Texte intégral
Michel FIELD :
Bonsoir à toutes, bonjour à tous. Merci de rejoindre « Public ». Martine AUBRY bonsoir. Merci d'être mon invitée. Nous allons évoquer évidemment les lourds dossiers qui sont les vôtres, aussi bien tout ce qui concerne votre rentrée assez chargée, les 35 heures, les emplois-jeunes, la Sécurité sociale, la réforme hospitalière etc…on parlera aussi politique avec un duplex avec votre collègue de gouvernement Marie-Georges BUFFET en duplex de la Fête de L'HUMANITÉ où les militants communistes montrent de la voix et remettent pour certains d'entre eux du moins en cause le présence des ministres communistes au gouvernement. Et puis Daniel SOULEZ-LARIVIERE, un avocat français mais qui travaille beaucoup sur les rapports comparatifs du droit américain et du droit français eh bien, nous analyserons les développements de l'affaire CLINTON avec cette menace que fait peser pour la démocratie l'exercice d'une justice qui n'a aucun contrepoids. Voilà le programme de cette émission. La semaine dernière Martine AUBRY, mon invité Édouard BALLADUR et il vous a en quelque sorte adressé non pas une petite annonce mais une sorte de message, je vous propose de le réécouter et puis vous allez pouvoir lui répondre.
Édouard BALLADUR :
Quelle réforme a-t-il faite ? Est-ce qu'il a réformé la protection sociale ? Est-ce qu'il a diminué les dépenses de l'État, toute la Commission de Bruxelles, le gouverneur de La Banque de France, monsieur DELORS lui-même recommande au gouvernement de réduire davantage les dépenses publiques. Est-ce qu'il a abaissé les impôts ? Quelqu'un pourrait-il dire ce que depuis 18 mois ou 15 mois que ce gouvernement est au pouvoir, quelle est la décision difficile et courageuse qu'il a prise ?
Michel FIELD :
Alors voilà. Il, c'est évidemment le gouvernement dont vous êtes un membre éminent, alors que répondriez-vous à cette critique en règle d'Édouard BALLADUR ?
Martine AUBRY :
Tout d'abord, Édouard BALLADUR est un homme politique que j'estime beaucoup, mais je voudrais dire que je ne comprends pas là, et quand j'entends les autres hommes de l'opposition aujourd'hui nous dire qu'on en fait trop, je suis un petit peu étonnée qu'on me dise qu'on ne fait pas assez de réformes et qu'on est immobile. Je n'ai pas du tout l'impression que les Français ressentent ça. Quand on est arrivé en 97, l'impression qu'on avait, un peu tous, c'est que ce pays était en panne, en panne de croissance, on avait un taux de croissance qui était beaucoup plus faible que les autres pays, en panne je crois qu'on peut le dire de confiance, de confiance en lui-même, de confiance en l'avenir, en panne d'espoir aussi parce que les jeunes pensaient que cette société ne voulait plus d'eux, leurs parents étaient inquiets, parce que aussi beaucoup pensaient qu'on n'avait plus rien à attendre de la politique. Et moi, l'impression que j'ai, ce n'est pas qu'on a tout réglé en un an – loin de là ! – mais c'est peut-être justement qu'on a commencé à remettre ce pays en marche par des grandes réformes, et tout d'abord en commençant comme Lionel JOSPIN l'a souhaité avec juste raison par tout faire pour que la croissance revienne dans notre pays. Car, sans croissance, il n'y a pas d'emploi, il n'y a pas de réduction du chômage. Et, pour que la confiance revienne, il faut effectivement que le chômage baisse et c'est ce que nous avons fait. Nous avons fait là l'inverse de ce que monsieur BALLADUR et JUPPE ont fait c'est-à-dire que nous avons relancé la consommation en augmentant le SMIC, en transférant les cotisations salariales sur la CSG, en augmentant l'allocation de rentrée scolaire, l'augmentation aussi du logement, des aides au logement, tout cela a permis de relancer la consommation et la croissance et d'avoir des résultats qui sont tout à fait importants aujourd'hui puisque notre pays a confiance, les Français consomment, les entreprises recommencent à investir. Et puis, je crois qu'il faut le dire et c'est peut-être là où je trouve que la critique est le moins juste, c'est que nous nous ne nous sommes pas contentés contrairement à ce que nous avions fait nous à gauche et eux à droite pendant des années de tout attendre de la croissance. Nous avons engagé des réformes fortes, on va sans doute y revenir pour que cette croissance crée le plus possible d'emplois, car c'est finalement pour les Français le plus important, les emplois-jeunes, la réduction de la durée du travail mais aussi…
Michel FIELD :
Alors tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes…
Martine AUBRY :
Non, non, justement, je dis nous n'avons pas répondu à tout. Mais aussi des grandes réformes, je ne vais pas parler que de l'emploi, la protection sociale, la solidarité, la construction des villes, l'aménagement du territoire, il va y avoir un grand projet de Dominique VOYNET dans quelques jours au Parlement, la réforme de la Justice qu'Élisabeth GUIGOU a portée avec grand courage, faire en sorte que nos concitoyens soient mieux soignés, soient mieux éduqués, que la sécurité soit égale à tous. Et j'en profite pour rendre hommage à Jean-Pierre CHEVENEMENT pour lequel c'est vraiment le combat quotidien. Voilà ce que nous avons entamé. Alors ce n'est pas qu'un an, ce n'est pas suffisant, il y a encore beaucoup de Français qui attendent, qui ne ressentent pas, je le ressens profondément en parlant avec eux, dans les quartiers en difficulté, dans les zones rurales, qui ne ressentent pas les effets bénéfiques de cette croissance et des politiques que nous menons, et c'est pour eux que nous devons approfondir ce que nous avons fait cette année, moi, je dirais comme certains d'ailleurs à droite, on a fait beaucoup de réformes. Certains nous le reprochent d'ailleurs énormément.
Michel FIELD :
Alors, on y reviendra évidemment tout à l'heure, dans un instant Marie-Georges BUFFET en direct de la Fête de L'HUMANITÉ, mais tout de suite parce que nous sommes sur TF1 une page de pub.
