Texte intégral
André Dumas : Comment un ancien ministre de l’Economie de droite juge-t-il ce budget 1999 présenté comme une réforme fiscale de gauche ?
Alain madelin : Je suis dans l'opposition, mais il faut que je résiste bien .évidemment à la tentation de tout critiquer par principe. Il y a de : bonnes choses ; il y a des choses moins bonnes ; il y a surtout ce qui n'est pas ce budget. Parmi les bonnes choses, pour les évacuer tout de suite, la baisse des droits de mutation, la déductibilité fiscale pour les entreprises innovantes - il faudra voir les modalités ; l'exonération de TVA des tout petits entrepreneurs ; la taxe professionnelle.
André Dumas : Le retour de la croissance n'aurait-il pas permis des mesures un peu plus audacieuses ?
Alain madelin : C'est ce qui n'est pas dans le budget. Il faudrait essayer de répondre à un certain nombre de questions si l'on veut juger ce budget en perspective de l'avenir. Est-ce que l'on diminue les dépenses publiques ? Non. Après une pause, elles augmentent de nouveau. Est-ce qu'on diminue la masse des prélèvements obligatoires qui en France est beaucoup plus importante qu’ailleurs ? Non. Est-ce qu'on incite les Français à mettre de l'argent de côté pour préparer un jour leurs retraites, car on sait que le système de retraites français va à la faillite ? Non. Je crois que nous ne profitons pas effectivement de l'embellie économique, de la croissance retrouvée pour faire les réformes de fond que nécessite notre pays. On consomme le présent ; on prépare mal l'avenir. Si la croissance se retourne, ce sera très fragile.
André Dumas : Le but affiché de L. Jospin était pourtant de présenter un budget qui puisse, avait-il dit, stimuler la croissance et l'emploi. Est-ce le cas ?
Alain madelin : Comme vous le savez, la croissance et l'emploi, ça vient pour une partie aussi de la situation internationale. Imaginez que la crise du Sud-est asiatique soit un peu plus importante que prévu, imaginez que sais-je encore, si la situation se retourne, alors là, franchement, on sera mal. C'est le reproche que je fais au Gouvernement, c'est de ne pas préparer l'avenir et de ne pas prendre les mesures... Il y a des tas de mesures qui ne sont pas prises ! Je vais prendre un exemple : on a augmenté, à tort ou à raison, en 1995 la TVA; deux points de TVA en plus, c'est beaucoup, mais avec à l'époque un objectif : assainir les finances publiques, permettre de desserrer les taux d'intérêt qui étouffaient l'économie, oxygéner l'économie pour retrouver la croissance - ça a marché - et atteindre l'euro. Aujourd'hui, l'objectif est atteint : il n'y a plus aucune raison de maintenir cette hausse de TVA ; la TVA explose dans ses recettes. Que les recettes nouvelles de TVA servent à baisser la TVA ! M. Jospin avait promis de baisser la TVA.
André Dumas : Mais est-ce si facile de baisser la TVA ? Il y a Bruxelles derrière !
Alain madelin : Non. Il y a deux choses : il y a d'une part diminué la TVA sur tel ou tel produit particulier, la restauration, le disque, etc. Cela, il faut le négocier avec Bruxelles. Et puis, il y a le fait d'augmenter ou de diminuer la TVA. Cela, c'est une décision d'un gouvernement. Un précédent gouvernement avait décidé d'augmenter la TVA à titre provisoire ; M. Jospin avait promis de la baisser; aujourd'hui, les circonstances sont réunies pour baisser la TVA. Que M. Jospin tienne ses promesses ! Ce sont ses promesses, ce sont les promesses de l'ancienne majorité : voilà qui aurait pu faire le consensus. Je crois qu'à partir du moment où M. Jospin décide de prolonger cette augmentation de TVA alors que les circonstances se prêtent à la diminution, il fait une erreur. C'est un exemple parmi d’autres.
André Dumas : La baisse de la taxe professionnelle, ça doit vous réjouir ?
Alain madelin : Oui. C'est une mesure libérale.
André Dumas : C'est bon pour les chefs d’entreprise ?
Alain madelin : C'est bon pour l'économie, pour l'emploi. C'est une mesure libérale. Elle a surpris à gauche, et elle a surpris de la part de la gauche. Pourquoi la gauche fait ça ? Enfin, c'est une bonne mesure, encore que je ne l'aurais pas tout à fait comme ça, parce que je crois que la mesure devrait s'inscrire dans une réforme d'ensemble de la fiscalité locale. Là, il faut que l’Etat compense, c’est-à-dire que les collectivités locales deviennent un peu plus dépendantes de l’Etat, et on n'est pas sûr que l’Etat va complètement compenser. Laissons cela de côté, ne boudons pas notre plaisir. On baisse la taxe professionnelle : c'est une mesure libérale, mais on peut s'interroger pour savoir pourquoi la gauche fait ça. Je vais vous donner mon opinion : c'est pour faire passer la pilule amère des 35 heures. Là, le compte n'y est pas, parce que quand vous regardez les chiffres d'une petite entreprise, vous savez que les 35 heures correspondent à une augmentation de 11 % de la masse salariale, et là, c'est un allégement de charges qui compte, mais d'un côté on donne 1, de l'autre on s'apprête à reprendre 5. Le compte n'y est pas.
