Déclaration de M. Jacques Chirac, député RPR, maire de Paris et candidat à l'élection présidentielle de 1995, sur les grands thèmes de sa campagne présidentielle et ses priorités d'action, Lyon le 16 décembre 1994.

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  • Jacques Chirac - maire de Paris et candidat à l'élection présidentielle de 1995

Circonstance : Déplacement de M. Chirac à Lyon les 16 et 17 décembre 1994-meeting le 16 à Lyon

Texte intégral

Il y a cinq semaines, j’annonçais ma candidature à la présidence de la République. Par goût de la franchise et de la clarté. Par respect, aussi, pour l’élection présidentielle et le débat qu’elle exige.

Le choix de la clarté est, pour moi, celui de toute une vie. Ce choix, je l’ai encore fait en 1993, en renonçant à la responsabilité du gouvernement pour me consacrer exclusivement à la préparation d’un projet présidentiel pour les Français.

Le choix de la clarté est celui que me dictent mon tempérament et ma conception de la démocratie. Les Français ont le droit de savoir qui a l’ambition de prendre en charge leur avenir, pour quoi faire, dans quelle perspective. Nos compatriotes ne peuvent pas accepter, en guise de campagne, les dérives de la politique fiction, à grand renfort de sondage sur des candidatures qui n’existent pas ou des questions qui ne se posent pas. Une campagne, c’est l’occasion de poser les vraies questions et de tracer les vrais chemins.

Vous connaissez mon parcours au service du pays, dans l’administration, comme membre du gouvernement, comme Premier ministre, comme élu de la Corrèze et de Paris.

Ma passion de la France se nourrit de l’exemple des grands hommes que j’ai eu l’honneur de servir, le général de Gaulle et le président Pompidou. Mais elle trouve aussi sa course dans les innombrables rencontres qu’il m’a été donné de faire en sillonnant, depuis de nombreuses années, nos villes, nos banlieues, nos villages.

Je ne prétends pas, bien sûr, avoir des solutions miracles à tous nos problèmes. Mais je comprends, aujourd’hui mieux qu’hier, les attentes des Français, leurs doutes, leurs espoirs.

Depuis deux ans, je me suis mis complètement à leur écoute. À leur écoute, car les Français ont des choses à dire. Que reprochent-ils aux hommes politiques ? Précisément de s’en remettre plus volontiers aux experts qu’aux citoyens.

Ouvrons les yeux sur l’état de notre pays.

Depuis 10 ans, depuis que les socialistes ont abandonné leurs dernières utopies, la France s’est progressivement installée dans une sorte de confort tiède. La volonté politique des gouvernants s’est affaiblie, au point de laisser la technostructure, avec la complicité de la plupart des élites, accaparer, peu à peu, tous les pouvoirs.

Dans une France privée d’ambition, et durement frappée par la crise, ce fut alors, pour certains, le règne de l’argent facile. La spéculation et les placements financiers sans risques furent privilégiés, au détriment des investissements productifs, créateurs d’activités, d’emplois et de richesses. Nous avons, en quelque sorte, sacrifié l’économie réelle à l’économie financière.

Le résultat fut immédiat : les chômeurs se sont multipliés. Certains ont pu s’adapter, mais d’autres, de plus en plus nombreux, ont décroché et plongé dans la misère et la détresse. La France, qui fut longtemps un modèle de promotion sociale, se mit à fabriquer de l’exclusion. Avec pour conséquence, le développement de l’assistance et de la culture du non-travail, entraînant une charge de plus en plus lourde pour la collectivité.

Ceux qui constituent les forces vives de la nation ont été découragés. Je pense à tous ces jeunes, à ces salariés, ouvriers, employés, cadres, qui vivent dans l’anxiété du chômage et ne reçoivent pas les rémunérations qu’ils méritent. Je pense aussi à tous ceux qui, ménages ou chefs d’entreprise, empruntent pour préparer l’avenir. L’augmentation sans précédent des taux d’intérêt les a, le plus souvent, dissuadé d’investir.

On s’est, en réalité, désintéressé de la moitié des Français. On a occulté une partie de la France, dont monte, aujourd’hui, une sourde protestation. C’est la France dont on confisque les chances, celle qui a trop souvent le sentiment d’être négligée par ceux qui nous gouvernent.