(PUB)
Michel FIELD :
Retour à « Public » en compagnie de Martine AUBRY, la ministre de l'Emploi et de la Solidarité, dans la deuxième partie de l'émission, nous évoquerons les dossiers de ce ministère, les 35 heures, les emplois-jeunes, la Sécurité sociale, la réforme hospitalière, la solidarité. Mais toute de suite, nous allons feuilleter les grandes pages de l'actualité de la semaine avec un des évènements de ce week-end, c'est évidemment la Fête de L'HUMANITÉ, le rassemblement des militants communistes, nous sommes en duplex avec Marie-Georges BUFFET, votre collègue du gouvernement. Marie-Georges BUFFET bonsoir. Merci d'être avec nous. On a eu le sentiment que dans cette Fête de L'HUMANITÉ, le fossé se creusait entre vous, les ministres communistes et les militants communistes au gouvernement en disant, on a des ministres qui ne servent à rien, le Parti communiste n'affirme pas suffisamment sa personnalité, hier Dominique STRAUSS-KAHN participait à un débat, il s'est fait recevoir de façon… il y a eu quelques sifflets, quelques manifestations. Alors comment vous, vous arrivez finalement à sans faire trop le grand écart, même si vous êtes ministre des Sports, à tenir bon ces deux aspects-là de la chose ?
Marie-Georges BUFFET :
D'abord, bonsoir Michel FIELD et bonsoir Martine.
Martine AUBRY :
Bonsoir Marie-Georges.
Marie-Georges BUFFET :
J'ai parcouru depuis 48 heure la fête dans tous les sens, j'ai participé à énormément de débats, de rencontres, je n'ai pas tout à fait la même vision de la fête que vous l'avez.
Michel FIELD :
Mais peut-être parce qu'ils n'osent pas vous le dire à vous ?
Marie-Georges BUFFET :
Non, non… bien sûr, on rencontre des camarades et des sympathisants qui nous disent il faut … comme l'a dit Martine, il y a eu du travail mais il faut répondre plus vite à des attentes, à des souffrances, il y a un débat sur le contenu des réformes, et ça, c'est un débat je dirais constructif, il y a des camarades qui ne souhaitaient pas qu'on aille au gouvernement, qui restent sur cette position, d'autres qui évoluent. Mais ça, c'est un débat tout à fait normal qui ne traverse pas que le Parti communiste mais qui traverse l'ensemble de la gauche, une envie que ça réussisse, c'est ça. Vous savez, il y avait des banderoles sur la grande scène pendant le meeting, c'était « Il faut donner du souffle au gouvernement, il faut donner un nouvel élan au changement ». C'est ça, je crois, la volonté vraiment majoritaire de la part des communistes.
Michel FIELD :
Martine AUBRY, est-ce que vous vous sentez vous je dirais à l'aile gauche des forces qui vous soutiennent, une sorte d'impatience, peut-être un début de déception devant un rythme un petit peu trop timide des réformes ?
Martine AUBRY :
Je ne le dirais pas comme ça. Ce que je pense, c'est qu'effectivement ce pays va mieux, c'est évident, par le taux de croissance, l'investissement qui redémarre, la consommation, le chômage qui baisse, mais beaucoup de Français ne le ressentent pas encore profondément dans leur vie quotidienne. Et si d'ailleurs nous n'approfondissions pas les réformes engagées pour que chacun ait accès à la santé, au logement, à l'éducation, ils resteraient dans cet état d'esprit. Finalement, moi, ce qui m'intéresse, c'est de voir – et Marie-Georges l'a très bien dit – c'est qu'aujourd'hui, les militants, les sympathisants et je dirais tout simplement les Français qui ont d'énormes difficultés, ils font maintenant confiance au gouvernement, ils refont confiance à la politique, ils se disent, la politique peut rouvrir des marges de manoeuvre, il y a des choses possibles, et ils nous disent allez-y, et je crois qu'ils ont raison de nous le dire. Et on a raison de les écouter. Et moi, c'est aussi ce que j'ai entendu de la Fête de L'HUMANITÉ aujourd'hui. Et je crois que c'est essentiel
qu'on écoute ceux qui aujourd'hui souffrent le plus sont sur la marge de notre société et ils ne demandent qu'une chose c'est de revenir au centre de celle-ci, donc c'est à nouer de jouer.
Michel FIELD :
Marie-Georges BUFFET hier devant Claire CHAZAL au journal de 20h sur TF1, Robert HUE a explicitement critiqué le projet du budget de gouvernement en disant qu'il y avait des tas de choses qui ne lui plaisaient pas, alors comment ça va se passer entre vous cette discussion autour du budget ?
Marie-Georges BUFFET :
Écoutez, d'abord, je crois qu'on a appris à différencier le rôle d'un ministre et le rôle d'un parti politique. Donc, je pense que ça va tout à fait bien se passer. Il y a le travail des groupes parlementaires, je pense que le groupe parlementaire communiste va faire toute une série de propositions pour améliorer ce budget, il y aura le débat dans la majorité plurielle et j'espère qu'on sortira de ce débat parlementaire avec des améliorations, je pense certainement que sur la réforme de la fiscalité on a encore à travailler et je pense que le débat avec sa diversité d'approche et de proposition permettra d'avancer.
Michel FIELD :
Alors, je mentionnais l'accueil un petit frais dont Dominique STRAUSS-KAHN avait fait l'objet hier, est-ce que vous comme ministre communiste, vous vous sentez plus proche ? est-ce qu'il y aurait une sorte, je ne sais pas, de sensibilité plus à gauche dans le gouvernement qui vous ferait être plus proche de Martine AUBRY que d'une sorte de tendance plus droitière qui serait représentée par Dominique STRAUSS-KAHN ou est-ce que vous allez totalement réfuter cette évidence ?
Marie-Georges BUFFET :
Je vais vous répondre qu'on a une grande complicité de femme entre Martine et moi.
Michel FIELD :
Ah ça, c'est sûr qu'avec Dominique STRAUSS-KAHN vous ne pouvez pas l'avoir.
