Texte intégral
LE FIGARO du 03 septembre 1998
Le Figaro :
L’opposition saura t-elle un jour se reprendre ?
Édouard BALLADUR :
Le premier devoir de l’opposition consiste à représenter un espoir pour l’avenir. Les problèmes de personnes et d’organisation seraient ramenés à leur juste place si elle manifestait une grande cohérence sur les idées et bâtissait un projet. Je le crois, je demeure optimiste. A cet effort, j’ai souhaité apporter ma contribution en redirigeant un projet d’action pour les années à venir.
Le Figaro :
L’intégration de Jacques Blanc au groupe Démocratie libérale de l’Assemblée a mis le feu aux poudres. A tort ou à raison ?
Édouard BALLADUR :
Si véritablement le souci de l’opposition est de représenter un espoir, de bâtir un projet d’avenir, elle doit le faire de façon cohérente et sur les idées qui sont siennes et pas contraire aux siennes. Une attitude a été définie par les dirigeants de l’opposition, elle doit être respectée par tous.
Le Figaro :
La mise en examen d’Alain Juppé peut-elle fragiliser le président de la République et ancien maire de Paris ?
Édouard BALLADUR :
Alain Juppé est un homme de bonne foi. Je lui fais confiance. Quelle nécessité de poser le problème du chef de l’État qui n’est pas concerné, sauf à vouloir, à toute force, politiser cette affaire ?
Le Figaro :
Avant de décliner vos « propositions pour une voie nouvelle », vous analysez la situation de la France et jugez qu’elle « régresse » alors qu’elle semble aller mieux. Pourquoi ce pessimiste ?
Édouard BALLADUR :
Si notre pays va mieux, en réalité, il se porte moins bien que les autres. Sans s’en rendre compte, il régresse par rapport à eux. La France connaît plus de chômage que les autres, plus d’impôts et de déficits, plus de réglementation, un système de formation des jeunes inadapté, un sentiment croissant d’insécurité. A ces maux, le gouvernement n’a encore apporté aucun remède. Qu’a t-il fait en matière budgétaire ? M. Delors comme M. Trichet jugent que la diminution des dépenses est insuffisante tandis que la commission de Bruxelles estime que la France est, des Quinze, le pays qui a le déficit structurel le plus important. Qu’a fait le gouvernement pour réformer la Sécurité sociale ? A ce jour, rien de sérieux. Et pour diminuer le chômage, il a choisi les plus mauvaises solutions ! Celles qui font intervenir l’État en finançant des emplois artificiels sur fonds publics. Celles qui organisent la contrainte, plutôt que de recourir au contrat, pour réduire la durée du travail alors que la France est déjà le pays où la durée du travail, au cours d’une vie, est la plus faible.
Les vraies réformes – donner plus de libertés, réduire les dépenses publiques, abaisser les impôts, élargir la part du contrat et de la libre volonté dans la vie sociale, assouplir le droit du travail, baisser les charges sur les salaires -, il ne les a pas faites. Pourtant en 1997, nous lui avons laissé une bonne situation de croissance. Mais au lieu d’utiliser cette chance pour lancer toutes les réformes nécessaires, il n’a pris aucune décision courageuse dans aucun domaine. Au contraire, il a flatté les habitudes des Français sans les appeler à l’effort et à la lucidité ! C’est là tout mon regret et mon inquiétude.
Si nous avions, à notre tour, être atteints par la tourmente mondiale, la période 1997-1998 laisserait le sentiment, comme la période 1988-1993, d’un énorme gaspillage de nos chances.
Le Figaro :
Vous craignez une récession mondiale ?
Édouard BALLADUR :
J’ai toujours pensé que l’ultralibéralisme n’était pas adapté à la France, pas davantage à l’état du monde. J’ai toujours été convaincu que la liberté avait besoin d’un ordre respecté par tous, d’une règle du jeu sur le plan intérieur comme sur le plan international. Aujourd’hui, nous constatons que faute d’avoir su réformer à temps le système international, comme je n’ai cessé de le réclamer, le monde traverse une grave crise monétaire et financière qui compromet sa prospérité économique et remet en cause la croissance. Personne ne paraît plus penser que l’Europe occidentale va rester à l’abri de cette tourmente mondiale. Dès lors, la réduction des déficits serait encore plus difficile et l’embellie que nous connaissons aujourd’hui sur le chômage serait de courte durée. C’est pourquoi le gouvernement ne devrait pas rester immobile.
Le Figaro :
Davantage de libertés et moins de contraintes : c’est autour de cette idée que vous avez voulu articuler votre projet.
Édouard BALLADUR :
Il exprime cette conviction qu’il faut davantage de liberté, parce que c’est plus efficace et plus conforme à la dignité de l’homme qui doit être rendu responsable de ce qu’il fait. Mais si je plaide pour moins de réglementation et plus de contrat dans la gestion de la société, j’insiste aussi sur la nécessité d’un monde mieux organisé avec une règle du jeu, respectée par tous. Les vrais libéraux ne sont pas partisans de l’anarchie.
Le Figaro :
Si l’opposition revenait au pouvoir, laquelle de vos propositions devrait être prioritaire ?
Édouard BALLADUR :
La priorité des priorités reste la diminution du chômage. Je propose que la France se fixe comme objectif de parvenir, dans un premier temps, à un taux de chômage de l’ordre de 7 %, ce qui veut dire le réduire d’un tiers, soit d’un million en cinq ans, 200 000 par an.
Le Figaro :
Pour inciter les chômeurs à reprendre un travail, vous proposez la création d’un « impôt négatif ».
Édouard BALLADUR :
Chacun peut constater aujourd’hui que notre système social aboutit à cette situation absurde où une personne privée d’emploi n’a parfois que peu ou pas d’intérêt, du moins en termes financiers, à reprendre le travail. D’autres pays que le nôtre ont été confrontés à pareille situation. Ils s’en sont sortis en mettant en place des dispositifs d’incitation à la reprise du travail. Le plus efficace d’entre eux a pris la forme d’un impôt négatif qui a pour but de creuser l’écart entre le revenu de ceux qui reprennent le travail et celui de ceux qui restent dans l’inactivité, afin d’inciter ces derniers à rechercher un emploi.
Cet impôt négatif consisterait en une aide financière de l’État, accordée à toute personne au chômage qui retrouverait une activité. Son montant augmenterait avec le revenu d’activité jusqu’à un certain point, au-delà duquel il commencerait à de croître peu à peu.
Je suis également partisan du développement de l’actionnariat populaire. Cette idée était considérée comme un peu démodée quand j’ai lancée et mise en œuvre en 1986. Aujourd’hui, tout le monde reconnaît que la seule façon de faire en sorte que les Français se sentent partie prenante du progrès de la société, c’est de les rendre plus largement propriétaires des entreprises de leur pays. En outre, c’est un élément de stabilité et de solidité de l’économie.
Le Figaro :
Au-delà de la sphère économique, vous plaidez pour une réforme profonde de la société.
Édouard BALLADUR :
Il faut mettre fin à cette sorte de mal de vivre qui règne dans la société française. On parle aux Français de crise depuis trop longtemps. D’où un certain nombre de peurs : peur du chômage, de l’exclusion, peur de l’autre, de l’insécurité, du monde extérieur, de l’Europe. La responsabilité du pouvoir est de faire en sorte que les Français sentent qu’ils sont dans la bonne direction. Il faut leur donner une ambition nationale qui permette à chacun de se sentir mieux armé et plus responsable de son propre avenir.
Le Figaro :
Comment s’y prendre ?
Édouard BALLADUR :
Il faut commencer par l’école. Nous avons un système scolaire qui a eu ses heures de gloire et de très grand prestige. Il a formé et intégré des générations d’enfants. Actuellement, il a dû mal à jouer le rôle du creuset républicain et de bonne préparation à l’emploi. C’est d’abord une question d’état d’esprit : mais là aussi, il faut libérer, contractualiser, décentraliser.
Il faut redonner force et vie à la fierté d’être membre de la communauté nationale. Pour cela, on ne peut pas tout attendre de l’État, il faut aussi un mouvement collectif des esprits. Si les familles ne veulent pas exercer leurs responsabilités envers leurs enfants, si les maîtres ou les professeurs ne sont pas mis en mesure d’exercer leur autorité, cela ne marchera pas.