André Dumas : L'ISF avec la tranche supérieure à 1,8 pour les patrimoines de plus de 100 millions : c'est pour dire aux communistes « Vous voyez, on fait payer les riches » ?
Alain madelin : Oui, puisque dans le même temps, vous savez que Bercy négocie au coup par coup avec les grandes fortunes leur exil à l'étranger. C'est profondément immoral et scandaleux. Je pense que le ministre de l’Economie et des Finances n'est pas dupe de cet artifice destiné à faire plaisir aux communistes.
André Dumas : Comment va la droite aujourd'hui...
Alain madelin : Attendez, encore un mot sur le budget : il y a une mesure qui me... On fait plaisir aux communistes avec l'ISF; on fait plaisir aux écologistes avec ce qu'on appelle la fiscalité écologique.
André Dumas : On tient comptes de desiderata des partis frères de la gauche plurielle.
Alain madelin : Oui, mais il ne faut pas se moquer du monde : en réalité, on va augmenter les taxes sur le diesel. C'est une augmentation d'impôt. Ce n'est pas parce qu'on la badigeonne de vert que cette augmentation d'impôt est une bonne chose.
André Dumas : 9 centimes par litre l'an prochain.
Alain madelin : Oui, pendant plusieurs années. Je trouve qu'il y a énormément d'hypocrisie, car à l'heure actuelle, le diesel français coûte encore plus cher que chez la plupart de nos partenaires européens : le diesel français est plus cher que le diesel allemand, plus cher que chez les Luxembourgeois. Nous avons donc déjà le record des taxes sur l'essence et sur le diesel ; s'il devait y avoir une fiscalité écologique sur l'essence ou le diesel, nous avons déjà le record du monde de cette fiscalité. Je trouve que ce n'est pas une bonne chose, parce que dans les campagnes, il y a des tas de gens qui achètent un diesel parce que ça coûte moins cher à l'année, parce que cela permet de faire les 30 ou 40 kilomètres qui vous séparent de votre lieu de travail…
André Dumas : Que faites-vous de la pollution ?
Alain madelin : Ce n'est pas vrai, la pollution ! D'abord, la pollution, autant en ce qui concerne les diesels, ce sont les vieux diesels qui polluent. En plus, ce n'est pas forcément le diesel, ce sont aussi les vieilles voitures. En plus, ce sont les camions qui utilisent le diesel et qui polluent, et justement, on va exonérer les camions de tout cela. Il y a donc énormément d'hypocrisie dans cette affaire. Quand je regarde les documents budgétaires qui nous ont été donnés hier, ils disent - je vous lis - "le fait que le gazole soit moins cher favorise l'utilisation de la voiture privée au détriment des transports collectifs“. C'est un choix idéologique : on veut pénaliser l'utilisation de la voiture privée pour les transports collectifs. Franchement, dans les campagnes où on utilise beaucoup le diesel, ceci n'a pas beaucoup de sens.
André Dumas : La droite, elle se retape, se recompose ?
Alain madelin : Il y a du boulot. Elle est totalement à reconstruire, c'est une évidence. On va s'y employer. Ce que je fais avec mes amis libéraux de Démocratie libérale, notre choix est clair : nous voulons une opposition unie, parce que divisée, c'est assurer les socialistes de rester au pouvoir ; renouvelée, avec un projet libéral - on y travaille - et un enracinement populaire.
André Dumas : Avec toujours beaucoup, et même trop d'ambitions personnelles ?
Alain madelin : Les gens ont le droit d'affirmer leurs points de vue ; le problème, c'est que ça se fasse dans un cadre amical et concerté. Nous n'avons pas d'échéances électorales décisives avant 2001 et 2002. Le match, la demi-finale, c'est 2001 : les élections municipales ; la finale, c'est 2002, avec les élections présidentielles et législatives. Donc, cela demande dès maintenant un travail sérieux, une longue préparation. Je vous ai dit pour ma part le sens dans lequel je travaille pour être en mesure le jour venu de gagner les matchs. Il y a un match intermédiaire, me direz-vous : l'élection européenne de l'année prochaine. Ce n'est pas décisif, bien évidemment, puisque ce n'est pas un enjeu de gouvernement. Sur cette élection européenne, mon opinion est claire : il faut que l'opposition aille unie à cette élection européenne. Je n'imagine pas que l'on puisse aujourd'hui souhaiter l'union de l'opposition en septembre ou octobre pour vouloir la diviser en novembre-décembre.
André Dumas : Et le regroupement-surprise annoncé hier soir entre l'Aérospatiale et Matra ?
Alain madelin : Sous réserves d'un examen plus technique, cela va bien évidemment dans le bon sens.