Martine AUBRY :
Vous voyez comme elle est bonne.
Michel FIELD :
Martine AUBRY répondez aussi à cette question en essayant de moins la contourner, est-ce que vous avez le sentiment qu'il y a une sensibilité plus à gauche dans le gouvernement dont vous feriez partie qui vous ferait peut-être d'ailleurs – parce que votre ministère est aussi le ministère de tout ce qui va mal et de toutes les grandes difficultés que connaît ce pays – qui vous ferait être plus proche par exemple de vos collègues communistes que le ministre de l'Économie et des Finances qui est traditionnellement plus réaliste par rapport aux marchés financiers etc…
Martine AUBRY :
Moi, je ne dirais pas les choses comme ça, parce que je crois que ça fait…
Michel FIELD :
Ça vous gênerait un peu de le dire ?
Martine AUBRY :
Non, ça ne me gênerait pas mais tout simplement parce que je ne le crois pas. Moi, je suis de formation économique, j'ai la conviction absolument profonde que si les entreprises ne vont pas bien, ce pays n'ira pas bien. Donc, l'ensemble des réformes que nous faisons, même celles qui entraînent des réactions de la part des entreprises, comme par exemple les 35 heures – et on peut le comprendre parce que ce n'est pas facile – je crois que nous devons l'aborder en faisant en sorte que ce soit un mieux pour les entreprises. Alors, c'est vrai qu'il y a des débats dans ce gouvernement. Et moi qui a participé à d'autres gouvernements, je dois dire que pour la première fois, et ça, c'est vraiment l'honneur de Lionel JOSPIN, il a accepté, il a même demandé que le débat politique soit au coeur d'action gouvernementale, il a organisé la façon de travailler dans le gouvernement pour que puissions débattre entre nous. Et je crois que c'est bien qu'on débatte entre nous avant de débattre sur les médias, en tout cas, j'essaie de m'y tenir totalement. Eh bien, ce qui est frappant dans ces réunions que nous avons le jeudi tous les 15 jours, c'est que chacun parle, chacun donne son avis lorsqu'il en a un sur les questions en cause, et je dois dire que nos collègues ministres soient communistes, verts, socialistes, radicaux… cela importe peu, chacun compte avec sa personnalité. Et nous avons beaucoup de personnalités dans ce gouvernement ce qui permet d'avoir un débat je crois fructueux. Et ensuite, au Premier ministre de prendre sa décision an ayant entendu l'ensemble des voix et j'espère en prenant les meilleures décisions possibles. Voilà. Alors il est normal qu'on soit en désaccord parfois dur tel ou tel sujet, vous savez avec Dominique STRAUSS-KAHN par exemple cette année on s'est mis d'accord totalement sur mon budget sans même recourir au Premier ministre, c'est une première…
Michel FIELD :
Un budget qui d'ailleurs a une augmentation plus forte que l'augmentation générale du budget ?
Martine AUBRY :
Absolument, absolument, comme quoi vous voyez entre un ministère dépensier et un ministère des Finances, on peut arriver à se mettre d'accord.
Michel FIELD :
Marie-Georges BUFFET, une dernière question, c'était un bon cru de la Fête de L'HUMANITÉ à l'heure où je pense Julien CLERC achève ou a achevé depuis son concert ?
Marie-Georges BUFFET :
Eh bien, écoutez, à part la pluie qui s'est déchaînée encore maintenant, on a eu une ambiance je crois très chaleureuse, énormément de discussion, et ça, c'est la grande richesse de la Fête de L'HUMANITÉ, beaucoup de participation, beaucoup de jeunes, c'est un bon cru de la fête oui.
Michel FIELD :
Marie-Georges BUFFET merci à bientôt, on va continuer à feuilleter l'agenda de la semaine avec la semaine en images que Julie CLEAU a élaboré sur des images de la rédaction de TF1.
Agenda de la semaine.
Michel FIELD :
Daniel SOULEZ-LARIVERE, vous êtes avocat, merci d'être avec nous. J'avais envie d‘entendre votre réaction parce que vous êtes un avocat qui réfléchissez beaucoup sur les rapports de la justice et du pouvoir politique en France. Vous êtes quelqu'un qui a mis souvent en cause le pouvoir des juges. Et alors devant ce psychodrame mondial, relayé en plus par la nouvelle technologie d'Internet, bon… spontanément, on a un peu envie de rigoler. On lit le rapport STARR, on se dit qu'un homme qui a tenté de réconcilier comme ça la pipe et le cigare, ne peut pas être tout à fait mauvais. Et puis vous, vous dites quand même, sur le fond, il y a danger pour la démocratie, il y a un emballement absolument terrifiant du pouvoir de la Justice quand elle n'a pas de contrepoids.