Le Figaro :
Vous souhaitez que le projet de l’opposition soit soumis tout au long de son élaboration à l’appréciation de ses électeurs. Vous l’avez demandé à plusieurs reprises. Il ne semble pas que vous ayez été entendu…
Édouard BALLADUR :
Je suis convaincu que l’avenir de l’opposition sera d’autant mieux assuré qu’elle aura su faire l’union sur des idées et pas sur des intérêts transitoires et contradictoires et qu’elle aura su associer les Français à l’élaboration de son projet. A ces deux conditions, elle pourra les reconquérir car l’embellie dont bénéficient les socialistes est due beaucoup plus à nos lacunes qu’à leurs qualités.
Mon projet sera rendu public d’ici la fin du mois après avoir été envoyé aux responsables politiques et économiques. Je ne prétends pas qu’il doive s’imposer. Il y a des points sur lesquels je serais surpris d’être approuvé par tout le monde. Nous en discuterons.
Le Figaro :
La droite va devoir faire face très vite à une échéance qu’elle appréhende autant que la gauche : les élections européennes. Que souhaitez-vous ?
Édouard BALLADUR :
Chacun appréhende vos élections parce que l’on n’a pas voulu changer le mode de scrutin, la proportionnelle nationale, favorable à l’expression de tous les mécontentements, de toutes les frustrations.
Il faut ratifier le traité d’Amsterdam, mais après ? nous avons à répondre à quelques questions importantes : faut il élargir l’Europe avant de changer ses institutions ou l’inverse ? Faut-il une Europe fédérale ? Faut-il construire une Europe de la diplomatie et de la défense ? Quel équilibre instituer entre les compétences nationales et les compétences européennes ? cette dernière question est la plus délicate. Elle est une source d’irritation permanente. Sur toutes ces questions, il faut se mettre au clair. Je pense que l’opposition n’est plus divisée sur ces sujets par des divergences fondamentales. Il serait donc souhaitable qu’elle se présente unie à cette élection. On ne peut à la fois dire que l’on crée une Alliance, que cette Alliance va avoir pour objectif, le plus possible, pour les scrutins législatifs, municipaux, régionaux, de présenter des candidats et des listes communes et, pour l’élection européenne, ne pas présenter une liste commune à toute l’opposition.
Le Figaro :
L’Alliance dont vous avez salué la naissance a-t-elle un avenir ?
Édouard BALLADUR :
Si tout le monde la veut sincèrement, oui. Elle réussira si elle se dote d’un projet commun mais aussi d’une organisation commune, à commencer par la création d’un intergroupe à l’Assemblée nationale. Tant qu’elle ne le fera pas, les Français douteront de sa réalité.
Le Figaro :
Vous présideriez cet intergroupe ?
Édouard BALLADUR :
Encore faut-il qu’il puisse exister vraiment, qu’il ait une utilité, c’est-à-dire qu’il ait les moyens de fonctionner. Si tel ne devait pas être le cas, qui cela pourrait-il intéresser ?
Le Figaro :
Charles Millon et son mouvement La Droite vont ils compliquer le jeu de l’Alliance ? comment réagissez-vous à son exclusion du groupe parlementaire UDF-Alliance ?
Édouard BALLADUR :
Elle était inévitable. Il faut savoir ce que l’on veut. On ne peut faire l’union de l’opposition qu’autour d’un projet clair et précis. Si les uns et les autres ont des idées qui se contredisent, comment peuvent-ils s’unir vraiment, et en donner le sentiment aux Français. L’opposition redeviendra forte quand elle sera attractive. Et elle sera plus attractive quand elle aura démontré qu’elle est unie, vraiment, sur un projet d’avenir et sur une attitude politique commune.
Je rends hommage à ceux qui dirigent l’Alliance et qui essaient d’avancer dans des conditions difficiles. La réalité est très simple : ou l’opposition républicaine et libérale réussit l’Alliance ou bien il ne restera plus comme solution que la fusion de l’ensemble des partis de l’opposition sauf si ceux-ci ont décidé de rester perpétuellement dan la minorité.
Le Figaro :
Quand vous avez émis l’idée de créer une commission ouverte à toutes les formations politiques, pour débattre de la préférence nationale, vous avez provoqué une levée de boucliers. Vous ne reprenez plus cette idée dans votre projet. Vous regrettez de l’avoir évoquée ?
Édouard BALLADUR :
Pas du tout. Nous avons signé le traité d’Amsterdam qui prévoit une politique commune en matière de contrôle aux frontières et d’immigration. J’écris dans mon projet que, s’agissant des droits sociaux des étrangers au sein de l’Union européenne, une harmonisation sera dès lors nécessaire comme elle l’est en matière fiscale puisqu’on a décidé la monnaie unique. Je propose qu’on étudie ce problème auquel on n’échappera pas. J’ai été surpris de l’intolérance d’un certain nombre de réactions. La démocratie consiste à étudier les questions qui se posent.
Les quinze priorités d’un projet
Voici le résumé en une quarantaine de propositions, le projet que l’ancien premier ministre souhaite rendre public dès la fin du mois sous la forme d’un fascicule d’une trentaine de pages.
– RÉDUIRE LES DÉPENSES PUBLIQUES.
abaisser d’un tiers les dépenses d’intervention ;
diminuer de 20 000 par an pendant 5 ans le nombre de fonctionnaires en leur offrant la possibilité d’un départ anticipé ;
poursuivre les privatisations, ,y compris dans l’énergie et les transports.
2. – BAISSER LES IMPÔTS.
ramener l’impôt sur le revenu à trois tranches (0,20 et 40%) ;
supprimer les 2 points supplémentaires de TVA instaurés en 1995 ;
alléger les droits de succession (pas plus de 30% en ligne directe) ;
réduire le taux d’impôt sur les sociétés.
3 – RÉDUIRE LE CHÔMAGE D’UN TIERS EN CINQ ANS.
reprendre et amplifier la baisse des charges sociales sur les bas salaires ;
régionaliser et professionnaliser les « coups de pouce » donnés au smic, annualiser le temps de travail, favoriser le temps partiel, adapter les institutions représentatives du personnel à la situations des petites entreprises, étendre le chèque emploi-service aux très petites entreprises, faciliter le renouvellement des CDD ;
aider les jeunes à trouver un premier emploi par la prise en charge, par l’État, de leur temps de formation en entreprise.
4 – AMÉLIORER LE DISPOSITIF DE LA PARTICIPATION ET DE L’INTÉRESSEMENT.
Réserver aux salariés un accès préférentiel à l’actionnariat en cas d’augmentation du capital ;
Exonérer d’impôts et de cotisations les sommes perçues au titre de la participation et de l’intéressement et converties par les salariés en actions de l’entreprise.
5 – GARANTIR ET PARFAIRE LA PROTECTION SOCIALE.
poursuivre la réforme des retraites du secteur privé, l’engagement dans le secteur public ;
confier aux partenaires sociaux, désormais librement responsables de la gestion des caisses de Sécurité sociale, le soin d’ajuster les prestations maladie aux résultats de leur gestion ;
instaurer une assurance dépendance obligatoire ;
moderniser la politique familiale et améliorer les conditions de vie des femmes.
6 – RÉFORMER LE SYSTÈME DE FORMATION.
confier au régions la responsabilité de la formation ;
instaurer un chèque éducation ;
créer les mécanismes assurant aux salariés une seconde chance.
7 – RÉINSÉRER LES EXCLUS.
créer sous la forme d’un impôt négatif, une aide financière consentie par l’État pour inciter les personnes au chômage à reprendre une activité.
8 – MIEUX ASSURER LES MISSIONS DE SOUVERAINETÉ.
adopter par référendum la réforme de la justice (moderniser la carte judiciaire, spécialiser les juges, mieux assurer le respect de la liberté individuelle, mieux garantir le secret de l’instruction et la présomption d’innocence).
9 – MIEUX GARANTIR LA SÉCURITÉ.
assurer partout le respect de la loi républicaine ;
remettre à l’honneur la notion de responsabilité personnelle ;
faire jouer à l’école son rôle de creuset républicain ;
développer la politique de la ville.
