correspondants : contamination homosexuelle au Nord ; contamination par voie intraveineuse au Sud. D'autre part, les départements d'outre-mer répondent au modèle épidémique de transmission essentiellement par voie hétérosexuelle, qui touche beaucoup plus les femmes et les enfants, comme on peut l'observer en Afrique par exemple.

La troisième raison est le rôle des équipes françaises de recherche dans la lutte contre le virus, ou premier rang desquelles celle du professeur Luc Montagnier à l'Institut Pasteur de Paris dont vous avez pu écouter le témoignage ce matin ici même.

Enfin, et ce n'est pas la moindre de ces raisons, la France entretien avec le continent africain des relations privilégiées depuis très longtemps qui nous ont amené à nous sentir directement concernés par la dimension internationale de cette épidémie et à comprendre, que dans ce domaine aussi, notre avenir était lié à celui du reste du monde.

Que peut-on faire pour relancer la lutte contre le Sida dans le monde ?

C'est l'objet de notre réunion d'aujourd'hui et de demain.

Je veux indiquer dès à présent trois préalables qui me paraissent indispensables :
- l'affirmation d'une volonté politique de très haut niveau ;
- un renforcement des moyens et surtout une amélioration de l'utilisation de ces moyens. En unissant nos efforts nous pouvons faire mieux ;
- la recherche continue de méthodes d'approches nouvelles.

Nous devons constamment innover avec vigueur et sans tabou, si nous voulons prendre de vitesse la croissance de cette épidémie et son extension à de nouvelles populations. La prévention est, en l'absence de traitement radical ou de vaccin efficace, le seul moyen d'arrêter ce fléau. Nous devons rechercher les racines des contaminations et en particulier r  lutter contre les causes de l'épidémie dans les populations les plus marginalisées qui sont aussi les plus vulnérables. Lutter contre le Sida n'est pas seulement un acte médical. Cette lutte nécessite un engagement à tous les niveaux : social, économique, culturel, religieux et politique. C'est pourquoi l'implication des chefs de gouvernement est nécessaire : eux seuls ont la capacité de mobiliser l'ensemble des administrations, de rassembler les forces vives de la nation, d'unifier les efforts de tous, malgré les divergences techniques, culturelles, religieuses ou politiques. Seuls les chefs de gouvernement peuvent jouer, avec l'appui de leur ministre de la santé, ce rôle de chef d'orchestre. C'est à nous, ministres de la santé, de convaincre, avec l'aide de nos collègues des affaires étrangères et de la coopération, nos chefs de gouvernement que tout comme la lutte contre le chômage ou contre les atteintes à l'environnement, la lutte contre le Sida nécessite, leur implication ainsi qu'une collaboration internationale.

Notre réunion d'aujourd'hui est une manifestation de la difficulté du dialogue Nord-Sud. Les pays bailleurs de fond de la lutte contre le Sida dans le monde avaient exprimé lors d'une réunion préparatoire tenue ici le 8 avril, leur désir de voir les pays en voie de développement associés tout au long du processus de préparation du Sommet des chefs de gouvernement.

En fait, j'ai constaté que les ministres des pays du Sud ont répondu avec plus d'enthousiasme à l'invitation de la France que mes collègues des pays du Nord. Je veux l'entendre comme une interpellation adressée aux chefs de gouvernement des pays du Nord.

Oui, les pays en développement sont conscients, quel que soit le développement de l'épidémie aujourd'hui dans leur pays, des enjeux sociaux, économiques, culturels et politiques soulevés par cette épidémie.

Oui, ils sont besoin de sentir la planète entière unie dans la lutte contre le Sida. C'est pourquoi je souhaite que le 1er décembre 1994, les chefs de gouvernement des pays du Nord soient ici nombreux aux côtés des chefs de gouvernement des pays du Sud pour déclarer la guerre, ensemble, à cette pandémie qui affligera l'humanité si nous ne réagissons pas à temps. Oui, Mesdames et Messieurs, il est possible de maîtriser cette épidémie. L'espoir existe.

L'année 1994 peut être un tournant dans l'histoire de la lutte contre le Sida, trop pleine de souffrances. C'est l'année de la définition d'une meilleure organisation des Nations Unies contre le Sida, grâce à ce programme des Nations Unies que la France, comme beaucoup d'autres pays, soutient pleinement.

1994 doit être aussi l'année au cours de laquelle un grand nombre de chefs de gouvernement affirment, par une déclaration commune mais aussi par des actes concrets, leur volonté de travailler ensemble pour améliorer le niveau de santé de la planète et pour faire reculer une menace nouvelle pour l'équilibre de notre monde.

Les chefs d'État et de gouvernement se sont rencontrés à Rio pour unir leurs efforts en faveur de l'environnement et du développement. L'an prochain ils se réuniront à Copenhague pour débattre du développement social. Si, en décembre 1994, ils se réunissent, pour s'engager sur le terrain de la protection de la santé, ils auront, j'en suis convaincu, contribué de manière déterminante à une meilleure organisation de la communauté internationale.

Si nous sommes ici aujourd'hui c'est aussi parce que beaucoup trop de nos concitoyens souffrent dans leur vie quotidienne des atteintes de ce virus. Ce combat, nous devons le mener avec les personnes atteintes, leurs familles et leurs proches. Une des caractéristiques particulières de la lutte contre la Sida est la mobilisation très forte des personnes atteintes par le VIH/SIDA.

Notamment par les associations connues, celles qui participent à nos travaux.

Ces personnes, ces associations lorsqu'elles se mobilisent, peuvent jouer un rôle à tous les  niveaux de la lutte contre le Sida : prévention, prise en charge des malades, recherche, respect des droits des personnes, solidarité internationale. Je veux ici rendre hommage à leur courage, à leur persévérance et à la contribution qu'elles ont apporté à la lutte contre le Sida. Si nous n'arrivons pas à associer les personnes atteintes et leurs proches dans la lutte contre le Sida, nous échouerons dans notre lutte pour faire reculer l'épidémie.

Enfin, je terminerai en rappelant que le thème de la journée mondiale contre le Sida le 1er décembre cette année sera "famille et Sida".

L'OMS a choisi là un thème très riche et parfaitement adapté à cette année internationale de la famille. Je forme le vœu que tous ensemble nous montrions, en faisant du sommet des chefs de gouvernement une réussite, que tous, chacun à notre place, dans nos pays respectifs, nous savons nous unir, par-delà nos différences de culture, de religion, pour lutter contre le Sida.

Je vous remercie de votre attention.