Me Daniel SOULEZ-LARIVERE :
Oui, je crois que ce qui est intéressant dans cette affaire terrible, c'est que toute vertu qui est poussée à l'excès peut devenir une infamie et toute tentative de perfection dans une organisation politique peut aussi tomber dans ce qu'on voit dans le dérapage. Ce qu'il faut bien comprendre, c'est qu'à l'origine, le procureur indépendant est né de l'affaire du Watergate. C'est en 1978 que le Congrès américain a voté ce texte qui s'appelle l'Ethic in government act, ce n'est pas compliqué à comprendre, et c'était destiné à permettre dans les affaires où il y avait un conflit d'intérêts entre le garde des Sceaux, en l'espèce leur garde des Sceaux, le ministre de la justice, et le pouvoir politique, quand il fallait enquêter sur des politiques, on a décidé… ils ont décidé de créer un procureur complètement indépendant sans avoir de limites ni de temps, ni d'argent, de budget etc… Donc, on était arrivé à une sorte de situation d'assez grande perfection parce que le système judiciaire fédéral américain est quand même un des plus remarquables dans les démocraties… donc à un système pratiquement parfait. Et ça a marché assez bien. Pendant vingt ans, il y a eu une vingtaine d'affaires qui ont fait l'objet de désignation de procureurs complètement indépendants et je crois qu'il y a eu pratiquement quinze non-lieux sur vingt affaires. Donc c'est un système qui fonctionnait bien. Et puis là, on voit que tout à coup, il a naturellement dérapé. Alors ce qu'il faut bien comprendre, je crois…
Michel FIELD :
Oui, parce que vous évoquez le Watergate mais on a plus l'impression que ça se dirige vers le maccarthysme…
Me SOULEZ-LARIVERE :
Voilà, comme le disaient BERNSTEIN et WOODWARDS (phon) qui sont les deux journalistes qui ont sorti l'affaire du Watergate, qui étaient effondrés, je les ai vus à la télévision cet été, ils se demandaient ce qui se passait. Le Watergate, c'était une question d'abus de pouvoir, là, il s'agit d'autre chose, il s'agit de la sexualité du président. C'est quand même tout à fait différent. Mais ce que l'on constate, c'est que quand on arrive à cette sorte de perfection théorique du système, vous savez quoi…dans la société, quatre colonnes qui la soutiennent, l'exécutif, le législatif qui se contrôlent et puis le médiatique et le judiciaire qui ont plutôt tendance à s'exciter qu'à se contrôler. Et dans toute cette affaire où les juges du siège sont aussi je dirais mouillés parce que c'est quand même eux qui ont permis le passage d'une enquête sur l'affaire Paula JONES, c'est aussi eux qui ont dit qu'on pouvait faire ce procès civil de Paula JONES pendant la durée du mandat présidentiel alors qu'on aurait pu attendre qu'il ait fini, ce n'était pas quand même une affaire d'une importance telle que ça ne puisse pas attendre la fin de son mandat. Eh bien, finalement, ce système de parfaite indépendance, de ces deux colonnes qui montent jusqu'au ciel, donne ce résultat-là. Alors ça donne à réfléchir naturellement et les Américains y réfléchissent. Et à la rentrée prochaine, ils vont discuter au bout de vingt ans de mérites de ce texte, de Ethic in Government Act, qui crée ces fonctions de procureurs spéciaux. Et ils vont, d'après ce qu'on peut lire dans la communauté juridique, probablement limiter ces pouvoirs en budget, en temps et en possibilité de passer d'une affaire à l'autre. Je crois qu'ils vont le limiter et non plus le laisser avec un pouvoir absolu qui comme tout pouvoir absolu a forcément tendance à rendre fou.
Michel FIELD :
Martine AUBRY, un commentaire sur cette affaire, une analyse ?
Martine AUBRY :
Si vous voulez, d'abord un sentiment qui est plutôt un sentiment d'écoeurement devant une espèce d'indécence et d'impudeur que moi, je n'apprécie pas du tout, je dirais même que ça ne me fait pas rire. Et par rapport à ce qui vient d'être dit, moi, je partage assez bien ce point de vue. Je pense que les démocrates… enfin leur honneur, c'est d'avoir rendu les juges indépendants. Mais les juges doivent travailler dans le cadre des lois aussi bien sur le fond que sur la forme. Or que je sache, les problèmes de vie privée ne rentrent pas dans le cadre de ces lois dès lors évidemment qu'il n'y a pas d'abus. Nous avions là affaire à deux personnes adultes en consentement mutuel parfait semble -il, donc je ne comprends pas cette impudeur et son indécence. Et je dirais même que si la transparence me paraît essentielle lorsqu'il s'agit par exemple d'organisation du pouvoir et dans le Watergate, il s'agissait d'un abus de pouvoir, je crois qu'une démocratie se doit de protéger la vie privée. Ce sont les libertés individuelles qui sont en cause. Je crois qu'un pouvoir politique, un pouvoir judiciaire n'a pas à dire ce qu'il considère comme étant moral ou pas. La vie privée de monsieur CLINTON regarde lui-même, sa famille et ne regarde pas l'ensemble de la planète. Et moi, je trouve qu'aujourd'hui, à cause du procureur STARR dont il faudrait d'ailleurs se demander quelles sont véritablement derrière ses volontés, la démocratie est en cause. La démocratie est en cause car le juge a dépassé ce qui lui est permis, me semble-t-il, par la loi. Alors même si Bill CLINTON a menti, ce qui évidemment devant la Justice, sous serment, est une affaire grave, je pense que les questions qui lui ont été posées, n'auraient jamais dû lui être posées et je pense qu'on a intérêt là-dessus, où on s'arrête. Les libertés individuelles, c'est une des forces majeures de la démocratie, nous devons les protéger comme nous devons protéger par ailleurs l'indépendance du juge qui doit vérifier l'application des lois.
Michel FIELD :
Mais en même temps, il y a bien eu, Daniel SOULEZ-LARIVIERE, il y a bien eu mensonge d'État, il y a bien eu parjure. C'est ça qui donne des arguments quand même à l'accusation dans une procédure où en effet, moi, j'ai lu le rapport Kenneth STARR, tout est à charge en quelque sorte, mais il n'y a absolument pas la dimension contradictoire de la confrontation qu'il y a d'habitude dans une procédure judiciaire.
Me SOULEZ-LARIVIERE :
Sur le plan juridique, il y a simplement un mensonge fait par le président des États-Unis dans le cadre d'un procès civil qui n'a même pas eu lieu parce que le juge, dans l'affaire Paule JONES, qui a été saisi de cette affaire, a dit qu'il n'y avait même pas matière à un procès. Donc voilà très exactement circonscrit le mensonge et certains juristes estiment que dans ces conditions, est-ce qu'on peut qualifier ça de parjure, c'est assez discutable.
Michel FIELD :
Mais est-ce que ça vous fait réfléchir sur la France. C'est-à-dire est-ce que, dans certains des cris d'alarme que vous, vous avez poussés, sur le pouvoir des juges ou sur la pénalisation de la vie publique à la manière dont les hommes politiques sont aujourd'hui responsables directement devant la justice pénale, de choses qui sont liées à l'action publique, est-ce que vous voyez l'ombre ou le spectre d'une radicalisation comme ça d'une justice sans contrepoids en France ?