Quand on fait partie de cette France rongée par les cancers du chômage et de l’endettement, on n’a évidemment pas le même sentiment de l’urgence sociale que lorsque l’on disserte, dans le confort de ces innombrables commissions d’experts qui spéculent sur l’avenir du pays. Quand on vit les choses « d’en bas », on n’a pas le temps d’attendre qu’ils finissent « en haut », par se mettre d’accord pour faire les réformes qui s’imposent.

Les élites portent une lourde responsabilité dans cette dérive qui conduit, peu à peu, à l’affaiblissement de notre pays. Entonnées dans un mode de pensée confortable mais dépassé, elles ont fini par divorcer du peuple français.

Les résultats des élections législatives de 1993 furent, à cet égard, riches de signification. Nos compatriotes votèrent pour le changement. Ils sont aujourd’hui déçus, parce que la cohabitation a rendu difficile la mise en œuvre des réformes indispensables pour échapper au déclin et éviter les fractures sociales.

C’est pour appliquer les idées que les Français ont plébiscité en 1993, qu’il nous faut gagner en 1995.

L’élection présidentielle n’est pas une échéance comme les autres. Elle doit nous permettre de retrouver l’élan qui a porté au pouvoir une nouvelle majorité, il y a presque deux ans. Les limites dans lesquelles notre action s’est trouvée enfermée depuis lors, ne doivent pas demeurer la règle pour demain. Il est temps de remettre la France en marche.

C’est pourquoi, je propose aujourd’hui aux Français, un changement qui soit, à la fois, profond, équitable, concerté et rapide.

Pour être profond, ce changement doit être porté par une véritable volonté politique. Je ne me résigne pas aux choix étriqués que cherchent à nous imposer les techniciens. On le voit bien : trop de responsables politiques sont aujourd’hui prisonniers d’un système de décision qui leur a échappé, au profit d’une technocratie éloignée des réalités. Seul le dialogue direct entre les gouvernants et les gouvernés permettra de vraies réformes.

Ce changement doit être équitable et solidaire. J’entends ne laisser personne au bord de la route. Je souhaite que les efforts soient justement partagés, et que les plus démunis soient, en toute hypothèse, épargnés. Ma seule ambition est d’offrir un espoir, une solution, à tous ceux que la société a rejeté, à tous ceux qui vivent de la solidarité nationale, à tous ceux qui se trouvent dans la gêne ou le besoin.

Pour être réussi, ce changement devra être concerté. Car, si notre peuple en ressent bien la nécessité, il n’entend pas se le voir imposé sans avoir été associé ou consulté. Les réformes, pour être acceptées et comprises, doivent être simples et préalablement débattues. C’est la seule manière efficace de gouverner aujourd’hui.

Surtout, les changements qui s’imposent devront être mis en œuvre rapidement. La réforme n’a jamais été une question de délai : c’est une affaire de volonté politique. Je l’ai dit lors de ma déclaration de candidature : la lutte contre le chômage, l’insertion professionnelle des jeunes, le combat contre l’exclusion, la répartition des fruits de la croissance, appellent des mesures rapides. Nous sommes là en état d’urgence et le temps nous est compté : il faudra agir dans les six mois.

C’est dans ce délai, par exemple, qu’un plan pour les banlieues, permettant de rétablir la sécurité et de développer des activités économiques dans les quartiers aujourd’hui « hors la loi », devra être mise en œuvre. Les moyens des forces de l’ordre devront être très sensiblement augmentés et des zones d’activités en franchise d’impôts et de charges sociales devront être créées. On ne peut plus attendre. Ma visite dans certaines zones de votre région vient de me le confirmer.

La réforme du financement du logement, que j’appelle de mes vœux pour permettre à chaque Français d’être logé dans des conditions décentes, devra être engagée aussi rapidement. Je pourrais multiplier les exemples : les changements sont à notre portée, à la condition qu’une impulsion soit donnée au plus haut niveau de l’État. Il est urgent que les hommes politiques reprennent le pouvoir.