10 – MIEUX CONTRÔLER L’IMMIGRATION.
stabiliser les règles d’acquisition de la nationalité ;
réguler l’immigration ;
tirer toutes les conséquences de l’uniformisation des conditions d’entrée et de séjour des étrangers au sein de l’Union européenne.
11 – RÉFORMER LES INSTITUTIONS.
instaurer un régime présidentiel à la française ;
garantir la place des femmes dans la vie publique ;
moderniser la carte administrative, par le regroupement des communes et la transformation des départements en collectivités subordonnées aux régions ;
codifier et simplifier le droit applicable.
12 – ASSURER LA PLACE DE LA FRANCE EN EUROPE.
mener de front l’élargissement de l’Union et la réforme des institutions ;
élaborer un code des réglementations européennes ;
définir les buts, les moyens et les règles de la construction européenne pour mieux préserver son caractère intergouvernemental.
13 – CONTRIBUER À INSTAURER UN ORDRE MONDIAL.
élaborer un droit mondial, appliqué par une police mondiale permanente sous contrôle de l’ONU, appelée par exemple à éradiquer le trafic mondial de la drogue ;
réformer le système monétaire international ;
développer la coopération et l’aide au développement.
14 – UNIR LA DROITE.
adopter un projet politique faisant la synthèse des idées pour l’avenir.
15 – DONNER UN CARACTÈRE DÉMOCRATIQUE ET NOUVEAU À CETTE ORGANISATION EN CONSULTANT LES FRANÇAIS SUR LE PROJET.
scrutin organisé dans chaque région ;
convention nationale pour l’adopter, ce qui sera l’acte constitutif de la droite rassemblée.
TF1 - Dimanche 6 septembre 1998
M. FIELD :
Bonsoir à toutes et à tous.
Je suis absolument ravi de vous retrouver pour une nouvelle saison de « Public ». Je remercie particulièrement Édouard Balladur d’avoir accepté d’être le premier invité de cette saison, et je dirais « en plein dans l’actualité et son actualité » puisque vous proposez, Édouard Balladur, des propositions pour une voie nouvelle. C’est une sorte de programme ou en tout cas de visée programmatique pour réunir sur de nouvelles bases une opposition dont le moins qu’on puisse est qu’elle n’est pas en très bon état. Nous essaierons de rentrer dans le détail de ces propositions dans la deuxième partie de l’émission.
La première partie sera consacrée à l’actualité de la semaine en image. Je vous demanderai évidemment vos commentaires sur les faits les plus marquants. Et puis, comme je sais que vous y étiez avec moi, vendredi, au Stade de France pour le concert reporté de Johnny Hallyday, nous aurons Johnny en duplex du Stade de France, Johnny qui a chanté hier et qui chantera encore ce soir puisque la météo est désormais plus clémente.
Mais juste avant de le retrouver, une question un petit peu générale : votre volonté avec ces propositions « Pour une voie nouvelle », c’est de lancer un débat d’idées. L’Opposition est dans un état – comment dire – désespéré, pitoyable, difficile… ?
M. BALLADUR :
Difficile.
M. FIELD :
Difficile. Crise des appareils, rivalité de personnes. Croyez-vous vraiment que c’est en prenant de l’altitude aujourd’hui que vous pouvez éviter le crash ?
M. BALLADUR :
Je suis convaincu que les Français sont las de n’entendre parler de l’Opposition, bien souvent, qu’à propos de débat de personnes, aussi légitime qu’il soit d’ailleurs, ou de débats d’appareils, qu’à propos de telle ou telle affaire ou à propos du Front National, et alors on tourne. On prend ces sujets dans l’ordre ou dans le désordre, et on y revient toujours, comme si c’était le seul sujet. Or, au fond, l’Opposition a un problème aujourd’hui.
A quoi bon être dans l’Opposition sui l’on ne représente pas l’espoir d’un autre avenir pour la France ? Ce qui veut dire : est-ce que la situation de notre pays aujourd’hui nous satisfait ? sinon que proposons-nous d’autres ? Et c’est autour de cela, je crois, que l’on peut reconstituer une unité forte de l’Opposition.
C’est ce que j’essaie pour ma part, dans mon domaine qui est le mien, tout personnel – d’ailleurs, je ne prétends engager personne -, mais je souhaite que, désormais, les Français entendent parler de l’Opposition davantage à l’occasion de débat d’idées sur l’avenir de la France, et c’est ce que j’essaie.
M. FIELD :
Depuis, finalement, que vous n’êtes plus Premier ministre, à chaque vacance, vous faites une espèce de devoir estival et la rentrée est marquée par une de vos élaborations. Est-ce pour tromper l’ennui des mois des vacances ou, là, y a t-il quelque chose de plus que l’année dernière, par exemple ?
M. BALLADUR :
D’abord, on ne s’ennuie pas en vacances. Enfin pas moi, en tout cas. Vous vous ennuyer en vacances ?
M. FIELD :
Non, pas du tout. Je n’ai pas sorti les propositions « pour une voie nouvelle ».
M. BALLADUR :
Cela m’a paru utile. Au moment où nous parlons aujourd’hui, il y a un peu plus d’un an que, à la suite de la dissolution, nous avons perdu la Majorité et le Gouvernement. Nous avons vécu, avec les élections régionales, une période difficile. Les dirigeants de l’Opposition ont bien fait de décider de constituer une Alliance. Ils s’y emploient avec beaucoup de mérite. Eh bien, je crois que, maintenant, il faut que l’on passe à l’autre étape qui est : « qu’avons-nous en commun ? qu’avons-nous à dire aux Français ? et les Français peuvent-ils attendre de nous quelque chose d’autre pour l’avenir de la France ? ». C’est cela.
M. FIELD :
Nous y reviendrons tout à l’heure. Tout de suite place à l’actualité et, juste après la publicité, duplex en direct du Stade de France avec Johnny Hallyday.
M. FIELD :
Retour sur le plateau de « Public » avec Édouard Balladur, l’ancien Premier ministre. Dans un instant, la semaine en image. Le résumé des évènements de la semaine élaboré par Julie Cléo. Mais, tout de suite, en direct et en duplex du Stade de France, Johnny Hallyday.
Johnny, bonsoir. Merci d’être avec nous.
JOHNNY :
Bonsoir.
M. FIELD :
La première question que j’avais envie de vous poser : qu’avez-vous ressenti hier sur scène après ce départ manqué de vendredi ou ce départ reporté quand vous avez envie de réaliser, finalement, ce rêve sur lequel vous travaillez depuis des mois et des mois ?
JOHNNY :
Hier, c’était le bonheur total parce qu’on a pu, enfin, faire le spectacle qu’on voulait faire, pour lequel on s’était préparés depuis si longtemps. C’est vrai que nous avions eu une amertume. Nous avons passé une très mauvaise nuit – je vous le dit tout de suite – de vendredi à samedi. Nous étions tous désolés, très malheureux pour tous les gens qui s’étaient déplacés de si loin, de si loin pour voir finalement un spectacle qui n’a pas eu lieu. Mais ce que je tiens à dire, c’est que ce spectacle est reporté à vendredi prochain car maintenant le temps, comme vous l’avez dit tout à l’heure, semble beaucoup plus clément depuis hier.
M. FIELD :
Édouard Balladur et moi-même, nous y étions, enfin pas ensemble, mais chacun de notre côté, vendredi, donc nous y serons aussi vendredi prochain…
JOHNNY :
Je l’espère bien ! D’ailleurs, j’aimerais rappeler un petit souvenir à Monsieur Balladur, que j’aime beaucoup, à l’époque où il était ministre des Finances. Je l’avais eu au téléphone…
M. BALLADUR :
… oui, je m’en souviens !
JOHNNY :
… et je lui avais demandé s’il était normal que Madonna, suite à son concert parisien, ne paie que 2,10 points de TVA alors que les chanteurs français, dont moi, payaient 7 %. Il m’a répondu qu’il allait voir cela de très près. Et, effectivement, il s’est arrangé pour que, ensuite, on paie 2,10 %...