Me SOULEZ-LARIVIERE :
C'est le problème de la paille et de la poutre. Effectivement, on a tendance à se moquer de nos amis américains mais il faut qu'on regarde chez nous qu'est-ce qui peut se passer. Or ce qui va se passer en France, c'est très simple, c'est que nous sommes dans un système notamment pénal, de procédure pénale et de définition des infractions qui est complètement archaïque. Une procédure pénale qui est quasiment du XIXe siècle, des infractions dont on a gavé tous les textes parce que la justice ayant tellement peu de poids, il fallait à une certaine période gaver de poudre pénale absolument tout, vous avez…. En ce moment, qu'est-ce qu'on va faire à la rentrée ? Eux, les Américains, vont discuter de la limitation de la vingtaine de procureurs spéciaux qu'ils ont désignés en vingt ans. Nous, on va discuter à la rentrée de l'extension de l'indépendance des deux mille procureurs. Je ne pense pas qu'on va inventer deux mille Kenneth STARR chez nous, mais il faut quand même y réfléchir quand on va décider cette affaire. Nous avons aussi quelque chose qui est tout à fait inconnu aux États-Unis, c'est la capacité pour chaque individu, pour chaque Français, de se transformer en procureur en se constituant partie civile et d'obliger le Parquet à entamer des poursuites contre quiconque, il suffit de déposer une plainte avec constitution de partie civile, le Parquet est obligé d'ouvrir une information. Donc, nous avons une batterie si vous voulez de textes qui peuvent assez facilement – c'est ce que je crains qu'il se passe si on n'arrive pas à changer ça – mettre la France à feu et à sang dans une quinzaine d'années. Ça commence un peu, mais ça peu complètement déraper.
Michel FIELD :
Martine AUBRY, vous pensez que le débat qui va s'ouvrir sur la réforme de la justice, va être un petit peu déterminé ou surdéterminé par les échos de l'affaire CLINTON ?
Martine AUBRY :
Je pense qu'il y aura une influence par définition je dirais, de cette affaire internationale, mondiale. Je crois qu'il faut distinguer deux choses. L'indépendance du juge dans les décisions qu'il a à prendre et notamment la non-intervention du garde des Sceaux comme cela a été trop souvent le cas dans le passé sur des affaires individuelles. Je crois que les Français avaient l'impression qu'il y avait deux justices, la justice pour les forts, pour ceux qui étaient au pouvoir et la justice pour les autres. Il faut changer cela et je crois que c'est cela qu'Élisabeth GUIGOU entame aujourd'hui. Ce qui ne veut pas dire que les juges et notamment les juges du siège sont indépendants et décident ce qu'ils veulent. Il y a les lois et il y a les directives pénales que donne le pouvoir exécutif pour pouvoir faire appliquer ces lois d'ailleurs partout de la même manière sur l'ensemble du territoire et pour pouvoir dire où sont les priorités. Donc ne mélangeons pas les deux. Il faut une justice indépendante sans intervention sur les affaires individuelles mais il faut un pays où le Parlement issu de la démocratie et du vote des électeurs, fait la loi et où le pouvoir exécutif dit à partir de directives générales comment il faut faire appliquer les lois. Je crois qu'il faut en rester là et ne pas aller plus loin autrement, nous risquerions effectivement de mettre le doigt dans des procédures du type de celles qui aujourd'hui nous montrent leurs effets négatifs aux États-Unis.
Michel FIELD :
Dans un instant, nous allons parler des dossiers qui concernent plus directement votre ministère, l'emploi, la solidarité, la Sécurité sociale. Une petite page de pub pour reprendre notre souffle et on continue.
(Pub)
Michel FIELD :
Martine AUBRY, alors les 35 heures, on a l'impression que ça commence à prendre en effet mais que finalement ça ne prend pas la direction exacte que vous vouliez et surtout finalement ce que l'opposition avait contesté au moment de la discussion de cette loi à savoir qu'elle ne serait pas créatrice d'emplois, qu'elle pouvait être effectivement un instrument de rationalisation pour les entreprises, mais pas créatrice d'emplois, est-ce que les chiffres quand même très timides, 170 accords, 1 850 emplois créés, 430 sauvés, ça ne fait pas grand-chose même s'il n'y a pas très longtemps qu'elle est mise en oeuvre ?
Martine AUBRY :
Je vous trouve très pessimiste, pour tout dire.
Michel FIELD :
Plutôt très impatient.
Martine AUBRY :
Tant mieux si c'est de l'impatiente, dommage si c'est de la résignation. Les textes sont sortis fin juin. Fin juin, ensuite juillet/août, deux mois d'été. Pendant ces deux mois, nous avons eu aujourd'hui près de 240 entreprises qui ont déjà signé un accord, alors vous savez travailler sur les 35 heures et sur la réduction de la durée du travail ce n'est pas facile dans une entreprise, ça ne se fait pas du jour au lendemain. Nous poursuivons trois objectifs qui doivent se retrouver dans l'entreprise. D'abord évidemment, créer de l'emploi mais aussi donner du temps libre aux gens pour qu'ils vivent mieux. Je crois qu'on n'a jamais été pourtant dans un pays riche au niveau de vie beaucoup plus élevé qu'il y a quelques années, on n'a jamais été dit, je n'ai pas le temps, je n'ai pas le temps de m'occuper de ma famille, des enfants, de mes amis, de participer à la vie associative etc… Donc, il faut redonner du temps, c'est aussi un projet de société, et puis il faut aussi en profiter pour que ce soit une opportunité pour l'entreprise pour réfléchir à la façon dont elle travaille. Est-ce qu'elle utilise bien ses équipements, est-ce qu'elle répond bien aux souhaits de ses clients, est-ce que la saisonnalité est bien prise en compte, est-ce qu'elle ouvre ses services pour que les usagers ou les clients puissent venir ? C'est donc un sujet compliqué, je n'ai jamais cru que ce serait un sujet facile, et c'est pourquoi je crains que ça prenne un petit peu de temps. Moi, je suis plutôt étonnée de l'inverse, comment 240 entreprises ont elles déjà signé amenant la création de plus de 2 500 emplois, c'est ça la question que je me pose.