Je n’ignore pas que certaines réformes de structure demanderont davantage de temps. Pour moderniser la France, l’adapter aux profondes mutations que connaissent l’Europe et le monde, il faudra utiliser les trois ans qui nous séparent de la fin de la législature pour préparer les changements, et susciter l’adhésion. C’est le cas, par exemple, dans les domaines de l’éducation, de la protection sociale, de la simplification administrative et de la production de l’environnement.

Un certain nombre de ces réformes supposeront de recourir au peuple par la voix du référendum. Il est légitime que les Français se prononcent sur les questions essentielles qui engagent leur existence ou leur avenir, je pense, par exemple, à notre système d’éducation et de formation. Nous n’avons d’ailleurs pas le choix : l’expérience montre que l’affaiblissement du pouvoir politique, résultat de la dérive monarchique que j’ai maintes fois dénoncée, prive la loi, dans certains domaines, de l’autorité nécessaire pour changer les choses. N’oublions pas que dans une démocratie, c’est, finalement, le peuple qui décide.

Le moment est venu de présenter aux Français des options claires, de leur proposer non seulement un changement de rythme, mais aussi un changement de cap.

Cela suppose un vrai débat sur le fond : comme toujours, l’avenir se nourris d’idées neuves. Je n’ai pas l’intention, pour ma part, de prescrire aux Français un somnifère pendant cette campagne. Je me fais une autre idée du peuple de France. Je veux incarner, pour lui, une véritable alternative.

Face aux défis actuels, le futur président de la République doit ressembler à la France. Il doit le connaître pour mieux la rassembler. Il doit la connaître dans sa diversité, dans ses banlieues en révolte ou en sécession, dans ses villages et ses campagnes, et pas seulement dans ses palais nationaux ou ses quartiers bourgeois.

L’enjeu est de taille : il s’agit de bâtir une France pour tous.

Sommes-nous décidés à tout faire pour que la France reste une communauté solidaire ? Sommes-nous décidés à préserver le lien social qui fait de nous ce peuple singulier qui est toujours au premier rang lorsqu’il est rassemblé ? Sommes-nous décidés à nous référer encore aux valeurs de la République pour renouer les fils distendus de notre cohésion sociale ? Sommes-nous décidés à privilégier ce que les Français ont en commun par rapport aux intérêts des catégories, des clans ou des castes ? Sommes-nous décidés à jouer avec détermination les atouts de la France ?

Voilà de quoi nous allons débattre durant la campagne présidentielle. Ou bien nous laissons notre communauté nationale se défaire, ou bien nous donnons les moyens de poursuivre une aventure collective multi séculaire pour affronter, tous ensemble, solidaires, la compétition internationale.

Pour ce qui me concerne, j’ai beaucoup d’ambition pour la France. Je lui prédis le meilleur avenir, dans la modernité, si elle sait jouer tous ses atouts. Et ils sont nombreux.

Notre démographie, tout d’abord. La France est, parmi les grands pays d’Europe, le plus fécond. Mais la chute de la natalité et le vieillissement de notre population font passer de lourdes menaces sur l’équilibre de notre protection sociale et, à terme, sur le dynamisme de notre pays. Méfions-nous de cette « révolution grise » et inventons une nouvelle politique familiale, plus simple, plus ambitieuse et plus dynamique, qui donne aux femmes les moyens de leurs différentes aspirations et la possibilité de tout concilier, aux familles la place qu’elles méritent dans la société, à la démographie l’impulsion qu’il lui faut.

Le deuxième de nos atouts, c’est l’intelligence.

La recherche, fondamentale et appliquée, est la clé de notre futur. Depuis plus de vingt ans, nous vivons sous l’impulsion donnée à nos chercheurs par le général de Gaulle. Nous vivons sur les acquis du passé. Ce n’est pas la qualité des hommes, bien au contraire, qui est en cause. Ce qui manque, là aussi, c’est une volonté politique forte permettant d’exprimer des priorités scientifiques claires, soutenues par l’ensemble de la nation. Il appartiendra au futur chef de l’État de porter les choix qu’impose l’avenir, comme le nucléaire, le spatial, le médical. L’innovation est l’arme stratégique du pouvoir économique moderne : en coopération avec nos partenaires européens, soyons à la hauteur de la compétition que nous imposent les États-Unis et le Japon.