M. FIELD :
… je pensais qu’il s’était arrangé pour que tout le monde paie 7 %.
JOHNNY :
Non, 2,10 %. Donc, je le remercie pour moi et pour mes camarades chanteurs.
M. BALLADUR :
Je suis heureux de vous revoir, Johnny, très heureux. Je suis désolé pour vendredi. Je pense que vous avez dû être beaucoup plus désolé que nous tous, vous encore…
JOHNNY :
… nous étions très malheureux.
M. BALLADUR :
Je souhaite que, ce soir, ce soit un aussi grand succès qu’hier soir.
JOHNNY :
Merci.
M. BALLADUR :
Que s’est-il passé dans votre tête vendredi ? Était-ce une sorte de doute qui vous a envahi ? ou au contraire, très vite, c’est l’envie et la rage de donner plus encore à votre public pour faire oublier cette déconvenue ?
JOHNNY :
L’envie de donner plus, on veut toujours donner plus, qu’il y ait beau temps ou mauvais temps. C’était surtout la déception, la déception de toute une équipe parce qu’il y a quand même beaucoup de gens qui travaillent avec moi pour ce spectacle depuis maintenant plus d’un an et demi, et puis aussi pour tout ce public qui était venu. Donc, tout ce que j’espère, c’est que le temps reste au beau fixe, comme c’était hier soir et comme c’est le cas le soir, et que le spectacle de vendredi prochain soit au top niveau. En tout cas, nous ferons tout pour qu’il soit au top niveau, avec la rage dans le cœur et l’envie de donner un beau spectacle.
M. FIELD :
Le Stade de France, vous en parleriez comme lieu scénique ? Quelles ondes y reçoit-on ?
JOHNNY :
Ah ! c’est un un bel endroit. C’est une réussite totale. Le Stade est une réussite totale. Techniquement, c’est formidable. Même pour le son, je crois qu’on n’a jamais eu un son pareil, même dans aucune salle de spectacle. Techniquement, le Stade de France est parfait.
M. FIELD :
Vous faites plaisir à Édouard Balladur. Vous aviez subi pas mal de critiques, on peut le dire ?
M. BALLADUR :
Oui, pas mal, quand j’ai décidé de l’implanter là où on l’a implanté et j’ai choisi le projet qui, finalement, a été construit. Eh bien, je suis très heureux qu’il convienne, et aux sports et aux grandes manifestations artistiques…
M. FIELD :
… pourquoi n’avez-vous pas mis un toit ? Puisque c’était la grande question qu’on se posait tous vendredi.
M. BALLADUR :
D’abord, Michel FIELD, je n’étais pas l’architecte. Je crois que, s’il y avait un toit, cela changerait tout. Cela changerait tout, pas en bien d’ailleurs. Il est très beau tel qu’il est. Enfin, je ne sais pas ce qu’en pense Johnny ? Moi, je le trouve très beau, il est parfait.
JOHNNY :
Quand il ne pleut pas, quand il fait beau, il est parfait.
M. FIELD :
Johnny, une dernière question : vous chantez avec Laura Fabian, Pascal Obispo, Patrick Bruel, Florent Pagny, Jean-Jacques Goldmann. Ils viennent comme ça vous donner un coup de main…
JOHNNY :
…ce soir, Lionel Ritchie vient chanter aussi.
M. FIELD :
C’est une volonté d’associer une bande d’amis, d’artistes que vous estimez, avec vous ? C’est une façon d’être un peu le boss de la variété française, une sorte de parrain amical ?
JOHNNY :
C’est une façon de les remercier tous, individuellement et d’une façon un peu différente, d’abord de faire ce métier comme ils le font, d’une façon formidable. Je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais tous les gens à qui j’ai demandé de faire des duos avec moi sont des gens qui respectent leur public autant que, moi, je les respecte. En plus, ce sont tous d’excellents chanteurs. J’ai donc trouvé tout à fait normal de les associer à cette aventure extraordinaire.
M. FIELD :
C’est un rêve de gosse que vous réalisez ? ce spectacle énorme, sons et lumière. Je ne l’ai pas encore vu, mais j’en ai vraiment beaucoup entendu parler depuis hier ?
JOHNNY :
Ah ! oui, c’est un rêve de gosse. Quand j’ai commencé à faire ce métier, j’avais 15 ans, 16 ans à peine. Et quand j’ai commencé à chanter, quand j’ai fait mon premier disque, je n’avais jamais pensé – même dans mes rêves les plus fous – qu’un jour je serais sur la scène du Stade de France devant 80 000 personnes, avec les meilleurs musiciens du monde, avec la meilleure équipe technique du monde. C’est vrai que c’est un rêve ! Quelquefois, je me lève le matin en me demandant si je n’ai pas rêvé !
M. FIELD :
Édouard Balladur, on ne vous imaginait pas fan de Johnny. C’est son côté rebelle qui vous interpelle ?
M. BALLADUR :
Entre autres ! Je trouve que c’est un des grands artistes de notre époque. Et j’aime beaucoup toutes ses chansons, depuis très longtemps d’ailleurs. Ma femme, mes enfants les aiment également beaucoup.
M. FIELD :
Après les incidents du concert de la Nation en 1963, on prête au Général de Gaulle, une phrase assez virulente disant : « Si ces jeunes ont de l’énergie à revendre, ils feraient mieux de bâtir des routes que d’aller dans des concerts de rock ». C’est une entaille à la tradition gaulliste, alors ?
M. BALLADUR :
Mais non ! maintenant, les routes sont bâties. Il n’y en a plus tellement à bâtir en France, et je trouve que c’est très bien, au contraire, que depuis plusieurs dizaines d’années, un homme et un artiste tel que Johnny Halliday représente pour toutes les générations – car ce qui m’a frappé au Stade de France où j’étais vendredi, c’est qu’il y avait des gens de tous les âges et beaucoup de jeunes – quelque chose d’absolument extraordinaire. Et, moi, je trouve qu’il a infiniment de talent, qu’il a une très bonne voix, qu’il a de très beaux textes, de très belles musiques. Bref, j’aime ce qu’il fait. Voilà, c’est tout !
M. FIELD :
Eh bien, nous sommes deux.
Johnny, merci infiniment. On croise les doigts pour vous ce soir et, à vendredi, pour les autres.
JOHNNY :
A vendredi.
M. FIELD :
Le concert sera d’ailleurs diffusé sur TF1 samedi prochain à 20 heures 50, en prime time, comme on dit, pour ceux qui n’auraient pas pu venir.
JOHNNY :
Comme cela, j’aurai l’occasion de le voir, sinon je ne vois pas le spectacle.
M. FIELD :
Merci, Johnny, à bientôt.
Le reste de l’actualité – parce qu’il y a un reste de l’actualité -, la semaine en image élaborée par Julie Cléo.
L’Édito :
Russie : Eltsine/la crise.
France : Chirac/les Bleus.
France : L’exclusion de Millon et de Soisson de l’UDF.
Canada : Crash aérien.
France : Chevènement/victime d’un accident opératoire.
France : Pacte Civil de Solidarité/la polémique.
France : Libération d’Omar Raddad.
Islande : Bleus à l’âme.
Japon : Décès de Kurosawa.
M. FIELD :
Édouard Balladur, nous allons sélectionner certains faits de l’actualité de la semaine. Peut-être un mot sur la situation en Russie, cette crise politique, la menace d’une crise monétaire mondiale. On verra tout à l’heure que, dans vos propositions, il y a celle d’un nouvel ordre et d’une réforme du système monétaire international et d’un nouvel ordre monétaire international. Cette crise politique n’est-elle pas aussi le signe qu’un certain type de libéralisme n’est pas non plus la solution ?
M. BALLADUR :
C’est évident ! Ce que vous dites est évident. D’ailleurs, je l’ai toujours pensé. Cela étant, ce qui se passe en Russie ne se serait peut-être pas passé de la même manière si, sur le plan international, nous ne connaissions pas aujourd’hui une crise monétaire et financière très grave. Mais enfin ! laissons ce problème de côté puisque vous proposez qu’on en parle tout à l’heure.