Michel FIELD :
Le gouvernement espérait quand même 35 000 emplois créés à la fin de l'année, est-ce que vous pensez que vous arriverez à ce chiffre approximativement ? On en est loin quand même non.
Martine AUBRY :
On n'en est pas loin. On commence à négocier partout, vous savez nous avons mis en place pour aider les entreprises et les organisations syndicales, un réseau de consultants, 300 au départ, ils sont aujourd'hui 1 000. Nous avons fait en sorte que nos services puissent aider les syndicalistes et les chefs d'entreprise qui le souhaitent, l'État finance d'ailleurs les consultants, ils nous disent qu'ils sont absolument débordés. J'ai vu la semaine dernière un garagiste qui m'a dit, moi, j'étais sur Internet, il n'était pas sur le rapport CLINTON…
Michel FIELD :
Pas encore.
Martine AUBRY :
Pas encore, et il est tombé sur le Code du ministère du Travail et les informations que nous donnions sur la durée du travail. Il m'a dit, j'ai regardé, j'ai fait mes calculs, et je me suis dit, mais si je m'y prends intelligemment, j'y gagne, et ça y est, c'est parti, il embauche un 7e salarié, il en avait six. Je suis allé la semaine dernière chez THOMSON OPTRONIC qui a signé un accord qui permet de créer 85 emplois. Et j'ai rencontré les organisations syndicales et la direction, et chacun a dit, nous y avons gagné. Et j'ai été heureuse de voir qu'une jeune femme qui a d'ailleurs accepté de participer à notre campagne de communication m'a dit, moi, je vais travailler moins, nous avons avec le personnel choisi par référendum la forme de réduction de la durée du travail que nous souhaitons mais ce qui est pour moi la plus grande fierté c'est qu'il va y avoir 85 jeunes qui vont entrer dans l'entreprise.
Michel FIELD :
Ernest-Antoine SEILLIERE, le responsable du CNPF, vous a reproché de façon assez vive d'être une sorte d'institutrice revêche qui distribue les bons et les mauvais points suivant l'accord signé. Alors dans le sucre… vous convient, mais dans la métallurgie ne vous convient pas ou inversement. C'est-à-dire est-ce que là cette critique n'est quand même pas un petit peu c'est-à-dire est-ce qu'à un moment donné vous ne devriez pas faire davantage faire confiance aux partenaires sociaux quitte à ce qu'ils décident quelque chose qui n'était pas exactement dans les objectifs de votre loi.
Martine AUBRY :
Ah mais ça, vous avez totalement raison. La loi a ouvert la négociation et c'est à la négociation aujourd'hui de prendre la balle au bond. La métallurgie est un cas particulier puisque de même ils ont dit que leur accord ne s'appliquait pas avant le 1er janvier 2000 et encore faudra-t-il qu'ils vérifient si la deuxième loi est conforme à leur accord. Donc moi, je suis peut-être un peu – comment dire ? – pragmatique, mais moi, ce qui m'intéresse c'est ce qui bouge les choses, ce qui m'intéresse c'est qu'actuellement dans des centaines d'entreprises on négocie réellement la réduction de la durée du travail, et c'est bien au regard de ces négociations que nous allons construire la seconde loi. Donc ce que j'ai dit et je ne redis… c'est qu'une loi théorique et un accord théorique, et un accord pratique changeant la réalité des choses, qu'est-ce que je préfère ? Je préfère la réalité pratique. Et si je voulais envoyer un peu la balle à monsieur SEILLIERE, je ne souhaite pas polémiquer parce que je pense qu'aujourd'hui les 35 heures ce n'est pas facile, on l'a tous dit, il faut travailler pour trouver les meilleures solutions mais on a l'impression qu'il n'est pas content de voir que tous ces chefs d'entreprise négocient et finalement que c'est en train de marcher, parce que partout ça discute, parce que les gens…
Michel FIELD :
Comme un désaveu de la position très tranchée qu'a pris le CNPF au début.
Martine AUBRY :
Voilà. Alors je préfère que l'on se retrouve l'un et l'autre pour préparer une seconde loi qui soit à la fois conforme à notre objectif premier, créer de l'emploi, que cette loi soit une loi qui soit aussi un bon projet de société pour que les gens vivent mieux dans notre pays, trouvent plus de temps libre. Et que les entreprises fonctionnent mieux. Celles que j'ai vues jusqu'à présent et qui ont signé nous disent, nous avons trouvé les moyens d'être plus compétitifs et moi, je m'en réjouis car c'est aussi un des objectifs, être plus compétitif aujourd'hui, c'est créer plus d'emplois demain.
Michel FIELD :
Un mot sur les emplois-jeunes, on a quand même le sentiment que ça va beaucoup plus du côté État, service public, Fonction publique, que du côté du privé et est-ce que là, vous ne tombez pas sous la critique qu'on a entendue tout à l'heure d'Édouard BALLADUR, c'est-à-dire toujours plus d'État dans cette question du travail des jeunes ?
Martine AUBRY :
D'abord, je voudrais dire une chose, c'est que cette année, le nombre de fonctionnaires ne bouge pas, je tiens à le dire. Dans le Budget, on ne l'a pas dit tout à l'heure, il y a eu des redéploiements à l'intérieur des ministères pour donner un exemple plus d'emplois à l'enseignement supérieur, à la justice ou dans mon ministère pour les inspecteurs du Travail ou les agents de l'ANPE qui vont suivre les chômeurs de longue durée. Je crois que la politique, ce n'est pas simplement de dire, il faut des équilibres, il ne faut pas augmenter, c'est de faire des choix. Et je crois que c'est ce que le gouvernement fait aujourd'hui. Alors les emplois-jeunes, eh bien, les emplois-jeunes, ils ont deux objectifs. Le premier, c'est d'abord de se dire, au lieu d'attendre, en se rendant compte que les emplois industriels diminuent, que les emplois de service ne se développent pas aussi vite que prévu, l'idée, elle est simple, elle est de dire « recherchons les besoins d'aujourd'hui qui seront les métiers de demain ». Ces personnes âgées qui ne sont pas accompagnées, l'accompagnement d'enfants handicapés ou d'enfants en difficulté à l'école, l'accès de tous à la culture, au tourisme et aux loisirs, une plus grande sécurité, un environnement de meilleure qualité. Eh bien, c'est ce que nous sommes en train de faire. L'État investit pour l'avenir pour que dès maintenant, un certain nombre de besoins qui vont faire en sorte tout simplement qu'on vive mieux dans notre société, que cette société soit moins dure, eh bien crée des emplois qui sont réservés aux jeunes.
