Texte intégral
Jean-Pierre Bertrand : Jacques Chirac, bonsoir. Les Français sont convaincus de l’importance et de l’enjeu de cette élection présidentielle parce qu’ils savent que c’est de leur avenir qu’il s’agit et de l’avenir de leurs enfants. Aussi se posent-ils beaucoup de questions que souvent ils voudraient pouvoir poser aux candidats eux-mêmes, et il se trouve que lors de votre campagne et dans un certain nombre de meetings, vous avez répondu à un certain nombre de Français qui vous posaient directement ces questions. Alors, je voudrais que l’on revienne sur certaines d’entre elles et notamment sur le chômage, par exemple, le chômage c’était une question que vous posait une étudiante, c’était à Evry.
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(Témoignage) : Jacques Chirac, des jeunes actuellement, aspirent à être adultes, autonomes, c’est-à-dire avoir, un travail sûr, être impliqué à fond dans la vie active. Et, actuellement, la seule réponse de la société, c’est, elle est, les TUC, les stages. Est-ce que vous ne croyez pas qu’une société qui n’apporte que ce type de réponse là, ne s’achemine pas vers une révolte des jeunes ?
Jacques Chirac : Non, Soisic. La seule réponse, qu’apporte la société, heureusement, n’est pas les TUC, ou les stages. L’emploi c’est d’abord la croissance, c’est-à-dire l’activité de nos entreprises, qui seules créent de véritables emplois. D’où, la première priorité de toute politique sociale, c’est de donner aux entreprises, leurs chances. Et c’est pourquoi nous avons engagé une action pour diminuer les charges des entreprises, qu’elles soient fiscales ou bureaucratiques, pour les libérer de façon à ce qu’elles investissent davantage, produisent davantage, vendent davantage, et créent davantage d’emplois. Et puis il y a naturellement la formation. Il n‘est pas normal de voir trop de demandeurs d’emploi avec une formation qui ne débouche sur rien. Ou, au contraire, d’ailleurs, des demandes d’emplois qui ne sont pas satisfaites, faute de gens formés pour cela. D’où la nécessité d’ouvrir notre système d’éducation et de formation sur la vie, de créer les filières qui permettent de donner la formation nécessaire aux emplois qui existent vraiment. C’est une grande ambition aussi. Et puis enfin, il y naturellement, je dirai, les moyens du bord, ce que vous appelez les TUC, les SIVP, et les stages de toute nature. Mais il ne faut pas les critiques, d’abord parce qu’il vaut mieux faire quelque chose que rien du tout, et ensuite parce que, il y a grâce à ce système, beaucoup beaucoup de jeunes, qui au terme de ces stages trouvent un emploi. Entre la moitié des deux tiers. Et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle pour la première fois depuis vingt ans maintenant, quinze ans en tout cas, depuis mars 87 le chômage a commencé à baisser et celui des jeunes a baissé de 10 %. Je suis fier de ce résultat, même si ce n’est qu’un début et si par ailleurs j’ai, pour véritable obsession, l’idée de trouver des solutions, et la solution essentielle c’est la relance de notre économie et c’est cela que je veux faire et c’est par là que nous trouverons une solution au problème de l’emploi.
Jean-Pierre Bertrand : Un autre sujet, Jacques Chirac, qui inquiète les Français, c’est la protection sociale, sécurité sociale, régime de retraite, une question d’ailleurs qu’évoquait avec vous à Créteil, le professeur Cachérat.
(Musique)
Professeur Cacherat : Ma question, Monsieur le Premier ministre, sera la suivante : pensez-vous que le système de couverture sociale français dans les structures qu’il a aujourd’hui pourra faire face aux défis nombreux qui l’attende pour les prochaines années ?
Jacques Chirac : Oui, Monsieur le Professeur, il fera face. Le Général de Gaulle avait donné à la France le système de protection le plus élaboré, le meilleur du monde. Et nous y sommes tous profondément attachés.
Jean-Pierre Bertrand : Vous n’avez pas la tentation d’instaurer un système de sécurité à deux vitesses ?