Que s’est-il passé en Russie ? c’est le pays qui, depuis 70 ou 80 ans, vivait dans la dictature politique, le dirigisme et l’étatisme économique le plus complet. Et puis, en quelques années, on a détruit à la fois toutes les lois existantes, qui étaient bonnes ou mauvaises, on peut en discuter, mais on les a détruites. On a détruit tout l’appareil administratif et on a pratiqué une sorte de table rase. Quel a été le résultat ? le résultat, c’est que la production a baissé, c’est que le chômage s’est développé, c’est que les prix ont augmenté et que, actuellement, la Russie est dans une situation absolument tragique.
Cela confirme ce que j’ai toujours pensé. J’ai toujours pensé que la liberté était indispensable – on va en parler tout à l’heure -, mais j’ai toujours pensé ainsi qu’il fallait une règle du jeu, qu’il fallait un ordre, qu’il fallait des lois que tout le monde respecte.
Aujourd’hui, la situation est extraordinairement difficile pour nous tous parce que beaucoup d’États, de banques ont prêté de l’argent à la Russie, qu’elle ne peut apparemment pas rembourser. Parce que la Russie, aussi affaiblie qu’elle soit, demeure la deuxième puissance nucléaire du monde. Parce que nous avons intérêt à la stabilité politique de la Russie et à sa renaissance économique. Donc, je crois qu’il faut que nous essayons – en accord avec les dirigeants – de déterminer les solutions les meilleurs possibles, mais la Russie va vivre de longues années, et il faut que ceux qui la dirigeront – je ne sais pas qui ils seront – y préparent le peuple russe, de souffrances, de difficultés et de privatisations.
C’est absolument tragique, je dirais, une dizaine d’années après l’effondrement du régime soviétique qui avait fait espérer autre chose. Et cela en est au point qu’aujourd’hui nombre de Russes disent : « mais après tout, il y a 20 ou 30 ans, cela n’allait pas plus mal, voire même cela allait mieux ».
M. FIELD :
La crise en Russie, la crise financière dans l’Asie, la fragilité de plus en plus perceptible des marchés financiers en Amérique latine, pensez-vous qu’une crise monétaire internationale est à l’ordre du jour ?
M. BALLADUR :
Je ne veux pas prononcer de formules définitives là-dessus parce que, même si je n’ai pas de responsabilités publiques, il n’y a pas d’intérêt à développer u sentiment d’angoisse et d’inquiétude à développer un sentiment d’angoisse et d’inquiétude trop grand dans le Monde. Simplement, il faut quand même bien se rendre compte d’une chose, c’est que la mondialisation n’y échappe pas. Avec l’informatique, internet, les liaisons automatiques entre toutes les grandes villes du Monde et toutes les grandes entreprises du Monde, on n’échappe pas à la mondialisation. Donc, la solution n’est pas d’essayer de mettre des barrières, celles cèderont et elles craqueront. Ce qu’il faut, c’est que tout le monde obéisse à un minimum de principes et d’obligations clairs, nets et bien définis. Qu’est-ce que cela veut dire ? cela veut dire que « la souveraineté de tous les pays du Monde doit accepter un certain nombre de concessions ». Cela veut dire « qu’il faut qu’il y ait une autorité internationale. Si c’est le FMI, ce sera le FMI. Si c’est une autre, on verra bien quelle autre ! Et la responsabilité d’élaborer des règles que tout le monde doit respecter pour que, ici, une banque ou un pays, comme l’Indonésie, ne se livre pas à toute une série de pratiques qui menacent l’ensemble du système financier monétaire, international ».
Autrement dit, Michel Field, je crois que, à une époque où tout est mondial, il faut aussi une autorité mondiale. Que nous n’avons pas, ni dans le domaine publique – j’en parle dans le papier et on discutera tout à l’heure -, ni dans le domaine économique et monétaire, et qu’il faut que nous soyons bien conscients du fait que ce n’est pas en laissant chacun faire ce qu’il veut, comme il veut, quand il veut et où il veut, que nous arriverons à la prospérité du Monde. Il faut nous organiser.
J’ai toujours pensé, pour ma part, que la liberté supposait une organisation, une règle du jeu et l’obéissance par tous d’un certain nombre de principes.
M. FIELD :
Quelques mots de politique française. Un mot de Jean-Pierre Chevènement : on a l’impression qu’il y a une véritable émotion dans la population, dans le monde politique aussi où les témoignages d’estime et de tristesse affluent avec, j’allais dire, pour une fois de vrais accents de sincérité.
M. BALLADUR :
Je le crois ! Il occupe une place tout à fait particulière dans notre univers. C’est un homme qui a des convictions très fortes, qui a beaucoup de courage, qui a des idées parfaitement claires – ce n’est pas toujours les miennes, mais enfin c’est son droit, comme c’est le mien -, mais c’est un homme tout à fait respectable et estimable. Et je pense que ce type d’homme est nécessaire à la politique dans notre pays. Il est de ceux qui peuvent donner à nos concitoyens l’estime et la considération pour la politique et je souhaite qu’il surmonte du mieux possible et le plus vite possible l’épreuve grave qu’il traverse.
M. FIELD :
Quelques questions d’actualité. On l’a déjà évoqué, la rentrée de l’Opposition se fait un petit peu – une fois de plus – sous le signe des affaires et des divisions. Les divisions, c’est l’exclusion de Charles Millon et de Jean-Pierre Soisson du groupe parlementaire UDF. Un commentaire : vous êtes favorable à cette mesure disciplinaire ?
M. BALLADUR :
Mesure disciplinaire… ! Michel Field, cinq mois avant l’élection régionale, j’étais candidat – comme vous le savez peut-être, vous vous en souvenez sans doute -, à la présidence de la Région Ile de France et j’ai déclaré, cinq mois à l’avance, que je ne serais pas candidat si je ne disposais pas d’une majorité relative qui mettait à l’abri d’alliance dont je ne voulais pas. C’est parfaitement clair. Et j’ai tenu mon engagement.
D’autres ont réagi différemment, c’est leur affaire… ! Moi, je considère que l’Opposition ne pourra reconquérir la confiance des Français qu’à deux conditions :
1 – leur proposer un autre avenir – je l’ai dit tout à l’heure et on va y revenir ;
2 – leur donner le sentiment que, véritablement, elle a une sorte de certitude d’elle-même qui la dispense d’aller à la recherche d’alliance, ici, là, avec les uns et les autres, au mépris de ses convictions.
Je ne me livre jamais assez, comme vous le savez, à des anathèmes et à des critiques excessives contre les uns et les autres, ce qui fait qu’on se trompe parfois sur ce que je pense. Je vais vous dire ce que, globalement, je pense du Front National : il exprime une vision de la vie et de l’avenir de la France qui est pessimiste et qui est craintive. On a peur de l’autre, on a peur de l’ouverture des frontières, on a peur que demain ne ressemble pas à hier et on a peur des différences entre les uns et les autres. En ce qui me concerne, je suis optimiste. Je crois que la France a tout à gagner à s’ouvrir au Monde, à continuer à donner cette image de tolérance, qui a fait sa grandeur au cours des âges et qui fait l’essentiel de sa réputation.
Donc, il y a, à mon avis, des différences fondamentales entre la conception d Monde qui inspire le Front National et celle qui inspire l’Opposition républicaine, libérale, gaulliste… je ne sais pas très bien ce qu’il faut dire. Je ne peux plus dire de Droite non plus, maintenant, depuis que M. Millon a créé la Droite. Donc il y a des différences.
A partit de là, il faut que cette alliance des partis de l’Opposition ait un minimum de cohérence et de logique. Cohérence que son projet politique, elle va l’élaborer sur la base de toute une série de propositions, je pense, et cohérence sur son attitude politique. Elle a décidé qu’il ne fallait pas d’alliance, eh bien, il est normal que sur un sujet important – sur des sujets secondaires, on peut très bien admettre que chacun fait ce qu’il veut -, on en tire les conséquences sans du tout mépriser, critiquer ou lancer des anathèmes contre qui que ce soit. Voilà ma position, elle est parfaitement claire.