Michel FIELD :
Est-ce que vous n'êtes pas un peu déçue du peu d'empressement que le privé a eu de s'emparer du dispositif emplois-jeunes ?
Martine AUBRY :
Là, c'est une autre chose. Je termine si vous le permettez un instant sur le public pour dire qu'aujourd'hui, les associations, les collectivités locales créent de nombreux emplois, quatre-vingt-cinq mille jeunes sont déjà au travail, cent vingt mille emplois sont déjà créés. Et tous ceux que je rencontre, encore hier, Claudine à Lille qui s'occupe du développement de la lecture, qui m'a dit, je rencontre des personnes âgées, je rencontre des jeunes en difficulté, je vais dans les prisons pour développer la lecture, c'est passionnant. Pour la première fois de ma vie – et j'ai vingt-six ans – je suis utile. Alors le privé… eh bien, le privé, il ne faut pas exagérer, si l'emploi des jeunes a baissé de 13 % depuis un an, ce n'est pas seulement grâce aux emplois-jeunes… c'est à cause de ça évidemment…
Michel FIELD :
Le chômage des jeunes a baissé et non l'emploi…
Martine AUBRY :
Le chômage des jeunes a baissé de 13 %, c'est aussi parce que les entreprises embauchent et embauchent des jeunes. C'est aussi parce que – et je m'en réjouis – les contrats de qualification, les contrats d'apprentissage, redémarrent. Alors bien sûr, il faut un effort complémentaire pour les jeunes comme les adultes d'ailleurs, il faut que ces emplois soient moins précaires mais moi je crois qu'avec le retour de la croissance, de la confiance chez les chefs d'entreprise, nous allons continuer vers cette réduction du chômage et particulièrement pour les jeunes. C'est important pour eux, dernière phrase, mais je voudrais le dire parce que je les rencontre tous les jours, c'est aussi important pour leurs parents. Ces dernières années, ils étaient angoissés, ils épargnaient, ils étaient convaincus que leur fils, leur fille serait chez eux jusqu'à vingt-six – vingt-sept ans, ils avaient peur de l'avenir. Quand leur enfant trouve un travail, ils reprennent confiance et eux aussi se remettent en marche.
Michel FIELD :
Autre dossier important, celui de la Sécurité sociale.
(Reportage)
Michel FIELD :
Martine AUBRY, alors pendant un an, on a eu le sentiment que vous avez joué avec les médecins un petit peu à l'anti-JUPPE c'est-à-dire avec beaucoup de discussions, le porte-parole des médecins libéraux louait votre sens du dialogue et puis alors brusquement cet été, changement de ton, de stratégie… Bon, le retour de Gilles JOHANET à la direction de la Caisse nationale d'assurance maladie comme un signe de rigueur, votre sortie sur les radiologues, qui fait dire toujours au patron des patrons, Ernest-Antoine SEILLIERE, que quand un des principaux ministres du gouvernement se mêle de négocier en direct le coût du cliché thoracique, c'est que quand même le système ne fonctionne pas très bien. Et on a été tous un peu étonné de ce brusque changement de ton.
Martine AUBRY :
Écoutez, tout d'abord, moi, quand je suis arrivée, j'ai trouvé une Sécurité sociale qui n'allait pas très bien, entre trente-trois et trente-cinq milliards de déficit et surtout un corps médical très divisé. J'ai essayé pendant un an de travailler, de travailler avec eux. Je pense que je leur ai dit des choses qui n'étaient pas toujours dans le sens de ce qu'ils souhaitaient mais je pense qu'on ne fait pas de politique pour plaire et pour surfer sur les vagues, on fait d'abord de la politique pour convaincre. Or pour moi, sauver la protection sociale, ce à quoi les Français sont le plus attachés parce que c'est la maladie…enfin, c'est d'abord leur santé, c'est la politique de la famille, c'est les retraites, c'est un enjeu essentiel. Et je pense qu'on ne peut pas le faire seul, personne n'a la réponse. Et si nous n'acceptons pas de mettre autour de la table les médecins, de l'autre côté les patients et avec Bernard KOUCHNER, nous allons lancer les états généraux de la santé pour que les Français aussi comprennent que ce n'est pas en consommant beaucoup d'antibiotiques par exemple, beaucoup plus que nos voisins, qu'on soigne mieux – au contraire ! – on devient réticent, les germes n'arrivent plus à être combattus par les antibiotiques aujourd'hui. Donc ce que nous avons essayé de faire, c'est de reprendre le dialogue et de travailler sur le fond, de repartir sur des outils structurels qui vont permettre à la Sécurité sociale d'être pérenne et l'année prochaine…d'abord cette année, nous tenons nos engagements, ça fait tellement longtemps que ce n'était pas le cas sur les déficits… et l'année prochaine, la Sécurité sociale sera à l'équilibre, alors pas de grands discours…
Michel FIELD :
Vous signez sur l'équilibre l'année prochaine ?