Jacques Chirac : Pas un instant, c’est à l’opposé de toutes mes convictions. Mais je dirai, en revanche, qu’il y a des problèmes. Nous avons réglé tous ceux qui touchaient la famille, qui touchaient les accidents du travail et qui touchaient la maladie. Et nous avons équilibré nos comptes. Ce qui est capital pour demain. Reste la retraite. Et il ne faut pas croire ceux qui disent : « c’est pour l’an 2000 ». C’est pour cette année. Il n’est pas question pour nous d’augmenter l’âge de la retraite, il n’est pas question pour nous de diminuer les pensions. Par conséquent nous devons trouver le financement qui manque. Et c’est la raison pour laquelle j’ai voulu, non pas dans cette affaire, contraindre, mais convaincre, et consulter préalablement les personnalités compétentes, celles du Conseil Economique et Social. Mais cette question sera réglée en temps voulu, c’est-à-dire avant la fin de l’année, et la solution y sera apportée. Ce que je peux garantir naturellement, c’est le paiement de toutes les pensions ce que nous avons marqué par l’actualisation, c’est-à-dire l’augmentation à ce que le pouvoir d’achat des pensions soit évidemment respecté.
Jean-Pierre Bertrand : Autre sujet de préoccupation des Français, Jacques Chirac, bien sûr la politique familiale. C’est Madame Hennequin, à Metz, qui vous avait interpellé dans un meeting.
Madame Hennequin : En tant que mère de famille j’ai peut-être un esprit plus terre à terre, alors je voulais vous demander si vous avez l’intention de doubler l’allocation parentale, est-ce que ça ne va pas se faire un peu au détriment des allocations familiales et éventuellement augmenter nos impôts ?
Jacques Chirac : Non, Madame Hennequin, ça ne se fera pas au détriment. De quoi s’agit-il ? Chacun comprend bien aujourd’hui que la politique familiale est une priorité absolue et qui doit être reconnue pour telle. D’abord parce que c’est au sein de la famille que se développent les vraies valeurs, celle des responsabilités, celles d’amour du prochain, celles de tolérance qui cimente notre société. Ensuite, parce que nous voyons bien que nous n’avons plus assez d’enfants et c’est vrai pour toute l’Europe, et qu’il faut redonner une impulsion nouvelle à notre démographie. Pour ceux qui le veulent, bien entendu. Mais il faut les inciter, en tous les cas, ne pas les décourager. Dans ce contexte il y a naturellement toute une politique familiale touchant les prestations familiales, touchant la fiscalité, touchant le logement, touchant les personnes âgées, mais dans ce contexte il y a un élément qui est important. C’est celui qui consiste pour les femmes à conquérir cette liberté nouvelle et nécessaire et à laquelle elles ont droit. Et qui consiste à pouvoir choisir librement entre travailler à l’extérieur, ce qui est le cas de 70 % d’entre elles, mais alors il faut qu’elles aient les moyens de faire garder leurs enfants, garde à domicile, garde dans des systèmes collectifs de crèche, mais les moyens, ou alors, qu’elles le veille et qu’elles puissent rester chez elles pour assurer l’éducation de leurs enfants. Mais alors il faut reconnaître qu’elles font un métier, probablement d’ailleurs le plus beau du monde, et cela mérite rémunération et droits sociaux. Et c’est dans cet esprit qu’en 81 j’avais créé à Paris l’allocation parentale d’éducation. En 87 je l’ai élargi dans son ensemble à la France. Et j’ai indiqué qu’il fallait maintenant faire un pas de plus, c’est-à-dire l’augmenter, c’est-à-dire la porter pour une mère de trois enfants et pendant trois ans, non plus à 60 % du SMIC, comme c’est le cas aujourd’hui, mais, à 100 %, c’est-à-dire à la valeur du SMIC. Et ce n’est qu’un pas encore vers un objectif plus lointain bien entendu. Et qui est le salaire de la mère au foyer. Et c’est légitime.
Jean-Pierre Bertrand : Quand vous avez fait cette annonce, Jacques Chirac, je me souviens, c’était un peu un tollé, on a parlé de promesses inconsidérées au début de la campagne, est-ce que vous avez véritablement les moyens du financement de ces allocations ?
Jacques Chirac : C’était une mauvaise polémique. Cette réforme coûte trois milliards et demie de francs. Le budget familial est de 135 milliards de francs, je vous laisse en tirer toutes les conclusions. Mais la famille est une priorité absolue.
Jean-Pierre Bertrand : Alors, autre sujet d’intérêt pour les français, bien sûr, tout le monde en parle, c’est l’impôt. Alors, l’impôt sur les sociétés, l’impôt sur les revenus, c’est Guy Vasseur qui est agriculteur et qui vous pose la question, c’était à Orléans.
Guy Vasseur : Monsieur le Premier Ministre, je voudrais en venir aux aspects fiscaux, parce que j’ai l’impression qu’il faudrait tout faire à la fois, d’une part réduire la TVA pour pouvoir la rendre compatible avec l’échéance de 1992, le Marché Unique Européen, d’autre part l’impôt sur les sociétés pour améliorer, alors Jacques Chirac, est-ce que c’est possible, quels choix, quelles priorités ?
