Texte intégral
F. Hollande : Je ne vois pas en quoi le budget était plus social. Ce n'est pas facile d'établir un budget dans notre contexte économique. Néanmoins, on se pose deux questions. Est-ce bon pour l'économie et est-ce équitable socialement ? La réponse à ces deux questions est très claire. Ce n'est pas bon pour l'économie car on va freiner la consommation avec les taxes dont on vient de parler. Les déficits sont, au mieux, stabilisés : ils représenteront – tous confondus – plus de 400 milliards de francs, Sécurité sociale et charges de la privatisation comprises, ce qui a un effet sur les taux d'intérêt et sur la Bourse. Ce n'est pas non plus très équitable socialement. Il y a des prélèvements sur la fiscalité indirecte, sur ce qui est la consommation des ménages de tout le monde. En revanche, il y a un dispositif fiscal qui poursuit un bon objectif – la création d'emplois à domicile, ce qui est tout à fait nécessaire – mais le moyen est-il le bon ? J'en doute tout à fait puisqu'on va donner 45 000 francs d'aide, de déductions d'impôts, à tous les ménages qui emploient une personne de service. Cela aurait été socialement plus juste de donner une allocation correspond à la prise en charge des cotisations sociales. J'ai fait le calcul : un ménage qui gagne plus de 35 000 francs par mois – peu de français sont concernés – ne va plus payer d'impôts sur le revenu dès lors qu'il a une employée de maison ! On leur donnera même un certificat de non-imposition qui leur permettra de ne pas payer la totalité de la taxe d'habitation et même d'être allocataire au titre de l'aide social ! On va faire sortir du champ de l'impôt sur le revenu des ménages qui ne sont pas les plus modestes du pays. L'objectif est bon : aider à l'emploi au domicile. L'instrument est désastreux au plan de l'équité.
J.-L. Hees : Votre constat est différent de celui de F. Hollande ?
P. : Vasseur : Il souhaiterait qu'on diminue les impôts et qu'on augmente la dépense publique. J'aimerai aussi pouvoir le faire. Malheureusement, il faudrait le courage de dire aux français qu'on ne peut pas. Nous avons un triple problème qui est posé par ce budget et qui se serait posé de toute façon à tout gouvernement et à toute majorité :
1. Nous avons l'impérieuse nécessité de réduire les déficits budgétaires et d'essayer de desserrer la contrainte de la dette. On ne peut aller plus loin. Si nous étions au ratio de dette que nous avions en 1980, nous serions dans une situation très confortable.
2. Il faut augmenter la dépense publique dans certains secteurs. Il faudra donc l'augmenter dans l'autre.
3. Il faut impérativement alléger les charges qui pèsent sur le travail et qui découragent l'emploi. C'est M. Delors qui le dit. C'est pour cela que je ne peux d'ailleurs pas suivre F. Hollande quand il dit : "On est en train d'alléger, cela va créer des emplois, mais après tout, on pourrait faire autrement". On peut toujours faire autrement. On peut prélever d'un côté, reverser de l'autre, faire la pratique des subventions. Ce budget est loin d'être parfait. Il y a des choses qui ne me plaisent pas trop : L'augmentation de la professionnelle, je ne comprends pas. C'est un impôt que tout le monde reconnaît comme étant un impôt imbécile et on va encore augmenter la taxe professionnelle ? On en débattra lors de notre discussion à l'Assemblée nationale. Il n'est parfait, mais c'est le budget qu'on était obligé de faire vu, la situation économique de notre pays.
J.-L. Hees : Un commentaire sur ce qu'a dit P. Vasseur ?
F. Hollande. : Je ne reviendrai pas sur le plaidoyer de P. Vasseur en faveur de J. Delors. Le pluralisme est bien respecté ! P. Vasseur a raison : la dette est le problème n° 1 des finances publiques françaises. Qui en a la responsabilité ? On pourrait jouer à Dieu. Je fais remarquer qu'en 93 il y avait 2 000 milliards de francs de dette. En 1994 il y en aura 3 000 milliards. Ce qui crée la dette c'est le déficit budgétaire qui a été constaté depuis deux ans. Cela ne peut plus durer. Si l'on veut aider à faire un gouvernement courageux il faudrait réduire beaucoup plus les déficits budgétaires. Ce qui se prépare là, après la campagne présidentielle – quel que soit le président de la République élu, même si c'est J. Delors comme P. Vasseur et moi-même nous le souhaitons – c'est qu'il y aura des augmentations d'impôts. Lesquels ? Ce sera peut-être le débat de la prochaine élection présidentielle. Sur les charges sociales, c'est vrai qu'il y a un problème sur les emplois non-qualifiés. Comment règle-t-on la question ? On fait des déductions fiscales qui vont aggraver les inégalités ? Ou on fait cela sous forme d'allocations ?
P. Vasseur : Je souhaite apporter une précision : je ne souhaite pas que J. Delors devienne président de la République parce que c'est sous J. Delors, ministre de l'Économie et des Finances, que nous avons commencé à connaître la grave dérive de l'endettement public.