Martine AUBRY :
Oui, je persiste et je signe. Alors, c'est vrai qu'on est dans une phase un peu difficile c'est-à-dire qu'à la fois il ne faut pas lâcher, il ne faut pas lâcher sur le plan financier car on sait très bien que si la Sécurité sociale ne fonctionnait plus, si des assurances privées arrivaient, ce ne serait plus la même chose pour chacun et notamment pour mes plus fragiles que nous voulons au contraire protéger. Mais en même temps, nous mettons en place des réformes structurelles. L'informatisation par exemple des médecins qui va leur permettre de les aider pour le bon diagnostic, le bon protocole, moins coûteux mais meilleur aussi pour les malades. La démographie médicale, un travail réalisé avec la CNAM, c'est-à-dire la Caisse d'assurance maladie, et les médecins, pour trouver les meilleures façons de traiter la maladie, les meilleurs réseaux pour qu'il soit pris en charge normalement. Et là, je voudrais faire une petite incidente. A partir de maintenant — et nous avons commencé par là avec Bernard KOUCHNER – sur les cancers comme sur les grossesses à risque, chaque personne sur le territoire sera traitée dans le service correspondant à l'état de sa maladie, de sa gravité et de son avancement. Il n'est pas normal que dans notre pays, selon son carnet d'adresses, selon si on connaît ou pas tel ou tel service, tel ou tel hôpital, on ait le droit d'être plus ou moins bien soigné. Dès le départ, par exemple, une femme… on saura grâce à son niveau de risque, dans quel service elle sera traitée pour sa grossesse. Pour le cancer, même chose, tellement nous avons qu'il faut prendre les choses tôt pour que les choses aillent mieux. Donc nous faisons ces réformes en profondeur. Elles auront des effets. Sur l'industrie pharmaceutique aujourd'hui, nous essayons de travailler pour que le prix des médicaments soit lié à leur effet médical, nous essayons de travailler aussi pour que dans chaque classe de médicaments, les prix soient les mêmes, les taux de remboursement soient à peu près les mêmes pour qu'effectivement il y ait une plus grande homogénéité. Nous promouvons les génériques qui sont ces médicaments qui sont 40 % moins chers et qui ont le même effet médical que les médicaments traditionnels. Donc nous entamons des réformes structurelles qui sont en cours et que nous ferons avec tous, avec les malades, avec les médecins, avec l'hôpital… Et c'est cela qui donnera des résultats profonds. En attendant, eh bien, il faut quand même maintenir les comptes de la Sécurité sociale et c'est ce que nous essayons de faire. Quand ça dérape, nous réagissons et nous essayons de le faire dans le dialogue. Permettez-moi un mot, pour les radiologues qui n'ont pas accepté de discuter, je le regrette et ma porte est toujours ouverte. Il y a six autres professions dont les kinésis dont les labos biologiques qui ont accepté de venir discuter, on s'est mis d'accord…
Michel FIELD :
Donc vous appelez les radiologues à venir vous voir ?
Martine AUBRY :
Voilà, je leur redis pour la Xième fois, mais la porte est toujours ouverte.
Michel FIELD :
Un mot sur la couverture maladie universelle, un projet de loi à l'automne qui vise en fait à donner une couverture de base à tous les Français. On sait qu'aujourd'hui cent cinquante à deux cent mille personnes sont dépourvues de cette couverture de base.
Martine AUBRY :
Oui, ce projet va beaucoup plus loin que ça. Le gouvernement a demandé à Jean-Claude BOULARD (phon), député, de nous faire des propositions, pourquoi faire ? Non seulement pour donner une carte de Sécurité sociale à ces cent cinquante à deux cent mille personnes qui ne l'ont pas et ça c'était le projet d'Alain JUPPE.
Michel FIELD :
Mais aussi aux sept millions de personnes qui n'ont pas de couverture complémentaire…
Martine AUBRY :
Disons aux quatre millions de personnes… quatre à cinq millions de personnes qui aujourd'hui renoncent à se faire soigner pour des raisons financières. Ça c'est inacceptable dans notre pays. Eh bien, nous souhaitons effectivement avec cette loi faire en sorte que plus personne ne puisse pas se faire soigner parce qu'il n'a pas les moyens d'avancer le ticket modérateur ou le forfait hospitalier ou parce qu'aujourd'hui, nous avons des enfants dont les dents ne sont pas soignées, dont les prothèses nécessaires par exemple sur le plan auditif, ne sont pas mises parce qu'elles sont mal remboursées par la Sécurité sociale. C'est donc un projet majeur.
Michel FIELD :
C'est une des facettes de la lutte contre l'exclusion, pour vous, cette mesure par exemple ?
Martine AUBRY :
Absolument. Le droit à la santé, c'est un droit essentiel, major, peut-être même primordial. C'est un des enjeux majeurs de la lutte contre l'exclusion. Vous savez, aujourd'hui, il y a un Français sur cinq qui dit avoir renoncé à se faire soigner pour des raisons financières ? Ce n'est pas acceptable. Et nous savons cela, que nous n'arriverons pas à le faire qu'avec une Sécurité sociale qui est le bien de tous et pour lequel chacun doit se battre pour qu'elle demeure ce qu'elle est aujourd'hui, ouverte à tous et qu'elle redevienne d'ailleurs encore plus ouverte. Tel était l'objectif de cette loi sur la couverture maladie universelle.
Michel FIELD :
Martine AUBRY, merci. Merci d'avoir été mon invitée. La semaine prochaine dans « Public » autour de Jack LANG et d'autres personnalités politiques nous parlerons du pacte, le pacte civil de solidarité, sujet de polémiques à venir. Un petit mot là-dessus pendant que le générique se déroule ?
Martine AUBRY :
Un mot simple, je crois que le pacte, c'est tout simplement trouver des solutions satisfaisantes pour des situations de fait entre des hommes et des femmes qui vivent ensemble, qu'ils soient de sexe différent ou de même sexe et qui aujourd'hui, nous le vivons tous les jours, quand un meurt par exemple, l'autre se retrouve dans des difficultés inouïes pour garder son logement. Ce n'est donc pas un mariage bis, il faut rassurer tout le monde, il n'y aura pas de filiation derrière, d'ailleurs nous avons souhaité que la déclaration du pacte ne se fasse pas en mairie car nous connaissons le symbole fort de la mairie et du mariage. Ce n'est pas une famille bis, la famille n'existe que lorsqu'il y a des enfants, c'est tout simplement régler la situation de quatre millions de personnes qui dans notre pays vivent ensemble.
Michel FIELD :
Donc vous y êtes favorable.
Martine AUBRY :
J'y suis favorable parce que je crois que le pouvoir politique n'a pas à dire aux gens comment ils doivent vivre et aimer, il doit les aider à bien vivre et à bien aimer.
Michel FIELD :
Eh bien, on y reviendra la semaine prochaine.