Il est un troisième atout que la France n’a pas su valoriser : nos petites et moyennes entreprises.

La vraie relance de l’activité en France passe par la réhabilitation de l’esprit d’initiative et la défense des entrepreneurs. Intéressons-nous à ces Français qui constituent les forces vives de notre nation et qui ne jouent pas de leur influence dans les coulisses du pouvoir. Dégageons la route de tous ceux qui entreprennent en levant les obstacles qui encombrent leurs chemins : allégeons les contraintes administratives et les charges fiscales et sociales qui les paralysent. 2,4 millions d’entreprises en France, c’est 2,4 millions de chance de créer des emplois et des activités nouvelles. Je formulerai bientôt des propositions précises pour exploiter ce formidable potentiel dans le cadre d’un pacte « Initiative emploi ».

Si j’ai parlé d’une nouvelle approche de l’emploi, c’est parce que nous devons tout faire pour créer un climat favorable au développement de nos entreprises : réduire nos déficits publics pour permettre la baisse des taux d’intérêt ; donner aux entrepreneurs les financements bancaires et les moyens en fonds propres nécessaires à leurs investissements. Il faut agir vite.

Dans tous ces domaines, et bien d’autres, je pense à l’agriculture, aux activités maritimes, à tous ces métiers qui font que la France n’est pas un pays tout à fait comme les autres, nous vivons dans une sorte de passivité résignée. Nous avons perdu notre esprit de conquête. Il faut le retrouver, sauf à accepter que la France renonce à son statut de grande puissance. Dans ce cas, notre avenir serait tout tracé : nous deviendrons un pays dépendant, pour ses emplois, de la croissance mondiale, et, pour sa sécurité, du bon vouloir de ses alliés. Personnellement, je refuse ce scénario du déclin.

Sur tous ces sujets, je ferai des propositions précises dans les semaines qui viennent.

La campagne présidentielle est le temps fort de notre vie publique. Le seul où le pays choisit dans quelle direction il veut aller. C’est dire que le moment est venu de mettre en évidence les différences. De tracer les lignes de partage, de sorte que le choix des Français ne soit pas faussé et que le mandat que le peuple donnera au chef de l’État soit clair.

Rien ne serait pire qu’une élection ambiguë à la suite d’une campagne limitée à des questions subalternes, à des débats médiocres et au souci de s’accorder sur le plus petit dénominateur commun. Ce qui m’intéresse, c’est le plus grand multiplicateur commun entre tous les Français.

Voilà le sens de mon combat. Ce sont les idées que je veux défendre. C’est l’alternative que je veux incarner.

Je suis de ceux qui croient aux chances et aux atouts de la France. Si j’ai choisi, pendant ces deux dernières années, de m’éloigner des ors de la République, si j’ai pris le risque, parfois, d’une certaine solitude, c’est parce que je voulais me tourner vers les Français, pas vers le pouvoir.

Il y a mille façons de servir son pays. Je me présente aujourd’hui devant les Français, tel que je suis. Qu’ils jugent, qu’ils choisissent en pleine connaissance de cause.

Je veux rassembler tous ceux qui veulent un message et des engagements clairs. Tous ceux qui refusent le conservatisme d’où qu’il vienne, le réformisme frileux, l’immobilisme. Tous ceux qui récusent la résignation triste des experts et des techniciens. Tous ceux qui ont compris que nous sommes en situation d’urgence et que le temps nous est compté. Tous ceux qui font la part de l’initiative et n’ont pas peur du changement. Je veux rassembler tous ceux qui, avec moi, veulent faire bouger la France, rétablir la cohésion sociale, redonner à notre peuple désorienté des repères capables de fonder une nouvelle morale civique et républicaine, définir l’Europe du XXIe siècle.

Il existe une large majorité pour le changement. Elle existe au Parlement : faisons-lui simplement confiance. Elle existe chez les Français. C’est avec eux, c’est pour eux que je veux bâtir une nouvelle France, autour d’une nouvelle espérance. C’est avec eux, c’est pour eux que je veux bâtir une nouvelle France, la France pour tous.