C’est dommage ! Ce n’est pas comme cela que nous pourrons reconquérir la confiance des Français. Nous pourrons la reconquérir si les électeurs, qui nous ont quittés pour voter pour le Front National, ont le sentiment que nous avons compris leurs motivations et que sans, pour leur faire plaisir ou aller dans le sens d’un certain vent, nous abandonnions nos convictions, nous savons leur montrer que nous leur offrons un avenir pour notre pays.
M. FIELD :
Ultime question sur les affaires : la mise en examen d’Alain Juppé pour les emplois fictifs à la Mairie de Paris, la mise en examen de François Léotard et de ses collaborateurs. Sur cette affaire-là où l’on a parlé des fonds secrets de Matignon à l’époque où vous étiez Premier ministre, il y a une enquête de mes confrères, Pascal Henri et Stéphane Ravion, qui sont passés tout à l’heure chez Karl Zéro, des confrères de CAPA, qui disent que « la piste des fonds secrets n’est pas sans doute la meilleure » et qui établissent, avec pas mal d’éléments d’indices, « une possible commission importante sur un contrat signé avec l’Arabie Saoudite, un contrat militaire au moment où François Léotard était ministre de la Défense ».
J’avais envie de vous poser une question très directe : est-ce que, vous, en tant que Premier ministre, qui avez assuré la signature de ce contrat, vous étiez au courant, par hasard ou par hypothèse, que le Parti Républicain pouvait toucher une commission sur…
M. BALLADUR :
… mais non, absolument pas ! D’abord, je fais toute réserve sur…
M. FIELD :
…on parle, là, dans l’hypothèse où l’enquête de mes confrères serait établie.
M. BALLADUR :
Oui, oui, sur l’enquête que vous dites. C’est une affaire qui est devant la justice. Je ne sais pas à quelles enquêtes elle procède ? Eh bien qu’elle y procède, c’est parfait ! et nous verrons bien lorsque cela aboutira. En ce qui me concerne, j’ai toujours géré toutes ces affaires avec le plus grand scrupule et la plus grande rigueur, et je souhaite que l’on ne mette pas en cause, les uns et les autres, sans que la justice ait fait elle-même la clarté. Alors, l’enquête d’Untel ou d’Untel, c’est très bien ! mais, pour moi, cela ne signifie rien aussi longtemps que la justice n’a pas dit ce qu’il y avait lieu de penser.
Vous avez cité tout à l’heure Alain Juppé. Je voudrais redire – comme je l’ai déjà dit – que j’ai pour lui de l’estime et que j’ai en lui confiance. Que je pense qu’il a – pendant un certain nombre d’années – fait tout ce qui était dans ses moyens pour remettre de l’ordre dans des problèmes qui sont nécessairement compliqués. Il y a eu quatre ou cinq lois qui se sont succédés sur le financement des partis politiques, et que donc il a fait tout ce qu’il devait faire.
Je voudrais dire quelque chose : la loi de 1995, j’en suis l’auteur, c’est moi qui l’ai fait voter. Et notamment elle prévoit un plafonnement des dépenses électorales pour qu’il n’y ait pas de trop grandes différences entre les candidats, selon les moyens dont ils disposent. Il m’arrive de penser que certaines dispositions de cette loi que j’ai fait voter ne sont pas bonnes, et je vise très précisément celle qui prévoit que l’activité des partis est financée quasi exclusivement sur fonds publics, c’est-à-dire sur les impôts, distribués par l’État aux partis. Je considère que ce n’est pas un élément de liberté. Et je considère que cela accroît le poids des partis sur les élus. Et je pense que nous devrions méditer la pratique anglo-saxonne qui prévoit – à condition qu’il y ait la transparence, bien entendu, et à condition qu’il y ait un plafond, bien entendu aussi -, une plus grande diversité dans le financement. Bref, je ne crois pas que ce soit tout à fait conforme à l’esprit démocratique que de remettre tout le financement des partis dans les fonds publics et dans les mains de l’État.
M. FIELD :
Cela pourrait aboutir à un projet de loi déposé par vous ?
M. BALLADUR :
Oh ! non ! parce que ce serait le « xième » projet de loi. Je crois qu’il faudrait mieux que, sur ce sujet-là, la classe politique soit capable de se réunir pour l’examiner tous ensemble et voir ce qui va ou ce qui ne va pas dans toutes ces procédures.
M. FIELD :
Donc, de nouvelles modalités de financement des partis politiques, c’est ce que vous proposez ?
M. BALLADUR :
C’est mon sentiment, mais je ne suis pas sûr que je serai suivi. Mais je trouve – soyons clairs – que cela donne trop de pouvoirs aux partis et pas assez aux élus.
M. FIELD :
Édouard Balladur, on se retrouve après une page de pub pour aborder cette fois, dans le détail, « vos propositions pour une voie nouvelle ».
A tout de suite.
Publicité.
M. FIELD :
Retour sur le plateau de « Public » avec Édouard Balladur pour « ses propositions pour une voie nouvelle » que nous allons analyser maintenant. Je vous en propose une petite synthèse que nous avons tentée, une présentation en image. C’est un sujet de Jérôme Paoli et de Julie Cléo, regardez.
Reportage.
M. FIELD :
Voilà, un sujet de Jérôme Paoli et Juliette Cléo. Je vous ai vu réagir, prendre des notes. Il y a des divergences d’appréciation…
M. BALLADUR :
… un petit peu.
M. FIELD :
On s’est efforcés d’être le plus fidèle, mais on peut se tromper quelquefois.
M. BALLADUR :
Deux ou trois mots simplement :
1 - Mes propositions sont économiques, entre autre, mais il y a bien d’autres propositions - d’ailleurs, cela a été dit -.
2 - Je ne propose pas que les assurances privées prennent la place du régime général de Sécurité sociale. Je dis qu’il faut maintenir le régime général, mais prévoir une concurrence entre les Caisses publiques et si besoin est, avec quelques Caisses privées, à condition que cela ne consiste pas à transférer les bons risques au secteur privé et à condition d’en faire l’expérience dans deux régions. Vous voyez que le résumé était peut-être un peu rapide.
3 - Je ne suis pas partisan d’une Fédération en Europe. Je dirais même : « au contraire ! ». Je suis tout à fait pour la construction de l’Europe et pour sa poursuite – on va peut-être en parler -, mais je pense que le temps de la Fédération est passé – je ne sais pas s’il reviendra -, mais qu’aujourd’hui personne n’est prêt, aucun État n’est prêt à remettre l’essentiel de ses pouvoirs dans une autorité européenne.
M. FIELD :
On parlera de l’Europe dans un instant. Essayons de voir un peu « le noyau dur » - si vous me permettez cette expression – de vos propositions économiques et sociales. J’ai l’impression qu’on pourrait les résumer en disant : moins d’État, une décentralisation accrue, et surtout une meilleure organisation de l’État pour ce qui est, à la fois, des dépenses publiques, à la fois des devoirs de solidarité.
M. BALLADUR :
Oui, on peut dire ce que vous dites, mais je voudrais d’abord dire que ce qui les inspire. C’est que notre pays fait insuffisamment recours à la liberté, que le Monde d’aujourd’hui est un de Monde de diversité où il faut très vite s’adapter. Comme je le disais tout à l’heure : « il n’y a plus de frontières, tout circule et tout s’échange dans le Monde », et il faut être apte à s’adapter le plus vite possible. Et que nous avons encore une Société trop rigide, trop centralisée, trop étatique. L’idée fondamentale est celle-là : l’avenir, c’est à la décentralisation, à l’expérience, à la liberté, au contrat. Et j’ai résumé cela par une formule dans le papier dont on parle : « le contrat plutôt que la contrainte ».
A partir de là, je pense que ce qu’il faut pour notre pays, c’est faire toute une série de réformes, qu’il n’a pas assez faite ou même pas commencée dans certains domaines, pour être plus fort. Quel est notre problème ? Notre problème, c’est que nous sommes un des pays d’Europe qui a le plus de chômage, qui a le plus de dépenses publiques, qui a le plus d’impôts, qui a le plus d’emplois publics et qui a la protection sociale parmi les plus coûteuses. Cela fait toute une série de handicaps et il faut essayer d’y porter remède.
