Texte intégral
Q - Après 40 ans d'usage, la Constitution a-t-elle besoin d'un toilettage ou une refonte ?
Toutes les constitutions naissent du besoin de la société au moment où on les élabore. En 1958, la société française avait besoin de l'autorité et de la stabilité du pouvoir exécutif. Eh bien ! Depuis 40 ans, La Constitution de la Ve République a assuré cette stabilité, il faut lui en rendre hommage. En même temps, elle a fait la preuve de sa souplesse. On la disait faite sur mesure pour le général de Gaulle, mais ses successeurs l'on fait fonctionner à leur tour. Désormais, elle est acceptée et soutenue par la gauche aussi bien que par la droite.
Q - Alors tout va bien ?
Pas tout à fait. Depuis une douzaine d'années, les alternances se sont répétées à un rythme jamais vu. Vous me direz : c'est le jeu de la démocratie et le fait que la Constitution ait résisté à ces chocs prouve sa solidité. Le problème est que ces alternances successives ont entraîné trois cohabitations. Tant et si bien que, de 1986 à 2002 (si les choses restent en l'état), en seize ans donc, nous aurons vécu neuf années de cohabitation. Or, qu'est-ce qu'une cohabitation ? C'est le partage du pouvoir exécutif entre le Président et le Premier ministre, mais comme ce pouvoir n'est pas partagé juridiquement par la Constitution, il existe des risques de confusion et de conflit. Prenons l'exemple de la défense. Le Président est le « chef des armées », mais le Premier ministre est responsable de la Défense nationale. Comment départager les rôles ? Jusqu'à présent les conflits majeurs ont été résolus dans le secret. Nul ne peut affirmer qu'il en ira toujours ainsi.
Q - Pour garder à l'exécutif sa stabilité et son efficacité, faut-il répartir autrement les compétences entre le Président et le Premier ministre ?
Il y a deux voies possibles, en dehors du simple statu quo. On peut soit institué un vrai régime parlementaire, c'est-à-dire affaiblir le Président et renforcer le Premier ministre ; soit instituer un régime présidentiel qui, au contraire, renforcerait le Président et réduirait ou, même, ferait disparaître la fonction de Premier ministre. Préciser simplement les rôles respectifs de chacun ne nous mènera pas très loin. Je crois qu'il faut aller vers une réforme plus fondamentale de nos institutions, un peu trop à géométrie variable au gré des circonstances politiques et des changements de majorités parlementaires.
Q - Ne suffirait-il pas d'institutionnaliser la pratique entre un Président prééminent en matière de politique étrangère et de défense et un Premier ministre responsable politique intérieure ?
C'est difficile. Où commence la « politique étrangère » ? Les questions européennes constituent au moins la moitié de notre politique intérieure. Les décisions prises au Conseil européen, auquel participent et le Président et le chef du gouvernement, concerne la politique intérieure. La répartition des rôles est quasi impossible à opérer avec précision. Dans le système actuel, il ne peut être question de déposséder le Président de son rôle en matière de politique intérieure, pas plus que le Premier ministre du sien en matière de défense et de politique européenne. Il doit coopérer l'un avec l'autre. La cohabitation étend le pouvoir du Premier ministre et restreint celui du Président, pas en droit mais en fait. Dans la mesure où la Constitution est obscure tout dépend du rapport des forces politiques, selon que c'est le Président ou le Premier ministre qui est le chef de la majorité parlementaire.
Q - En quoi consisterait le régime présidentiel « à la française » qu'a votre préférence ?
Dans le droit fil de ce qu'a voulu le général de Gaulle, il consisterait à privilégier la stabilité et l'efficacité, et donc l'unité de l'exécutif. C'est-à-dire que le Président serait rendu indépendant des changements de majorité parlementaire. Cela entraînerait des conséquences, à commencer par la durée du mandat présidentiel, qui devrait être identique pour le Président et pour l'Assemblée nationale, autrement dit 5 ans, une durée qui correspond mieux que le septennat au rythme de la vie moderne. Autre conséquence : que l'on conserve ou non la fonction de Premier ministre, celui-ci ne serait plus responsable devant l'Assemblée. Il ne dépendrait que du Président pour sa nomination comme pour son départ ; il mettrait en oeuvre la politique décidée par celui-ci.
Q - A partir de là, comment réglerait-on les conflits entre le Président et l'Assemblée nationale ?
Le droit de dissolution serait maintenu, mais avec un usage limité : une seule fois au cours de l'exercice du mandat présidentiel. On peut aussi étendre l'usage par le Président du recours au référendum, pour faire arbitrer un conflit entre l'Assemblée et lui par le peuple. Mais il faudrait doter également le Parlement de pouvoirs plus importants, en matière d'établissement de l'ordre du jour, d'initiative législative, de contrôle du gouvernement et d'enquête. Les Français sont attachés à des institutions qui organisent la stabilité de l'exécutif, en temps normal et pour l'essentiel en faveur du Président. Pour eux, c'est ça la Ve République. Pourtant, si la cohabitation, celle-ci, la prochaine ou la suivante, débouchait sur un conflit grave, le problème que je soulève se poserait. La seule façon de garantir durablement la stabilité et la continuité du pouvoir gouvernemental, c'est le régime présidentiel.
Q - A propos des pouvoirs du Parlement, n'est-il pas temps de freiner la boulimie de production des lois ?
Vous avez raison. Pour éviter cette prolifération, il faudrait revenir à l'application de l'art. 34 de la Constitution (aujourd'hui complètement oublié !) qui délimite très précisément le champ de la loi et le restreint à l'essentiel. D'autre part, je souhaite que l'on fasse un effort de codification et qu'on réduise le volume des textes en vigueur : notre droit est devenu trop compliqué, donc inapplicable. La loi doit être simple et claire dans une démocratie, sinon le citoyen devient la victime des experts.