Jacques Chirac : Et aussi l’impôt sur le revenu des personnes physiques, naturellement. Vous savez jusqu’en 73-74, les Français en général payaient à peu près les mêmes impôts que leurs voisins européens. Et puis il y a eu une dérive fortement accentuée par les Socialistes et l’on est arrivé à un niveau de fiscalité qui ne nous rend plus compétitifs, concurrentiels. Il faut donc réduire cette fiscalité qui paralyse les travailleurs, les entreprises, les consommateurs français.
Jean-Pierre Bertrand : François Mitterrand faisait remarquer l’autre jour qu’elle avait baissé en 1985 à sa demande.
Jacques Chirac : Monsieur François Mitterrand affirme quelque chose qui n’est pas tout à fait exact mais on ne peut pas demander une certaine compétence économique à tout le monde, n’ouvrons pas ce débat. Il faut donc diminuer les impôts dans quel ordre et comment. D’abord, l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur le revenu des entrepreneurs individuels. Pour qu’ils soient aptes à assumer la concurrence de l’année 92-93. Ensuite ou en même temps, l’impôt sur les personnes physiques qui reste trop élevé. Nous l’avons fait pour les plus démunis, plus de quatre millions de familles ont bénéficié en tout ou en partie de la suppression de leur impôt, il faut le faire pour les revenus moyens et plus élevés de façon à ne pas stériliser l’initiative notamment de notre personnel d’encadrement. Et enfin il y a la TVA. Nous avons commencé avec l’automobile, les motos, les disques, les médicaments, les cassettes, il faut poursuivre. Je dirai que c’est en troisième priorité. Notre programme, qui consiste à planifier 15 milliards de déficit, de ce déficit que nous ont légué les Socialistes, et 15 milliards de réduction chaque année nous permettra d’atteindre l’objectif que nous voulons atteindre, c’est-à-dire qu’en 92-93, la France soit compétitive, que la croissance puisse se développer, et qu’on règle notre problème de chômage. Mais cela suppose naturellement une énergie tenue de nos dépenses, et bien comme je l’ai fait à Paris, comme je l’ai fait depuis deux ans, au plan national, vous pouvez compter sur moi.
Jean-Pierre Bertrand : Je voudrais revenir sur un autre sujet qui intéresse également les Français, sur lequel Nathalie Foll vous avait posé une question à Marseille dans un meeting, c’était la sécurité.
Nathalie Foll : Et bien Monsieur le Premier Ministre, je suis jeune comme vous pouvez vous en rendre compte, par conséquent j’aime bien sortir le soir, et malheureusement l’insécurité règne de plus en plus autour de nous, bon, je n’ai aucun véhicule personnel malheureusement et je voudrais savoir s’il y a moyen pour lutter contre cela ?
Jacques Chirac : Non, Nathalie, pas de plus en plus. Vous savez j’ai une fille qui a votre âge, et je comprends ces inquiétudes. Elle me le transmet aussi. ET lorsqu’en qualité de Maire de Paris je me promène dans les rues, je vois les personnes âgées, j’ai toujours peur qu’elles soient agressées par un voyou qui essaie de leur prendre leur cas ou leur portefeuille. Lorsque je vois dans certaines rues les appartements, les boutiques, régulièrement cambriolées, je suis directement concerné. Nous avons fait un effort considérable. Nous avons fait voter par le Parlement, les lois qui s’imposaient. Nous avons augmenté sensiblement les moyens de la police. Charles Pasqua, Ministre de l’Intérieur a affirmé sa volonté politique de lutter contre la délinquance, la criminalité, contre le terrorisme. Et ceux-ci ont déjà très sensiblement reculé.
Jean-Pierre Bertrand : Un renversement de tendance n’avait pas eu lieu un peu avant ?
Jacques Chirac : Non. Non. Non. Ça, ce n’est pas exact. Et nous continuerons. Nous continuerons avec le ferme volonté d’arriver à ce que cette première des libertés, la liberté d’aller, de venir, de posséder sans être agressé, sans être détroussé, soit réellement respectée. Je n’ai aucune indulgence pour les criminels, et je souhaite faire en sorte que chacun puisse se sentir en France, en sécurité, ça demandera quelques années, mais nous y parviendrons.
C’était Monsieur Jacques Chirac, répondant aux question de Jean-Pierre Bertrand, journaliste.