C’est une émission politique que nous faisons, n’est-ce pas… ! donc, je vais faire un tout petit peu de politique…
M. FIELD :
… j’allais vous en prier ! c’est ce que vous reprochez énormément au gouvernement actuel.
M. BALLADUR :
Exactement ! Je trouve qu’il n’a pas profité de la chance qui a été la sienne depuis 15 ou 18 mois. Nous avons retrouvé la croissance depuis le début de l’année 1997 – elle était déjà là au moment des élections législatives, elle s’est un peu accentuée depuis -, il a cette chance ! cela permet de commencer à baisser le chômage, quelles réformes a t-il faites ? A t-il réformé la protection sociale ? A t-il diminué les dépenses de l’État ? Toute la Commission de Bruxelles, le Gouverneur de la Banque de France, Monsieur Delors lui-même, recommandent au gouvernement de réduire davantage les dépenses publiques. A t-il baissé les impôts ? Finalement, ce qui m’angoisse dans cette affaire…
M. FIELD :
… c’est qu’on ne profite pas, d’après vous, de cette embellie pour mener les réformes…
M. BALLADUR :
… voilà ! d’autant qu’avec la crise financière et monétaire du Monde, on commence à entendre des propos parfois un peu pessimistes sur la prospérité en France, en Europe et en Allemagne, sur l’avenir. Et je ne voudrais pas que nous ayons connu 18 mois ou deux années de prospérité qu’on aurait gaspillé et que l’on n’aurait pas utilisé pour se réformer et pour s’adapter.
Je voudrais poser une question : je ne suis pas de ceux qui pensent que, lorsqu’on prend des décisions difficiles et qui font de la peine aux gens, cela veut dire qu’on prend de bonnes décisions. Le critère de la bonne décision n’est pas d’être…
M. FIELD :
… impopulaire.
M. BALLADUR :
Impopulaire. Mais enfin quelqu’un pourrait-il dire ce que depuis 18 mois ou 15 mois que ce gouvernent est au Pouvoir, a pris comme décision difficile ou courageuse ? Ah ! Si ! on a distribué beaucoup d’argent à créer des emplois. Très bien ! enfin, très bien ou pas très bien ! Quelle est la décision difficile qu’il a prise pour réduire les dépenses publiques, pour rétablir l’équilibre de la Sécurité Sociale, pour qu’il y ait un peu plus de sécurité ?
M. FIELD :
Vous taxez le gouvernement Jospin d’un brin de démagogie ?
M. BALLADUR :
Oui, et d’immobilisme. Il a fait un certain nombre de choses, mais c’est tout à fait insuffisant. Et si la croissance devait retomber – ce qu’à Dieu ne plaise – car nous avons connu plusieurs années difficiles, et je suis – vous me passerez l’expression – payé pour le savoir, qui nous ont entraînés dans un chômage qui a été – je le répète – un des plus importants de l’Europe et peut-être même du Monde, dans les grands pays évolués en tout cas, industriels. Eh bien, ce qui m’inquiète, c’est que si cette croissance disparaît, nous n’aurons plus les marges de manœuvre pour faire toutes les réformes que je vous ai dites.
Or, toutes ces réformes ont un sens, Michel Field, nous n’avons pas raison contre le Monde entier. Je veux bien qu’en France, il y a l’exception française, j’y suis aussi attaché que n’importe qui, il arrive que la France ait raison contre les autres, mais pas tout le temps et sur tous les sujets. Or, dans le Monde entier, on considère qu’il faut laisser les hommes et les femmes plus libres, une Société plus souple, que l’État intervienne moins, qu’il y ait des règles – comme je le disais tout à l’heure -, qu’il faut faire respecter, enfin que chacun soit davantage responsable de son destin. Or, je constate que ce n’est pas la direction dans laquelle nous conduit le gouvernement et très sereinement, tranquillement et sans acrimonie, je lui en fais grief.
M. FIELD :
Proposer la relance des privatisations dans des secteurs comme l’Énergie, comme les Transports, cela veut dire privatisation de la RATP, d’AIR France, de la SNCF… ?
M. BALLADUR :
… j’ai écrit « totale ou partielle ». C’est important parce que, dès que l’État n’est plus intégralement propriétaire dans une entreprise, il est bien obligé de tenir compte du Marché. Je prends l’exemple d’AIR France : en 1993, nous avons trouvé AIR France dans un état désastreux. Nous y avons nommé un homme tout à fait éminent qui est Monsieur BLANC, qui n’était pas un ami politique du gouvernement que je dirigeais – d’ailleurs, je ne me suis même pas posé la question -, et qui a fait du très bon travail pendant quatre ans. Bon ! on est arrivés à l’idée qu’il fallait privatiser AIR France. Le gouvernement socialiste a refusé. Très bien ! que se passe t-il aujourd’hui ? il se passe que vous lisez dans la presse que « les grandes compagnies, allemande ou anglaise, BRITISH AIRWAYS ou d’autres, considèrent qu’il n’y aura pas place très longtemps en Europe pour plusieurs grandes compagnies aériennes concurrentes ». Comment voulez-vous faire cette fusion des grandes compagnies aériennes européennes si AIR France n’est pas privatisée, comme le sont les autres ?
Je ne suis pas un maniaque de la privatisation – même si c’est moi qui ai lancé cette affaire il y a, maintenant, un peu plus de dix ans, en 1986 -, je crois simplement qu’il y a des choses que l’État sait faire et doit faire – il ferait mieux de s’occuper un petit peu plus de sécurité, de formation et de Justice – et qu’il y a des choses que l’État sait bien moins faire. Laissons la concurrence, la liberté et l’initiative se développer.
M. FIELD :
Vous évoquez la Justice. Il y a tout un pan dans vos propositions de réformes institutionnelles : notamment, une réforme sur une Justice qui serait à la fois simplifiée, dont les grands principes et l’efficacité seraient réaffirmés. Et puis alors des propositions presque plus surprenantes pour un gaulliste, c’est une sorte de virage que vous préconisez vers un régime ouvertement présidentiel.
M. BALLADUR :
Parlons d’abord de la Justice. La Justice est à l’ordre du jour de la presse, de l’opinion, depuis plusieurs années, et toujours à propos d’affaires qui sont des affaires publiques difficiles. On en a évoqué une tout à l’heure. On parle tout le temps de l’indépendance des juges, c’est très bien, il faut que les juges soient indépendants. Je rappelle que, au temps où je dirigeais le gouvernement, j’ai fait voter une réforme de la Constitution qui a mieux assuré l’indépendance des juges. Donc, je n’y suis pas hostile, tout au contraire !
Mais après tout pourquoi est-elle faite la Justice ? Elle est faite pour les citoyens et pour protéger les libertés des citoyens. Et je trouve que là-dessus, nous avons toute une série de réformes à faire. Pour la détention préventive, par exemple, est-il normal que, sur 50 000 prisonniers dans les prisons françaises, il y en ait 20 000 qui n’aient pas été jugés et qui restent là pendant, parfois, très longtemps ? Et je propose qu’on limite la détention préventive à des délits très graves sur les enfants, les criminels, les crimes de sang, la drogue, etc…Mais il y a toute une série de délits pour lesquels vraiment on pourrait s’épargner la détention préventive.
Et alors pour ce qui est de nos Institutions – cela fait un peu catalogue tout cela - …
M. FIELD :
… oui, mais il y a beaucoup de choses dans vos propositions.
M. BALLADUR :
Pour ce qui est de nos Institutions – je résume les choses d’un mot -, elles ont très bien fonctionné, très longtemps. Elles ont donné la stabilité à notre pays depuis presque 40 ans maintenant, la stabilité politique. Mais depuis un certain nombre d’années, à coups de cohabitation et d’alternance répétée, on change fréquemment de directions et on ne sait plus très bien qui, finalement…
M. FIELD :
… tient le volant. Vous avez une idée sur : qui tient le volant en ce moment ?
M. BALLADUR :
Cela dépend des cas et des domaines. J’ai peut-être une part de responsabilité là-dedans puisque je suis de ceux qui ont dit qu’il fallait accepter la cohabitation. Mais enfin point trop n’en faut non plus ! et c’est pourquoi je considère que la priorité fixée par le Général de Gaulle étant la stabilité de l’Exécutif et son autorité, eh bien, s’il n’y a pas d’autres moyens de l’assurer que le régime présidentiel, c’est-à-dire un régime dans lequel c’est le Président de la République, clairement, qui devient l’essentiel du Pouvoir exécutif, dans ces conditions-là, il faut aller vers un régime présidentiel. Cela étant, Michel Field, je serais très surpris d’être suivi par l’ensemble de mes amis politiques. Mais enfin le temps fera peut-être son œuvre !
M. FIELD :
Ce qui est frappant dans ces propositions – en effet, qu’on ne peut pas détailler, donc on essaie là d’en prendre les grandes lignes et les articulations essentielles -, c’est que ce sont des propositions qui traversent finalement l’état actuel de l’Opposition. Certaines de ces propositions sont plus proches du programme du RPR, d’autres s’en éloignent, sont plus proches de celles des libéraux. La concrétisation de ce projet n’est-ce pas finalement la constitution d’un nouveau parti sur les décombres de l’actuel RPR et de l’actuelle UDF ?
M. BALLADUR :
J’ai dit tout à l’heure que l’alliance entre le RPR et l’UDF était une bonne chose, que je la soutenais et que je savais gré aux dirigeants de l’avoir mise en place.
M. FIELD :
Mais vous y croyez vraiment quand on voit les difficultés de la constitution des différents parlementaires…
M. BALLADUR :
C’est vrai !
M. FIELD :
… quand on voit l’université d’été de l’UDF où déjà la perspective d’une liste commune aux Européennes est quasiment mise en cause ?
M. BALLADUR :
Si on n’a pas de liste commune aux Européennes alors que l’Alliance est faite pour avoir des candidats communs aux régionales, aux municipales et aux législatives, ce n’est plus la peine de parler d’Alliance.
M. FIELD :
C’est exactement la question que je vous pose.
M. BALLADUR :
C’est parfaitement clair ! L’Alliance est la dernière chance pour les appareils qui dirigent l’Opposition. Si l’Alliance ne devait pas marcher, il n’y aurait plus que deux solutions : ou bien la fusion – ce que beaucoup appellent de leurs vœux, notamment beaucoup d’électeurs…
M. FIELD :
… et vous en êtes, vous, un partisan d’assez longue date.
M. BALLADUR :
Fusion, non. J’ai longtemps prôné plutôt une association, une confédération. Mais si vraiment rien n’est impossible dans le cadre du maintien des appareils actuels, on sera finis, on finira par être obligés d’en arriver là. Je ne suis pas sûr d’ailleurs que ce sera une très bonne chose à long terme. Ou alors si on ne fait pas la fusion et si on n’est pas vraiment associés, si on ne coopère pas vraiment, eh bien nous resterons fort longtemps dans l’opposition et dans la minorité. Voilà l’enjeu aujourd’hui.
Je trouve que l’Alliance a tout à fait raison de vouloir élaborer un projet. J’y apporte ma contribution. On en discutera. Il paraît qu’il va y avoir une dizaine de conventions pour en parler, très bien ! et je souhaite qu’ensuite – et cela serait original et nouveau – on consulte les Français.
M. FIELD :
C’est à la fin de ces propositions, une consultation des électeurs et, finalement, de tous ceux qui seraient intéressés par le nouveau programme de l’Opposition.
M. BALLADUR :
Exactement ! et qui se retrouvent dans l’électorat de ce qu’il st convenu d’appeler la Droite et le Centre. Si on savait vraiment organiser cela et si on le voulait, on peut susciter le vote des centaines de milliers de personnes qui diraient : « nous approuvons ou nous n’approuvons pas telle chose et telle autre ». Autrement dit, il y aurait quelque chose de nouveau dans la politique française et surtout dans l’Opposition. Il y aurait d’abord une volonté de bâtir un projet qui réponde aux exigences des années qui viennent, qui risquent d’être beaucoup plus difficiles qu’on ne le croit, car on est peut-être un peu trop euphoriques dans notre pays en ce moment et, en second lieu, qui associerait l’ensemble des Français qui se reconnaisse dans l’Opposition, enfin, de nombreux français qui se reconnaissent dans l’Opposition.
Ce serait une chose nouvelle qui n’a jamais été tentée, qui n’a jamais été faite, et je pense que cela pourrait quand même être une secousse dans la bonne direction.
M. FIELD :
Vous avez le sentiment d’être sous-employé aujourd’hui par vos collègues de l’Opposition ?
M. BALLADUR :
Non, pas du tout ! D’ailleurs, je n’aime pas beaucoup le mot « employé », je m’emploie moi-même.
M. FIELD :
Quel rôle vous attribuez-vous dans ce mouvement de reconstitution de l’Opposition républicaine ?
M. BALLADUR :
J’essaie de ne pas être, en ce qui me concerne, une source de complications. Je pense que, jusqu’à présent, ça va !
M. FIELD :
Mais plus récemment, si j’ose dire.
M. BALLADUR :
Deuxièmement, j’essaie de contribuer à faire en sorte que l’Opposition – je n’aime pas beaucoup l’expression parce qu’elle est un dire que « si le projet qu’élabore l’Opposition ne me convient pas sur tous les points – sauf si c’est un point fondamental qui met en jeu des problèmes de conscience, ce que je ne crois pas -, je m’y plierai. Il faut que chacun l’accepte. Et que lorsque l’on prend une décision de nature politique – on parlait tout à l’heure de ces affaires d’alliance pour les élections de président de conseils régionaux, c’est une affaire importante, tout le monde doit s’y plier, sans quoi il n’y a plus d’organisation politique possible.
Les Français ont le sentiment que nous privilégions à Droite les débats de personnes, que nous ne sommes pas vraiment unis sur un certain nombre de sujets, eh bien, il faut que nous leur démontrions que, non pas qu’ils ont tort, mais que nous avons compromis les reproches qu’ils nous font et que nous en tenons compte.
M. FIELD :
Mais pour un gaulliste, et vous restez gaulliste, d’ailleurs le thème de la participation, le thème de l’État et des devoirs de l’État dans vos propositions en témoignent, le candidat naturel, c’est celui qui est à la Présidence de la République. Vous avez l’un des vôtres à la Présidence de la République, alors est-ce que, pour vous, Jacques Chirac est ou reste le candidat naturel de l’Opposition à la perspective de prochaines présidentielles ?
M. BALLADUR :
Alors, là, on poursuit le chemin des questions obligées…
M. FIELD :
Ce sera l’une des dernières ou la dernière.
M. BALLADUR :
… des échanges politiques. On a parlé de divisions de l’Opposition, des affaires, du Front National et puis, quatre ans à l’avance, on dit : « qui va être candidat à la Présidence de la République ? », eh bien, nous verrons bien ! Ce qui compte, c’est que l’Opposition ait, ce jour-là, un projet nouveau à proposer à la France et à ce moment-là, à mon avis, les autres problèmes se règleront très facilement.
M. FIELD :
Ces propositions – vous ne m’avez pas répondu, mais on comprend aussi pourquoi – pour une voie nouvelle, on va les trouver en livre, bientôt en librairie ? Quel est le modèle de diffusion ?
M. BALLADUR :
Je vais essayer de les faire éditer pour qu’on les trouve dans les kiosques, dans les gares. Un petit fascicule…
M. FIELD :
… pas trop cher ?
M. BALLADUR :
10 francs, 15 francs, je ne sais pas ! mon éditeur doit me faire une proposition, et puis on verra après !
M. FIELD :
Avec des droits d’auteurs qui seront reversés au RPR ?
M. BALLADUR :
Je crois qu’il n’y aura pas de droits d’auteurs…
M. FIELD :
Vous êtes bien pessimiste !
M. BALLADUR :
… pour que ce soit vendu le moins cher possible.
M. FIELD :
Édouard Balladur, je vous remercie.
Merci à tous d’avoir suivi cette première émission de la saison. On se retrouve dimanche prochain à 19 heures, en compagnie de Martine Aubry, ministre du Travail.
Bonne soirée. Vous avez l’immense privilège et, moi, j’ai la chance de recommencer à vous dire ; « dans un instant, vous avez rendez-vous avec Claire Chazal ».